COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
= COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
Dans l'affaire
A Ao An Ax contre l’ETAT DE CÔTE D'IVOIRE.
Requête N° : ECW/CCJ/APP/56/18 Arrêt N. ECW/CCI/JUD/12/24
ARRÊT
ABUJA
Le 29 mai 2024
AFFAIRE N° : ECW/CCJ/APP/56/18
ARRÊT N° ECW/CCI/JUD/12/24
A Ao An Ax REQUERANT
L’ETAT DE CÔTE D’IVOIRE DÉFENDEUR
Plot 1164 Af Ar Ag, Gudu District, Aq Ap.
COMPOSITION DE LA COUR :
Hon. Juge Gberi-bè OUATTARA Juge Rapporteur / Président
Hon. Juge Sengu M. AI Membre
Hon. Juge Claudio Monteiro GONÇALVES Membre
Assistés de : Dr Yaouza OURO-SAMA Greffier en Chef
L REPRÉSENTATION DES PARTIES :
Maître GOHI-Bi IRHIET Raoul
Avocat au Barreau de Côte d’Ivoire Avocat du requérant
Maître Na Mariam
Avocat au Barreau de Côte d’Ivoire Avocat du défendeur
à LE IL. ARRÊT DE LA COUR
Le présent arrêt est celui rendu par la Cour, en audience publique virtuelle conformément à
l’article 8 (1) des Instructions pratiques sur la gestion électronique des affaires et les audiences
virtuelles, de 2020.
IN. DÉSIGNATION DES PARTIES
1. Le requérant est A Ao An Ax, le Directeur Général de la Société
Anonyme AGRIBIZNET dont le siège social est situé à At Am Ak Ai. Il
est de nationalité ivoirienne donc citoyen de la Communauté (ci-après dénommé «le
requérant »).
2. Le défendeur est l’Etat de CÔTE D'IVOIRE, un Etat membre de la Communauté, signataire
de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ainsi que d’autres instruments
internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme (ci-après dénommé «le
défendeur »).
3. La présente procédure a pour objet la constatation de la violation par l’Etat de CÔTE
D'IVOIRE, de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) en son
article 6 et du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) en son article
9 alinéa 1, consécutive à l’arrestation et à la détention du requérant A Ao An
Ax.
V. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
4. Le 26 novembre 2018, A Ao An Ax a déposé au greffe de la Cour de céans,
une requête introductive d’instance contre l’Etat de Côte d’Ivoire pour violation de la Charte
Je Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) et du Pacte International relatif aux
Droits Civils et Politiques (PIDCP). Cette requête a été notifiée à l’Etat de CÔTE D'IVOIRE
le 05 décembre 2018. (Pièces n° 1)
5. Le 04 mars 2019, le défendeur a déposé au greffe un mémoire en défense. Ce mémoire en
défense a été notifié au requérant le 05 mars 2019 (Pièce n°2).
6. Le 16 décembre 2019, le défendeur a communiqué au greffe de la Cour, de nouvelles pièces
qui ont été notifiées au requérant le 18 décembre 2019 (Pièce n°3).
7. A l’audience du 22 juin 2021, les deux parties étaient absentes et non représentées par leurs
conseils.
L'affaire a donc été renvoyée au 22 octobre 2021 pour audition.
8. A l’audience du 22 octobre 2021, le requérant était absent et non représenté par son conseil.
Le défendeur qui était représenté par son conseil a plaidé l’affaire au fond.
9. L’affaire a été mise en délibéré pour arrêt être rendu le 22 mars 2022.
Advenue cette date, le délibéré a été rabattu et l’affaire a été renvoyée pour audition des parties.
Les parties n’ayant plus déposé d’écriture au dossier, l’affaire a été remise en délibéré pour que
la Cour rende sa décision.
VI. ARGUMENTATION DU REQUÉRANT
a) Exposé des faits
10. Par requête enregistrée au greffe de la Cour le 28 novembre 2018, A Ao An
Ax expose que dans le cadre des investigations effectuées par le groupe de travail créé
par l’Etat de Côte d’Ivoire pour examiner les activités des sociétés d’Agro-Business, il a été
invité à se rendre à la Direction de la Police Economique et Financière (DPEF) où il a été gardé à vue pendant huit (8) jours avant d’être déféré au Parquet du Tribunal de Première Instance
d’Abidjan-Plateau le 13 janvier 2017.
11. Il explique que ce même jour, le Procureur de la République a requis contre lui, l’ouverture
d’une information judiciaire qu’il a confiée au Juge d’instruction du 8èM° cabinet. Il relate
qu’après l’avoir inculpé des faits d’escroquerie et de blanchiment de capitaux, le magistrat
instructeur l’a placé en détention préventive à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan
(MACA) suivant mandat de dépôt du 13 janvier 2017.
12. Il estime que sa détention est devenue arbitraire parce que, d’une part, la procédure le
concernant est anormalement prolongée alors qu’il est toujours détenu en violation des lois
pénales ivoiriennes mais, d’autre part, les faits objet de la poursuite ne constituent aucune
infraction.
13. Il soutient que c’est pour sanctionner la violation de ses droits par l’Etat de Côte d’Ivoire
qu’il a saisi la Cour de céans d’une requête par l’organe de son conseil.
14. Le requérant sollicite qu’il plaise à la Cour, constater que l’Etat de Côte d'Ivoire le détient
arbitrairement en violation des articles 6 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des
Peuples (CADHP) et 9 alinéa 1 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques
(PIDCP).
15. Il sollicite en outre que la Cour ordonne la cessation desdites violations par sa mise en
liberté ainsi que la condamnation de l’Etat de Côte d'Ivoire à lui payer la somme de dix
milliards (10 000 000 000) de francs CFA à titre de dommages et intérêts pour toutes causes
de préjudices confondues.
b) Moyens invoqués
16. Les moyens de droit invoqués par le requérant sont les suivants :
- Violation de l’article 6 et de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples
- Violation de l’article 9 alinéa 1“ du PIDCP ;
c) Conclusions
17. Le requérant sollicite qu’il plaise à la Cour :
- Constater que l’Etat de Côte d’Ivoire le détient arbitrairement ;
- Ordonner sa mise en liberté ;
- Condamner l’Etat de Côte d'Ivoire à lui payer la somme de dix milliards (10 000 000 000)
de francs CFA à titre de dommages et intérêts pour toutes causes de préjudices
confondues ;
- Mettre les dépens à la charge du défendeur ;
VII. ARGUMENTATION DU DÉFENDEUR
a) Exposé des faits
18. Par les écritures de son conseil Maître Na Mariam, Avocate au Barreau d’Abidjan, l’Etat
de Côte d’Ivoire expose que le 22 septembre 2016, le Conseil National de Crédit (CNC) a
interpellé la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique (DGTCP) sur le
volume des transactions financières réalisées par les entreprises faisant un appel public à
l’épargne qui foisonnent sur le territoire national.
19. Il allègue que la DGTCP a mis en place un groupe de travail chargé d’évaluer la viabilité
du modèle économique proposé par ces entreprises qui se sont présentées comme des sociétés
d’Agro-Business spécialisées principalement dans la création et la gestion de plantations de
cultures vivrières au profit de leurs adhérents.
20. Le groupe de travail sur l’Agro-Business ayant constaté que les entreprises d’Agro-
Business parmi lesquelles se trouve la Société AGRIBIZNET font un appel public à l’épargne
sans l’autorisation du Conseil Régional de l’Epargne Public et des Marchés Financiers
(CREPMF), la Commission Régionale de l’Epargne Public et des Marchés Financiers
(CREPMF) a intimé l’ordre à toutes les sociétés d’Agro-Business de cesser toute activité
irrégulière comportant des placements à haut risque et qui s’assimile à de l’arnaque et à de
l’escroquerie.
21. Le défendeur relate que le groupe de travail sur l’Agro-Business ayant conclu à l’existence
de cas d’escroquerie et de blanchiment de capitaux au terme de ses investigations sur les treize
(13) entreprises concernées, l’Agent Judiciaire du Trésor a dénoncé ces faits au Procureur de
la République. Cependant, les dirigeants sociaux de ces entreprises ayant quasiment disparu de
la circulation, l’enquête subséquente diligentée par la Police Economique n’a permis
d’interpeller que le requérant, Directeur Général de la Société AGRIBIZNET et ses
collaborateurs en l’occurrence, le Directeur Administratif et Financier (DAF) et le Directeur
Technique (DT).
22. Le défendeur explique que saisi par le Procureur de la République en vue d’ouvrir une
information judiciaire, le doyen des juges d’instruction a inculpé le requérant des faits
d’escroquerie et de blanchiment de capitaux et l’a placé en détention préventive à la MACA le
13 janvier 2017.
23. Il articule qu’alors que l’instruction suivait son cours, l’inculpé a saisi la Cour de céans
d’une requête pour qu’elle constate qu’il a violé ses droits et le condamne à lui payer la somme
de dix milliard (10 000 000 000) de francs CFA à titre de dommages et intérêts pour toutes
causes de préjudices confondues.
24. Le défendeur précise que le requérant a bénéficié d’une mesure générale de grâce
présidentielle à la fin du mois de décembre 2018 de sorte que depuis courant janvier 2019, il
n’est plus en détention.
25. Il prie la Cour de déclarer le requérant mal fondé en sa requête du fait que sa détention est
conforme aux dispositions du code de procédure pénale ivoirien.
b) Moyens invoqués
26. Le défendeur invoque comme moyen de droit, les dispositions des articles 40, 112 et 120
du code de procédure pénale ivoirien-.
c) Conclusion
27. L’Etat défendeur sollicite qu’il plaise à la Cour, déclarer le requérant mal fondé en sa
requête.
VII. COMPÉTENCE
28. La Cour rappelle que sa compétence en matière de droit de l’homme est régie par les
dispositions de l’article 9-4 du Protocole additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 portant
amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour de justice qui dispose que : « La Cour
est compétente pour connaître des cas de violation des droits de l'Homme dans tout Etat
membre ».
29. La Cour note que selon sa jurisprudence constante, il faut mais il suffit que la requête fasse
simplement référence à la violation des instruments internationaux relatifs aux droits de
l’homme pour induire sa compétence formelle telle que déterminée par les dispositions des
articles 9.4 et 10 du Protocole Additionnel AP1/01/05 relatif à la Cour.
La Cour a rappelé cette position dans l’arrêt N° ECW/CCJ/JUD/09/11 du 07 octobre 2011,
AJ Al As et autres contre l’Etat du Togo.
30. En l'espèce, le requérant invoque la violation des articles :
-6etde la CADHP et
- 9 alinéa 1 du PIDCP ;
31. La Cour note que les droits invoqués par le requérant figurent parmi les droits de l’homme
qui relèvent de sa juridiction. Par conséquent l’invocation de la violation desdits droits lui donne compétence pour connaitre de la requête en application des dispositions de l'article 9 al.
4, du protocole additionnel A/SP.1/01/05/du 19 janvier 2005.
IX. RECEVABILITÉ
32. La Cour note que la recevabilité des requêtes par elle est réglée par les dispositions de
l’article 10-d du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 portant amendement
du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour qui dispose que : « peut saisir la Cour, toute personne
victime de violation des droits de l’homme ;
La demande soumise à cet effet :
i) ne doit pas être anonyme ;
ii) ne sera pas portée devant la Cour de Justice de la Communauté lorsqu'elle a été déjà
portée devant une autre Cour internationale compétente »
33. En l’espèce, la Cour note que le requérant A Ao An Ax est bien
identifié. La requête n’est donc pas anonyme.
34. Par ailleurs, la preuve que le requérant a saisi une autre juridiction internationale
compétente en matière de droits de l’homme pour connaitre de cette même affaire n’étant pas
rapportée, la Cour doit déclarer la requête recevable.
X _ SUR LE FOND DE L’AFFAIRE
35. Le requérant invoque la violation par l’Etat de Côte d’Ivoire de son droit à ne pas être
détenu arbitrairement (I) et sollicite que la Cour de Céans le condamne à lui payer la somme
de dix milliard (10 000 000 000) de francs CFA à titre de dommages et intérêts en réparation
du préjudice qu’il aurait souffert. (IT) ! SUR LA DETENTION ARBITRAIRE
La plainte du requérant pour détention arbitraire amène la Cour à examiner nécessairement son
arrestation (a), la durée de la garde à vue (b) et sa détention préventive (c).
36. Le requérant explique qu’il a été arrêté et placé en garde à vue du 05 au 13 janvier 2017,
soit pendant 8 jours sans que l’Officier de Police Judiciaire ne lui notifie l’autorisation de
prolonger le délai de garde à vue de 48 heures d’un nouveau délai de garde à vue. Il en conclut
qu’il a été détenu au-delà des 72 heures maximums légales.
37. Il fait valoir en effet qu’il résulte des dispositions de l’article 63 du code de procédure
pénale ivoirien que l’Officier de Police Judiciaire ne peut garder un suspect à vue plus de 48
heures qu’avec l’autorisation du Procureur de la République. Il soutient que ces faits constituent
une violation de l’article 6 de la CADHP ainsi que de l’article 9 alinéa 1 du PIDCP du fait
qu’aucun fondement légal justifiant la prolongation de sa détention ne peut être invoqué.
38. Le requérant estime par ailleurs que sa détention préventive est injustifiée et abusive car
aux termes de l’article 137 du code de procédure pénale ivoirien, « la liberté est de droit, la
détention préventive, une mesure exceptionnelle ». Il fait remarquer qu’en l’espèce, pour
ordonner sa mise en détention préventive, le magistrat instructeur s’est contenté de dire que sa
« détention est nécessaire pour la manifestation de la vérité et les besoins de l'instruction ».
39. Il articule que sa qualité de Directeur de société légalement constituée et reconnue,
employeur de 108 personnes avec un domicile fixe sont des éléments qui montrent qu’il jouit
d’une garantie de représentation susceptible de le dispenser de la détention préventive. Il
soutient qu’en motivant sa mise en détention préventive avec des arguments vagues et
standards contenus dans les imprimés, le juge d’instruction n’a pas conformé sa décision aux
principes du droit international.
40. Le requérant affirme que sa détention préventive a été anormalement prolongée de sorte
qu’elle est abusive et arbitraire. Il explique en effet qu’aux termes de l’article 138 alinéa 3 du
code de procédure pénale ivoirien, « … la détention préventive est prononcée pour une durée de quatre (4) mois. Passé ce délai, si la détention apparaît encore nécessaire, le juge
d'instruction peut la prolonger par une ordonnance spécialement motivée, rendue sur les
réquisitions également motivées du Procureur de la République. Chaque prolongation ne peut
être prescrite pour une durée de plus de quatre mois. »
41. |l affirme qu’en l’espèce, sa détention préventive a été prolongée par le juge d'instruction
suivant une ordonnance en date du 10 mai 2017 au motif que « l’instruction suit son cours »
etune ordonnance du 14 septembre 2017 pour la période allant du 13 septembre 2017 au 13
janvier 2018 motif pris de ce que « des actes utiles à la suite de la procédure restent à
accomplir ».
42. Le requérant estime que par leur caractère laconique, les motivations des ordonnances
de prolongation en cause violent l’article 138 du code de procédure pénale ivoirien. Il indique
qu’alors que par ordonnance du 09 novembre 2017, le juge d’instruction l’a informé de ce
que l’information est terminée, il a néanmoins prolongé sa détention préventive le 08 janvier
2018 au motif que « des actes utiles à la suite de la procédure restent à accomplir ».
43. || fait savoir que par le canal de son conseil, il a saisi directement la Chambre d’Accusation
aux fins d’annuler ces ordonnances et lever le mandat de dépôt décerné contre lui. Il articule
que cette procédure qui a été reçue au greffe de la Chambre d’Accusation depuis le 19 mars
2018 n’a pas été enrôlée.
44. Le requérant rappelle que l’Etat de Côte d’Ivoire a pourtant ratifié la Charte Africaine des
Droits de l’'Homme et des Peuples (CADHP) le 06 janvier 1992 et adhéré au Pacte International
relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) le 26 mars 1993. Il soutient qu’il résulte des
dispositions combinées de ces instruments internationaux qu’une détention est arbitraire
lorsque les faits pour lesquels la personne soupçonnée a été arrêtée n’emporte aucune
qualification pénale en droit interne et international, et que les motifs et la procédure suivie
pour son arrestation ou sa détention n’ont aucune base légale.
45. En l’espèce, le requérant allègue que les motifs de son arrestation et de sa détention
préventive ne sont pas légaux. Il fait remarquer en effet qu’alors qu’il a été arrêté et inculpé
pour des faits d’escroquerie et de blanchiment de capitaux, aucune plainte pour escroquerie
émanant d’un seul souscripteur ne lui a été présentée de l’enquête préliminaire jusqu’à la
clôture de l’information. Il n’y a jamais eu de relation contractuelle entre l’Etat de Côte d’Ivoire
qui paraît être la victime et lui. Il conclut qu’il n’y a pas d’escroquerie.
46. Quant au blanchiment de capitaux, le requérant allègue que pour être poursuivi pour cette
infraction, il faut que le mis en cause sache ou soit en mesure de savoir que les fonds versés
par les souscripteurs proviennent de crime ou délit ou ont une origine illicite ou frauduleuse.
Ce qui n’est pas, selon lui, le cas en l’espèce puisque l’Etat de Côte d’Ivoire a restitué aux
souscripteurs les huit milliard (8 000 000 000) de francs CFA qui se trouvaient sur le compte
de la société AGRIBIZNET et qui faisait l’objet d’un séquestre judiciaire. Il estime qu’une telle
restitution n’a pu se faire sous le couvert de l’Etat de Côte d’Ivoire qu’en raison du fait que les
fonds ne provenaient pas d’une origine illicite ou frauduleuse.
47. Le défendeur relève que l’arrestation et la détention du requérant sont consécutives à une
alerte donnée par la Direction Générale du Trésor à l’Agent judiciaire du Trésor. Le Procureur
de la République saisi des faits par l’Agent Judiciaire du Trésor a fait diligenter une enquête
qui a abouti à l’interpellation du requérant. Il a requis l’ouverture d’une information judiciaire
et le juge d’instruction saisi a ordonné sa mise en détention préventive. Il soutient que toute
cette procédure s’est déroulée dans le strict respect du code de procédure pénale ivoirien de
sorte qu’aussi bien l’arrestation que la détention du requérant sont parfaitement légales.
48. Le défendeur rapporte par ailleurs que les responsables des sociétés impliquées dans
l’affaire AGRO-BUSINESS se sont tous enfuis pour se soustraire aux poursuites pénales. Par
conséquent, pour éviter qu’à l’instar des dirigeants de ces sociétés le requérant ne prenne la
fuite, le juge d’instruction a ordonné sa mise en détention préventive à la suite de son
inculpation pour les faits d’escroquerie et de blanchiment de capitaux qui lui sont reprochés.
49. Le défendeur souligne que le doyen des juges d’instruction a régulièrement prorogé la
détention préventive du requérant par diverses ordonnances jusqu’à ce qu’il foit mis en liberté, 12 et ce, conformément aux dispositions de l’article 138 du code de procédure pénale ivoirien. Il
estime en conséquence que les droits du requérant n’ont jamais été violés et prie la Cour de
Justice de la Communauté de déclarer le requérant mal fondé en sa requête.
ANALYSE DE LA COUR
50. La Cour note que l’article 6 de la Charte Africaine des Droits l’Homme et des Peuples
(CADHP), dispose que : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul
ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement
déterminés par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement ».
51. Quant à l’article 9 alinéa 1! du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques
(PIDCP) il dispose que : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul
ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de
sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi »
Cette disposition du pacte signifie qu’une arrestation est arbitraire lorsque :
- Le motif de l’arrestation est illégal ;
- La victime n’a pas été informée des raisons de son arrestation ;
- Les droits procéduraux de la victime n’ont pas été respectés ;
- La victime n’a pas été présentée à un juge dans un délai raisonnable ;
52. La Cour observe que la détention arbitraire constitue une violation du droit à la liberté. En
effet, elle consiste à arrêter et à priver une personne de sa liberté au mépris du droit national et
des standards internationaux relatifs aux droits de l’homme.
L’arbitraire fait référence à l’absence de fondement juridique donc au caractère illégal et
injustifié de l’arrestation et de la détention.
53. À ce propos, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a dégagé
trois critères pour déterminer le caractère arbitraire d’une détention à savoir :
- Il est manifestement impossible d’invoquer un fondement quelconque qui justifie la privation
de liberté ;
- la privation de liberté résulte de l’exercice par l’intéressé des droits proclamés ou des libertés
proclamées par les 7,13,14,18,19,20 et 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
et, pour autant que les Etats soient parties au Pacte international relatifs aux Droits Civils et
Politiques.
- L’inobservation, totale ou partielle, des normes internationales relatives au droit à un procès
équitable, énoncées dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et dans les
instruments internationaux pertinents acceptés par les Etats concernés, est d’une gravité telle
que la privation de liberté prend un caractère arbitraire.
54. À titre d’exemple, il convient de citer l’arrêt ECW/CCJ/JUD/ 05 /10 en date du 8 novembre
2010 de la Cour de céans dans l’affaire Z Ba c. Général Az Ae et Etat du
Niger. En effet dans cet arrêt, pour retenir le caractère arbitraire de la détention du susnommé,
la Cour de céans a fait recours à la définition du Groupe de Travail de la Commission des droits
de l’homme des Nations Unies en considérant comme arbitraires les privations de liberté qui
sont contraires aux normes internationales pertinentes énoncées dans la Déclaration
Universelle des droits de l’homme ou par les instruments internationaux pertinents ratifiés par
les Etats.
a)- S’AGISSANT DE L’ARRESTATION DU REQUERANT
55. Dans le cas d’espèce, la Cour relève que pour soutenir que son arrestation est arbitraire, le
requérant allègue que l’activité de la société AGRIBIZNET qu’il dirige a un caractère purement
commercial comme le démontre les contrats qui le lient aux souscripteurs. II rappelle qu’il a
été arrêté pour des faits d’escroquerie et de blanchiment de capitaux.
56. La Cour note cependant qu’il ressort des pièces de la procédure que le défendeur a intimé
l’ordre à toutes les sociétés d’Agro-Business de cesser toute activité irrégulière comportant des
placements d’argent à haut risque et qui s’assimile à de l’arnaque et à de l’escroquerie lorsqu’il a constaté que les entreprises d’Agro-Business parmi lesquelles se trouve la Société
AGRIBIZNET font un appel public à l’épargne sans l’autorisation du Conseil Régional de
l’Epargne Public et des Marchés Financiers (CREPMF) en persuadant les souscripteurs de la
création à leur profit de plantations fictives et donc chimériques.
57. La Cour constate que c’est après avoir conclu à l’existence de cas d’escroquerie et de
blanchiment de capitaux au terme de ses investigations sur les treize (13) entreprises
concernées, que le défendeur a dénoncé ces faits au Procureur de la République et, en l’absence
des autres dirigeants sociaux de ces entreprises qui ont quasiment disparu de l’espace
économique, l’enquête subséquente diligentée par la Police Economique a abouti à
l’interpellation du requérant, Directeur Général de la Société AGRIBIZNET et ses
collaborateurs en l’occurrence, le Directeur Administratif et Financier (DAF) et le Directeur
Technique (DT).
58. La Cour conclut donc que l’arrestation du requérant n’est pas arbitraire dans la mesure où
elle s’inscrit dans le cadre d’une enquête diligentée par les services compétents sur le
fondement des faits d’escroquerie et de blanchiment de capitaux qui sont des infractions
prévues par les lois répressives lesquelles constituent indiscutablement la base légale des
poursuites.
b) - S’AGISSANT DE LA GARDE A VUE DU REQUERANT
59. Sur sa détention, le requérant fait valoir qu’il a été gardé à vue pendant plus de 72 heures
sans l’autorisation du Procureur de la République contrairement aux dispositions de l’article
63 du code de procédure ivoirien.
60. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 63 du code de procédure pénale ivoirien, « Si,
pour les nécessités de l'enquête, l'officier de Police judiciaire est amené à garder à sa
disposition une ou plusieurs des persomnes visées aux articles 61 et 62, il ne peut les retenir
Plus de quarante-huit (48) heures. S'il existe contre une personne des indices graves et
concordants de nature à motiver son inculpation, l'officier de Police judiciaire doit la conduire devant le Procureur de la République sans pouvoir la garder à sa disposition plus de quarante-
huit (48) heures. Le délai prévu à l'alinéa précédent peut être prolongé d'un nouveau délai de
quarante-huit (48) heures par autorisation du Procureur de la République ou du juge
d'Instruction. Les dispositions du dernier alinéa de l'article 64 sont applicables. L'officier de
Police judiciaire avise de ce droit la personne gardée à vue. »
61. En l’espèce, le requérant affirme qu’il a été placé en garde à vue du 05 au 13 janvier 2017,
soit pendant 8 jours sans que l’Officier de Police Judiciaire lui notifie l’autorisation de
prolonger le délai de garde à vue de 48 heures d’un nouveau délai de garde à vue. Cependant,
il ne verse pas au dossier les éléments de preuve pour corroborer ses déclarations notamment
les copies des pages de la main courante tenue à la Police où la date du début et de la fin de sa
garde à vue est mentionnée alors surtout que l’Etat de Côte d’Ivoire soutient que la garde à vue
s’est déroulée dans le strict respect des dispositions pertinentes du code de procédure pénale
ivoirien.
62. La Cour ne trouve pas au dossier d’éléments attestant que la garde à vue du requérant a
excédé les délais légaux encore que le requérant, avec le soutien de son avocat, avait toute la
latitude d’exiger le respect de toutes les garanties qui lui sont reconnues par la loi en cas de
garde à vue.
En pareille circonstance, même en l’absence de contradiction, la Cour déclare qu’il n’est pas
établi qu’il y a eu violation des droits de l’homme.
63. La Cour en a ainsi décidé dans l’affaire ayant opposé B AL et X
AM AH AG contre l’Etat du Sénégal à défaut de preuve des faits de torture
allégués.
64. Cependant, lorsque le requérant est toujours en détention, la Cour admet que la charge de
la preuve contraire de ses déclarations incombe à l’Etat défendeur. Ainsi, dans l’affaire
Y Aw contre la République togolaise, arrêt numéro ECW/CCJ/JUD/07/16, la Cour
a jugé « qu’une allégation de torture peut être établie par le témoignage de la victime ».
Dans une autre affaire ECW/CCI/APP/36/16, Ad Aa et Ac Ab Av
contre la République togolaise, la Cour a statué ainsi qu’il suit : « En l’espèce, la Cour constate
que les allégations de torture faites par les requérants n’ont été étayées par aucune
preuve….mais la Cour note que les requérants sont toujours en garde à vue par l’Etat
défendeur au moment où elle a été saisie… …que placés dans une situation de vulnérabilité, il
peut être raisonnablement présumé que des difficultés réelles existent pour ces derniers de
réunir la preuve des actes répréhensibles qu’ils auraient subis…la Cour juge que l’Etat
défendeur a violé les dispositions de l’article 5 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme
et des Peuples interdisant la torture ».
65. Le requérant étant encore en détention au moment où la Cour est saisie, elle estime qu’il
lui est difficile de rapporter la preuve des atteintes à son droit à ne pas être arbitrairement
détenu.
66. Dès lors il appartenait au défendeur de rapporter la preuve de l’inexactitude des allégations
du requérant en faisant faire une enquête complète sur les faits alors surtout que l’Etat dispose
des prérogatives de Puissance Publique pour réaliser ce genre d’opérations avec célérité.
Ne l’ayant pas fait, la Cour juge que les faits allégués par le requérant sont avérés et qu’en
conséquence le défendeur a violé le droit du requérant de ne pas être détenu arbitrairement.
c) - S’AGISSANT DE LA DETENTION PREVENTIVE DU REQUERANT
67. Concernant la mise en détention préventive du requérant, la Cour note que les autorités
judiciaires ivoiriennes l’ont ordonnée pour les besoins de l’instruction préparatoire.
68. La Cour rappelle que le requérant est poursuivi pour des faits d’escroquerie et de
blanchiment de capitaux et qu’ayant fait un appel public à l’épargne, le préjudice susceptible
d’être causé à la population est estimé en termes de milliards de francs CFA.
69. La Cour est convaincue qu’en raison de la gravité des faits reprochés au requérant, la
décision de le placer en détention préventive en vue de conduire la procédure d’instruction
préparatoire pour la manifestation de la vérité, n’est pas dénuée de base légale et est
parfaitement justifiée. pe 70. La Cour constate en conséquence que c’est dans le cadre de l’enquête subséquente que,
saisi par le Procureur de la République en vue d’ouvrir une information judiciaire, le doyen des
juges d’instruction a inculpé le requérant des faits d’escroquerie et de blanchiment de capitaux
et l’a placé en détention préventive à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA)
le 13 janvier 2017.
71. La Cour en conclut que le défendeur n’a pas violé les dispositions des articles 6 de la
CADHP et 9 alinéa 1 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP)
en procédant à l’arrestation et à la détention du requérant dont le titre de détention a été
régulièrement prorogé jusqu’à sa mise en liberté par décret présidentiel.
IX SUR LES REPARATIONS DES PREJUDICES ALLEGUES
72. Le requérant sollicite qu’il plaise à la Cour de céans, condamner l’Etat de Côte d’Ivoire à
lui payer des dommages et intérêts en réparation des préjudices que sa détention lui aurait
causés aux triples plans financier, moral et physique.
73. Au plan financier, le requérant explique que l’Etat de Côte d’Ivoire a retiré de son compte
bancaire la somme d’argent d’un montant de huit milliard (8 000 000 000) de francs CFA pour
rembourser les souscripteurs. L’annulation de cette procédure exige que l’Etat de Côte d’Ivoire
lui rembourse ses huit milliard (8 000 000 000).
74. Au plan moral, le requérant expose qu’eu égard à la médiatisation de cette affaire par les
organes de presse étatiques, la société AGRIBIZNET a été discréditée et, atteinte a été portée
à son image. Il sollicite en conséquence que l’Etat de Côte d’Ivoire soit condamné à payer à
cette société la somme d’un milliard (1 000 000 000) de francs CFA à titre de dommages et
intérêts.
75. Au plan physique, le requérant allègue que son incarcération a détérioré sa santé et en veut
pour preuve le certificat médical qui lui a été délivré à la maison d’arrêt qu’il verse au dossier.
Il articule en outre qu’ayant initié une procédure d’insémination artificielle avec son épouse
avant son incarcération, l’Etat de Côte d’Ivoire a refusé de le laisser aller épondre à à l’appel des médecins spécialistes sous escorte policière pour effectuer le dernier test qui lui aurait
permis d’espérer avoir une descendance un jour.
776. Il soutient que tous ces faits lui ont causé un préjudice qu’il évalue à un milliard
(1 000 000 000) de francs CFA.
77. Au total, il sollicite que la Cour condamne le défendeur à lui payer la somme de dix milliard
(10 000 000 000) de francs CFA à titre de dommages et intérêts pour toutes causes de
préjudices confondues.
78. En réponse à toutes ces demandes, l’Etat de Côte d’Ivoire fait valoir qu’il n’a commis
aucune faute de nature à engager sa responsabilité pour la réparation d’un prétendu préjudice
qu’aurait subi A Ao An Ax.
79. Il affirme que dans l’affaire d’Agro-Business, en sa qualité de garant de la tranquillité et de
la sécurité de l’ordre social, il avait l’obligation de veiller au respect des lois et règlements sur
son territoire.
80. Il soutient que l’alerte donnée par l’Agent Judiciaire du Trésor sur les soupçons
d’escroquerie à grande échelle et de blanchiment de capitaux a permis de préserver l’ordre
social et l’environnement économique.
81. Il en conclut que le requérant est mal fondé à prétendre que son arrestation et sa détention
sont illégales surtout qu’en la cause, il a bénéficié de toutes les garanties procédurales
notamment l’assistance d’un avocat à tous les stades de la procédure.
82. Le défendeur estime en définitive qu’il n’a commis aucune violation des droits de l’homme
susceptible d’ouvrir droit à réparation.
ANALYSE DE LA COUR
83. La Cour rappelle que sa compétence en matière de violation des droits de l’homme lui
permet non seulement de constater lesdites violations mais aussi d’ordonner leur réparation s’il
y a lieu ; néanmoins, les dommages et intérêts ne sont alloués à la victime d’un dommage que pour réparer le préjudice qu’elle a subi par la faute de l’auteur de la violation des droits de
l’homme.
84. Il en résulte que la victime doit justifier sa qualité de victime et prouver le préjudice dont
elle sollicite réparation.
85. L’indemnité qui doit être allouée à la victime doit avoir pour objectif la réparation intégrale
du préjudice subi. C’est ce qui ressort de l’arrêt ECW/CCJ/JUD/1 1/16 rendu le 17 mai 2016
dans l’affaire Ah Z et 3 autres contre la République du Mali où la Cour a
tout d’abord constaté qu’ « en l’espèce, n’étant ni fonctionnaires, ni commerçantes, la mère de
l’orpheline (Ah AK) ainsi que les deux sœurs du de cujus (Ah Z
et Aj Z) ont effectué toutes sortes de corvées et de tâches serviles
pendant 22 ans (de février 1993, date de décès du de cujus Au Z, à février
2015, date de la présente requête) pour assurer leur propre survie ainsi que celle de l’orpheline
dans une localité où la majorité de la population tire ses revenus essentiellement des travaux
champêtres. Cette situation les a sérieusement affectées et l’orpheline, en raison de son bas
âge, a reçu une éducation hypothétique, à cause d’un manque de moyens de subsistance et
risque d’entrainer, ad vitam aeternam, les séquelles ;
86. Qu'’il résulte de cet exposé des faits que l'exclusion des requérantes du droit à la succession
sur la terre appartenant à leur de cujus, leur a causé, non seulement un préjudice matériel
mais aussi, un préjudice moral » avant de soutenir qu’ « au regard de la nature des préjudices
subis par les requérantes, il convient de déclarer l'Etat du Mali entièrement responsable
desdits préjudices et d’en ordonner la réparation » et le condamner à leur payer la somme de
dix millions de francs CFA à chacune d’elles à titre de dommages et intérêts.
87. Dans le cas d’espèce, il ressort des pièces de la procédure, notamment des états de
remboursement dressés par l’administrateur séquestre (Pièce n° 3) qu’au plan financier, suite
à la décision prise le 25 novembre 2016 par la Commission Régionale de l’Epargne Public et
des Marchés Financiers (CREPMF) invitant toutes le sociétés d’Agro-Business faisant appel
public à l’épargne de cesser toute activité irrégulière comportant des placements assimilables à de l’arnaque et à de l’escroquerie, l’Etat de Côte d’Ivoire a procédé au remboursement
intégral des fonds détenus par la société AGRIBIZNET à l’ensemble de ses souscripteurs.
88. Contrairement aux déclarations du requérant, il ne résulte pas des pièces du dossier que la
procédure a été annulée. D'ailleurs, le requérant ne mentionne pas la nature du recours qu’il
aurait exercé et qui aurait abouti à l’annulation de la procédure d’une part et, d’autre part, il
n’indique pas la juridiction qui aurait prononcé l’annulation de la procédure d’instruction
préparatoire diligentée contre lui du chef des infractions d’escroquerie et de blanchiment de
capitaux alors qu’en droit, toute annulation d’une procédure judiciaire fait l’objet d’une
décision de justice qui peut être produite comme preuve dans tous les cas où cela est nécessaire.
89. Il importe de souligner que le requérant n’a même pas rapporté la preuve de ce qu’il aurait
bénéficié d’une ordonnance de non-lieu à plus forte raison celle de l’annulation de la procédure.
90. La preuve du préjudice financier subi par le requérant n’étant pas rapportée la Cour estime
qu’il y a lieu de le débouter de sa demande en paiement de la somme de huit milliard
(8 000 000 000) de francs CFA à titre de dommages et intérêts de ce chef.
91. Par ailleurs, sur le plan moral, la Cour constate que le requérant sollicite la condamnation
du défendeur à payer la somme d’un milliard (1 000 000 000) de francs CFA à la société
AGRIBIZNET à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle aurait subi du
fait de la médiatisation de l’affaire par les organes étatiques de presse qui l’aurait discréditée
et porté atteinte à son image.
92. Elle fait observer que la société AGRIBIZNET est une personne morale qui a une
personnalité juridique distincte de celle du requérant. Par conséquent, il ne saurait valablement
solliciter la condamnation de l’Etat de Côte d’Ivoire à payer des dommages et intérêts à cette
société alors qu’elle n’est pas partie au procès et que le requérant a saisi la Cour de céans à titre
personnel pour obtenir la sanction de la violation de ses droits. La Cour estime en conséquence
qu’il y a lieu de déclarer cette demande irrecevable.
93. La Cour de céans en a déjà ainsi décidé dans l’affaire ECW/CCI/APP/40/19 ayant opposé
la société TOURNING ASSISTANCE ACCUEIL AERIEN (T3A) SARL. ET Ay Z contre l’'ETAT DE COTE D’IVOIRE. En effet, dans cette affaire, Ay
Z qui, en sa qualité de gérant de la société TOURING ASSISTANCE ACCUEIL
AERIEN SARL agissait au nom et pour le compte de celle-ci, a sollicité la condamnation de
l’Etat de Côte d’Ivoire à lui verser des dommages et intérêts à titre personnel pour la réparation
d’un préjudice qu’il aurait subi lui-même du fait de l’inexécution par l’Etat de Côte d’Ivoire
d’une décision rendue au profit de la société.
94. La Cour de céans a estimé qu’« en l’espèce, il ressort des pièces de la procédure que Ay
Z agit en qualité de gérant de la société T3A ; or en cette qualité, il n’agit pas à titre
personnel mais au nom et pour le compte de la société T3A de sorte que c’est cette société qui
bénéficie des décisions rendues et qui peut en réclamer l’exécution.
Il en résulte que seule cette société peut prétendre avoir la qualité et un intérêt légitime
juridiquement protégé à obtenir la sanction de la violation de son droit à l’exécution desdites
décisions.
Il suit de là que sa requête doit être déclarée irrecevable pour défaut de qualité et d'intérêt
pour agir ».
95. En l’espèce, au contraire de l’affaire citée plus haut, le requérant a agi à titre personnel et
la société AGRIBIZNET n’est pas une partie au procès qui l’oppose à l’Etat de Côte d’Ivoire.
La Cour de céans ne peut donc que déclarer irrecevable sa demande en paiement de dommages
et intérêts au profit de la société AGRIBIZNET.
96. S’agissant du préjudice physique, la Cour fait observer que le requérant était en détention
depuis plus de douze mois. Ayant déjà conclu que sa détention est arbitraire, la Cour estime
que sa demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef doit être déclarée partiellement
bien fondée. Cependant, la somme d’un milliard (1 000 000 000) de francs CFA réclamée par
le requérant à titre de dommages et intérêts est manifestement exagérée eu égard au préjudice
réellement subi.
97. La Cour estime qu’il y a lieu de ramener le quantum de cette somme à de justes proportions
en la fixant à un million (1 000 000) de francs CFA et le débouter de toutes ses autres demandes
en payement de dommages et intérêts.
XI. SUR LES DÉPENS
98. Aux termes de l’article 66, alinéa 2 du Règlement de procédure, la partie qui succombe est
condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens par l’autre partie. La Cour note qu’en l’espèce
le requérant et le défendeur ont conclu dans ce sens. En conséquence, la Cour dit que le
défendeur ayant partiellement succombé, supportera les dépens.
XII. DISPOSITIF
Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et ayant entendu les deux parties :
Sur la compétence :
Se déclare compétente pour connaître du litige ;
Sur la recevabilité
Déclare la requête recevable ;
Sur le fond
Déclare A Ao An Ax irrecevable en sa demande de paiement de la
somme d’un milliard (1 000 000 000) de francs CFA à titre de dommages et intérêts au profit
de la société AGRIBIZNET en réparation du préjudice moral dont elle aurait souffert ;
Dit que le défendeur a violé le droit du requérant à ne pas être détenu arbitrairement ;
Déclare le requérant partiellement bien fondé en sa demande de dommages et intérêts pour
détention arbitraire ;
Dit cependant que cette demande est exagérée dans son quantum ;
Condamne le défendeur à lui verser la somme d’un million (1 000 000) de francs CFA à titre
de dommages et intérêts ;
Déboute le requérant de toutes ses autres demandes en payement de dommages et intérêts en
réparation du préjudice financier qu’il aurait subi comme étant mal fondées ;
SUR LES DÉPENS :
Condamne le défendeur aux dépens ;
Ainsi fait et jugé les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé :
Hon. Juge Gberi-bè OUATTARA Juge Rapporteur / Présid
Hon. Juge Sengu M. AI Membre
Hon. Juge Claudio Monteiro GONÇALVES Membr
Assistés de : Dr Y 24 Greffier en Chef