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29/03/2022 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/19/22

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 29 mars 2022, ECW/CCJ/JUD/19/22


Texte (pseudonymisé)
LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES ÉTATS
DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
Dans l'affaire
LA SOCIETE TOGOLAISE DE STOCKAGE DE GAZ (STSG) ET 5 AUTRES
CONTRE
L’ETAT TOGOLAIS
Requête N° : ECW/CCJ/APP/21/18 Arrêt N°. ECW/CCJ/JUD/19/22
ACCRA
LE 29 mars 2022
AFFAIRE N° : ECW/CCJ/APP/21/18
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/19/22 1. LA SOCIETE TOGOLAISE DE STOCKAGE DE GAZ - (STSG)
2. DAME AI AN
3. LA SOCIETE RITIS PETROLEUM
REQUÉRANTES 4. LA SOCIETE RITIS PETROGAZ
5. LA SOCI

ETE GEOGAS ENTREPRISE S.A.
C/
L’ETAT TOGOLAIS DÉFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR...

LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES ÉTATS
DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
Dans l'affaire
LA SOCIETE TOGOLAISE DE STOCKAGE DE GAZ (STSG) ET 5 AUTRES
CONTRE
L’ETAT TOGOLAIS
Requête N° : ECW/CCJ/APP/21/18 Arrêt N°. ECW/CCJ/JUD/19/22
ACCRA
LE 29 mars 2022
AFFAIRE N° : ECW/CCJ/APP/21/18
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/19/22 1. LA SOCIETE TOGOLAISE DE STOCKAGE DE GAZ - (STSG)
2. DAME AI AN
3. LA SOCIETE RITIS PETROLEUM
REQUÉRANTES 4. LA SOCIETE RITIS PETROGAZ
5. LA SOCIETE GEOGAS ENTREPRISE S.A.
C/
L’ETAT TOGOLAIS DÉFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR :
HON. JUGE GBERI-BE OUATTARA PRESIDENT / JUGE RAPPORTEUR
HON. JUGE DUPE ATOKI MEMBRE
HON. JUGE JANUARIA TAVARES SILVA MOREIRA COSTA MEMBRE
ASSISTÉS DE :
Me. Athanase ATANNON GREFFIER EN CHEF ADJOINT I. REPRÉSENTATION DES PARTIES :
LE CABINET FIDAL
Me. ISABELLE VAUGON
Me. AM B AJ OF LAW Z AH Avocats des requérantes
1. LA SOCIETE D’AVOCATS AQUEREBURU
2. LA SOCIETE D’AVOCATS DE A AK ET ASSOCIES.
Avocats du défendeur IL. ARRÊT DE LA COUR
Le présent arrêt est celui rendu par la Cour, en audience publique virtuelle
conformément à l’article 8(1) des Instructions pratiques sur la gestion électronique
des affaires et les audiences virtuelles, de 2020.
III. DÉSIGNATION DES PARTIES
1. Les requérantes sont des sociétés de droit togolais et une ressortissante du Bénin
donc, citoyenne de la Communauté.
2. Le défendeur est l’Etat Togolais, un État membre de la Communauté CEDEAO.
IV. INTRODUCTION
3. La présente procédure a pour objet la constatation de la violation des droits de
l’homme reprochée à l’Etat Togolais par les requérantes et consécutivement,
l’examen de leur demande en réparation.
V. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
4. Le 16 mai 2018, la Société Togolaise de Stockage de Gaz (STSG), la Société
RITIS Petroleum, la Société RITIS Petrogaz, la Société Geogas Entreprise S. A. et
Dame AI AN ont saisi la Cour de céans d’une requête contre
l’Etat du Togo pour violation des droits de l’homme (pièce n°1 A). Au soutien de la
requête, les requérantes ont produit des pièces jurisprudentielles (pièce 1 B) et des
documents juridiques (pièce 1C). Leur requête a été notifiée à l’Etat du Togo le 21
mai 2018.
5. Pour sa défense, l’Etat Togolais a déposé au greffe le 22 juin 2018 un mémoire
par lequel il a soulevé des exceptions d’incompétence, de nullité et de fin de non-
recevoir. Ce mémoire en défense a été notifié aux requérantes le 30 juin 2018. (Pièce
n°2).
6. En réplique aux exceptions et fin de non-recevoir soulevées par l’Etat Togolais,
la STSG et autres ont déposé au greffe un mémoire le 25 juillet 2018. (Pièce n°3)
Le 06 septembre 2018, ledit mémoire a été notifié à l’Etat défendeur.
7. Toujours sur les exceptions préliminaires, l’Etat Togolais a déposé un mémoire
en duplique le 03 septembre 2018 (pièce n°4) puis, l’affaire a été renvoyée au 27
juin 2019 pour audition des parties sur les exceptions préliminaires.
8. A l’audience du 27 juin 2019, toutes les parties ont été entendues et l’affaire a été
mise en délibéré sur les exceptions préliminaires au 03 octobre 2019.
Advenue cette date, la Cour s’est déclarée compétente pour connaître de l’affaire, a
également déclaré la requête recevable et a renvoyé la cause et les parties à déposer
leurs mémoires sur le fond.
9. Le 02 février 2020, l’Etat Togolais a déposé au greffe un mémoire en défense sur
le fond (Pièce n°5).
10. Les requérantes, dûment notifiées du mémoire en défense de l’Etat défendeur le
07 février 2020, ont déposé un mémoire en réplique le 09 juillet 2020 (Pièce n°6).
11. L’Etat Togolais qui a reçu la notification du mémoire des requérantes sur le fond
le 22 juillet 2020, a, en réplique, déposé au greffe le 02 septembre 2020 un mémoire
qui a été notifié à ses adversaires le 04 septembre 2020 (Pièce n°7).
12. En duplique, la STSG et autres ont déposé un mémoire reçu au greffe le 10
novembre 2020 et notifié au défendeur le 11 novembre 2020 (Pièce n°8).
13. Le 26 novembre 2020, l’Etat du Togo a déposé au greffe un mémoire qui a été
notifié le même jour aux requérantes (Pièce n°9) puis, la Cour a renvoyé l’affaire au
20 avril 2021 pour l'audition des parties.
VI. ARGUMENTATION DES REQUÉRANTES
a) Exposé des faits
14. Par requête enregistrée au greffe de la Cour le 16 mai 2018, la Société Togolaise
de Stockage de Gaz (STSG), dame AI AN, les Sociétés X
Ah et X AL et la Société GEOGAS ENTREPRISE S.A ayant pour
conseils le cabinet FIDAL, Maître Isabelle VAUGON et Ayodeji AJE House of Law
Z AH, ont saisi la Cour de céans en présence de la Société
l’Immobilière du Togo pour s'entendre condamner l’Etat Togolais à payer à la STSG
la somme de trois milliard neuf cent quarante-deux million (3 942 000 000) de
francs à titre de remboursement des dépenses engagées en pure perte et des coûts
de résiliation, dix-sept milliard trois cent million (17 300 000 000) de francs à titre
de paiement du manque à gagner, neuf cent quatre-vingt-deux million (982
000 000) de francs à dame AI AN, six cent cinquante million (650
000 000) de francs à la Société GEOGAS Entreprise S A et six cent cinquante million (650 000 000) de francs à la Société RITIS PETROLEUM à titre de préjudice moral
puis condamner le défendeur aux dépens.
15. Au soutien de leur requête elles exposent, par l’organe de leurs conseils, qu’à
la demande du Ministre du commerce du Togo, dame AI AN et
son groupe ont accepté de proposer à l’Etat du Togo, la construction d’un terminal
gazier. Le projet consistait en la construction et l’exploitation d’un terminal de
stockage des Gaz Ah Ac (GPL) à GOUMOU-KOPE (Préfecture des Lacs) sur
le domaine littoral contigu à la zone Est du Centre Af Ad de la
Société Nouvelle des Phosphates du Togo (S.N.P.T.) à Kpémé.
16. A cette fin, dès le mois d’avril 2009, dame AI AN et ses
actionnaires affiliés, les sociétés RITIS PETROLEUM et X AL ont
constitué la Société Togolaise de Stockage de Gaz (STSG), société de droit togolais
pour mener à bien les différentes opérations de construction du terminal gazier et
la mise en place de son réseau de distribution de gaz.
17. Les parties se sont rapprochées et ont pris des engagements réciproques aux
termes desquels l’Etat Togolais doit délivrer à la STSG une autorisation
d’installation, lui attribuer un terrain pour une durée de 50 ans afin de construire
et exploiter le terminal gazier, lui délivrer les certificats de conformité
environnementale, les permis de construire, l’agrément conférant le statut de zone
franche et l’autorisation d’utiliser les bouées d’amarrage.
18. Les engagements de la STSG consistent dans le recrutement du personnel
permanent nécessaire au fonctionnement des opérations et l’ouverture d’un siège
social à Lomé au Togo, l’obtention des prêts en vue du financement du projet,
l’obtention du cautionnement de dame AI AN, l’apport en compte courant des actionnaires de la STSG, l’attribution et l’exécution du marché
à la société CAKASA pour engager les travaux de construction et le recrutement du
Bureau Veritas.
19. Les requérantes expliquent que du mois d'octobre 2009 jusqu’au mois de
décembre 2013, les autorités togolaises ont délivré tous les actes administratifs
nécessaires à la mise en œuvre du projet de construction du terminal gazier.
20. Fort de la délivrance par l’Etat Togolais de tous les actes administratifs
démontrant ainsi son engagement à réaliser le terminal gazier, la STSG a accompli
tous les actes nécessaires à la construction de celui-ci depuis l’obtention de son
financement pour un montant de sept milliard cinq cent million (7 500 000 000) de
francs jusqu’à la conclusion de tous les marchés nécessaires à la réalisation des
travaux et à la mise en service du terminal.
21. C’est dans ce contexte d’exécution avancée du projet que par courrier en date
du 6 décembre 2013, le ministre des Mines a notifié à la STSG la décision de l’Etat
du Togo de ne plus donner d’avis favorable à la construction du terminal gazier. Le
site qui lui avait été accordé par l’Etat Togolais pour une durée de 50 ans sur lequel
elle s'apprêtait à construire le terminal gazier venait d’être attribué à des tiers pour
d’autres projets en violation des engagements pris par ledit Etat.
22. Après avoir tenté sans succès pendant 4 ans de trouver une solution amiable,
les requérantes ont saisi la Cour de céans pour faire valoir leurs droits sur le
fondement de l’article 14 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des
Peuples (CADHP) et de l’article 13 du Protocole additionnel à la Charte Africaine
des Droits de l'Homme et des Peuples relatif aux droits de la femme en Afrique,
tous les deux intégrés dans l’article 4 du Traité de la CEDEAO.
23. A la réception de la requête introductive d’instance qui lui a été notifiée, l’Etat
Togolais a soulevé des exceptions d’incompétence, de nullité et une fin de non-
recevoir face auxquelles les requérantes ont demandé à la Cour de déclarer
irrecevable le mémoire en défense de celui-ci pour violation de l’article 87 du
Règlement de la Cour qui prévoit que si une partie demande que la Cour statue sur
une exception ou sur un incident sans engager le débat au fond, elle présente sa
demande par acte séparé.
24. Les requérantes font valoir qu’en l’espèce, l’Etat Togolais ayant déposé un
mémoire en défense dans lequel il soulève des incidents de procédure sans engager
le débat au fond, la Cour de céans doit déclarer irrecevable son mémoire en
défense comme étant non conforme aux dispositions du Règlement de procédure
de la Cour.
25. Néanmoins, si la Cour le déclare recevable, elles lui demandent de rejeter
l’ensemble des exceptions et fin de non-recevoir soulevées par le défendeur
comme étant mal fondées.
26. Les requérantes expliquent qu’elles n’ont pas fondé leur demande sur une
violation par l’Etat Togolais d’un engagement contractuel mais sur une violation
par ce dernier des articles 13 et 14 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et
des Peuples et du protocole à ladite Charte. Etant donné que la Cour retient sa
compétence dès lors que le litige qui lui est soumis porte sur la violation des droits
de l’homme, elle est pleinement compétente pour statuer sur le présent litige.
27. Les requérantes soutiennent par ailleurs que la Cour ne pourra pas retenir
l’exception de nullité de la requête introductive d’instance tirée de l’absence de
personnalité morale de la société L’Immobilière du Togo faute d’avoir été immatriculée au registre du commerce et du crédit mobilier, car non seulement
cette société n’est pas une partie au procès, mais en droit togolais, les sociétés
civiles n’ont pas à être immatriculées au registre du commerce et du crédit mobilier
pour avoir une existence juridique.
28. Les requérantes affirment en outre que la Cour rejettera l’irrecevabilité de
l’action des actionnaires de la STSG car les actionnaires d’une société commerciale
ont des droits incorporels propres, protégés au titre du droit de propriété par la
Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.
29. Par sa décision unilatérale d’attribuer à un tiers le site sur lequel le terminal
gazier devait être construit, le défendeur a privé les actionnaires de la STSG de la
possibilité de faire usage de la propriété de leurs actions et des attributs de cette
propriété en violation de l’article 14 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme
et des Peuples. Ils ont donc qualité pour agir.
30. Au surplus, en tant que femme, dame AI AN a subi une
violation de son droit économique spécifique alors que ce droit est protégé par
l’article 13 du protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples
relatif aux droits des femmes en Afrique. Ce qui lui confère un droit
complémentaire pour agir devant la cour de céans.
31. Les requérantes sollicitent en conséquence, la condamnation du défendeur à
payer à la STSG la somme de trois milliard neuf cent quarante-deux million (3 942
000 000) de francs à titre de remboursement des dépenses engagées en pure perte
et des coûts de résiliation, dix-sept milliard trois cent million (17 300 000 000) de
francs à titre de paiement du manque à gagner, neuf cent quatre-vingt-deux
million (982 000 000) de francs à dame AI AN, six cent cinquante million (650 000 000) de francs à la Société GEOGAS Entreprise S A et six cent
cinquante million (650 000 000) de francs à la Société RITIS PETROLEUM à titre de
préjudice moral puis condamner le défendeur aux dépens.
32. Estimant que leur action en justice contre l’Etat Togolais en vue d'obtenir la
réparation des préjudices subis ne saurait constituer un abus du droit d'agir, elles
concluent au rejet pur et simple de la demande reconventionnelle en paiement de
la somme de trente milliards (30 000 000 000) de francs CFA à titre de dommages
et intérêts pour procédure abusive et vexatoire formulée par l’Etat Togolais.
33. Les requérantes sollicitent enfin que la Cour joigne tous les incidents de
procédure au jugement sur le fond.
b) Moyens invoqués
34. Les requérantes allèguent la violation par l’Etat Togolais de l’article 14 de la
Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples ainsi que la violation du
droit économique spécifique de dame AI AN en tant que femme,
protégé par l’article 13 du protocole à la Charte Africaine des Droits de l'Homme et
des Peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (encore appelé Protocole de
Maputo).
Elles estiment que leur action en justice ne constitue pas une procédure abusive et
vexatoire.
c) Conclusion
35. Les requérantes sollicitent qu’il plaise à la Cour, Constater la violation par l’Etat
Togolais de leur droit de propriété et du droit économique spécifique de dame AI AN en tant que femme et condamner en conséquence le
défendeur à payer à la STSG la somme de trois milliard neuf cent quarante-deux
million (3 942 000 000) de francs à titre de remboursement des dépenses engagées
en pure perte et des coûts de résiliation, dix-sept milliard trois cent million (17 300
000 000) de francs à titre de paiement du manque à gagner, neuf cent quatre-vingt-
deux million (982 000 000) de francs à dame AI AN, six cent
cinquante million (650 000 000) de francs à la Société GEOGAS Entreprise S A et six
cent cinquante million (650 000 000) de francs à la Société RITIS PETROLEUM à titre
de préjudice moral puis condamner le défendeur aux dépens.
36. Elles concluent en outre au rejet pur et simple de la demande reconventionnelle
en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.
37. Les requérantes sollicitent enfin que la Cour joigne tous les incidents de
procédure au jugement sur le fond.
VII. ARGUMENTATION DE L’ETAT DÉFENDEUR :
a) Exposé des faits
38. En réplique, l’Etat Togolais ayant pour conseil, la Société d’Avocats
AQUEREBURU and PARTNERS et la Société d’Avocats De A AK et
Associés soulève in limine litis l'exception d’incompétence de la Cour de céans,
l’exception de nullité de la requête introductive d'instance et la fin de non-recevoir
tirée du défaut de qualité pour agir de dame AI AN, des Sociétés
GEOGAS Entreprise S.A, RITIS PETROLEUM et RITIS PETROGAZ.
39. Au soutien de ses prétentions, l’Etat Togolais fait valoir, par les écritures de ses
conseils, que la prétendue violation des droits de l'homme dont les requérantes font état pour demander réparation résulte de ce qu'il aurait privé la STSG du site
sur lequel le terminal gazier devait être construit.
40. || en veut pour preuve le fait que la requête affirme que la STSG a été victime
de la violation par les autorités togolaises de ses droits réels consentis sur le terrain
qui lui a été attribué par bail emphytéotique en date du 13 octobre 2009. Il en
déduit que c’est la violation du contrat du 13 octobre 2009 qui caractériserait la
violation des droits de l’homme dont les requérantes demandent la réparation.
41. L’Etat défendeur conclut donc que le Comportement qui lui est reproché par
les requérantes ne s’analyse pas en une violation des droits de l’homme pouvant
justifier la saisine de la Cour de céans.
42. || sollicite en conséquence que la Cour se déclare incompétente et renvoie les
requérantes à saisir les juridictions nationales togolaises.
43. || ajoute que néanmoins, si la Cour retient sa compétence, elle est priée de
déclarer nulle la requête introductive d’instance pour défaut de capacité à ester en
justice de la société L’'Immobilière du Togo.
44. L'Etat Togolais avance qu’en effet, en droit des sociétés commerciales ou civiles,
seule l’immatriculation confère à la société la personnalité morale et la capacité
d’agir en justice. Or en l’espèce la société L’'Immobilière du Togo qui est une
requérante n’a pas la capacité juridique en raison du fait qu’elle n’est pas
immatriculée au registre du commerce et du crédit mobilier. Il va donc sans dire
que la requête qui a saisi la Cour de céans est nulle de nul effet puisqu'il est de droit
processuel que la capacité d’ester en justice constitue une condition de fond de la
validité de l’exploit introductif d’instance et que la sanction du défaut de capacité
pour agir est la nullité de l’acte qui en est entaché.
45. L'Etat Togolais fait savoir en outre que si la Cour passe outre cette exception,
elle devra déclarer irrecevable l’action de AI AN et des sociétés
GEOGAS, RITIS PETROLEUM, RITIS PETROGAZ et l’Immobilière du Togo pour défaut
de qualité pour agir car dans le cadre du projet de construction et d'exploitation du
terminal gazier litigieux, aucune autorisation n’a été donnée aux actionnaires de la
STSG. C’est donc contre toute attente que les sociétés GEOGAS, RITIS PETROLEUM,
RITIS PETROGAZ, l’Immobilière du Togo et dame AI AN qui ne sont
que des actionnaires de la STSG se sont jointes à la procédure alors qu’elles ne
justifient d’aucune qualité pour agir.
46. Dans ces conditions, l’Etat défendeur prie la Cour de déclarer irrecevable
l’action des personnes susnommées pour défaut de qualité pour agir en justice.
47. Les requérantes ayant soulevé l’irrecevabilité de son mémoire en défense, l’Etat
Togolais fait remarquer que l’article 87 du Règlement de la Cour ne prévoit pas
l’irrecevabilité comme sanction de l’irrégularité invoquée. Au surplus, il a procédé
à la régularisation de son mémoire en défense le 20 juin 2018. Il estime en
conséquence que l’action des requérantes doit être déclarée mal fondée par la
Cour.
48. || maintient que la Cour de céans est incompétente pour connaître du litige
initié par les requérantes car il ressort tant de leur requête que de leur mémoire en
réplique qu’elles lui font grief d’avoir privé la STSG de ses droits sur le terrain qui
devait abriter le terminal gazier. Or elles soutiennent elles-mêmes que le terrain en
cause a été donné à bail emphytéotique pour une durée de 50 ans par la Société
Nouvelle des Phosphates du Togo dite SNPT, société d’Etat Togolaise,
à la société L’'Immobilière du Togo qui aurait consenti une sous-location du bail
emphytéotique à la STSG.
49. La violation des Droits de l'Homme dont elles demandent réparation résultant
de ce qu’elle aurait privé la STSG dudit terrain, elles ne peuvent soutenir qu’elles
ne fondent pas leur demande sur la violation d’un engagement contractuel.
50. L'Etat du Togo soutient en outre que la requête introductive d’instance est nulle
car la société L’'Immobilière du Togo qui y figure en 6ème position dans
l’énumération des requérantes après la mention « A la demande de », n’a pas la
capacité juridique faute d’immatriculation au registre du commerce et du crédit
mobilier.
51. L'Etat défendeur estime qu'il est inexact de dire qu’en droit togolais, les
sociétés civiles n’ont pas à être immatriculées pour avoir une existence juridique.
Il en veut pour preuve, les dispositions de l’article 35 de l’acte uniforme OHADA
portant sur le droit commercial général aux termes duquel, le registre du
commerce et du crédit mobilier a pour objet de recevoir les demandes
d’immatriculation…. entre autres. des sociétés civiles par leur forme et
commerciales par leur objet. La société L’'Immobilière du Togo qui est une société
civile par la forme mais commerciale par son objet avait donc l’obligation légale de
s’immatriculer. Ne l’ayant pas fait, la requête introductive d’instance est entachée
d’une irrégularité qui affecte sa validité.
52. L'Etat Togolais continue par ailleurs de soutenir que les actionnaires de la STSG
n’ont pas qualité pour agir en justice car c’est la STSG qui entendait bénéficier du
bail emphytéotique sur le terrain objet du litige pour y construire un terminal gazier
et l’exploiter. C’est à elle que les autorités togolaises ont délivré toutes les autorisations administratives nécessaires pour la construction du terminal gazier et
c’est à elle que ces autorités ont adressé le courrier contenant leur décision de ne
plus donner d’avis favorable à la construction dudit terminal. Les actionnaires de la
STSG et la société L’Immobilière du Togo ne peuvent donc pas soutenir qu’ils ont
directement et individuellement subi un préjudice.
53. C’est la raison pour laquelle les requérantes elles-mêmes indiquent dans leur
requête que si la Cour la condamne à l’indemnisation de l’entier préjudice matériel
de la STSG, elle n’aura pas de raison d’ordonner une indemnisation du préjudice
matériel des actionnaires.
54. Ils n’ont donc pas la qualité pour agir et leur action doit être déclarée
irrecevable.
55. L'Etat défendeur s'oppose à la jonction des exceptions soulevées au jugement
sur le fond car la Cour peut d’ores et déjà mettre fin à la présente affaire sans qu’il
soit nécessaire d’examiner au fond les prétentions des requérantes.
56. Enfin l’Etat Togolais estime que l’action des requérantes est purement
fantaisiste, abusive et vexatoire. Elle ne repose sur aucun fondement juridique et
l’oblige à solliciter les services d’un conseil pour défendre ses intérêts. Il en résulte
pour lui un préjudice moral et financier qu’il évalue à trente (30) milliards de francs
CFA.
De ce fait, il sollicite la condamnation des requérantes à lui payer ladite somme à
titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.
b) Moyens invoqués 57. L’Etat défendeur estime que le Comportement qui lui est reproché par les
requérantes ne s’analyse pas en une violation des droits de l'homme pouvant
justifier la saisine de la Cour de céans car elles fondent leur demande sur la violation
d’un engagement contractuel.
58. L'Etat Togolais soutient en outre que la requête introductive d’instance est nulle
car la société L’'Immobilière du Togo qui y figure en 6ème position dans
l’énumération des requérantes après la mention « A la demande de », n’a pas la
capacité juridique faute d’immatriculation au registre du commerce et du crédit
mobilier.
59. L'Etat défendeur affirme par ailleurs que les actionnaires de la STSG n’ont pas
qualité pour agir en justice car c’est la STSG qui entendait bénéficier du bail
emphytéotique sur le terrain objet du litige pour y construire un terminal gazier et
l’exploiter. C’est à elle que les autorités togolaises ont délivré toutes les
autorisations administratives nécessaires pour la construction du terminal et c’est
à elle que ces autorités ont adressé le courrier contenant leur décision de ne plus
donner d’avis favorable à la construction du terminal gazier. Les actionnaires de la
STSG et la société L’Immobilière du Togo ne peuvent donc pas soutenir qu’ils ont
directement et individuellement subi un préjudice.
60. L'Etat défendeur estime enfin que l’action des requérantes l’a obligé à solliciter
les services d’un conseil en vue de défendre ses intérêts et qu’il a subi de ce fait un
préjudice moral et financier qu’il évalue à trente (30) milliards de francs CFA.
c) Conclusion 61. L’Etat défendeur sollicite que la Cour se déclare incompétente pour connaître
du litige et qu’elle renvoie les requérantes à saisir les juridictions nationales
togolaises.
62. Par ailleurs, Il prie la Cour de déclarer nulle la requête introductive d’instance
pour défaut de capacité à ester en justice de la société L’'Immobilière du Togo.
63. Il sollicite en outre que la Cour déclare irrecevable l’action des actionnaires de
la STSG pour défaut de qualité pour agir en justice.
64. Subsidiairement, l’Etat Togolais prie la Cour de déclarer les requérantes mal
fondées en leurs différentes demandes au cas où, par extraordinaire, elle retient sa
compétence pour connaître du litige et qu’elle reçoit la requête.
65. Reconventionnellement, l’Etat défendeur sollicite la condamnation des
requérantes à lui payer la somme de trente (30) milliards de francs CFA pour
procédure abusive.
X. COMPETENCE
66. Par arrêt avant dire droit ECW/CCJ/RUL/03/20 en date du 5 février 2020, la Cour
s’est déclarée compétente pour connaître du litige. Il s'ensuit qu’elle ne peut
revenir sur la question de sa compétence car la Cour ne peut pas se dédire.
IX. RECEVABILITÉ
67. Par l’arrêt cité ci-dessus, la Cour a également déjà déclaré la requête recevable.
Il n’est donc plus nécessaire pour elle de revenir sur la question de la recevabilité X. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
68. Les requérantes ont sollicité de la Cour la jonction des exceptions préliminaires
au jugement sur le fond.
69. L’Etat défendeur a, quant à lui, sollicité que la Cour déclare nulle la requête
introductive d’instance.
70. La Cour a, par l’arrêt avant -dire droit numéro ECW/CCJ/RUL/03/20 du 05
Février 2020, déjà rejeté la demande de jonction des exceptions au jugement sur
le fond de même que l’exception de nullité de la requête introductive d’instance.
Cela implique nécessairement que la Cour est tenue de se prononcer sur le fond.
XI. SUR LE FOND
Sur la violation des droits fondamentaux des requérantes
71. Les requérantes invoquent la violation par l’Etat Togolais de l’article 14 de la
Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuple ainsi que la violation du droit
économique spécifique de dame AI AN en tant que femme,
protégé par l’article 13 du protocole à la Charte Africaine des Droits de l'Homme et
des Peuples relatif aux droits des femmes en Afrique.
72. La Cour va donc examiner successivement la violation du droit de propriété
d’une part et celle du droit économique spécifique de dame AI AN
en tant que femme d’autre part.
a) Sur la violation du droit de propriété
73. Les requérantes invoquent la violation de l’article 14 de la Charte Africaine des
Droits de l'Homme et des Peuples ainsi conçus :
« Le droit de propriété est garanti. Il ne peut y être porté atteinte que par nécessité
publique ou dans l’intérêt général de la collectivité, ce, conformément aux
dispositions des lois appropriées »
74. Au plan juridique, la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de
la manière la plus absolue. Ce droit s'applique aux biens de toute nature, aux
meubles comme aux immeubles. Il comprend le droit d’user de la chose, d’en
remettre l’usage à une personne, le droit de la modifier, de la détruire ou d’en
disposer.
75. Pour soutenir que leur droit de propriété prévu par le texte susvisé a été violé
par l’Etat défendeur, les requérantes expliquent que par bail emphytéotique en
date du 13 octobre 2009, un terrain a été attribué à la STSG afin de construire et
exploiter un terminal gazier pour une durée de cinquante (50) ans. Elles font valoir
qu’alors que l’exécution de leur projet était avancée, l’Etat du Togo est revenu sur
sa décision et a attribué le terrain à une autre personne.
76. Les requérantes affirment que le bail emphytéotique est par définition une
variété de contrat de louage de choses qui confère au preneur (« l’emphytéote »),
pendant une durée comprise entre 18 et 99 ans, un droit réel immobilier qui
équivaut à un droit de propriété. En attribuant donc le terrain objet du bail
emphytéotique à une tierce personne, l’Etat Togolais a violé leur droit de propriété
résultant du bail emphytéotique.
77. L'Etat Togolais affirme que le moyen développé par les requérantes n’est pas
fondé du fait qu’elles ne rapportent pas la preuve de leur droit de propriété par la
production du titre de propriété de la STSG sur la parcelle en cause.
78. L'Etat défendeur relève en effet que les requérantes ont indiqué à la page 5 de
leur requête que « compte tenu des spécificités du projet, le site devrait
impérativement avoir une superficie de huit (8) hectares et bénéficier d’une emprise
sur les installations portuaires. C’est ainsi que la Société d’Etat togolaise, la SNPT, a
signé le 13 octobre 2009 avec l’Immobilière du Togo un bail emphytéotique d’une
durée de cinquante (50) ans portant sur un terrain sis à GOUMOU-KOPE. Aux termes
d’un acte du 09 décembre 2009 enregistré le 13 mai 2009, l’Immobilière du Togo a
consenti une sous-location du bail emphytéotique à la STSG afin qu’elle réalise la
construction du Terminal gazier sur ce terrain ».
79. L'Etat Togolais estime en conséquence que la STSG qui n’est qu’un sous-
locataire de la parcelle objet du litige ne rapporte pas la preuve de son droit de
propriété qui aurait justifié l’application de l’article 14 de la Charte Africaine des
Droits de l'Homme et des Peuples. Il conclut en conséquence au rejet de sa
demande relative à la violation de l’article 14 de la CADHP.
ANALYSE DE LA COUR
80. La Cour fait observer que le droit de propriété est différent du droit réel
immobilier que confère le bail emphytéotique au preneur.
81. En effet, alors que le droit de propriété est un droit absolu en vertu duquel le
titulaire peut user de la chose sur laquelle il porte (usus), jouir des fruits de ladite
chose (fructus) et même en disposer (abusus), le bail emphytéotique ne confère au preneur que le droit d’utiliser la chose qui en est l’objet et de jouir de ses fruits sans
pouvoir en disposer.
82. De même, alors que le droit de propriété est définitif, le bail emphytéotique est
limité dans le temps et lorsqu'il arrive à son terme, l’ensemble des améliorations
réalisées par le locataire, notamment les constructions, deviennent la propriété
exclusive du bailleur sans indemnité. Le propriétaire ou le bailleur du terrain ou du
bien immobilier loué peut demander la résiliation judiciaire du bail emphytéotique
et l’obtenir en cas d’inexécution des conditions du contrat ou de détérioration
graves du fonds par le locataire.
83. La Cour note qu’ en l’espèce, il ressort des faits constants de la cause que
lorsque les parties se sont rapprochées, elles ont pris des engagements
synallagmatiques aux termes desquels l’Etat Togolais devait délivrer à la STSG une
autorisation d’installation, lui attribuer un terrain pour une durée de 50 ans afin de
construire et exploiter le terminal gazier, lui délivrer les certificats de conformité
environnementale, les permis de construire, l’agrément conférant le statut de zone
franche et l’autorisation d’utiliser les bouées d’amarrage ;
84. La STSG devait quant à elle se charger du recrutement du personnel permanent
nécessaire au fonctionnement des opérations, de l’ouverture d’un siège social à
Lomé au Togo, de l’obtention des prêts en vue du financement du projet, de
l’obtention du cautionnement de dame AI AN, de l’apport en
compte courant des actionnaires de la STSG, de l’attribution du marché à la société
CAKASA pour engager les travaux de construction et du recrutement du Bureau
Veritas.
85. En raison des spécificités du projet, le site devrait impérativement avoir une
superficie de huit hectares et bénéficier d’une emprise sur les installations
portuaires. C’est ainsi que la société d’Etat togolaise, la SNTP, a signé le 13 octobre
2009 avec la société l’Immobilière du Togo, un bail emphytéotique d’une durée de
cinquante (50) ans portant sur un terrain sis à GOUMOU-KOPE. Aux termes d’un
acte du 09 décembre 2009, la société l’Immobilière du Togo a consenti une sous-
location du bail emphytéotique à la STSG afin qu’elle réalise la construction du
terminal gazier sur ce terrain.
86. Il en résulte que la STSG, n’est qu’un sous locataire de la parcelle objet du bail
emphytéotique et non la propriétaire de ladite parcelle.
87. La Cour constate donc qu’en dépit des tentatives des requérantes de situer leur
préjudice sur le terrain de la violation des droits de l’homme, le comportement
qu’elles reprochent à l’Etat Togolais ne s’analyse pas en une violation des droits de
l’homme car la STSG n’est pas titulaire d’un droit de propriété sur la parcelle en
cause ;
88. Il s’agit d’une résiliation unilatérale des engagements contractuels effectuée
par l’Etat togolais qui a cédé la parcelle objet de leur accord à une autre société ;
89. La Cour rappelle que, fidèle à sa propre jurisprudence, elle a déjà décidé dans
plusieurs espèces précédentes que lorsque le contentieux qui lui est soumis est de
nature contractuelle, il ne relève pas des droits de l’homme ;
90. Ainsi, dans l’affaire La Société du pont de KAYES contre la République du MALI
ECW/CCI/APP/35/15, la Cour a statué ainsi qu’il suit : « La Cour est bien obligée de
constater, à l’instar de l'Etat défendeur, que le contentieux qui lui est soumis ne relève nullement des droits de l'homme, mais reste de nature contractuelle » (arrêt
ECW/CCJ/JUD/14/16 du 17 mai 2016) ;
91. Dans l’arrêt du 2 novembre 2017, Aa Ag C Ukor contre Ae Ab et
Etat du Bénin, la Cour, après avoir rappelé que « /es deux parties étaient en relation
d'affaire », a relevé qu’« il n’a nullement été question de violation des droits de
l’homme mais simplement des relations contractuelles » ;
92. Dans une autre espèce, affaire Mrs Ai Aj Ak et autres contre
la République du Sénégal, arrêt du 22 novembre 2007, la Cour s’est déclarée
incompétente compte tenu du fait que « /e présent litige ne porte pas sur les droits
de l’homme » ;
93. Les requérantes soutiennent par ailleurs que l’Etat Togolais a violé l’article 14
de la CADHP à l’égard des actionnaires de la STSG.
94. Elles affirment en effet que les propriétaires d'actions ou parts sociales d’une
société commerciales sont titulaires d’un droit de propriété sur leurs titres, ouvrant
droit au bénéfice des dispositions de l’article 14 de la CADHP.
95. La Cour constate cependant que non seulement la STSG n’a jamais été la
propriétaire de la parcelle de terre objet du bail emphytéotique, mais la rupture
dudit bail n’a pas eu pour effet de priver les actionnaires de leur droit de propriété
portant sur les actions qu’ils détiennent.
96. Ils ne peuvent donc pas valablement prétendre que leur droit de propriété a
été violé.
b) Sur la violation du droit économique spécifique de dame AI RAZAQ-
IGUE en tant que femme
97. Aux termes de l’article 13 du Protocole de la Charte Africaine des Droits de
l'Homme et des Peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de
Maputo), « Les Etats adoptent et mettent en œuvre des mesures législatives et
autres mesures visant à garantir aux femmes l’égalité des chances en matière
d’emploi, d'avancement dans la carrière et d'accès à d’autres activités
économiques. À cet effet, ils s'engagent à :
e) créer les conditions pour promouvoir et soutenir les métiers et activités
économiques des femmes, en particulier dans le secteur informel » ;
98. Les requérantes affirment que par la rupture unilatérale du bail emphytéotique,
l’Etat du Togo a violé l’article 13 du Protocole de la CADHP.
99. L’Etat Togolais fait valoir que l’article 13 du Protocole à la Charte Africaine des
Droits de l'Homme et des Peuples n’est pas applicable au cas d’espèce dans la
mesure où l’autorisation de construire le terminal gazier n’a pas été donnée à dame
AI AN à titre personnel mais à la STSG qu’elle ne fait que
représenter légalement.
100. Il affirme que dame AI AN ne dit pas en quoi consiste
l’obstacle qui lui aurait été fait ni comment il l’a empêchée de participer à la
direction des affaires publiques de son pays notamment le Bénin.
En conséquence, il prie la Cour de rejeter cette allégation comme mal fondée.
ANALYSE DE LA COUR
101. Avant que la Cour n’expose son analyse, il convient de reproduire le texte de
l’article 13 du Protocole de Maputo comme il suit :
« Les États adoptent et mettent en œuvre des mesures législatives et autres
mesures visant à garantir aux femmes l’égalité des chances en matière d'emploi,
d’avancement dans la carrière et d’accès à d’autres activités économiques. À cet
effet, ils s'engagent à :
a) promouvoir l'égalité en matière d'accès à l’emploi ;
b) promouvoir le droit à une rémunération égale des hommes et des femmes pour
des emplois de valeur égale ;
c) assurer la transparence dans le recrutement, la promotion et dans le licenciement
des femmes, combattre et réprimer le harcèlement sexuel dans les lieux de travail ;
d) garantir aux femmes la liberté de choisir leur emploi et les protéger contre
l'exploitation et la violation par leur employeur de leurs droits fondamentaux, tels
que reconnus et garantis par les conventions, les législations et les règlements en
vigueur ;
e) créer les conditions pour promouvoir et soutenir les métiers et activités
économiques des femmes, en particulier dans le secteur informel ;
f) créer un système de protection et d'assurance sociale en faveur des femmes
travaillant dans le secteur informel et les sensibiliser pour qu’elles y adhèrent ;
g) instaurer un âge minimum pour le travail, interdire le travail des enfants n'ayant
pas atteint cet âge et interdire, combattre et réprimer toutes les formes
d'exploitation des enfants, en particulier des fillettes ;
h) prendre des mesures appropriées pour valoriser le travail domestique des
femmes ;
i) garantir aux femmes des congés de maternité adéquats et payés avant et après
l'accouchement aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public;
j) assurer l'égalité dans l'imposition fiscale des femmes et des hommes ;
k) reconnaître aux femmes salariées, le droit de bénéficier des mêmes indemnités
et avantages que ceux alloués aux hommes salariés en faveur de leurs conjoints et
de leurs enfants ;
1) reconnaître la responsabilité première des deux parents dans l’éducation et
l’épanouissement de leurs enfants, une fonction sociale dans laquelle l’État et le
secteur privé ont une responsabilité secondaire ;
m) prendre les mesures législatives et administratives appropriées pour combattre
l'exploitation ou l’utilisation des femmes à des fins de publicité à caractère
pornographique ou dégradant pour leur dignité ».
102. De toute évidence, cet article est rédigé en termes généraux et énumère les
engagements pris par les Etats signataires tant au plan économique que social en
vue d’assurer la promotion et l'épanouissement des femmes par la suppression des
obstacles, des traitements inégalitaires et de toutes formes de discrimination.
103. Il en résulte que chaque Etat s’oblige 0 à adopter et à mettre en œuvre des mesures législatives et autres pour assurer l’égalité de l’homme et de la femme au plan économique et social.
104. Par conséquent, pour se prévaloir des dispositions de cet article sur le plan de la violation des droits de l’homme, il est indispensable que la ou les requérantes spécifient le droit qui a été violé et non, comme en l’espèce, se référer à l’ensemble du texte qui comprend plusieurs rubriques.
105. La Cour constate d’une part, que les requérantes ne rapportent pas la preuve que l’Etat , défendeur ; n’a ; pas adopté Lt ni mis en œuvre des mesures législatives LICE et
autres mesures visant à garantir aux femmes l'égalité des chances en matière
d’emploi, d’avancement dans la carrière et d'accès à d’autres activités
économiques alors surtout que celles-ci ne ressortent pas des pièces de la
procédure et d'autre part, qu’elles n’ont pas indiqué de façon spécifique le droit
économique de dame AI AN qui a été violé par l’Etat Togolais
106. Par ailleurs, il ne ressort pas non plus des écritures des requérantes que l’Etat
Togolais n’a pas créé les conditions pour promouvoir et soutenir les métiers et
activités économiques des femmes, en particulier dans le secteur informel.
107. Il en résulte que l’article 13 du Protocole de la CADHP n’a pas été violé par
l’Etat Togolais surtout qu’aucun contrat ne lie ledit Etat à dame AI RAZAQ-
IGUE à titre personnel.
XII. LES RÉPARATIONS
a) Sur la réparation du préjudice subi par les requérantes 108. Les requérantes sollicitent qu’il plaise à la Cour condamner l’Etat défendeur à
payer à la STSG la somme de trois milliard neuf cent quarante-deux million (3 942
000 000) de francs à titre de remboursement des dépenses engagées en pure perte
et des coûts de résiliation, dix-sept milliard trois cent million (17 300 000 000) de
francs à titre de paiement du manque à gagner, neuf cent quatre-vingt-deux million
(982 000 000) de francs à dame AI AN, six cent cinquante million
(650 000 000) de francs à la Société GEOGAS Entreprise S A, six cent cinquante
million (650 000 000) de francs à la Société RITIS PETROLEUM à titre de préjudice
moral.
109. L’Etat défendeur demande au contraire à la Cour de débouter les requérantes
de leurs demandes qu’il juge mal fondées.
ANALYSE DE LA COUR
110. La Cour rappelle que sa compétence en matière de violation des droits de
l’homme lui permet non seulement de constater lesdites violations mais aussi
d’ordonner leur réparation s’il y a lieu.
111. En l’espèce, la Cour constate que ni le droit de propriété des requérantes, ni le
droit économique spécifique de dame AI AN en tant que femme
n’ont été violés par l’Etat Togolais. Il en résulte que les demandes de réparation des
requérantes sont mal fondées et doivent être rejetées de ce fait.
b) Sur la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour
procédure abusive
112. L’Etat Togolais soutient que les requérantes ont abusé de leur droit d’ester en
justice en le traduisant à tort devant la Cour de céans et sollicite que cette juridiction
les condamne reconventionnellement à lui payer la somme de trente (30) milliards
de francs CFA à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
113. Les requérantes sollicitent le rejet de la demande reconventionnelle de l’Etat
Togolais. Elles soutiennent que l’exercice d’une action en justice est un droit qui ne
dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que
dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.
114. Elles estiment qu’en l’espèce, leur action visant à attraire l’Etat Togolais en
justice étant bien fondée, elle ne saurait s’analyser en un abus de droit d’agir
susceptible d’ouvrir droit à réparation.
ANALYSE DE LA COUR
115. La Cour rappelle que l’Etat Togolais a été attrait en justice par les requérantes
pour violation des droits de l’homme notamment leur droit de propriété et le droit
économique spécifique de dame AI AN en tant que femme, suite
à la rupture unilatérale du bail emphytéotique qui liait la société d’Etat SNPT et la
société l’Immobilière du Togo, cette dernière ayant consenti une sous-location du
bail emphytéotique à la STSG afin qu’elle réalise la construction d’un terminal
gazier sur le terrain objet du bail.
116. Estimant que cette rupture leur a causé d’énormes préjudices, il est tout à fait
normal que les requérantes s’adressent à justice pour être situées sur le sort de leurs
prétentions.
117. Dans un tel cas, il ne peut être reproché aux requérantes une quelconque
intention de nuire ni une procédure abusive ou vexatoire.
118. La Cour de céans en a ainsi décidé dans l’affaire Y C
AG et autres contre la République de Guinée arrêt N° ECW/CCJ/JUD/25/20 du
10 décembre 2020.
119. Il en résulte que la demande en paiement de dommages et intérêts pour
procédure abusive et vexatoire de l’Etat Togolais doit être rejetée comme étant mal
fondée.
XIII. DES DÉPENS
120. Aux termes de l’article 66 alinéa 2 du règlement de la Cour, toute partie qui
succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu dans ce sens ;
En l’espèce, les requérantes et l’Etat Togolais ont expressément conclu à la
condamnation aux dépens ;
121. Chaque partie ayant partiellement succombé, la Cour décide que chacune
d’elles supportera ses propres dépens.
XIV. DISPOSITIF
Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et ayant entendu les deux
parties :
Sur la compétence :
Par arrêt avant-dire droit numéro ECW/CCJ/RUL/03/20 du 5 Février 2020, la
Cour s’est déjà déclarée compétente pour connaître du litige ;
Sur la recevabilité
Par arrêt avant-dire droit ECW/CCJ/RUL/03/20 du 5 Février 2020, la Cour a déjà
déclaré la requête recevable ;
Sur le fond de l'affaire :
Dit que le droit de propriété des requérantes et le droit économique spécifique de
dame AI AN n’ont pas été violés par l’Etat défendeur ;
Dit par ailleurs que la procédure initiée par les requérantes contre l’Etat du Togo
n’est pas abusive ;
Sur les réparations :
Déclare les requérantes mal fondées en leur demande de réparation ;
Les en déboute ;
Déclare l’Etat Togolais mal fondé en sa demande reconventionnelle en paiement
de dommages et intérêts ;
L’en déboute ;
DES DÉPENS :
Dit que chaque partie supporte ses propres dépens.
Ainsi fait et jugé les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé :
HON. JUGE GBERI-BE OUATTARA PRESIDENT / JUGE RAPPORTEUR
HON. JUGE DUPE ATOKI MEMBRE
HON. JUGE JANUARIA TAVARES SILVA MOREIRA COSTA MEMBRE
ASSISTÉS DE :
Me. Athanase ATANNON GREFFIER EN CHEF ADJOINT


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/19/22
Date de la décision : 29/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2022-03-29;ecw.ccj.jud.19.22 ?
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