COMMUNITY COURT OF JUSTICE,
ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ,
CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMUNIDADE, CEDEAO N°1164 Ae X Y,
us NIGERIA.PMB GUDU 900110 567 GARKI, FCT, ABUJA ABUJA- TÉL
234-9-78 22 801
Website: www.courtecowas.org LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES ÉTATS
DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
En l’affaire
Ah C B & 3 AUTRES
(REQUÉRANTS)
contre
LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE
(ÉTAT DÉFENDEUR)
Affaire N°. ECW/CCJI/APP/19/19/OMIS ; Arrêt n ° ECW/CCJI/JUD/06/24
ARRÊT
ABUJA
29 FEVRIER 2024 LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES ÉTATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
SIÉGEANT À ABUJA, AU NIGERIA
Affaire N°. ECW/CCJI/APP/19/19/OMIS ; Arrêt n ° ECW/CCJ/JUD/06/24
Ah C B & 3 AUTRES -REQUÉRANTS
CONTRE
LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE -ÉTAT DÉFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR:
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE - Président/Juge rapporteur
Hon. Juge Gbéri-Bè OUATTARA - Membre
Hon. Juge Ricardo C.M. GONÇALVES - Membre
ASSISTÉS DE :
Dr Aa A - Greffier en Chef
REPRÉSENTATION DES PARTIES:
Maître Dramé Alpha Yaya - Conseil des REQUÉRANTS
Maître Joachim Gbilimou -Conseiller du DÉFENDEUR . La Cour de Justice de la Communauté siégeant en audience publique virtuellement, conformément à l’article 8(1) des Instructions pratiques sur la gestion électronique des affaires et audiences virtuelles, de 2020 rend l'arrêt dont la teneur suit :
IL … DÉSIGNATION DES PARTIES
. Les requérants, Ah C B, Ab Af, Ah Ac et Ag Ad Ac, sont les parties en faveur desquelles la Cour a rendu un arrêt dans une affaire consolidée avec l’arrêt n° ECW/CCI/JUD/07/19 le 26 février 2019.
. Le défendeur est un État membre de la CEDEAO et la partie contre laquelle la Cour a rendu l’arrêt n ° ECW/CCI/JUD/07/19 le 26 février 2019.
Objet de la procédure
. Les requérants affirment que dans son arrêt initial n ° ECW/CCI/JUD/07/19, rendu le 26 février 2019, la Cour a omis de se prononcer sur certaines demandes qui lui avaient été soumises. Les requérants sollicitent donc un arrêt supplémentaire de la Cour sur ces demandes en vertu de l’article 64 du Règlement de la Cour.
IV. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
. Les requérants ont introduit la présente procédure en vue d’un jugement complémentaire par une requête datée du 23 avril 2019 et déposée au greffe de la Cour le 30 avril 2019.
6. Suite à la signification de la requête au défendeur le 7 mai 2019, ce dernier a déposé ses observations sur la demande d’interprétation de l’arrêt le 10 juin 2019. Les observations du défendeur ont été signifiées aux requérants le 13 juin 2019.
7. Suite à la suspension de la Guinée par la CEDEAO pour changement non constitutionnel de gouvernement, la Cour a communiqué aux parties la suspension des procédures impliquant la République de Guinée le 30 septembre 2021. Le 25 novembre 2022, la Cour a communiqué aux parties la levée de la suspension des procédures impliquant la République de Guinée devant la Cour.
8. Lors d’une audience de la Cour le 29 septembre 2023, les requérants étaient représentés mais le défendeur était absent et non représenté. Les requérants se sont fondés sur leurs observations écrites déposées à l’appui de la requête. La Cour a mis l’affaire en délibéré.
V. OBSERVATIONS DE LA PARTIE REQUÉRANTE
A. Résumé des faits
9. Les requérants indiquent que, le 20 septembre 2018, chacun des quatre requérants a déposé une requête distincte contre la République de Guinée, alléguant la violation de divers droits de l’homme. Les requêtes introductives d’instance ont été déposées conjointement avec des demandes de procédure accélérée.
10.Par une ordonnance N ECW/CCI/RUL/02/18, la Cour a fait droit aux demandes de procédure accélérée et a ordonné que les quatre requêtes soient regroupées en une seule procédure.
11.Le 26 février 2019, la Cour a rendu son jugement dans l’affaire consolidée avec l’arrêt n° ECW/CCI/JUD/07/19. Dans le dispositif de l’arrêt, la Cour s’est déclarée « compétente pour connaître du litige », a jugé « recevables les requêtes introductives d’instance déposées par les [requérants] » et a déclaré « que la République de Guinée [avait] violé leur liberté de constituer un parti politique, leur liberté d’association et leur droit à l’égalité de traitement ».
12.En conséquence des déclarations ci-dessus, la Cour a ordonné à la République de Guinée (1) « de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect effectif desdits droits » ; (2) « de verser la somme de cinquante millions (50 000 000) de francs CFA à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’ils ont subi » ; (3) « à leur verser la somme de cinquante millions (50 000 000) de francs CFA à titre de dommages et intérêts en réparation de tous les préjudices cumulés qu’ils ont subis » ; (4) « à supporter tous les dépens » ; et (5) a rejeté « la demande de dommages et intérêts de la République de Guinée pour abus de procédure ».
13.Le 26 mars 2019, l’arrêt a été dûment signifié aux requérants par courrier DHL.
14. En application de l’article 64 du Règlement de la Cour, les requérants demandent à la Cour de rendre un arrêt complémentaire sur certaines demandes sur lesquelles la Cour a omis de statuer.
B. Motifs de la requête
15.Pour leur requête, les requérants invoquent l’article 64 du Règlement de la Cour qui dispose que « si la Cour a omis de statuer, soit sur un chef isolé des conclusions, soit sur les dépens, la partie qui entend s’en prévaloir saisit la Cour par voie de requête dans le mois de la signification de l’arrêt ».
16.Selon les requérants, la disposition ci-dessus implique deux conditions de recevabilité : (a) l’existence d’une omission de statuer soit sur les moyens invoqués, soit sur le chef de conclusions formulées ; et (b) le dépôt de la requête en jugement supplémentaire un mois à compter de la date de signification du jugement.
17.Les requérants indiquent que, parmi les mesures demandées dans leur requête consolidée sur laquelle la Cour a rendu Jl’arrêt n° ECW/CCI/JUD/07/19, figuraient des demandes visant à obtenir les déclarations suivantes :
i. La République de Guinée a violé le droit de participer librement à la gestion des affaires publiques de son pays directement ou par l’intermédiaire de représentants librement choisis ;
ii. La République de Guinée a violé le droit d’accès aux services publics de son pays ; et
iii. La République de Guinée a violé le droit à la liberté d’expression.
18. Les requérants ont également demandé à la Cour de condamner la République de Guinée à verser l’indemnité, que la Cour peut accorder, au plus tard un mois après la signification de l’arrêt.
19.Les requérants affirment que l’arrêt de la Cour n° ECW/CCI/JUD/07/19, rendu le 26 février 2019, a omis de statuer sur les conclusions susmentionnées des requérants, ce qui rend nécessaire un arrêt complémentaire au titre de l’article 64 du Règlement de la Cour.
20.Fn ce qui concerne l’exigence du délai, les requérants déclarent que l’arrêt initial de la Cour leur a été signifié le 26 mars 2019. Ils avaient donc, en principe, jusqu’au 26 avril 2019 pour déposer leur demande de jugement complémentaire. Toutefois, les requérants soutiennent que, à la date à laquelle leur requête a été enregistrée par la Cour, le délai pour le faire n’était pas expiré.
21.Par conséquent, les requérants soutiennent que la requête en jugement complémentaire a été régulièrement déposée et qu’elle est recevable. Ils demandent à la Cour de constater que l’arrêt n °"ECW/CCJ/JUD/07/19, rendu le 26 février 2019, a omis de statuer sur les griefs invoqués dans la présente requête et de demander la rectification de cette omission par le prononcé d’un arrêt complémentaire.
VI. OBSERVATIONS DE LA PARTIE DÉFENDERESSE
i Exception préliminaire de recevabilité
22.Le défendeur cite l’article 64(1) du Règlement de la Cour qui dispose que « si la Cour a omis de statuer, soit sur un chef isolé des conclusions, soit sur les dépens, la partie qui entend s’en prévaloir saisit la Cour par voie de requête dans le mois de la signification de l’arrêt ».
23.Le défendeur soutient que, sur la base de la disposition ci-dessus du Règlement de la Cour, une demande de jugement supplémentaire est recevable si elle est déposée dans le mois suivant la signification de l’arrêt.
24.De l’aveu même des requérants, l’arrêt n ° ECW/CCI/JUD/07/19 rendu par la Cour a été signifié aux requérants le 26 mars 2019, ce qui signifie qu’ils devaient déposer leur demande de jugement supplémentaire au plus tard le 26 avril 2019. Pourtant, les requérants ont déposé leur requête le 30 avril 2019, quatre jours après la date limite prévue par le Règlement de la Cour.
25.En conséquence, le défendeur soutient que la requête en jugement supplémentaire est irrecevable et devrait être rejetée par la Cour.
ü, Demande reconventionnelle du défendeur
26.Le défendeur fait valoir que cette demande d’arrêt complémentaire, qui est infondée et vise à enrichir indûment les requérants aux dépens de la République de Guinée, fait partie de plusieurs autres requêtes qu’ils ont introduites à l’encontre du défendeur. La demande a entraîné pour le défendeur des frais de recrutement d’avocats et d’autres dépenses liées à la tenue de l’audience. Étant donné qu’il serait injuste, dans ces circonstances, que le défendeur doive supporter les frais de justice, les requérants devraient être condamnés conjointement et solidairement à verser 100 000 000 CFA à titre d’indemnisation au défendeur.
27.Le défendeur demande donc à la Cour de (i) déclarer que la demande de jugement complémentaire est prescrite et donc irrecevable ; (ii) condamner les requérants à payer au défendeur la somme de 100 000 000 CFA à titre de dommages-intérêts compensatoires ; (iii) et condamner les requérants aux entiers dépens.
VII. COMPÉTENCE DE LA COUR
28.Le pouvoir de la Cour de rendre un arrêt complémentaire lorsqu’elle n’a pas statué sur une ou plusieurs conclusions présentées par les parties découle de l’article 64(1) du Règlement de la Cour qui dispose que « [s]i la Cour a omis de statuer, soit sur un chef isolé des conclusions, soit sur les dépens, la partie qui entend s’en prévaloir saisit la Cour par voie de requête dans le mois de la signification de l’arrêt ».
29.Les requérants ont introduit la présente requête, demandant à la Cour de compléter l’arrêt N° ECW/CCI/JUD/07/19 rendu le 26 février 2019 dans l’affaire consolidée Ah C B, Ab Af, Ah Ac, et Ag Ad Ac c. la République de Guinée. Étant donné que les requérants étaient parties à l’affaire initiale et qu’ils ont introduit la présente demande d’arrêt complémentaire en alléguant que la Cour n’a pas statué sur certaines demandes présentées dans la requête initiale, la Cour estime qu’elle est compétente conformément à l’article 64 de son règlement.
VII. RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
30.En vertu de l’article 64(3) de son Règlement, la Cour doit se prononcer sur la recevabilité et le fond d’une demande d’arrêt complémentaire après que les parties ont déposé leurs conclusions.
31.En ce qui concerne la recevabilité, la Cour note que l’article 64(1) du Règlement de la Cour comporte deux critères cumulatifs : (i) la requête doit être introduite au plus tard un mois après que l’arrêt dont le complément est demandé a été signifié à la partie ; et (ii) le requérant doit démontrer que l’arrêt ne s’est pas prononcé, que ce soit sous la forme d’un avis, d’une déclaration ou d’une ordonnance, sur les prétentions pour lesquelles la partie demande un complément d’arrêt.
32.En l’espèce, la condition de recevabilité contestée par les parties et à l’égard de laquelle le défendeur a soulevé une exception préliminaire est la date limite d’introduction de la demande d’arrêt complémentaire. Le défendeur fait valoir que les requérants ont déposé leur requête quatre jours après la date limite prescrite par le Règlement de la Cour. Elle doit donc être déclarée irrecevable pour prescription.
33.Sur cette question, la Cour commence par rappeler les alinéas (1) et (2) de l’article 64 de son Règlement qui disposent respectivement :
(1)Si la Cour a omis de statuer, soit sur un chef isolé des conclusions, soit sur les dépens, la partie qui entend s’en prévaloir saisit la Cour par voie de requête dans le mois de la signification de l’arrêt.
(2) La requête est signifiée à la partie adverse, qui dispose d’un délai d’un mois pour présenter des observations écrites. Le délai prévu aux paragraphes 1 et 2 du présent article peut être prorogé par le président sur demande motivée de la partie.
34.De l’aveu même des requérants, ils ont reçu l’arrêt initial de la Cour le 26 mars 2019. Sur la base des dispositions susmentionnées du Règlement de la Cour, les requérants disposaient d’un délai d’un mois pour déposer leur demande d’arrêt complémentaire. Ce délai ne pouvait être prorogé que sur la base d’une demande formelle adressée à la Cour, conformément à l’article 64(2) du Règlement de la Cour.
35.En l’espèce, les requérants ont déposé leur demande de jugement complémentaire le 30 avril 2019. Par conséquent, la Cour doit décider si les requérants étaient dans les délais au moment où ils ont déposé la requête à cette date. Sur ce point, la disposition pertinente du Règlement de la Cour sur la computation des délais est l’article 75(1). Il est indiqué, dans la partie qui porte sur cette question, que :
« Les délais pour accomplir toute mesure procédurale prévus par le Traité communautaire, la Cour ou le présent Règlement sont calculés de la façon suivante :
(a) si un délai exprimé en jours, en semaines, en mois ou en années est à compter à partir du moment où survient un événement ou s’effectue un acte, le jour au cours duquel survient cet événement où se situe cet acte n’est pas compté dans le délai.
(b)Un délai exprimé en semaines, en mois ou en années prend fin à l’expiration du jour qui, dans la dernière semaine, dans le dernier mois ou dans la dernière année, porte la même dénomination ou le même chiffre que le jour au cours duquel est survenu l’événement ou a été effectué l’acte à partir desquels le délai est à compter. »
36.L’alinéa (a) de l’article 75(1) traite de la façon de calculer le début d’une période, tandis que l’alinéa (b) porte sur le calcul de la fin d’une période prescrite. Le point essentiel de l’alinéa (a) est que lorsque le décompte d’un délai est lié à la survenance d’un événement ou d’une action, le décompte doit commencer à partir du jour suivant la survenance de l’événement ou de l’action. En revanche, l’alinéa (b) signifie que lorsqu’un délai est exprimé en semaines, mois ou années par rapport à un événement ou une action, la fin de ce délai est le même jour ou la même date que la survenance de l’événement ou de l’action au cours de la dernière semaine, du dernier mois ou de la dernière année correspondante de la période considérée.
37.Ce que cela signifie concrètement pour la présente demande d’arrêt complémentaire, c’est que, étant donné que la date à laquelle l’arrêt a été signifié au requérant était le 26 mars 2019, le délai d’un mois dans lequel ils auraient dû introduire la demande d’arrêt complémentaire a commencé à courir à partir du 27 mars 2019. Et en vertu de l’article 75(1) (b) du Règlement, la fin du délai d’un mois limité pour le dépôt de la requête était la date de signification de l’arrêt dans le mois suivant, à savoir le 26 avril 2019. Selon ce calcul, les requérants auraient dû déposer leur demande d’arrêt complémentaire au plus tard le 26 avril 2019. Par conséquent, le dépôt de la demande le 30 avril 2019 a été effectué hors délai. Ils n’auraient pu faire un dépôt hors délai qu’avec l’autorisation de la Cour par le biais d’une requête formelle, comme le prévoit l’article 64(2) du Règlement de la Cour. Cependant, ils ne l’ont pas fait.
38.Comme ils n’ont pas déposé leur requête dans les délais prescrits par le Règlement, la Cour convient avec le défendeur que la requête est prescrite et, par conséquent, irrecevable. Compte tenu de la conclusion selon laquelle la requête a été déposée hors délai, la Cour n’a pas besoin d’examiner la question de savoir si les requérants ont démontré que son arrêt initial ne se pronongçait pas sur les prétentions pour lesquelles les requérants ont introduit la présente demande d’arrêt complémentaire.
IX. DES DÉPENS
39.La Cour prend note de la demande du défendeur qui, bien que présentée comme une « demande reconventionnelle », est en fait une demande de remboursement des frais de justice et autres dépenses encourues dans le cadre de la présente requête. Toutefois, conformément à l’article 66(4) de son Règlement, la Cour décide que chaque partie supportera ses propres dépens.
X. DISPOSITIF DE L’ARRÊT
40.Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique, les parties entendues :
Sur la compétence
i. Déclare que la Cour est compétente pour connaître de la requête en jugement complémentaire.
Sur la recevabilité
i. Dit que la demande de jugement complémentaire présentée par les requérants en vertu de l’article 64 du Règlement de la Cour est prescrite et donc irrecevable.
Sur les dépens:
ii — Décide que chaque partie supporte ses propres frais engagés dans le cadre de la présente requête.
Fait à Abuja le 29 février 2024 en anglais et traduit en français et en portugais.
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE
Président/Juge Rapporteur
Hon. Juge Gbéri-Bè OUATTARA
Hon. Juge Ricardo C.M. GONÇALVES
ASSISTÉS DE :
Dr. Aa A (Greffier en chef)