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30/03/2022 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/21/2022

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 30 mars 2022, ECW/CCJ/JUD/21/2022


Texte (pseudonymisé)
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST
(CEDEAO) Dans l’Affaire
BA A C c. RÉPUBLIQUE DU TOGO
Affaire N° ECW/CCJ/APP/04/17 - Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/21/2022
ARRÊT
AU
Le 30 Mars 2022 AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/04/17
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/21/2022
ENTRE :
BA A C, représenté par le Collectif des
Associations Contre l'Impunité au Togo (CACIT)
ET
L'ETAT DU TOGO —eccocococencncoconcnn0en0n0n0000n000000n000000. DEFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE

Président
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA Membre
Hon. Juge Januäria T. S. M. COSTA ...

COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST
(CEDEAO) Dans l’Affaire
BA A C c. RÉPUBLIQUE DU TOGO
Affaire N° ECW/CCJ/APP/04/17 - Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/21/2022
ARRÊT
AU
Le 30 Mars 2022 AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/04/17
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/21/2022
ENTRE :
BA A C, représenté par le Collectif des
Associations Contre l'Impunité au Togo (CACIT)
ET
L'ETAT DU TOGO —eccocococencncoconcnn0en0n0n0000n000000n000000. DEFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE Président
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA Membre
Hon. Juge Januäria T. S. M. COSTA Juge Rapporteur
ASSISTÉS DE :
Aboubacar DIAKITE Greffier I. REPRESENTATION DES PARTIES:
Me Claude Kokou AMEGAN
Me Ferdinand Ekouévi AMAZOHOUN Avocats du requérant
Mr. le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice Chargé des Relations. Pour
le défendeur
1- Cet arrêt de la Cour est rendu en audience publique virtuelle,
conformément à l'article 8 (1) des Instructions Pratiques sur la Gestion
Électronique des Affaires et des Audiences Virtuelles de la Cour de 2020.
II. DESIGNATION DES PARTIES
2- Le requérant, BA A C, représenté par le Collectif des
Associations Contre l'Impunité au Togo (CACIT), est un officier des Aj
AK Ar, retraité, résidant à Lomé.
3- La défenderesse est la République du Togo, Etat membre de la CEDEAO
et signataire de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.
IV. INTRODUCTION 4- Dans la présente affaire, le requérant invoque la violation de ses droits
humains, alléguant, entre autres, qu'en avril 1993, des agents du défendeur
l'ont arrêté, battu et menotté afin d'obtenir des informations sur son
implication dans la tentative de coup d'État de mars 1993. Qu'il a été détenu
et torturé entre avril 1993 et décembre 1994 et qu'en mars 1996, il s'est vu
notifier une décision de mise à la retraite de l'armée par mesure disciplinaire,
rendue en mars 1993.
V. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
5- La requête introductive d’instance (Doc.1), accompagnée de trois (3)
pièces jointes, a été enregistrée au Greffe de cette Cour le 11 janvier 2017 et
notifiée à l'Etat défendeur le 16 janvier 2017.
6. Le requérant a également déposé, avec la requête introductive d'instance,
une demande de procédure accélérée (Doc. 2), qui, à la même date, a été
notifiée au défendeur.
7- Le 20 mars 2017, le défendeur a déposé une exception préliminaire (Doc.
3) ainsi que son mémoire en défense (Doc. 4) qui ont été notifiés au requérant
le 23 mars 2017 et celui-ci n'a pas répondu.
8- Le 13 octobre 2021 étant la date fixée pour l'audition des parties, celles-
ci ont, par l'intermédiaire de leurs représentants, comparu à l'audience au
cours de laquelle elles ont été entendues, formulant leurs observations orales.
9. Le procès a été reporté au 30 Mars 2022.
VI. LES ARGUMENTS DU REQUÉRANT
a. Résumé des faits:
10- Le requérant était, depuis 1990, militaire des Aj AK Ar
(FAT) et chef de poste radio militaire ;
11- Qu'’à ce titre, il était le reporter-caméra du Centre d'Instruction des
Ao Ab AMAQ), sous le commandement du Ae
AG AI ;
12- Dans la nuit du 24 au 25 mars 1993, il y a eu tentative de coup d'état au
Togo (à Lomé) ;
13- Le camp de RIT, le Régiment Inter-Armes, a été attaqué ;
14- Le Chef d'Etat major des FAT a été tué, le domicile du chef de l'État
attaqué ;
15- Cette nuit, le requérant était en service au Centre d'Instruction des
Ao Ab AMAQ), basé en fin de piste de l'Aéroport de Lomé,
Tokoin ;
16- Le requérant était le chef de la Disponibilité Opérationnelle (DO) ;
17- Une semaine après cette attaque du camp RIT, une purge sanglante dans
l'armée a commencé avec l'élimination systématiques des suspects ;
18- Le 4 avril 1996, il a été victime d'un accident de circulation causé par
une voiture banalisée alors qu’il était en mission ;
19- Qu'il a eu la jambe gauche brisée;
20- Et a été transféré au Centre As Am Ai, Tokoin (CHU);
21- Une semaine après, le Ae AI est venu ordonner à son
médecin traitant, Ae X, de transférer le requérant à l'infirmerie
de sa garnison ;
22- Ramené au CETAP, le requérant fut jeté dans une cellule et affamé
pendant 48 heures ;
23- Deux jours après sa détention, une perquisition a été faite à son domicile,
en sa présence ;
24- Le AS Y, qui avait conduit la perquisition, a déclaré que
« rien trouvé d'illicite » ;
25- Le requérant a été transféré à la gendarmerie pour la suite de l'enquête ;
26- Et a été détenu pendant deux semaines sans rations alimentaires;
27- Après 21 semaines de détention, soit fin 1993, le requérant et d'autres
militaires ont été présentés au Procureur de la République, M.
AH Ap ;
28- Le procureur leur a signifié qu’il y avait une plainte de l'Etat contre eux;
29- Ft les chefs d’accusation de l'Etat étaient, entre autres : atteinte à la sûreté
de l'Etat, destruction des édifices de la République, agression sur la personne
du chef de l'Etat, meurtre du Général AX et d'un soldat de la garde
présidentielle, destruction de l’habitat du Chef de l'État ;
30- Le requérant a été ramené à la gendarmerie nationale ;
31- Et c’est qu’en ce moment qu’il a eu droit aux visites de ses parents ;
32- Le requérant a été détenu à la gendarmerie de septembre 1993 au 20
novembre 1994 ;
33- Dans la nuit du 17 novembre 1994, le Ah AW leur a rendu
visite et leur a dit de se préparer pour prendre un bus stationné devant la
cellule ;
34- Le requérant et ses compagnons d’infortune sont arrivés à la Base
Transport de Lomé ;
35- Il a embarqué dans un avion, ils ont été menottés deux à deux par le
poignet et attachés à la cheville ;
36- Ils ont atterri à l'aéroport de Ac, à 460 km de Lomé ;
37- Le requérant et ses compagnons ont été accueillis par le Ah
AZ Aq et le Commandant An AV et ses
éléments;
38- Ils ont été conduits directement à la prison civile de Al ;
39- Durant le trajet, ils ont été tabassés, intimidés et menacés ;
40-Toute la nuit, le requérant et ses compagnons ont été molestés, bastonnés
et injuriés ;
41-On a versé de l'eau dans leur cellule et il n'avait pas de couverture;
42- Le 22 décembre 1994, ils ont reçu la visite du Ah Z
Wapissou ;
43- Le Colonel leur a annoncé l'amnistie décrétée par le Président de la
République, le feu Général AV Ag ;
44- Le Ah Z leur a dit qu’ils sont attendus le lendemain matin
à Lomé, pour une cérémonie officielle ;
45- Durant le voyage par voie terrestre de Al à Lomé, le requérant et ses
compagnons ont encore subi de graves sévisses corporels ;
46- Ils ont été menottés, couchés, et n'avaient pas le droit de se lever ;
47- Certains ont uriné sur leur tenue ;
48- Ils sont arrivés à la Gendarmerie Nationale de Lomé le 23 décembre
1994 ;
49- Il a été organisée une cérémonie officielle en présence des diplomates,
des autorités administratives et militaires ;
50- Le Ah BD Ak, alors secrétaire d'État auprès du ministre de
l'Intérieur et de la Décentralisation, chargé de la sécurité, a déclaré : «votre
libération constitue l'expression de la volonté du Président de la République
et du Premier ministre pour la réconciliation nationale et pour le pardon.
Ainsi, oubliez à jamais, que vous avez fait la prison. Vous allez reprendre
service dans vos unités respectives et rentrerez dans vos droits"
51- Le requérant et ses compagnons ont été libérés le 22 décembre 1994,
conformément à la loi d'amnistie, promulguée par le Chef de l'État (Pièce n°
52- La reprise de service du requérant n'a jamais été effective, malgré toutes
les demandes ;
53- Le requérant n'a jamais retrouvé ses bulletins de paye, envoyés par la
Banque Togolaise pour le Commerce et l'Industrie (BTCI) au bureau de sa
compagnie durant sa détention;
54- Le 30 mars 1996, une décision le reformant de l'armée pour mesure
disciplinaire, a été notifiée au requérant par le Chef d'Etat-Major des FAT
(pièce n°2) ;
55- Cette décision dit qu'il a été reformé le 30 mars 1993, une date antérieure
à la loi d'amnistie ;
56- Le requérant ne jouit pas de la totalité de ses droits à la retraite ;
57- Il a poursuivi sans succès des démarches auprès des autorités
compétentes pour sa régularisaion ;
58- Depuis ces événements, le requérant souffre des douleurs au genou droit
avec raideur, des douleurs de la jambe gauche avec des paresthésies et d'une
attitude vicieuse du genou gauche (pièce n° 3).
b. Moyens de droit
59- Pour fonder sa demande, le requérant a invoqué l'article 52 du Code de
Procédure Pénale du Togo ; La loi d'amnistie du 22 décembre 1994 ; L'article
29 de la Loi portant statut général des Personnels Militaires de l'Armée
Nationale Togolaise du 17 juillet 1963 ; les articles 11, 19 et 21, alinéa 1 et
2 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992 ; les articles 3 alinéa 1 et
2, 4, 5 et 7 alinéa 1.b et c de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et
des Peuples du 27 juin 1981 ; les articles 5, 10 et 23, alinéa 1 de la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) du 10 décembre
1948 ; les articles 7, 9/3 et 9/1 et 10/1,14/3c du Pacte International relatif aux
Droits Civils et Politiques du 16 décembre 1966 ; l’article 6.1 du Pacte
International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels ; l’article
4 de la Déclaration sur les principes de justice relatif aux victimes de la
criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir ; La Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10
décembre 1984, pris en l'esprit et en la forme et le Principe 38 de l'Ensemble
de Principes pour la Protection de Toutes les Personnes soumises à une forme
quelconque de détention ou d'emprisonnement du 19 décembre 1988.
c. Conclusions du requérant :
60- Le requérant demande à la Cour de : Dire et juger
i- Que l'Etat togolais, par les agissements de ses agents, qui ont arrêté, battu
et menotté le requérant, pour avoir des informations sur son implication dans
la tentative de coup d'Etat de mars 1993, a violé les dispositions de l'article
21, alinéas 1 et 2 de la Constitution togolaise, les stipulations des articles 4
et 5 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, de l'article
5 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, des articles 7 du
Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques et de la Convention
contre la Torture et autres Peines ou Traitements cruels, inhumains ou
dégradants, respectivement ;
ii- Que les agissements de ses agents, qui ont arrêté illégalement et détenu
arbitrairement le requérant au champ RIT, au CETAP, à la gendarmerie
nationale et à la prison civile de Al, pendant vingt et un (21) mois, sans
fondement, a violé les dispositions de l'article 52 du Code de Procédure
Pénale du Togo, des articles 15 et 19 de la Constitution togolaise, des articles
3, 6 et 7(d) de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, les
dispositions des articles 9/1 10/1 et 14/3c du Pacte International relatif aux
Droits Civils et Politiques et de l'article 4 de la Déclaration sur les Principes
Fondamentaux de Justice relatifs aux Victimes de la Criminalité et Victimes
d'abus de pouvoir, de l'article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme de 1948 ;
iii- Que le droit au travail du requérant n'a pas été respecté, en violation des
dispositions pertinentes de la loi d'amnistie, du 22 décembre 1994, de l'article
29 de la loi portant statut général des Personnels Militaires de l'Armée
Nationale Togolaise, du 17 juillet 1963, de l'article 11 de la Constitution
togolaise, de l'article 6 alinéa 1 du Pacte International relatif aux Droits
Sociaux, Économiques et Culturels, de l'article 23 alinéa 1 de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme (DUDH).
iv- Et, en conséquence :
v- Ordonner à la République togolaise de procéder à une enquête pour arrêter
les coupables des agissements incriminés, conformément aux stipulations de
l'article 12 de la Convention contre la torture du 10 décembre 1984, en
prenant en compte leur gravité, aux termes de l'article 4 de la même
Convention.
vi- Ordonner à la République du Togo de procéder à la réparation du
préjudice subi en tenant compte des dispositions pertinentes de la
Convention contre la torture, notamment en son article 14, ainsi que des
Principes fondamentaux et Directives concernant le droit à un recours et à
réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des
droits de l'Homme et de violations graves du droit international humanitaire,
adoptés par l'Assemblée générale des Ad Af, le 16 décembre 2005,
dans sa résolution 60/147, notamment, sous les formes de restitution,
indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non-répétition.
vii- Constater l’illégalité de la décision de réforme N° 96-07/MIN-DEF-
NAT, du 24 février 1996, qui viole la loi d'amnistie N° 94-004/PR du 22
décembre 1994, promulguée par le Président de la République, Chef suprême
de l'armée ;
viii- Ordonner la réhabilitation du requérant, avec tous les effets juridiques
qui s‘imposent, notamment en restituant le salaire du requérant, détourmé
pendant sa détention ;
ix- Condamner la République togolaise à payer au requérant une somme de
cent millions (100 000 000) FCFA, à titre de dommages et intérêts,
conformément aux stipulations de l'article 14 de la Convention contre la
Torture et autres Peines ou Traitements cruels, inhumains ou dégradants, de
10 décembre 1984, de l'article 9/5 du Pacte International relatif aux Droits civils et Politiques, du 16 décembre 1966 et du principe 35 de l'Ensemble
des Principes pour la protection de toutes les personnes soumises à uneforme
quelconque de détention ou d'emprisonnement du 19 décembre 1988.
VII - LES ARGUMENTS DU DEFENDEUR
a. Résumé des faits:
61- Monsieur BA A C a été incorporé le 2 février 1970 aux
Aj AK Ar (FAT) ;
62- Il a servi jusqu'au dermier moment au régiment de parachutiste
commando et, plus précisément, au Centre d'Entraînement des Ao
Ab AMAQ) à Lomé, au grade de sergent-chef des Aj AK
Ar (FAT) ;
63- Une tentative de coup d'État au Togo a eu lieu dans la nuit du 24 au 25
mars 1993 et a entraîné la mort de plusieurs chefs militaires et plusieurs
personnes dans les rangs de l’armée ;
64- Les investigations diligentées après l'attaque ont révélé l'implication de
certains éléments des FAT, dont le requérant, Monsieur BA A
C, qui faisait partie des suspects a été présenté, avec ses collègues, au
Procureur de la République et transféré à la prison civile de Al ;
65- Monsieur BA A C a été mis à la reforme par décision
du 24 février 1996 (Voir pièce N° 2 du requérant) ;
66- C'est le 8 décembre 2016, environ 23 ans après la tentative de coup d'État
et 20 ans après la décision le reformant que Monsieur BA A
C a cru devoir saisir la Cour de céans pour voir la République
togolaise être condamnée, sur la base de simples allégations.
De l'exception préliminaire
67- Le Défendeur prétend que la requête dont est saisie la Cour de céans doit
être déclarée irrecevable pour les raisons ci-après :
A- Incompétence de la Cour en matière de la légalité des actes
administratifs
68- Monsieur BA A C, est un ex-sergent des Aj
AK Ar (FAT), donc, un ex-fonctionnaire de l'Etat.
69- Par requête en date du 8 décembre 2016, il saisi la Cour de justice de la
CEDEAO pour violation de ses droits.
70- La Décision n° 96-097/MIN.DEF.NAT portant réforme par mesure
disciplinaire en date du 24 février 1996, prouve que le requérant est réformé.
71- Il s’agit d'une décision du Ministre de la Défense et en tant que tel, un
acte administratif.
72- La loi n° 81-10, du 23 juin 1981, fixant la procédure à suivre devant la
chambre administrative de la cour d'appel du Togo, a prévu un recours contre
toute décision administrative. Seule ladite chambre est compétente pour
savoir si la décision prise est légale ou non.
73- Sans avoir saisi ladite Chambre administrative, le requérant a
directement saisi la Cour de céans, 20 ans après, pour violation de son droit
au travail.
74- Seule la décision de la chambre administrative de la cour d'appel pouvait
confirmer ou non la légalité de l'acte pris par le ministre avant que le
requérant ne saisisse la cour de céans, pour violation de son droit.
75- À ce jour, le requérant est forclos pour n’avoir pas saisi la chambre
administrative de la Cour d'Appel dans le délai prévu.
76- Depuis la notification de la décision de réforme au requérant selon sa
propre déclaration, le 30 mars 1996 (voir son exposé des faits), il s’est écoulé
environ 20 ans sans qu’il ait saisi la Chambre administrative de la Cour
d'appel, pour relever l’illégalité de cet acte, qui ne peut plus être attaqué ni
devant le juge interne et encore moins devant la CJ CEDEAO.
77- La Cour ne peut donc juger de la prétendue violation qu'’allègue le
requérant qui, par son silence pendant le délai pour diligenter un recours, a
accepté la décision le reformant ;
78- C’est pourquoi la requête de Monsieur BA A C, en
date du 8 décembre 2016, sera déclarée irrecevable, conformément à ce qui
suit :
B- Sur l'irrecevabilité pour la non incrimination de la torture comme
infraction à l'époque des faits.
79- Le requérant prétend avoir été torturé dans les années 1993.
80- À l’époque des faits allégués, la torture, selon la loi n° 80-1 du 13 août
1980, instituant code pénal, n'a jamais été érigée en infraction. Ce n'est que
le 15 novembre 2015 que la République togolaise s’est dotée d’un nouveau
code pénal, en érigeant cette fois ci la torture en ume infraction en son article
198.
81- La torture désormais est un crime et selon l'article 7 de la loi n° 83,
instituant code de procédure pénale, du 2 mars 1983, est prescriptible.
82- Cet article édicte que « l'action publique est prescrite si l'infraction n'a
été déférée à la juridiction de jugement par citation ou ordonnance de renvoi,
dans le délai partant du jour où elle a été commise, fixé à :
- Dix ans en matière de crime,
- ‘Cinq ans en matière de délit,
- Un an en matière de contravention.
83- Les faits allégués s'étant produits dans les années 1993, le requérant n’est
donc pas fondé à saisir la Cour pour connaître de la prétendue violation du
fait de la République Togolaise.
84- Sur la question d‘’imprescriptibilité, il faut noter que le nouveau Code
pénal du 15 novembre 2015, dans son article 198, a été modifié comme suit
: « le crime de torture est imprescriptible », mais aucune disposition
transitoire n’a été adoptée par l'Assemblée Nationale et le nouveau code
pénal du 15 novembre 2015 ne donne d'effet rétroactif à aucune de leurs
dispositions, la loi pénale ne disposant que pour l'avenir.
85- Des allégations de torture prescrites ne peuvent produire d'effets.
86- Dans ces circonstances, la requête de Monsieur C BA
A, en date du 8 décembre 2016, doit être déclaré irrecevable.
C- Sur l'irrecevabilité de la requête du chef de l’allégation de détention
arbitraire.
87- Le requérant estime qu'il a été arbitrairement détenu par la République
togolaise et invoque, à cet effet, plusieurs textes.
88- Il estime être détenu tantôt pendant vingt et un (21) mois, tantôt pendant
vingt et une (21) semaines, sans aucun fondement (cf page 8 de la requête du
8 décembre 2016) ; c’est une confusion.
89- En principe, la détention revêt un caractère arbitraire seulement lorsqu‘il
est manifestement impossible d'invoquer un fondement juridique
quelconque qui justifie la privation de la liberté.
90- Les faits allégués relatifs à la détention arbitraire, après 23 ans, sont
largement prescrits.
91- En effet, le code de procédure pénale, en son article 7, prévoit que l'action
publique est prescrite si l'infraction n'a pas été déférée à la juridiction du
jugement par citation ou ordonnance de renvoi, dans un délai de dix ans en
matière de crime ou cinq ans en matière de délit, partant du jour où elle a été
commise.
92- On constate que depuis 23 ans, les faits sont prescrits et surtout Monsieur
BA a revendiqué l'amnistie des faits qui lui sont reprochés, reconnaissant
ainsi leur constitution et donc la nécessité de sa détention à l'époque.
93- Que la détention du requérant est fondée sur une base légale et ne peut
être qualifiée d'arbitraire dans la mesure où elle est nécessaire pour des
besoins d'enquête.
94- Fn outre, sa détention a été décidée par l'autorité judiciaire compétente
de la République togolaise.
95- Il y a lieu aussi de rappeler la jurisprudence constante de la Cour de
justice, que dans l'affaire n° ECW/CCJ/APP/01/06- EL HAJI Hammami
contre la République du Nigéria et quatre autres : «Dès lors que le requérant
a été arrêté, détenu et poursuivi devant les autorités des tribunaux
compétents d'un État membre, conformément aux lois et règlements en
vigueur, la Cour ne saurait recevoir sa requête au risque de s‘immiscer, sans
justification dans le domaine de compétence des tribunaux nationaux”.
96- En effte, la décision de détenir Monsieur BA est d’une autorité
judiciaire togolaise.
97. Il résulte de ce qui précède que le recours doit être déclaré irrecevable,
parce que les faits sont prescrits ou conformes à la jurisprudence de la Cour
de justice.
b. Moyens de droit
98- Le défendeur fonde ses allégations sur les articles 11, 15, 19, 21, alinéas
1 et 2 de la Constitution togolaise ; 29 de la loi portant statut général du
Personnel Militaire de l'Armée Nationale, du 17 décembre 1963 ; 3, 4, 5, 6
et 7 (1) (d) de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples ; 5,
10, 23 (1) de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10
décembre 1948, 7, 9 (1), 10 (1), 14 (3) (c) du Pacte International relatif aux
Droits Civils et Politiques de 16 décembre 1966 ; 4 de la Déclaration sur les
Principes Fondamentaux de Justice pour les Victimes de la Criminalité et
d'Abus de Pouvoir ; la loi d'amnistie du 22 décembre 1994 et 6 (1) du Pacte
International relatif aux Droits Sociaux, Économiques et Culturels.
c. Conclusions du défendeur :
99- Le defendeur demande à la Cour de :
En la forme :
i. Recevoir la demande de la République Togolaise ;
ii. En revanche, dire et juger que la requête en date du 8 décembre 2016 est
irrecevable, au regard des moyens développés par la République togolaise ;
Au Fond :
iii. Si par extraordinaire, la Cour venait à déclarer la requête recevable, elle
devra déclarer :
iv. Que le requérant ne rapporte aucune preuve fondant ses allégations ;
v. En conséquence, rejeter toutes ses demandes, fins et conclusions et le
débouter de sa requête ;
vi. Condamner le requérant aux entiers dépens ;
VIII- PROCÉDURE DEVANT LA COUR
a) Sur la procédure accélérée
100- Le Requérant a demandé que la présente procédure soit soumise à une
procédure accélérée, affirmant qu'au vu des faits qu'il a invoqués, il y a
urgence, car le silence observé par les autorités togolaises, malgré tous ses
efforts, aggrave sa situation, déjà précaire, et celle de sa famille, et il est donc
nécessaire de mettre fin à cette situation.
101- Notifié, le défendeur n'a rien dit.
102- La Cour, par ordonnance n° ECW/CCJ/ORD/02/17, a rejeté ladite
demande de procédure accélérée.
IX- SUR LA COMPETENCE
103- Le Défendeur a contesté la compétence de cette Cour pour
connaître de la présente affaire, soutenant, en résumé, que la question
porte sur la légalité des actes administratifs et que la Décision n° 96-
097/MIN.DEF.NAT portant réforme par mesure disciplinaire en date du 24
février 1996, prouve que le requérant est réformé. Et que la décision du
Ministre de la Défense est donc un acte administratif qui, selon la Loi n° 81-
10, du 23 juin 1981, la procédure devant la chambre administrative de la cour
d'appel du Togo, prévoit un recours contre toute décision administrative. Et
que seule cette Chambre est compétente pour statuer sur la légalité ou non
d'un acte administratif. Le requérant n'ayant pas saisi ladite Chambre
administrative qui pouvait confirmer ou non la légalité de l’acte pris par18e ministre, ce délai étant expiré, 20 ans après, le requérant ne peut saisir
directement la Cour de céans, pour violation de son droit.
104- Avec cet argument, la Demanderesse semble vouloir invoquer le
principe de la nécessité d'épuiser les voies de recours internes, comme
condition d'accès à la Cour qui, le cas échéant - ce qui n'est pas le cas -
pourrait déterminer l'irrecevabilité de l'affaire, mais pas l'incompétence de la
Cour - Voir les Arrêts N° ECW/CCJ/JUD/07/11, dans l'affaire OCEAN
KING LTD. c. RÉPUBLIQUE DU SÉNÉGAL; N° ECW/CCJ/JUD/25/2015,
dans l’affaire MR. HANS CAPHART WILLIAMS ET AUTRES c.
RÉPUBLIQUE DU LIBÉRIA ET AUTRES (page 11, Affaire n°
ECW/CCJ/APP/06/14.) - cet argument du défendeur n'est donc pas fondé.
105- Toutefois, il appartient à la Cour de soulever d'office sa propre
compétence.
106-La compétence de la Cour résulte, en premier lieu, des textes juridiques
régissant sa compétence et de la nature de la question soulevée par le
requérant, sur la base des faits tels qu'ils sont allégués par ce dernier.
107. À cet égard, cette Cour a statué dans l'affaire: BAKARY SARRE 28
AUTRES C. RÉPUBLIQUE DU MALI, Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/03/11 du
17 mars 2011, CCILR, 2011, p. 67, 825 que : « La compétence de la Cour
pour statuer dans une affaire donnée dépend non seulement de ses textes
mais aussi du fond de la requête introductive d'instance. (….) »
108- Dans le même sens, la Cour a décidé dans l'affaire MR. At B c.
LA RÉPUBLIQUE DU GHANA, Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/10/13 du 6
novembre 2013, CCJLR, 2013, p. 349 852, que : « En règle générale, la
compétence est déduite de la demande du requérant et, pour décider si cette
Cour est ou non compétente pour connaître de la présente action, il faut se
fier aux faits tels que présentés par le requérant. » 109- En l'espèce, le requérant s'est fondé sur les dispositions de la loi, qui
confèrent à la Cour compétence en matière de droits de l'homme, pour étayer
sa cause, invoquant les articles 9 (4) et 10 (d) du Protocole Additionnel
A/SP.1/05, 2005, portant amendement du Protocole A/P1/7/91, relatif à la
Cour, en invoquant, pour établir sa cause, des faits allégués s'être produits
entre avril 1993 et 22 décembre 1994, et en mars 1996, et qu'il considère
comme une violation de ses droits humains, contraires aux dispositions
pertinentes de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples et
d'autres instruments internationaux de protection des droits humains.
110- Ainsi, il ne fait aucun doute que la question posée par le requérant à la
Cour relève, in abstracto, de sa compétence matérielle.
111-Cependant, selon l'interprétation de cette Cour, « Une cause d'action est
un fait ou une combinaison de faits qui établit ou donne un droit d'action."
Voir GABRIEL INYANG & AUTRE C. LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE
DU NIGÉRIA ECW/CCJ/JUD/20/18, p. 9.
112- Cette Cour a aussi défini la cause d'action « comme une question pour
laquelle une action peut être intentée, un droit légal fondé sur des faits sur
lesquels une action peut être soutenue. C'est un droit d'intenter une action
fondée sur des situations de fait révélant l'existence d'un droit légal. (.…) »
Voir INCORPORATED TRUSTEES OF FISCAL & CIVIL RIGHTS
ENLIGHTENMENT FOUNDATION C. REP. FED. DU NIGÉRIA & 2
AUTRES, ECW/CCJ/JUD/18/16, page 19.
113- Par conséquent, la cause d'action, sous forme de prétendue violation des
droits de l'homme, doit nécessairement avoir un lien avec le droit d'action,
prescrit par la loi.
114- L'article 9 (4) du Protocole Additionnel de 2005 précité dispose que «
La Cour est compétente pour connaître des cas de violation des droits de
l'homme dans tout État membre ».
115- Et en son article 10 (d), il a ouvert aux particuliers l'accès à cette Cour,
établissant que, peuvent saisir la Cour « Toute personne victime de violations
des droits de l’homme »".
116- En l'espèce, comme nous l'avons vu, les faits invoqués par le requérant
et qui constituent la cause de l'action se seraient produits entre avril 1993 et
le 22 décembre 1994 et en mars 1996, une période bien antérieure à
l'attribution légale de la compétence en matière de droits de l'homme, à cette
Cour.
117- Cela veut dire qu'il appartient donc à la Cour de vérifier si sa
compétence peut couvrir des faits survenus avant la date d'entrée en vigueur
du Protocole Additionnel de 2005 précité.
118- Il est rappelé que la compétence en matière de violations des droits de
l'homme de cette Cour résulte de l'article 9 du Protocole Additionnel
A/SP.1/05 2005, portant amendement du Protocole A/P1/7/91 relatif à la
Cour, et qui est entré provisoirement en vigueur le 19 janvier 2005 avec la
signature des Chefs d'Etats membres (y compris la signature du Chef de État
de la République togolaise) et définitivement en vigueur après sa ratification,
par au moins neuf (9) des États signataires.
119- Et tel qu'il résulte de l'article 28 de la CONVENTION DE VIENNE SUR
LE DROIT DES TRAITÉS « A moins qu’une intention différente ne ressorte
du traité ou ne soit par ailleurs établie, les dispositions d’un traité ne lient
pas une partie en ce qui concerne un acte ou fait antérieur à la date d'entrée
en vigueur de ce traité au regard de cette partie ou une situation qui avait
cessé d’exister à cette date.» 120- Cette règle de ladite Convention consacre le principe de non-
rétroactivité des conventions, déterminant la compétence ratione temporis.
121- La date à prendre en considération pour établir la compétence ratione
temporis est, en principe, la date d'entrée en vigueur de la Convention et de
ses Protocoles à l'égard de la partie contractante concernée. (Voir Cour
Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), dans l'affaire SILIH C.
AN (GC 8164)
122- Par ailleurs, la Cour Interaméricaine a statué dans le même sens dans
l'affaire GOMES LUND E AUTRES ("GUERRILHA DO ARAGUAIA") Aa
AR, ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2010, en déclarant que « Pour de
déterminer si elle est ou non compétente pour connaître d'une affaire ou de
l'un de ses aspects, conformément à l'article 62.1 de la Convention
américaine, la Cour doit tenir compte de la date de la reconnaissance de la
compétence par l'État, des conditions dans lesquelles cette reconnaissance
a eu lieu et du principe de non-rétroactivité, prévu à l'article 28 de la
Convention de Vienne sur le Droit des Traités de 1969. »
123- Cette Cour a conclu que « la Cour serait compétente pour les « faits
postérieurs à cette reconnaissance ». Elle a également souligné que, « Sur
la base de ce qui précède et du principe de non-rétroactivité, la Cour ne peut
pas exercer sa compétence contentieuse pour appliquer la Convention et
déclarer une violation de ses normes lorsque les faits allégués ou le
comportement de l'État, qui pourrait engager sa responsabilité
internationale, sont antérieurs à cette reconnaissance de compétence. » Voir
124- Dans le même sens, la Cour Européenne (CEDH) a conclu dans l'affaire
BC Aa AP (GC) que la compétence ratione temporis ne
couvre que la période postérieure à la ratification de la Convention ou de ses Protocoles par l'Etat défendeur, en réaffirmant que « (...) la Convention
n'impose aucune obligation spécifique aux États contractants de réparer les
torts ou les dommages avant leur ratification de la Convention. (Voir $ 38).
125- Toujours selon la jurisprudence de la Cour Interaméricaine contenue
dans l'Arrêt précité, il s'ensuit que «les actes de nature continue ou
permanente perdurent tant que le fait persiste, leur non-conformité à
l'obligation internationale étant maintenue" et que "la Cour peut examiner
et statuer sur les autres violations alléguées, qui reposent sur des faits qui
se sont produits ou ont persisté » à compter de la date de reconnaissance de
sa compétence par l'Etat. (Voir 818)
126- Il ressort également de la jurisprudence de la Cour européenne que la
Cour peut même prendre en compte des faits antérieurs à la ratification tant
qu’ils peuvent être considérés comme ayant été à l'origine d'une situation
continue qui s'est poursuivie au-delà de cette date, ou qui sont pertinents pour
comprendre des faits survenus après cette date ». (Voir KURIC ET AUTRES
C. AN — CG 8240 -241)
127- Toujours selon l'interprétation de la Cour européenne, les organes de la
Convention admettent l'extension de la compétence ratione temporis aux
situations de violations continues qui ont commencé avant l'entrée en
vigueur de la Convention, mais qui se poursuivent après cette date". (VOIR
CEDH dans l'affaire AO Aa AY, Requête n° 214/5)
128-Dans le même sens, la Cour Africaine des Droits de l'Homme et des
Peuples, en déterminant sa compétence temporelle sur les cas de violations
présumées des droits de l'homme survenues avant l'entrée en vigueur du
Protocole sur la Cour ou la déclaration par laquelle les États défendeurs
acceptent la juridiction de la Cour et la recevabilité des requêtes introduites
en vertu de l'article 34(6) du Protocole, dans l'affaire LES AYANTS DROIT
DE FEU NORBERT ZONGO & AUTRES C. AT BE, (Voir Requête n° 013/2011, Arrêt du 21 juin 2013, Recueil de Jurisprudence, Vol. … I, 2006-2016, p. 197), a relevé que: 63 « (...) les dates de référence concernant sa compétence ratione temporis sont celles de l'entrée en vigueur de la Charte (21 octobre 1986), du Protocole (25 janvier 2004) ainsi que celle du dépôt au Secrétariat de l'Organisation de l'Unité Africaine, par le AT BE, de la déclaration d'acceptation de la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes des particuliers, (28 juillet 1998). » (Voir 862) et a fait une distinction claire entre les actes de violation « instantanés » et « continus » et a conclu que « l'application du principe de non-rétroactivité des traités contenu à l'article 281 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 n'est pas contestée par les parties. La question ici est de savoir si les différentes violations alléguées par les requérants constitueraient, si elles étaient prouvées, des violations instantanées ou continues des obligations internationales du AT BE en matière de droits de l'homme. » Voir $63)
129- Il existe également des décisions dans la jurisprudence de la Cour qui vont dans le sens de l'acceptation de l'application non rétroactive du Protocole de 2005 et de l'exercice de sa compétence sur des faits générant une situation de violation continue prévalant à la date de l'entrée en vigueur dudit Protocole Additionnel. (Voir ALHAJ HAMMANI TIDJANI C. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGÉRIA & 4 AUTRES - ECW/CCJ/APP/01/06, Arrêt ECW/CCJ/JUD/04/07 (CCIJLR 2004-2009 p.…) et BB AL C. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA - ECW/CCJ/APP/05/11, Arrêt N° ECW/CCI/JUD/10/12; Recueil de jurisprudence CCS, 2012, p. 189).
130- Plus récemment, la Cour, dans EVARISTUS DENNIS EGBEBU C. RÉPUBLIQUE =— FÉDÉRALE DU — AJ, Affaire N° ECW/CCJ/APP/32/20, Arrêt ECW/JUD/14/21 - non publié, a noté que « sa compétence pour examiner les cas de violation des droits de l'homme dans
les États membres de la CEDEAO découle du Protocole Additionnel
A/SP.1/01 /05 du 19 janvier 2005, entré en vigueur à la même date, ainsi que
de son Règlement, adopté le 3 juin 2002. » (Voir 876)
131- Par conséquent, le Protocole Additionnel de 2005, en conférant à la
Cour une compétence en matière de droits de l'homme, n'a rien établi
concernant la possibilité de son application rétroactive.
132- Ainsi, suivant le principe de non-rétroactivité des traités, découlant de
l'article 28 de la CONVENTION DE VIENNE SUR LE DROIT DES TRAITÉS
susmentionnée, la compétence de cette Cour en matière de droits de l'homme
est limitée aux faits survenus après le 19 janvier 2005, date de son entrée en
vigueur provisoire.
133-En revanche, la notion d'actes de violations « instantanés » ou
« continus », est établie à l'article 14 du Projet de la Commission du Droit
International des Ad Af sur la Responsabilité Internationale des
États, adopté en 2001, qui stipule : « (1) La violation d’une obligation
internationale par le fait de l'Etat n'ayant pas un caractère continu a lieu
au moment où le fait se produit, même si ses effets perdurent. (2) La violation
d’une obligation internationale par le fait de l'Etat ayant un caractère
continu s’étend sur toute la période durant laquelle le fait continue et reste
non conforme à l’obligation internationale. (3). La violation d’une
obligation internationale requérant de l'Etat qu’il prévienne un événement
donné a lieu au moment où l'événement survient et s’étend sur toute la
période durant laquelle l'événement continue et reste non conforme à cette
obligation. »
134- Comme l'a constaté la Cour africaine, dans l'affaire précitée, dans son
commentaire sur cet article , la Commission a déclaré que « un acte n'a pas
un caractère continu simplement parce que ses effets ou conséquences se prolongent dans le temps. Il doit s'agir d'un acte illicite en tant que tel, qui
perdure. »( Voir 866).
135- En conséquence, à la lumière de ces observations, pour déterminer sa
compétence ratione temporis, il appartient à la Cour d'examiner les
violations alléguées du droit de ne pas être torturé et de ne pas être
arbitrairement détenu et du droit au travail, invoqués par le requérant.
136- Dans la configuration de sa cause, le requérant fait valoir qu'il a été
détenu et torturé entre avril 1993 et décembre 1994 et qu'en 1996, il s'est vu
notifier une décision de mise à la retraite de l'armée par mesure disciplinaire,
rendue en mars 1993.
137- Il confirme qu'il a été libéré le 22 décembre 1994 et qu'il a été réformé
en 1996.
138- Ces faits, tels qu'invoqués par le requérant, démontrent précisément
dans le temps, le moment où les prétendues ingérences dans les droits de
l'Homme du requérant ont eu lieu, et aucune situation de violation
« continue » des droits de l'homme allégués n'en résulte. Il s'agit donc d'actes
« instantanés », qui ont été épuisés dans leur pratique bien avant que cette
Cour ne se voit attribuer la compétence de statuer sur les violations des droits
de l'homme perpétrées dans les Etats membres.
139- Ainsi, compte tenu de ce qui précède, cette Cour estime qu'elle n'est pas
compétente ratione temporis pour connaître de la présente affaire et doit, par
conséquent, la rejeter.
X- SUR LES DÉPENS
140- Le requérant n'a fait aucune allégation quant aux dépens.
141- Le défendeur, quant à lui, demande à la Cour d'ordonner au requérant
de supporter les dépens de l'instance
142- L'article 66 (1) du Règlement de la Cour dispose: « Il est statué sur les
dépens dans l’arrêt ou l'ordonnance qui met fin à l’instance. »
143- Le paragraphe 2 du même article dispose: « Toute partie qui succombe
est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens ».
144- En conséquence, à la lumière des dispositions ci-dessus et compte tenu
des circonstances de l'espèce, la Cour estime que chaque partie supportera
ses propres dépens.
XII. DISPOSITIF
145- Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et ayant entendu
les deux parties :
Sur la compétence :
i. Se déclare incompétente, ratione temporis, pour connaître de la présente
affaire et la rejette, en conséquence.
Sur les Dépens
146- La Cour décide que les parties supporteront leurs propres dépens.
Ont signé :
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE-Président
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA-Membre
Hon. Juge Januäria T.S.M.COSTA- Membre/Rapporteur
ASSISTÉS DE :
Aboubacar DIAKITE - Greffier
147- Fait à AU, le 30 mars 2022, en portugais et traduit en français et en
anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/21/2022
Date de la décision : 30/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2022-03-30;ecw.ccj.jud.21.2022 ?
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