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25/03/2022 | CEDEAO | N°ECW/CCI/JUD/14/22

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 25 mars 2022, ECW/CCI/JUD/14/22


Texte (pseudonymisé)
LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES ÉTATS
DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
Dans l'affaire
AG X C AJ
CONTRE
L’ETAT DU BENIN
Requête N° : ECW/CCJ/APP/38/17 Arrêt N°. ECW/CCI/JUD/14/22
ARRÊT
ACCRA
LE 25 MARS 2022
AFFAIRE N° : ECW/CCJ/APP/38/17
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/ AG X C AJ REQUÉRANTE C/
L’ETAT DU BENIN DÉFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR :
HON. JUGE GBERI-BE OUATTARA PRESIDENT / JUGE RAPPORTEUR
HON. JUGE DUPE ATOKI

MEMBRE
HON. JUGE JANUARIA TAVARES MOREIRA COSTA MEMBRE
ASSISTÉS DE :
Me. Athanase ATANNON...

LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES ÉTATS
DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
Dans l'affaire
AG X C AJ
CONTRE
L’ETAT DU BENIN
Requête N° : ECW/CCJ/APP/38/17 Arrêt N°. ECW/CCI/JUD/14/22
ARRÊT
ACCRA
LE 25 MARS 2022
AFFAIRE N° : ECW/CCJ/APP/38/17
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/ AG X C AJ REQUÉRANTE C/
L’ETAT DU BENIN DÉFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR :
HON. JUGE GBERI-BE OUATTARA PRESIDENT / JUGE RAPPORTEUR
HON. JUGE DUPE ATOKI MEMBRE
HON. JUGE JANUARIA TAVARES MOREIRA COSTA MEMBRE
ASSISTÉS DE :
Me. Athanase ATANNON Greffier en Chef adjoint
|. REPRÉSENTATION DES PARTIES :
1.Me. Claude Kokou AMEGAN avocat de la requérante
2. L’Agent Judiciaire du Trésor. Conseil du défendeur II ARRÊT DE LA COUR
Le présent arrêt est celui rendu par la Cour, en audience publique virtuelle
conformément à l’article 8(1) des Instructions pratiques sur la gestion électronique
des affaires et les audiences virtuelles, de 2020.
III. DÉSIGNATION DES PARTIES
1. La requérante est dame AG X C AJ une ressortissante
du Bénin donc, citoyenne de la Communauté.
2. Le défendeur est l’Etat du BENIN, un État membre de la Communauté CEDEAO.
IV. INTRODUCTION
3. La présente procédure a pour objet la perte du droit de propriété de la requérante
sur une parcelle qu’elle a acquise par acte sous seing privé imputable au fait que le
tribunal de première instance de deuxième classe d’AN n’a pas statué
dans un délai raisonnable et conséquemment l’examen de sa demande en réparation
du préjudice qui en est résulté pour elle.
V. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
4. Le 19 octobre 2017, AG X C AJ a saisi la Cour de
céans d’une requête contre l’Etat du Bénin pour violation de son droit de propriété portant sur une parcelle (pièce n°1). Cette requête a été notifiée à l’Etat du Bénin le
27 octobre 2017.
5. Le 03 décembre 2019, le greffe de la Cour a notifié à nouveau la même requête à
l’Etat du Bénin.
Par correspondance datée du 24 janvier 2020, l’Etat du Bénin a sollicité un délai
supplémentaire pour produire son mémoire en défense.
6. A l’audience du OS février 2020, les deux parties étaient absentes et non
représentées. L'affaire a été renvoyée au 26 mai 2020 pour audition des parties.
7. Le 18 avril 2020, la requérante a adressé par DHL, une correspondance au greffe
pour informer la Cour de ce qu’elle ne pourra pas assister à l’audience du 26 mai
2020. Pour cette raison, l’affaire a été renvoyée au 04 juin 2021 pour audition des
parties.
8. Advenue cette date, aucune des parties ne s’est présentée à l’audience et elles
n’étaient pas non plus représentées par leurs conseils.
La procédure a donc fait l’objet d’un renvoi au 20 octobre 2021.
9. Par une correspondance du 04 juin 2021, la requérante a prié la Cour de mettre
l’affaire en délibéré à l’audience du 20 octobre 2021 même si elle n’est pas présente
à cette audience.
10. Advenue cette date, les deux parties étaient représentées par leurs conseils. La
Cour a accédé à la demande de prorogation de délai faite par l’Etat du Bénin puis
l’affaire a été à nouveau renvoyée au 23 novembre 2021 pour audition des parties.
11. A l’audience du 23 novembre 2021, l’Etat du Bénin a produit son mémoire en
défense et la Cour a encore renvoyé l’affaire au 31 janvier 2022.
12. Le 31 janvier 2022, en l’absence des deux parties qui n’étaient pas représentées,
la Cour a mis l’affaire en délibéré pour arrêt être rendu le 03 mars 2022. Advenue
cette date, le délibéré a été prorogé pour arrêt être rendu le 25 mars 2022.
VI. ARGUMENTATION DE LA REQUÉRANTE
a) Exposé des faits
13. AG X C AJ affirme qu’elle avait acheté une parcelle
de terre avec ADAMOU NAIAH portant le numéro 1278 et qu’à la suite d’un
second lotissement le numéro 1268 a été attribué à ladite parcelle. La requérante
soutient que le 10 juillet 1997, le cabinet du géomètre Ab AL
AK a dressé un levé topographique en sa faveur pour une parcelle « i » au
lot 124 à Ag AN sans préciser le numéro de l’Etat des lieux.
(Pièce 04)
14. AG X C AJ rapporte que le 11 juillet 1997, le cabinet
du géomètre Ab B a encaissé encore 40.000 francs
CFA pour le levé topographique. (Pièce 05)
15. Elle affirme que le 06 août 1997, ledit cabinet l’a assistée pour l’identification
physique de sa parcelle et le reçu n° 000965 de 5000 francs CFA lui a été délivré
avec comme motif « Recasement du lot 124 parcelle H ». Ce reçu a été établi et signé
par le chef quartier d’Agamadin et contresigné par le trésorier du « lotissement du
quartier Agamadin ». (Pièce 06) Sur ce reçu, il a été marqué à la main « EL -1268
recasé 06/08/97 ». Le reçu de la FECECAM Bénin comporte aussi la mention «
Recasé ce 06/08/97 EL 1268 suivie de la même signature que celle du chef de
quartier (pièce 03).
16. AG X C AJ relate que lorsqu’elle est revenue sur la
parcelle qui lui avait été attribuée et sur laquelle elle avait d’ailleurs planté une
plaque d’identification portant son nom, elle a constaté que ladite plaque avait été
arrachée et des individus non identifiés et menaçants lui contestaient la propriété de
ladite parcelle.
17. Depuis ce temps elle n’a plus jamais retrouvé sa parcelle.
18. Elle fait savoir que toutes les démarches qu’elle a entreprises auprès des autorités
locales, de la mairie d’AN et du cabinet du géomètre ayant été vaines,
elle s’est retirée au nord du Bénin pour faire valoir ses droits à la retraite.
19. Puisque les intermédiaires à qui elle a confié le dossier continuaient de lui
extorquer de l’argent sans aucun résultat, elle a donné une procuration à son fils
AJ Willis. (Pièce 07).
20. Etant donné que c’est le même géomètre qui s’est occupé du lotissement à
Ag qui a dressé et signé le levé topographique, elle lui a, par exploit
d’huissier du 22 février 2012 fait une sommation d’avoir à identifier la parcelle « i »
du lot 124 qu’il lui a attribué. (Pièces 08 a et 08 b)
21. La requérante fait valoir que ne s’étant pas exécuté après la signification de
ladite sommation, elle l’a assigné devant le tribunal de première instance de
deuxième classe d’AN le 04 mai 2012. (Pièces 09 a et 09 b) Elle ajoute
que cette juridiction a mis la procédure en délibéré en mars 2013 sans jamais rendre
de décision.
22. Elle rapporte que c’est dans ces conditions que le géomètre instrumentaire qui
connaissait parfaitement sa parcelle et pouvait l’identifier à tout moment est décédé
en 2014 ; à la suite du décès de celui-ci, le marché du lotissement a été retiré à son
cabinet pour être confié au cabinet du géomètre Ae Ah Ai AM.
23. Ce nouveau géomètre a retrouvé son nom sur une autre parcelle. Le levé
topographique dressé par le cabinet Ab B est donc
erroné ou un faux qui ne correspondait pas aux résultats des travaux de recasement
effectués par ce même cabinet et consigné dans un document écrit.
24. La requérante allègue que par requête, elle a saisi la Cour Constitutionnelle du
Bénin le 06 octobre 2015 pour déni de justice imputable au tribunal de première
instance de deuxième classe d’AN qui n’a pas rendu son jugement alors
que l’affaire avait été mise en délibéré depuis mars 2013 par la première chambre
civile moderne du tribunal de première instance deuxième classe d’AN.
25. AG X C AJ précise que cette juridiction devait
ordonner sous astreintes comminatoires au géomètre d’identifier la parcelle dont il
avait lui-même dressé le levé topographique après les travaux de lotissement qu’il
avait exécutés en personne.
26. Elle explique que l’objet de la saisine de la Cour Constitutionnelle était d’amener
cette haute juridiction à dire que malgré le fait que sa saisine ait été effective, le
tribunal de première instance de deuxième classe d’AN n’ayant pas
rendu son jugement dans un délai raisonnable, a violé son droit d’être jugée dans un
délai raisonnable et a conséquemment occasionné la perte de son droit de propriété
sur la parcelle en cause, lui ouvrant ainsi droit à des dommages et intérêts.
27. AG X C AJ indique que par une autre requête
déposée à la Cour Constitutionnelle du Bénin le 06 octobre 2015, elle a porté plainte
contre la Mairie d’AN qui a commis le géomètre ayant fait disparaître
ladite parcelle parce qu’il est devenu presque impossible d’exercer un recours
effectif contre ce cabinet de géomètre qui a d’abord été mis sous scellé pendant
plusieurs mois à la suite du décès du géomètre et qui est resté fermé à ce jour.
28. Elle soutient que le but de cette nouvelle action était d’obtenir de la Cour
Constitutionnelle qu’elle ordonne à la Mairie sus indiquée de la dédommager, elle
AG X C AJ, suite à la non-identification de sa parcelle.
29. Le 21 avril 2016, (pièces 12a à 120), la Cour Constitutionnelle du Bénin a dit de
façon très laconique que « le délai mis par la chambre civile moderne du tribunal
de première instance de deuxième chambre d’AN dans le traitement de
la procédure civile n° 1479/2012 est anormalement long ».
30. La requérante relève que la Cour Constitutionnelle du Bénin s’est déclarée
incompétente pour statuer sur la requête introduite contre la Mairie d’Abomey-
Calavi alors que cette requête évoquait des droits de la personne notamment
l’atteinte au droit de propriété garanti par l’article 17 de la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme d’une part et contenait d’autre part une demande de mesure
de protection sur le fondement de l’article 18.4 de la Charte Africaine des Droits de
l’Homme et des Peuples.
31. Ayant estimé que la Cour Constitutionnelle devait se prononcer sur les droits de
la personne, AG X C AJ a introduit auprès de cette Cour
une demande en rectification d’erreurs matérielles le 19 juin 2016 dans laquelle elle
a rappelé que la protection de l’Article 18.4 de la Charte Africaine des Droits de
l’Homme et des Peuples demandée est un droit fondamental qui figure bien au
Chapitre 1 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples intitulé :
« DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES »
32. La requérante rapporte en outre que le 18 août 2016 (pièces 14a à 14m), la Cour
Constitutionnelle du Bénin a déclaré sa requête en rectification d’erreurs matérielles,
pourtant formée dans les forme et délai prévus par le règlement intérieur de cette
Cour Constitutionnelle, irrecevable.
33. Elle estime en conséquence qu’elle a été arbitrairement et injustement privée de
son droit de propriété.
b) moyens invoqués
34. La requérante invoque la violation par l’Etat du Bénin des articles 8, 10 et 17 de
la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et des articles 7 et 18.4 de la
Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.
c) Conclusion
35. La requérante sollicite qu’il plaise à la Cour, condamner l’Etat du Bénin à lui
verser, la somme de cent million (100.000.000) F.CFA en réparation de tout le
préjudice subi ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Claude
Kokou AMEGAN, avocat aux offres de droits ;
VII. ARGUMENTATION DE L’ETAT DÉFENDEUR :
a) Exposé des faits
36. L’Etat du Bénin expose que AG X C AJ aurait acquis
auprès d’un certain ADAMOU NAIAH, une parcelle d’une contenance de 500 m?
dans la commune d’AN le 17 octobre 1987 enregistrée le 20 octobre
1987.
37. Lors des opérations de recasement, la parcelle qui lui aurait été attribuée aurait
fait l’objet de contestations et depuis lors, elle n’aurait plus jamais retrouvé sa
parcelle en dépit des nombreuses démarches effectuées auprès du géomètre Ab
B, en charge du lotissement ainsi que des plaintes que son
fils mandaté aurait déposées au tribunal de première instance de deuxième classe
d’AN et à la Cour Constitutionnelle.
38. Selon l’Etat défendeur, la requérante allègue que le tribunal saisi le 04 mai 2012,
aux fins d’ordonner au géomètre, sous astreintes comminatoires, d’identifier la
parcelle, n’a pas rendu sa décision jusqu’au décès dudit géomètre en 2014.
39. L’Etat défendeur relate en outre qu’aux dires de la requérante, la Cour
constitutionnelle saisie de deux recours visant l’un à ce que ladite Cour statue sur le
manque de diligence du tribunal de première Instance deuxième classe d’Abomey-
Calavi lors du traitement de la procédure civile initiée contre le géomètre en 2012 et
l’autre ayant pour objet d’obtenir une ordonnance obligeant la Mairie d’Abomey-
Calavi à la dédommager, s’est contentée de juger, par décision DCC 16-051 du 21
avril 2016 que « le délai mis par la chambre civile moderne du Tribunal de première
instance de deuxième classe d’AN est anormalement long », mais
s’est déclarée incompétente quant au recours contre la commune.
40. Selon l’Etat défendeur, la requérante a saisi la Haute juridiction constitutionnelle
béninoise aux fins de rectification de cette décision d’incompétence qui ne tient pas
compte des violations des droits de l’homme alléguées. Mais ladite juridiction a
déclaré la requête irrecevable au motif qu’il y a autorité de la chose jugée.
41. L’Etat défendeur rapporte d’une part que la requérante lui fait grief de n’avoir
pas rendu une décision de justice dans un délai raisonnable en violation, selon elle,
des articles 8, 10, 17 de la déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10
décembre 1948 et des articles 7 et 18-4 de la Charte Africaine des droits de l’Homme
et des Peuples. C’est sur le fondement de cette allégation qu’elle a saisi la juridiction
communautaire pour obtenir sa condamnation au paiement de la somme de cent
millions (100.000.000) F. CFA en réparation des préjudices prétendument subis.
b) Moyens invoqués 42. Pour sa défense, l’Etat du Bénin articule que la requérante n’a pas subi de
préjudice notable et que la perte de la parcelle ne lui est pas imputable.
c) Conclusion
43. L’Etat du Bénin demande à la Cour de dire et juger qu’il n’est pas responsable
du préjudice résultant de la perte de la parcelle par la requérante et de la débouter de
la demande de condamnation à lui payer la somme de cent million (100.000.000) F.
CFA à titre de dommages et intérêts .
VII. COMPETENCE
44. La Cour rappelle que sa compétence en matière de droit de l’homme est régie
par les dispositions de l’article 9-4 du Protocole additionnel A/SP.1/01/05 du 19
janvier 2005 portant amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour de justice
qui dispose que : « La Cour est compétente pour connaître des cas de violation des
droits de l'Homme dans tout Etat membre ».
45. En l'espèce, la requérante invoque la violation des articles :
- 8, 10 et 17 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme
- 7 et 18.4 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
46. La Cour observe que les droits invoqués par le requérant figurent parmi les droits
de l’homme qui relèvent de sa juridiction. Par conséquent l’invocation de la
violation desdits droits lui donne compétence pour connaitre de la requête en
application des dispositions de l'article 9 al. 4, du protocole additionnel
A/SP.1/01/05/du 19 janvier 2005.
IX. RECEVABILITÉ 47. La Cour note que la recevabilité des requêtes par elle est régie par les dispositions
de l’article 10-d du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 portant
amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour qui dispose que : « peut saisir
la Cour, toute personne victime de violation des droits de l’homme ;
La demande soumise à cet effet :
i) ne doit pas être anonyme ;
ii) ne sera pas portée devant la Cour de Justice de la Communauté lorsqu'elle
a été déjà portée devant une autre Cour internationale compétente »
48. En l’espèce, la Cour note que la requérante AG X C
AJ est bien identifiée. La requête n’est donc pas anonyme.
Par ailleurs, la preuve que la requérante a saisi une autre juridiction internationale
compétente en matière de droits de l’homme pour connaitre de cette même affaire
n’étant pas rapportée, la Cour doit déclarer la requête recevable.
X. SUR LE FOND
Sur la violation des droits fondamentaux de la requérante
49. La requérante invoque la violation par l’Etat du Bénin des articles 7 et 18.4 de
la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) ainsi que la
violation des articles 8, 10 et 17 de la Déclaration Universelle des Droits de
50. Ces violations sont relatives respectivement au droit de propriété (A), au droit
à la protection des personnes âgées (B) et au droit d’être jugé dans un délai
raisonnable (C).
51. La Cour va donc examiner successivement toutes ces violations alléguées.
a) Sur la violation du droit de propriété
52. AG X C AJ reproche à l’Etat défendeur d’avoir violé
son droit de propriété portant sur une parcelle de terrain d’une contenance de 500
m2 qu’elle a acquise avec ADAMOU NAIAH par acte sous seing privé du 17
Octobre 1987 enregistré sous le n°1304 du lotissement de la commune Urbaine
d’AN.
Elle rapporte cependant que, lorsqu’elle est revenue sur la parcelle qui lui avait été
attribuée et sur laquelle elle avait d’ailleurs planté une plaque d’identification portant
l’inscription de son nom, elle a constaté que ladite plaque a été arrachée et des
individus non identifiés lui contestaient la propriété de ladite parcelle.
53. Toutes les démarches qu’elle a entreprises auprès des autorités locales de la
mairie d’AN et du cabinet du géomètre qui a procédé au lotissement et
à l’identification de la parcelle ayant été vaines, elle a assigné le géomètre
instrumentaire devant le tribunal de première instance de deuxième classe
d’AN le 04 mai 2012.
54. Fort malheureusement, jusqu’au décès dudit géomètre survenu en 2014, la
première chambre civile moderne du tribunal de première instance deuxième classe
d’AN saisi n’avait pas encore rendu sa décision dans cette affaire qu’elle
avait pourtant mise en délibéré depuis mars 2013.
55. L’Etat défendeur rappelle que la requérante fonde sa demande de condamnation
sur la violation des droits de l’homme qui résulterait du fait pour le tribunal de
n’avoir pas rendu sa décision dans un délai raisonnable occasionnant la perte de sa
parcelle à la suite des opérations de recasement.
56. Il soutient que le géomètre étant décédé, l’instance s’est éteinte conformément
aux dispositions de l’article 469 du code de procédure civile, commerciale, sociale,
administrative et des comptes du Bénin de sorte que même si le tribunal devait rendre
une décision dans cette affaire, ce ne serait qu’une décision de dessaisissement.
57. Il estime par ailleurs que la perte de la parcelle par la requérante ne lui est pas
imputable et lui propose un règlement à l’amiable.
ANALYSE DE LA COUR
58. La requérante invoque la violation de son droit de propriété prévu par l’article
17 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) ainsi conçu:
« Toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété. Nul ne
peut être arbitrairement privé de sa propriété ».
59. Ce droit de propriété est également contenu dans les dispositions de l'article
14 de la CADHP desquelles il ressort que : « le droit de propriété est garanti. Il ne
peut y être porté atteinte que par nécessité publique ou dans l’intérêt général de la
collectivité, ce, conformément aux dispositions des lois appropriées »
60. Sur le plan juridique donc, le droit de propriété est le droit de jouir et de
disposer des choses de la manière la plus absolue. Ce droit s'applique aux biens de
toute nature, aux meubles comme aux immeubles
61. Le droit de propriété peut être individuel ou collectif. Ainsi, l'article 1er du
Protocole 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, dispose que : «
Toute personne physique ou morale a le droit de jouir pacifiquement de ses biens.
Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et
dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit
international ».
62. Le droit de propriété, en tant qu'élément important du droit économique,
prévu dans les instruments internationaux, à savoir les articles 17 de la DUDH et 14 de la CADHP, est un droit de l'homme. Cela ressort clairement de l’arrêt N°
ECW/CCJ/JUD/01/11 du 9 février 2011, rendu dans l'affaire AO Z
AP c. la Banque Centrale des États de L'Afrique de l’Ouest (BCEAO) et
L'Etat du NIGER.
63. De même, la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, dans
l’affaire Ak Aj c. la République Démocratique du Congo, a souligné que deux
principes directeurs du droit à la propriété résultent de l'article 14 de la CADHP ; le
premier principe étant que le droit à la propriété signifie le droit des individus au
respect de la jouissance de leurs biens - "jouissance paisible des biens" - et le
second principe annonçant la possibilité et les conditions qui doivent être remplies
pour appliquer des restrictions au droit à la propriété.
64. Dans le même ordre d’idées, la Cour souligne que dans sa conception classique,
le droit de propriété renvoie généralement à trois éléments, à savoir : le droit
d'utiliser la chose qui fait l'objet du droit (usus), le droit de jouir de son fruit
(fructus) et le droit de disposer de la chose, c'est-à-dire le droit de la transférer
(abusus) ».
65. De même, il ressort des dispositions de l’article 14 de la Charte Africaine des
Droits de l'Homme et des Peuples, que le droit de propriété est un droit
fondamental auquel il ne peut être porté atteinte que pour cause d’utilité publique
ou pour un intérêt général après une juste et préalable indemnisation. Mais, pour
bénéficier de cette protection légale, il importe, en l’espèce, que la requérante
justifie son droit de propriété d’une part et, d’autre part, qu’elle rapporte la preuve
du comportement fautif de l’Etat défendeur qui l’empêcherait de jouir de son droit
conformément à la loi.
66. Dans la présente affaire, il ressort des faits, notamment des déclarations de la
requérante qu’elle a acquis la parcelle de terrain objet du litige par acte sous seing
privé et que c’est à la faveur d’une opération de recasement qu’elle n’a plus
retrouvé ladite parcelle.
67. La Cour fait observer que l’acte sous seing privé de vente de la parcelle en cause
tel qu’il ressort des dispositions législatives du Bénin ne confère pas à son titulaire
un droit de propriété ; Il s’analyse comme un simple droit d’usage. La preuve n’est
donc pas rapportée que la requérante est titulaire d’un droit de propriété sur la
parcelle de terrain qu’elle revendique.
68. Or, en matière de violation des droits de l'Homme, tout grief articulé par un
requérant doit être corroboré par des éléments de preuve.
69. La jurisprudence de la Cour dans ce domaine est sans équivoque. En effet, dans
l’affaire Ad A contre la République du Bénin (Arrêt n°
ECW/CCI/JUD/01/10 du 17 février 2010) la Cour a statué à ce sujet au paragraphe
35 en ces termes : « // est de règle générale en droit qu’au cours d’un procès la partie
qui fait des allégations doit en apporter la preuve. La constitution et la
démonstration de la preuve appartiennent donc aux parties en procès. Elles doivent
utiliser tous les moyens légaux et fournir les éléments de preuve tendant à soutenir
leurs prétentions. Ces preuves doivent être convaincantes pour établir un lien entre
elles et les faits allégués … » ;
70. La Cour note que la requérante n’a pu exhiber un titre administratif
reconnaissant son droit de propriété sur la parcelle en cause ; elle n’a pas non plus
invoqué l’usucapion résultant d’une longue occupation d’autant plus que la
parcelle n’a pas pu être identifiée. De plus, elle n’a pas fait état d’indices
permettant de justifier son droit de propriété. En somme, la requérante n’a nullement allégué l’un des modes de preuve du droit de propriété en matière
immobilière tels qu’énumérés ci-dessus.
71. En dépit donc des tentatives de la requérante pour transposer son préjudice sur
le terrain de la violation du droit de propriété, le comportement fautif qu’elle
reproche à l’Etat du Bénin ne peut pas s’analyser en une violation des droits de
l’homme dans la mesure où elle n’a pas justifié qu’elle est titulaire d’un droit de
propriété sur la parcelle en cause ;
b) Sur le droit à la protection des personnes âgées
72. AG X C AJ fait remarquer que l’attitude des juges
du tribunal de première instance deuxième classe d’AN consistant à
retarder le déroulement de son procès à laquelle s’ajoute le refus de collaboration du
géomètre ainsi que celui du Maire lors de la procédure devant la Cour
Constitutionnelle sont contraires aux mesures spécifiques de protection des
personnes âgées en rapport avec leurs besoins physiques ou moraux et constituent
manifestement une violation de l’article 18 de la CADHP.
7 3. L’Etat du Bénin n’a pas cru devoir répondre spécifiquement à cette allégation
de la requérante.
ANALYSE DE LA COUR
74. L’article 18 de la CADHP dispose que :
« 1. La famille est l'élément naturel et la base de la société. Elle doit être protégée
par l'État qui doit veiller à sa santé physique et morale.
2. L'État a l'obligation d'assister la famille dans sa mission de gardienne de la morale
et des valeurs traditionnelles reconnues par la communauté.
3. L'État a le devoir de veiller à l'élimination de toute discrimination contre la femme
et d'assurer la protection des droits de la femme et de l'enfant tels que stipulés dans
les déclarations et conventions internationales.
4. Les personnes âgées ou handicapées ont également droit à des mesures
spécifiques de protection en rapport avec leurs besoins physiques ou moraux ».
75. La Cour note que l’article 18 de la CADHP exige que les Etats parties à la Charte
prennent des mesures appropriées contre la maltraitance envers les personnes âgées.
Ces mesures peuvent être législatives ou autres et devraient permettre aux Etats
d’évaluer l’ampleur du problème et de faire prendre conscience de la nécessité
d’éradiquer la maltraitance et la négligence envers les personnes âgées.
76. Les droits des personnes âgées doivent être garantis. Il s’agit notamment du droit
à une prise en charge appropriée et à des services adéquats, du droit à la vie privée,
du droit à la dignité personnelle, du droit de prendre part à la détermination des
conditions de vie dans un établissement spécialisé, de la protection de la propriété et
du droit de maintenir des contacts personnels avec les proches.
77. La Cour constate que la requérante ne rapporte pas la preuve qu’elle a fait
l’objet de discrimination ou de mauvais traitements alors qu’elle est une personne
âgée. Cette preuve ne ressort pas non plus des pièces de la procédure.
78. || en résulte que l’article 18 de la CADHP relatif au droit à la protection des
personnes âgées n’a pas été violé par l’Etat du Bénin.
e Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable
79. AG X C AJ estime que son droit d’être jugée dans un
délai raisonnable a été violé par l’Etat du Bénin car le tribunal de première instance
de deuxième classe d’AN devant lequel elle a assigné le géomètre le 04 mai 2012 pour l’obliger à identifier sa parcelle qu’elle ne retrouvait plus à la suite
d’une opération de recasement, n’a pas rendu son jugement jusqu’au décès dudit
géomètre survenu en 2014 alors qu’il avait mis l’affaire en délibéré depuis le mois
de mars 2013.
80. L’Etat du Bénin se contente d’affirmer que le géomètre étant décédé, l’instance
est éteinte de sorte que le tribunal ne peut rendre qu’une décision de dessaisissement.
ANALYSE DE LA COUR
81. La Cour note que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ressort des
dispositions des articles 7 paragraphe 1-d de la Charte Africaine des Droits de
l'Homme et des Peuples (CADHP), 9 paragraphe 3 du Pacte International relatif aux
Droits Civils et Politiques (PIDCP) et 6 paragraphe 1 de la Convention Européenne
des Droits de l'Homme. L'article 7 de la CADHP dispose que « toute personne a droit
à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
d- le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».
82. Quant à l’article 9 paragraphe 3 du PIDCP, entre autres, il dispose que « tout
individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale, sera traduit dans le plus
court délai devant un juge ou une autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions
judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. »
83. Suivant les dispositions de l’article 6, $ 1, de la Convention Européenne des Droits de
l'Homme, « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai
raisonnable par un tribunal indépendant et impartial qui décidera du bien-fondé de
l'accusation pénale dirigée contre elle ».
84. La jurisprudence de la Cour Européenne a tiré de ces dispositions la conséquence
que les États contractants doivent organiser leur système judiciaire afin que leurs cours
et tribunaux puissent remplir leur rôle avec efficacité et célérité. Il s'agit là pour la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) de veiller « à ce que la justice ne soit pas
rendue avec des retards propres à en compromettre l'efficacité et la crédibilité » (CEDH
24 oct. 1989, H. c. France, n° 10073/82, 8 58, RFDA 1990. 203, note O. Ac et F.
SudreB). Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie in globo selon
les circonstances de la cause (CEDH 12 oct. 1992, Aa c. Belgique, n° 12919/87, 8
36) à l’aune des critères dégagés par la jurisprudence de la Cour, à savoir : la complexité
de l'affaire, le comportement du requérant et des autorités compétentes, ainsi que l’enjeu
du litige pour l'intéressé (CEDH 27 nov. 1991, Af c. France, n°8 12325/86.
85. En l’espèce, la requérante invoque la violation de l’article 7 alinéa 1 de la
CADHP.
En effet, elle trouve excessif, le temps mis par la juridiction saisie pour statuer sur
sa demande et affirme que ce dysfonctionnement constitue une violation de son droit
d’être jugée dans un délai raisonnable.
86. La Cour rappelle que l’appréciation du caractère raisonnable du délai est fonction
de la complexité de l’affaire, du comportement du requérant et de l’attitude des
autorités publiques.
87. La Cour note qu’en l’espèce, AG X C AJ a saisi le
tribunal de première instance de deuxième classe d’AN le 04 mai 2012
pour qu’il ordonne au géomètre, sous astreintes comminatoires, d’identifier la
parcelle dont il avait lui-même dressé le levé topographique après avoir exécuté les
travaux de lotissement. Cette procédure qui a été mise en délibéré en mars 2013 n’a
pas été jugée jusqu’au décès du géomètre survenu en 2014.
88. La Cour souligne qu’au regard de la nature de la demande soumise au tribunal,
(une ordonnance enjoignant au géomètre d’identifier la parcelle issue du lotissement
qu’il a lui-même effectué), laquelle ne présente aucune complexité particulière, la
durée de deux ans d’attente sans qu’aucune décision de justice ne soit rendue
outrepasse la mesure du raisonnable.
89. La Cour Constitutionnelle du Bénin saisie par la requérante s’est d’ailleurs
prononcé dans ce sens le 21 avril 2016 en jugeant que « le délai mis par la chambre
civile moderne du tribunal de première instance d’AN dans le traitement
de la procédure n°1479/2012 est anormalement long »
90. Dès lors, il ne fait aucun doute que le droit de la requérante d’être jugée dans un
délai raisonnable a été violé.
XII. LES RÉPARATIONS
91. La requérante sollicite qu’il plaise à la Cour, condamner l’Etat du Bénin à lui
verser, la somme de cent million (100.000.000) F.CFA en réparation de tout le
préjudice subi.
92. L’Etat du Bénin demande à la Cour de dire et juger qu’il n’est pas responsable
du préjudice résultant de la perte de la parcelle de la requérante et de la débouter de
sa demande de condamnation à lui payer la somme de cent millions (100.000.000)
F. CFA à titre de dommages et intérêts.
ANALYSE DE LA COUR
93. La Cour rappelle que sa compétence en matière de violation des droits de
l’homme lui permet non seulement de constater lesdites violations mais aussi
d’ordonner leur réparation s’il y a lieu.
94. En l’espèce, la Cour constate que le droit de la requérante d’être jugée dans un
délai raisonnable a été violé. Cependant, l’Etat du Bénin soutient que la perte de la
parcelle par la requérante ne lui est pas imputable. Il fait valoir en effet que si la
requérante a assigné le géomètre devant le tribunal de première instance
d’AN, c’est parce qu’elle est consciente que cette responsabilité
incombe à ce dernier.
95. La Cour note que c’est le même géomètre qui s’est occupé du lotissement à
Ag qui a dressé et signé le levé topographique. Cependant, lorsque
AG X C AJ est retournée sur le site qui lui avait été
attribué et qu’elle a constaté que des individus non identifiés lui contestaient la
propriété, ce géomètre n’a pas daigné répondre à la sommation interpellative qu’elle
lui a faite d’avoir à identifier la parcelle « i » du lot 124 qu’il lui a attribuée. Elle l’a
donc assigné devant le tribunal de première instance de deuxième classe d’Abomey-
Calavi le 04 mai 2012 pour l’obliger à s’exécuter.
96. La Cour estime qu’en ne vidant pas sa saisine jusqu’à ce que le géomètre
concerné décède deux ans plus tard alors que la demande ne présentait aucune
complexité, cette juridiction a ruiné les espoirs de la requérante de retrouver sa
parcelle surtout que, comme le soutient l’Etat défendeur lui-même, l’action intentée
par la requérante contre le géomètre à l’effet de voir identifier ladite parcelle ne peut
être transmissible à la succession dans la mesure où elle porte sur une obligation
inhérente à la profession du géomètre de sorte qu’elle ne relève pas des tâches que
les héritiers peuvent accomplir dans le cadre de la gestion de la succession du de
cujus en raison justement de son caractère intuitu personae.
97. La Cour rappelle que les justiciables ont droit à ce que leurs affaires soient
jugées dans un délai raisonnable. En cas de violation de ce droit par suite du
dysfonctionnement de la juridiction saisie qui relève du service public de la justice,
ils peuvent obtenir la réparation par l’Etat du préjudice qu’ils ont souffert de ce fait.
98. En l’espèce, la méconnaissance du droit de la requérante d’être jugée dans un
délai raisonnable a occasionné la perte de la parcelle qu’elle avait acquise par acte
sous seing privé. Cette perte a causé à la requérante à la fois un préjudice moral et
un préjudice matériel qu’elle évalue à cent million (100 000 000) de francs CFA.
99. Le dysfonctionnement du tribunal de première instance de deuxième classe
d’AN ayant causé un préjudice certain à AG X époYe AJ, l’Etat du Bénin ne saurait valablement soutenir que la perte de la
parcelle ne lui est pas imputable.
100. La Cour de céans considère que la demande en réparation engagée contre
l’Etat défendeur par la requérante dont l’affaire n'a pas été jugée dans un délai
raisonnable doit permettre la réparation de l'ensemble des dommages tant
matériel que moral, directs et certains, qui lui ont été causés.
101. En matière de réparation, la Cour tient à souligner qu’en général, peut être
réparé notamment, le préjudice causé par la perte d'un avantage ou d'une chance
ou encore par la reconnaissance tardive d'un droit. Peuvent aussi donner lieu à
réparation les désagréments provoqués par la durée abusivement longue d'une
procédure lorsque ceux-ci ont un caractère réel et vont au-delà des préoccupations
habituellement causées par un procès, compte tenu de la situation personnelle de
l'intéressé.
102. La Cour estime cependant qu’en l’espèce, le montant de cent million
(100 000 000) de franc CFA sollicité par la requérante à titre de dommages et
intérêts en réparation des préjudices subis est excessif. En effet, le préjudice moral
dont peut se prévaloir la requérante, résulte de la longue attente qui s’est soldée
par la perte de la parcelle du fait que, par ses atermoiements, le tribunal n'a pas
rendu sa décision jusqu’au décès du géomètre.
103. Quant au préjudice matériel, il provient du cumul du prix de l’acquisition de la
parcelle, des différentes sommes qui ont été dépensées à divers titres et à la valeur
ajoutée à la parcelle compte tenu du temps écoulé depuis l’achat par acte sous
seing privé et alors surtout que le quartier où se situe ladite parcelle est devenue
un quartier moderne et résidentiel. D'ailleurs, sans avoir été contredite, la
requérante a affirmé que désormais dans ce quartier, les terrains sont vendus à des
dizaines de millions.
104. Pour la Cour, en appliquant tous ces éléments objectifs au cas de la
requérante, lui allouer la somme de dix million (10 000 000) de francs CFA au titre
de ses préjudices matériel et moral constitue une juste et équitable réparation. Il
convient par conséquent de condamner l’Etat défendeur à verser la somme de dix
million (10 000 000) de francs CFA à AG X C AJ à titre de
réparation de tous ses préjudices.
XIII. DES DÉPENS
105. Aux termes de l’article 66 alinéa 2 du règlement de la Cour, toute partie qui
succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu dans ce sens ;
En l’espèce, la requérante et l’Ftat du Bénin ont expressément conclu à la
condamnation aux dépens ;
106. L'Etat du Bénin ayant succombé, la Cour décide qu’il supportera les dépens. IV. DISPOSITIF
Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et ayant entendu les deux
parties :
Sur la compétence :
Se déclare compétente pour connaître du litige ;
Sur la recevabilité
Déclare la requête recevable ;
Sur le fond :
Dit que le droit de propriété et le droit à la protection des personnes âgées n’ont pas
été violés par l’Etat défendeur ;
Dit en revanche que l’Etat du Bénin a violé le droit de la requérante d’être jugée dans
un délai raisonnable ;
Sur les réparations :
Déclare la requérante partiellement bien fondée en sa demande de réparation ;
Condamne l’Etat du Bénin à lui verser la somme de dix million (10 000 000) de
francs CFA à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudice confondues ;
DES DÉPENS :
Laisse les dépens à la charge de l’Etat du Bénin.
Ainsi fait et jugé les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé :
Hon. Juge OUATTARA GBERI-BE Président /Juge-Rapporteur
Hon. Juge DUPE ATOKI Membre
Hon. Juge JANUARIA TAVARES MOREIRA COSTA Membre
Assisté de Maître Greffier


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCI/JUD/14/22
Date de la décision : 25/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2022-03-25;ecw.cci.jud.14.22 ?
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