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22/03/2022 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/08/2022

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 22 mars 2022, ECW/CCJ/JUD/08/2022


Texte (pseudonymisé)
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST
(CEDEAO)
Dans l’Affaire
Ab Ag AG c. RÉPUBLIQUE DU TOGO
Affaire N° ECW/CCJ/APP/07/20-Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/08/2022
ARRÊT
Y
Le 22 mars 2022 AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/07/20 000000000000
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/08/2022
ENTRE :
JEAN-PIERRE FABRE —ecccncoccnncocencncesen0n REQUÉRANT
ET
LA REPUBLIQUE DU TOGO —eccosococcnncecc0000000 ETAT DEFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA —eccoseccccncnncccncn00000n000

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Hon. Juge Keikura Bangura —eccncoconcncnconcnccen0n00000n0a0000n000006 Membre
Hon. Juge Januäria ...

COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST
(CEDEAO)
Dans l’Affaire
Ab Ag AG c. RÉPUBLIQUE DU TOGO
Affaire N° ECW/CCJ/APP/07/20-Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/08/2022
ARRÊT
Y
Le 22 mars 2022 AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/07/20 000000000000
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/08/2022
ENTRE :
JEAN-PIERRE FABRE —ecccncoccnncocencncesen0n REQUÉRANT
ET
LA REPUBLIQUE DU TOGO —eccosococcnncecc0000000 ETAT DEFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA —eccoseccccncnncccncn00000n00000000 Président
Hon. Juge Keikura Bangura —eccncoconcncnconcnccen0n00000n0a0000n000006 Membre
Hon. Juge Januäria T. S. Moreira COSTA... Membre/Juge rapporteur
ASSISTÉS DE :
Dr. Athanase ATANNON —eccosscoccnc000000 Greffier en chef adjoint I. REPRESENTATION DES PARTIES
LA SCPA FEMIZA ASSOCIÉS Pour le requérant
Le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux et Maître TCHITCHAO
1. Cet arrêt de la Cour est rendu en audience publique virtuelle,
conformément à l'article 8 (1) des Instructions Pratiques sur la Gestion
Électronique des Affaires et des Audiences Virtuelles de la Cour de 2020.
II. DESIGNATION DES PARTIES
2. Le requérant, Monsieur Ab Ag AG, de nationalité togolaise, est
Président National de l'Alliance Nationale pour le Changement, ANC, parti
politique légalement constitué, ayant son siège à Lomé, Candidat
officiellement reconnu à l’élection Présidentielle de février 2020, demeurant
et domicilié à Lomé.
3. L'Etat défendeur est la République du Togo, État membre de la CEDEAO
et signataire de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.
IV. INTRODUCTION 4. En l'espèce, le requérant a invoqué la violation des droits de l'homme, à
savoir des principes d'égalité devant la loi et de la compétence et
l'impartialité des juridictions, alléguant que la procédure de recomposition
de la Cour Constitutionnelle, recommandée par la 53°" Session des Chefs
d’Etat et de Gouvernement, tenue le 31 Juillet 2018, et mise en œuvre par la
Loi de modification constitutionnelle N° 2019-003 du 15 mai 2019 de même
que la Loi Organique N° 2019/023 du 26 Décembre 2019 sur la Cour
Constitutionnelle, ne sont pas conformes aux instruments internationaux des
Droits de l’Homme ratifiés par le défendeur.
5. Il ajoute que les griefs articulés dans la présente requête concernent les
manquements aux obligations qui incombent à la République Togolaise
relativement aux résolutions de la 53°" Session Ordinaire de la Conférence
des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, aux dispositions de la
Charte Africaine de la Démocratie, au Protocole Additionnel A/SP1/12/01 et
les violations relevées dans la procédure de recomposition de la Cour
Constitutionnelle.
V. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
6. La requête introductive d'instance (Doc.1), accompagnée de sept (7)
pièces, a été enregistrée au Greffe de cette Cour le 03 février 2020 et à la
même date une demande en procédure accélérée a également été enregistrée
(Doc.2). Ces documents ont été notifiés à l'Etat défendeur le 10 février 2020.
7. Le 10 mai 2020, le défendeur a déposé au Greffe de la Cour une exception
préliminaire (Doc. 3) et, en même temps, son mémoire en défense (Doc. 4),
qui ont été notifiés au requérant le 1°" juin 2020.
8. Le 19 juin 2020, le requérant a déposé son mémoire en réplique (Doc. 5),
qui a été notifié au défendeur le 15 juillet 2020.
9. Le 20 juillet 2020, le défendeur a déposé son mémoire en duplique in
limine litis (Doc. 6) et son mémoire en duplique au fond (Doc.7), qui ont été
notifiés au requérant le 29 juillet 2020 et celui-ci n’a pas répondu.
10. Le 22 octobre 2020 s'est tenue l'audience au cours de laquelle les parties,
dûment représentées, ont comparu et présenté leurs observations orales.
11. L'audience a été reportée au 22 mars 2022, pour décision.
VI. LES ARGUMENTS DU REQUÉRANT
a. Résumé des faits:
12. La vie politique en République Togolaise est marquée depuis des
décennies par une crise politique chronique qui se manifeste périodiquement
par des manifestations organisées par les forces vives à l’appel des parties
politiques de l’opposition et les responsables de la société civile, entrainant
morts et blessés causés par les forces de l’ordre.
13. La mise en œuvre de l’Accord Politique Global (APG) prévoyant des
réformes constitutionnelles et institutionnelles qui n’a pas été respectée par
le pouvoir en place a participé à l’aggravation de la crise politique.
14. La crise a été relancée au mois d’août 2017 par de grandes manifestations
de rue à l’appel des partis politiques de l’opposition réunis au sein de la
Coalition des 14 partis (C14).
15. L’ampleur des manifestations a obligé les chefs d’Etat de la CEDFAO à
se saisir du dossier et a organisé un dialogue entre le Pouvoir et la coalition
des 14 partis politiques de l’opposition.
16. Le 31 juillet 2018, la 53%"° session ordinaire de la Conférence des Chefs
d’Etat de Gouvernement de la CEDEAO, a dans son communiqué final
annoncé une Feuille de Route ainsi libellée. (Pièce N° 2)
La Conférence invite le Gouvernement et les acteurs politiques à œuvrer en
vue de l'adoption des réformes constitutionnelles en prenant en compte,
entre-autre, les points suivants :
a. Le mode de scrutin à deux tours pour l'élection du Président de la
République ;
b. La limitation à deux, du nombre de mandats présidentiels ;
c. La recomposition de la Cour Constitutionnelle pour notamment revoir sa
composition et limiter le nombre de mandat de ses membres ;
d. Le renforcement effectif avec une participation inclusive de l’ensemble
des acteurs à la CENT dont la mise en œuvre devrait apporter une solution
acceptable à la crise politique.
17. Le 15 Mai 2019 l’Assemblée Nationale saisie, d’un projet de loi de
modification constitutionnelle par le Gouvernement votait la Loi N°2019-
003 portant modification de 29 articles de la Constitution dont les articles
59, 60 et 100. (Pièce N°3).
18. Le 13 Décembre 2019 alors que la Cour Constitutionnelle avait prévu le
premier tour de l’élection présidentielle pour entre le 19 février et 05 mars 2020, un communiqué du Gouvernement annonçait la recomposition
prochaine de la Cour Constitutionnelle. (Pièce N° 4)
19. L’article 100 nouveau de la Loi de modification constitutionnelle
N 2019/003 du 15 mai 2019 a fixé à neuf (9) le nombre des Juges composant
la Cour Constitutionnelle : Deux (2) élus par l'Assemblée Nationale ; Deux
(2) élus par le Sénat ; Deux (2) nommés par le Président de la République ;
Un (1) avocat élu par le Barreau ; Un (1) Magistrat élu par le Conseil
Supérieur de la Magistrature; Un (1) Enseignant Chercheur en Droit élu par
ses Paires.
20. Le Sénat prévu par la Constitution du 14 octobre 1992 n'a jamais été
installé ;
21. Les prérogatives d’élection des deux (2) juges de la Cour
Constitutionnelle étaient exercées par l’Assemblée Nationale en application
de l’article 155 des Dispositions Transitoires de la Constitution du 14
Octobre 1992.
22. La Loi de révision constitutionnelle du 15 Mai 2019 a abrogé l’article
155 empêchant ainsi la mise en place de la nouvelle Cour Constitutionnelle
prévue par l’article 100 nouveau désormais en vigueur.
23. Le 13 décembre 2019, un communiqué du Gouvernement annonce la
recomposition prochaine de la Cour Constitutionnelle en application de
l’article 100 nouveau ;
24. Dans la journée du 13 Décembre 2019 un projet de Loi Organique N°
2019/023 du 23 Décembre 2019 sur la Cour Constitutionnelle a été déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale, alors que le communiqué du Conseil
des Ministre de la même date ne fait pas état de l’adoption de ce projet de
Loi Organique sur la Cour Constitutionnelle par le gouvernement.
25. La Loi Organique sur la Cour Constitutionnelle qui fixe les conditions
de nomination et d’élection des nouveaux juges n’a pas encore été voté,
lorsque l’Ordre des Avocats a été invité par lettre du Ministre des Droits de
l’Homme et des relations avec les institutions de la République à élire son
représentant avant le 23 Décembre 2019. (Pièce n° 5)
26. La Loi Organique N°2019/023 du 23 Décembre 2019 sur la Cour
Constitutionnelle a été votée par l’Assemblée Nationale le 23 Décembre
2019 en violation de l’article 92 de la Constitution qui exige que les lois
organiques ne soient votées que 15 jours après la date de leur dépôt sur le
bureau de l’Assemblée Nationale.
27. Le 24 Décembre 2019 sans attendre l’avis de conformité prévu par
l’article 92 de la Constitution du 14 octobre 1992, de la Cour
Constitutionnelle, ni la publication de la Loi Organique, l’Assemblée
Nationale procéda à l’élection des deux juges, suivi par le collège des
Enseignants Chercheurs de l’Université et le Président de la République le
28 Décembre 2019.
28. Le 30 Décembre 2019, le Président de la République recevait le serment
de Sept (7) Juges au lieu de neuf (9) en présence du Président de l’Assemblée
Nationale et en l’absence du Président du Sénat ainsi que le prévoit la Loi
Organique N° 2019/023 du 23 Décembre 2019 sur la Cour Constitutionnelle.
29. A la date de la présente requête, le requérant n’a aucune information sur
la promulgation de cette Loi Organique. Elle n’a jamais été publiée au
Journal Officiel.
30. L’avocat élu par l’Ordre des Avocats l’a été à la majorité simple alors
que la Loi Organique N 2019/023 sur la Cour Constitutionnelle prévoit deux
tours ou le cas échéant une majorité absolue des membres composant le corps
électoral.
31. Il résulte de tout ce qui précède que la procédure de nomination des sept
(7) juges de la Cour Constitutionnelle a manqué de base légale.
32. Il s’agit d’une procédure totalement arbitraire qui viole les dispositions
des articles 15, alinéa 1, 2 et 17 alinéa 1 de la Charte Africaine de la
Démocratie, les articles 1, a, b, c, 3, 33 alinéa 1 et 2 du Protocole sur la
Démocratie. La Cour Constitutionnelle des sept (7) juges est une juridiction
incomplète et donc incompétente.
33. Cette recomposition de la Cour Constitutionnelle figure dans les
réformes constitutionnelles et institutionnelles préconisées par l’Accord
Politique Global de juillet 2006.
34. La 532" Session de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernements
de la CEDEAO reconnaissant le bien-fondé de cette recomposition l’a
recommandée dans la Feuille de Route contenue dans le communiqué final.
35. Que sur le total des 7 juges arbitrairement mis en fonction le 30
Décembre 2019, trois (3) siégeaient déjà dans la Cour dont la recomposition
est demandée par les acteurs politiques, l’Accord Politique Global et la 53 è"e Session de la Conférence de Chefs d’Etat et de Gouvernement de la
CEDEAO, en violation de l’article 100 nouveau qui limite à deux (2) les
mandats des juges.
36. Que saisie par une requête en invalidation de juges ayant accompli déjà
plus de deux mandats dans les précédentes formations de la Cour
constitutionnelle, la haute juridiction a refusé de constater l’inéligibilité de
ceux-ci et a rejeté la requête au motif que la Cour Constitutionnelle ne peut
contrôler une décision prise par l’Assemblée Nationale. (Pièce 7)
37. Qu'il ne fait aucun doute que l’installation d’une juridiction incomplète
ou de toute institution conçue pour entraver l’honnêteté des élections viole
les droits du requérant à des élections justes et équitables organisées dans un
cadre transparent de l’homme.
b. Moyens de droit
38. À l'appui de sa demande, le requérant invoque :
La Résolution 38 de la 53%" Session Ordinaire de la Conférence des
Chefs d'Etat et de Gouvernement, tenue le 31 juillet 2018, relative à la
recomposition de la Cour Constitutionnelle de la République do Togo;
Les articles 12 et 100 de la loi portant modification constitutionnelle
n° 2019/003 du 15 mai 2019 ;
L’ article 92 de la Constitution de la République Togolaise ;
Les articles 9 (1, (d) et (e)), 9 (4) et 10 du Protocole Additionnel
A/SP.1/05 relatif à la Cour de Justice de la Communauté, CEDEAO.
Les articles 3 (2) et (7), 4 (1), 10 (1) et (2), 15 (1) et (2), 17 (1) et (2),
23 (5) de la Charte Africaine sur la Démocratie et la Gouvernance,
Les articles 1 (a, b, c), 3, 33 (1 et 2) du Protocole A/SP1/12/01 sur la
Démocratie et la Bonne Gouvernance,
Les articles 7(a) et 13(1) de la Charte Africaine des Droits de l'Homme
et des Peuples, ainsi que les articles 1, 2, 8, 10, 21, alinéa 1 et 3 de la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
c. Conclusions du requérant :
39. Le requérant demande à la Cour de constater que :
i. la procédure de composition de la Cour Constitutionnelle ;
La composition incomplète de la Cour Constitutionnelle ;
Le vote de la Loi Organique N° 2019/023 du 23 Décembre 2019 sur la Cour
Constitutionnelle et la non-publication de celle-ci ;
La mise en fonction d’une Cour partielle et incomplète,
D’une part violent les instruments internationaux de promotion et de
protection des droits de l’homme ratifiés par la République Togolaise et
d’autre part, introduisent la rupture de l’égalité de droits des citoyens dans le
cadre légal des élections présidentielles de février 2020 ;
il. En conséquence, ordonner à l’Etat Togolais de reprendre la procédure de
composition et d’installation de la Cour Constitutionnelle, ainsi que le vote
de la Loi Organique N° 2019/023 du 23 Décembre 2019 sur la Cour
Constitutionnelle en respectant les instruments internationaux des droits de
l’homme qui l’engagent.
iii. Mettre la totalité des frais de procédure à la charge de la République
Togolaise.
VII - LES ARGUMENTS DU DEFENDEUR
a. Résumé des faits:
40. Les autorités de la République togolaise se sont engagées depuis
quelques années, dans un processus de décrispation du climat politique,
social et économique du pays à travers des mesures et des initiatives incluant
tous les acteurs nationaux de la vie socio-politique et économique, avec
l’implication d’organisations internationales et des pays étrangers ;
41. C’est dans ce cadre que les autorités du Togo ont entrepris de profondes
réformes institutionnelles et constitutionnelles dans un cadre de concertation
avec toutes la classe politique ainsi que les organisations de la société civile,
sans exclusive, dans le souci d’aboutir à des résultats consensuels ;
42. Malheureusement certaines réformes, principalement constitutionnelles,
ont été retardées par des blocages, contestations et refus systématiques d’une
partie de la classe politique togolaise, de toutes les initiatives et propositions
du gouvernement allant dans le sens des réformes souhaitées par tous ;
43. Alors que le gouvernement avait introduit un projet de loi à l’Assemblée
nationale portant sur la réforme de la loi fondamentale, l’opposition
parlementaire, dont le requérant était le chef de file, s’est opposée à
l’adoption du texte en voulant imposer uniquement son point de vue ;
44. Faisant malicieusement croire que le pouvoir en place ne voulait pas faire
des réformes constitutionnelles, certains partis de l’opposition réunis dans la
coordination de quatorze (14) partis de l’opposition dénommée la C14, ont commencé des manifestations violentes dans plusieurs localités du pays
entrainant malheureusement de nombreux dégâts matériels et humains ;
45. En dépit des tentatives d’intimidation et de blocage de toutes sortes, les
élections législatives se sont bien tenues et ont abouti à la mise en place d’une
nouvelle Assemblée nationale sans la C14 qui a boycotté les élections ;
46. A l’initiative du gouvernement, l’Assemblée nationale, nouvellement
installée, a voté la loi n° 2019-003 portant modification de certains articles
de la constitution, limitant, entre autres, le nombre de mandats présidentiels,
dans le strict respect des règles et procédures de révision de la Constitution ;
47. Comme personne n’a saisi la Cour constitutionnelle sur la régularité de
la révision constitutionnelle, la nouvelle Constitution est entrée en vigueur à
la suite de sa promulgation ;
48. Au cours du processus de l’élection présidentielle du 22 février 2020, la
Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui a reçu les
candidatures y comprises celles de monsieur Ab Ag AG et du
candidat du parti UNIR, le Président Faure Essozimna GNASSINGBE ; elle
en a dressé la liste qu’elle a transmise à la Cour constitutionnelle. Celle-ci
n’ayant enregistré aucune contestation dans le délai requis, a validé sept (07)
candidatures par sa décision du 17 janvier 2020 ;
49. C’est dans ce processus d’organisation de l’élection présidentielle du 22
février 2020 que le requérant, monsieur Ab Ag AG, a déposé sa
candidature conformément à la nouvelle Constitution ;
50. Monsieur Ab Ag AG a saisi la Cour constitutionnelle pour
contester, selon lui, la violation par le parlement de la procédure de révision
constitutionnelle. Sa requête a été déclarée irrecevable pour défaut de
qualité ;
51. Monsieur Ab Ag AG est revenu de nouveau à la charge en
saisissant la Cour constitutionnelle, cette fois-ci, pour faire constater
l’absence de base légale de la candidature d’un autre candidat à cette élection
présidentielle, après la décision de la Cour publiant la liste définitive des
candidats. Sa requête n’a pas prospéré ;
b ) Exception préliminaire
52. Le défendeur a soulevé les exceptions préliminaires suivantes :
a) Sur l'incompétence de la Cour pour examiner la requête portant sur
la matière électorale
53. Le présent recours de Monsieur Ab Ag AG, contre la
République togolaise porte uniquement sur le système électoral et
l’organisation de l’élection présidentielle.
54. Il n’en fait d’ailleurs pas un mystère, puisqu’il demande à la Cour de
céans d’ordonner à la République togolaise de reprendre l’organisation de
cette élection ;
Il a fait une fixation sur l’article 158 de la Constitution relatif aux conditions
d’éligibilité ;
55. Or, il est constant que la CICEDEAO est totalement incompétente en
matière électorale qui relève de la compétence des juridictions nationales ;
56. La CJCEDEAO ne saurait, en l’espèce, statuer sur la requête dont elle
est saisie sans s’immiscer dans les élections en République togolaise, ce qui
n’est pas son rôle ;
57. Il y a lieu de constater que la requête de monsieur Ab Ag AG
porte uniquement sur la matière électorale au Togo, et de déclarer que la
CJCEDEAO est incompétence pour y statuer.
b) Sur l'incompétence de la Cour pour exercer le contrôle de
constitutionnalité ou de légalité des actes pris par les institutions et
autorités nationales
58. La requête qui saisit la cour de céans vise la procédure d’adoption de
l’article 158 de la Constitution révisée et, selon le demandeur, le déni de
justice dont se serait rendue coupable la Cour constitutionnelle.
59. Le requérant conteste les décisions de la Cour constitutionnelle rendues
sur ses recours exercés contre la procédure de révision de l’article 158 de la
Constitution par l’Assemblée nationale et contre la candidature de l’un des
candidats à l’élection présidentielle, une manière peu subtile pour le
demandeur de déférer les décisions de la Cour constitutionnelle à la
CJCEDEAO, faisant d’elle une juridiction d’appel ;
60. Or, dans son arrêt n° ECW/CCJ/JUG/02/10 du 04 mars 2010, la
CJCEDEAO a décidé que « La Cour n’est pas une juridiction d’appel de décisions rendues par les juridictions nationales des Etats membres de la
CEDEAO en ce qui concerne leur domaine de compétence » ;
61. Par ailleurs, le requérant reproche à l’Assemblée nationale togolaise, la
prétendue violation de dispositions constitutionnelles, et de son règlement
intérieur dans l’adoption de l’article 158 al. 2 de la nouvelle Constitution ;
62. La Cour de justice de la CEDEAO est incompétente pour statuer sur la
régularité ou la légalité des actes pris par l’Assemblée nationale, et plus
généralement, sur la légalité des actes des autorités et institutions nationales
des Etats membres dans la procédure d’adoption de la nouvelle Constitution ;
63. En effet, par arrêt n° ECW/CCJ/JUD/05/11, la CICEDEAO a décidé ce
qui suit: «La Cour est incompétente pour exercer le contrôle de
constitutionalité ou de légalité des actes pris par les autorités nationales des
Etats membres en application de leur droit national » ;
64. La CICEDEAO est donc manifestement incompétente pour statuer sur la
requête de monsieur Ab Ag AG.
c) Sur l'irrecevabilité de la requête de Monsieur Ab Ag AG
Sur l’irrecevabilité de la requête de monsieur Ab Ag AG qui
n’a pas la qualité de victime.
65. Dans le cadre de ses prérogatives de protection des droits de l’homme, la
CJCEDEAO veille à ce que les conditions de sa saisine soient remplies ;
66. La Cour est saisie par des personnes victimes, conformément à l’article
10 nouveau du protocole additionnel (A/SP.1/01/05) du 19 janvier 2005.
67. En application de cet article, la Cour doit être saisie par des personnes
qui doivent justifier de leur qualité de victimes ;
68. En l’espèce, le requérant ne démontre pas sa qualité de victime de
prétendues violations des dispositions de la déclaration universelle des droits
de l’homme, du protocole A/SP1/12/01 de la démocratie et de la
gouvernance, de la charte africaine de la démocratie et de la gouvernance, et
de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
69. Qu'en l'espèce, le requérant à aucun moment n’a démontré sa qualité de
victime ;
70. Dans ces conditions, le requérant ne saurait se voir reconnaitre la qualité
de victime, et en conséquence, sa demande sur les allégations de violation de
la charte africaine des droits de l’homme et autres instruments
internationaux, doit être déclarée manifestement irrecevable pour défaut de
qualité ;
d) De l’irrecevabilité de la requête du requérant pour défaut d’intérêt à
agir
71. Le défendeur fait valoir qu’en l’espèce le requérant n’a aucun intérêt à
agir contre la loi n° 2019 — 003 du 15 mai 2019 portant modification de la
Constitution de la IVe République qui, par ailleurs, ne lui crée aucun
préjudice pour ne s’être pas adressée à lui personnellement et négativement.
Qu'il s’est librement porté candidat, a vu sa candidature validée, a compéti avec les autres candidats et a été battu sans résistance, n’ayant pas contesté
sa défaite en justice ;
72. Que le requérant ne démontre pas comment personnellement et
directement, il est touché par la révision constitutionnelle du 15 mai 2019
par l’Assemblée nationale et le dommage qu’il a subi ;
73. Que le requérant, nulle part dans sa requête, n’indique en quoi consiste
son préjudice et ses corrélations avec l’article 158 al. 2 de la loi, et avec les
décisions régulières et inattaquables de la Cour constitutionnelle qui, toutes
les deux fois, a constaté plutôt l’incurie des recours ;
74, Qu'il n’a même pas daigné au moins cette fois, dans le délai, faire même
un petit recours devant la Cour constitutionnelle contre ses mauvais résultats,
ce qui aurait tenté de soutenir son préjudice imaginaire ;
75. Il conclut que la requête de monsieur Ab Ag AG doit être
déclarée irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, en application de l’article
10 (d) nouveau du protocole relatif à la CICEDEAO tel qu’amendé par le
protocole additionnel du 19 janvier 2005 et de l’article 29 du code de
procédure civile togolais.
b. Moyens de droit
76. Le défendeur a fondé son allégation sur les articles 8 et 7 de la
Constitution de la République, 78, 79 et 89 du Code pénal, 131, 132 et 168
du Code de Procédure Pénale, tous en vigueur dans l'Etat du Niger .
c. Conclusions du défendeur :
77. Le défendeur demande à la Cour de :
En la forme :
i. Considérez le mémoire exceptionnel in limine litis de la République
togolaise;
Au Fond :
ii) Très subsidiairement dire et juger que la requête de monsieur Ab Ag
AG contre la République togolaise est devenue sans objet, est mal
fondée, et de le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions y
contenues ;
iii. Condamner le requérant aux entiers dépens.
VIII- MEMOIRE EN REPLIQUE
78. Le requérant a, dans sa réplique au mémoire en défense, répondu à
l'exception préliminaire soulevée par le défendeur,
réfuté les faits allégués par le défendeur, réitérant la compétence de cette
Cour pour examiner la présente affaire, puisque l'Etat togolais a pris sur lui
de se conformer aux résolutions prises par la 53ème Conférence des Chefs
d'Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, il est obligé de le faire dans le
respect des normes internationales ratifiées par lui et qui s’imposent lui ; que
ce sont les violations commises lors de la mise en œuvre des décisions actées
par le communiqué final qui fondent la compétence de la Cour à connaître
de ce différend ; que sa qualité de victime découle de ce que l’application de ces textes contraires aux droits de l’homme constitue d’une part, une
violation du principe de l’égalité devant la loi et les charges publiques, la
compétence et l’impartialité des juridictions telles qu’elles résultent des
instruments juridiques internationaux cités.
IX- MEMOIRE EN DUPLIQUE
79. Dans son mémoire en duplique, le défendeur a réitéré l'incompétence de
la Cour en invoquant les mêmes motifs allégués dans son mémoire en
défense.
X- PROCÉDURES DEVANT LA COUR
Sur la procédure accélérée
80. Comme déjà mentionné au paragraphe 6 du présent Arrêt, le requérant a
déposé, avec la requête introductive d’instance, une demande de procédure
accélérée, conformément aux dispositions de l'article 59 du Règlement de la
Cour, affirmant qu'il est candidat à l’élection présidentielle dont le premier
tour est fixé au 22 février 2020 ; Que la Cour Constitutionnelle intervient en
amont et en aval dans le processus de l’élection présidentielle, règle le
contentieux et proclame les résultats définitifs et que, par conséquent, il est
donc fondé à introduire la requête sollicitant la procédure d’urgence.
81. À cet égard, la Cour considère que l'ouverture de la phase orale, avec la
fixation de la date de l'audition des parties a rendu la demande
susmentionnée manifestement inutile, et qu'elle doit donc être déclarée nulle.
XI- SUR LA COMPETENCE 82. Le défendeur a soulevé l'incompétence de la Cour pour connaître de la
présente affaire, sur la base des motifs suivants :
a) Incompétence de la Cour pour examiner la requête portant sur la
matière électorale
83. Le défendeur prétend que le présent recours de Monsieur Ab Ag
AG, contre la République togolaise porte uniquement sur le système
électoral et l’organisation de l’élection présidentielle.
84. Qu'il est constant que cette Cour est totalement incompétente en matière
électorale qui relève de la compétence des juridictions nationales.
85. La CJCEDEAO ne saurait, en l’espèce, statuer sur la requête dont elle
est saisie sans s’immiscer dans les élections en République togolaise, ce qui
n’est pas son rôle ;
86. Il conclut que la Cour doit se déclarer incompétente pour statuer sur ce
point.
b) Sur l'incompétence de la Cour pour exercer le contrôle de
constitutionnalité ou de légalité des actes pris par les institutions et
autorités nationales
87. La requête qui saisit la cour de céans vise la procédure d’adoption de
l’article 158 de la Constitution révisée et, selon le demandeur, le déni de
justice dont se serait rendue coupable la Cour constitutionnelle.
88. Le requérant conteste les décisions de la Cour constitutionnelle rendues
sur ses recours exercés contre la procédure de révision de l’article 158 de la
Constitution par l’Assemblée nationale et contre la candidature de l’un des
candidats à l’élection présidentielle, une manière peu subtile pour le
demandeur de déférer les décisions de la Cour constitutionnelle à la
CIJCEDEAO, faisant d’elle une juridiction d’appel.
89. Or, dans son arrêt n° ECW/CCJ/JUG/02/10 du 04 mars 2010, la
CJCEDEAO a décidé que « La Cour n’est pas une juridiction d'appel de
décisions rendues par les juridictions nationales des Etats membres de la
CEDEAO en ce qui concerne leur domaine de compétence » ;
90. Par ailleurs, le requérant reproche à l’Assemblée nationale togolaise, la
prétendue violation de dispositions constitutionnelles, et de son règlement
intérieur dans l’adoption de l’article 158 al. 2 de la nouvelle Constitution ;
91. La Cour de justice de la CEDEAO est incompétente pour statuer sur la
régularité ou la légalité des actes pris par l’Assemblée nationale, et plus
généralement, sur la légalité des actes des autorités et institutions nationales
des Etats membres dans la procédure d’adoption de la nouvelle Constitution ;
92. En effet, par arrêt n° ECW/CCJ/JUD/05/11, la CICEDEAO a décidé ce
qui suit: «La Cour est incompétente pour exercer le contrôle de
constitutionalité ou de légalité des actes pris par les autorités nationales des
Etats membres en application de leur droit national » ;
93. Elle conclut que la Cour est manifestement incompétente pour statuer sur
la requête de monsieur Ab Ag AG.
94.Sur cette exception préliminaire, le requérant a rétorqué que la résolution
prise par la 53%" Session de la Conférence des Chefs d'Etat et de
Gouvernement de la CEDEAO contenait des obligations contraignantes pour
l'Etat défendeur et que ce sont les violations commises lors de la mise en
œuvre des décisions actées par le communiqué final qui fondent la
compétence de la Cour à connaître de ce différend
95. Elle réaffirme également que la compétence de la Cour est basée sur les
dispositions des articles 9.1, d et e, 9.4 et 10 du Protocole Additionnel
A/SP.1/05 relatif à la Cour. Que ces textes donnent pleine compétence à la
juridiction Communautaire pour connaitre de tout litige relatif à la violation
des droits de l’homme dans tout Etat membre et statuer sur les manquements
des Etats membres aux obligations qui leur incombent en vertu du Traité, des
Conventions et Protocoles, des Règlements, des Décisions et Directives de
la CEDEAO ;
96. Selon une jurisprudence constante, cette Cour n'est pas effectivement une
Cour d'appel, ni de Cassation ou de Reformatio des décisions rendues par les
juridictions nationales, comme l'a mentionné le défendeur. Voir, entre autres,
Ac B c. LA RÉPUBLIQUE DU NIGERIA), Arrêt du 7 octobre
2005, Affaire N° ECW/CCJ/02/05, par. 32)
97.Cela signifie qu'il ne relève pas du mandat de la Cour de réexaminer une
décision rendue par une juridiction d'un État membre, afin de la confirmer
ou de la révoquer. (Voir les affaires MOUSSA LÉO KEITA c. RÉPUBLIQUE
DU MALI, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/03/07 du 22 mars 2007, (2004-2009)
CCI, LR, p. 73 & 30; BAKARY SARRE & 28 ORS c. LA RÉPUBLIQUE DU MALI, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/03/11 du 17 mars 2011, p. 22; Z
Af Ad Ae c. ETAT DE CÔTE D'IVOIRE, Arrêt N°
ECW/CCJ/JUD/12/20 du 8 juillet 2020, par.172 et 173).
98. De même, dans le même sens, la Cour a souligné, dans l'affaire MM.
ABDOULAYE BALDE & AUTRES c. REP DU SÉNÉGAL, Arrêt N°
ECW/CCJ/JUD/04/13 par. 72, que « (.…)II est de jurisprudence constante
qu’elle n'a pas pour mandat d'examiner les lois nationales des États
membres ou de réviser les décisions rendues par les tribunaux nationaux des
États membres ».
99. Toutefois, il convient de noter que, dans le cadre de son mandat en
matière de droits de l'homme, la Cour a réaffirmé sa compétence pour
analyser les décisions des tribunaux des États membres ou le droit national
chaque fois qu'il s'agit de vérifier s’ils violent ou non les droits de l'homme.
100. Voir, à cet égard l'affaire, AP AK et 3 AUTRES c.
LA RÉPUBLIQUE DU MALI, Arrêt N ° ECW/CCJ/JUD/11/16 du 17 mai
2016, Affaire N° ECW/CCJ/APP/39/15, p. 11 et 12, par. 45 à 49, où il est
indiqué que : « ( … ); Qu'en effet, lorsqu'une décision de justice est, en elle-
même attentatoire aux droits de l’homme, il va de soi que le juge
communautaire, qui a reçu mandat de protéger les droits des citoyens de la
communauté, ne saurait avoir d'autre choix que d’intervenir et dénoncer
cette violation; Qu'il ne saurait rester inerte face à une violation flagrante
des droits de l'homme, peu importe l'acte qui est à l’origine de cette
violation ; Qu’il ne s’agit pas pour lui ici de contrôler la légalité d’une
décision rendue par une juridiction nationale mais de constater la violation
manifeste des droits de l’homme contenue dans un acte judiciaire ; Qu’il
faut en effet distinguer le contrôle opéré sur la légalité d’une décision
rendue par une juridiction nationale et la constatation d’une violation des droits de l’homme résultant d’une décision de justice ; Que si le juge
communautaire ne peut apprécier la bonne application des textes de droit
interne par les juges nationaux, il reste compétent pour relever les
violations des droits de l’homme même lorsqu’elles ont pour origine une
décision rendue par un juge d’un des Etats membres ; Que le juge des
droits de l’homme qu’il est, ne remplirait pas son rôle de protecteur des
droits de l’homme, s’il devait laisser échapper des violations flagrantes des
droits de l’homme, contenues dans des décisions des juridictions
nationales. » (caractères gras ajoutés)
101. Ou encore, comme la Cour l'a souligné dans l'affaire FÉDÉRATION
DES JOURNALISTES AFRICAINS c. LA RÉPUBLIQUE DE GAMBIE, «
elle n'examine pas, concrètement, les lois des États membres puisqu'elle n'est
pas une Cour constitutionnelle mais, une fois que des violations des droits
de l'homme sont alléguées, elle se déclare compétente pour examiner s'il y a
eu ou non violation. » ( page31).
102. En l'espèce, compte tenu des demandes formulées par le requérant, il
convient de conclure que la Cour n'a été saisie d'aucune décision de la Cour
constitutionnelle ni d'aucune appréciation de la légalité d'une quelconque
législation nationale.
103. Selon le requérant, griefs articulés dans la présente requête concernent
les manquements aux obligations qui incombent à la République Togolaise
relativement aux Résolutions de la 53°" Session ordinaire de la Conférence
des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDFAO, aux dispositions de la
Charte Africaine sur la Démocratie, au Protocole Additionnel A/SP1/12/01
et aux violations constatées dans la procédure de recomposition de la Cour Constitutionnelle, affirmant que ces manquements violent les instruments de
protection des droits de l'homme invoqués.
104. Ainsi, la Cour conclut que cet argument du défendeur est également non
fondé et doit donc être rejeté.
105. La compétence de cette Cour est régie par l'article 9 du Protocole
A/P1/7/91 relatif à la Cour, tel qu'amendé par le Protocole Additionnel
A/SP.1/01/05.
106. L'article 9 (4) susmentionné dispose que :
« La Cour est compétente pour connaître des cas de violation des droits de
l'homme dans tout État membre. »
107. Selon la jurisprudence de la Cour, sa compétence ne peut être remise en
cause lorsque les faits invoqués ont trait aux droits de l'homme. (Voir l'affaire
HISSÈNE HABRÉ c. REPUBLIQUE DU SENEGAL, Arrêt N°
ECW/CCJ/RUL/03/2010, CCIJRL (2010) p. 43, 8 53-61 ; AK
A c. RÉPUBLIQUE DU NIGER, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/05/10,
CCIRL (2011) p. 105 ss., AM AO Ai c. RÉPUBLIQUE
FÉDÉRALE DU NIGÉRIA, Décision N° ECW/CCJ/RUL/05/11, CCJRL
(2011) p. 121 ss.)
108. Cette position de la Cour a été réaffirmée de manière permanente dans
plusieurs arrêts, ce qui rend indiscutable que, dans une affaire, la simple
invocation d'une violation des droits de l'homme suffit à donner compétence
à cette Cour et elle se déclarera compétente sans nécessairement examiner la
véracité de l’allégation. (Voir l'affaire DR. Aa Ah AH c.
RÉPUBLIQUE DU LIBÉRIA & 4 AUTRES, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/24/19
109. En outre, s'agissant de l'article 9 (4) susmentionné, la Cour a, dans
l'affaire SAWADOGO PAUL & 3 AUTRES c. RÉPUBLIQUE DU BURKINA
FASO, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/07/20, 821 déclaré que « Il ressort de cette
disposition que deux conditions doivent être réunies pour que la Cour puisse
exercer sa compétence à l'égard d'une requête qui lui est soumise : a) il doit
y avoir une allégation de violation des droits de l'homme et b) cette violation
doit avoir eu lieu dans le territoire de l'État membre contre lequel la requête
a été introduite ».
110. En l'espèce, étant donné que le requérant fonde sa requête introductive
d'instance sur une prétendue violation des droits de l'homme, la Cour se
déclare compétente pour connaître de l'affaire.
XII-Sur la recevabilité:
111. Pour statuer sur la recevabilité de la présente action, il convient
d'examiner les exceptions préliminaires soulevées par l'Etat défendeur.
112. Le défendeur fait valoir, à l'appui de l'irrecevabilité de la demande du
requérant, que ce dernier n'a pas la qualité de victime et que, par
conséquent, il n'a aucun droit d'agir.
113. Selon le défendeur, la Cour est saisie par des personnes victimes,
conformément à l’article 10 nouveau du Protocole Additionnel
(A/SP.1/01/05) du 19 janvier 2005.
114. En application de cet article, la Cour doit être saisie par des personnes
qui doivent justifier de leur qualité de victimes ;
115. En l’espèce, le requérant ne démontre pas sa qualité de victime de
prétendues violations des dispositions de la Déclaration Universelle des
Droits de l’Homme, du Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la
Gouvernance, de la Charte Africaine de la Démocratie et de la Gouvernance,
et de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ;
116. Qu'à aucun moment le requérant n’a démontré sa qualité de victime, et
en conséquence, sa demande sur les allégations de violation de la Charte
Africaine des Droits de l’Homme et d'autres instruments internationaux, doit
être déclarée manifestement irrecevable, pour défaut de qualité ;
117. Le défendeur fait valoir qu’en l’espèce le requérant n’a aucun intérêt à
agir contre la loi n° 2019 — 003 du 15 mai 2019 portant modification de la
Constitution de la IVe République qui, par ailleurs, ne lui crée aucun
préjudice pour ne s’être pas adressée à lui personnellement et négativement.
Il s’est librement porté candidat, a vu sa candidature validée, a compéti avec
les autres candidats et a été battu sans résistance, n’ayant pas contesté sa
défaite en justice ;
118. Que le requérant ne démontre pas comment personnellement et
directement, il est touché par la révision constitutionnelle du 15 mai 2019
par l’Assemblée nationale et le dommage qu’il a subi ;
119. Que le requérant, nulle part dans sa requête, n’indique en quoi consiste
son préjudice et ses corrélations avec l’article 158 al. 2 de la loi, et avec les décisions régulières et inattaquables de la Cour constitutionnelle qui, toutes
les deux fois, a constaté plutôt l’incurie des recours ;
120. Il conclut que la requête de monsieur Ab Ag AG doit être
déclarée irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, en application de l’article 10
(d) nouveau du Protocole relatif à la CIECOWAS, tel qu‘amendé par le
Protocole additionnel du 19 janvier 2005.
121. Le requérant a, dans sa réplique, fait valoir qu'attendu que l'Etat
défendeur a pris des dispositions attentatoires à ses droits, il est recevable à
en demander la sanction devant la juridiction communautaire ; que sa qualité
de victime découle de ce que l'application de ces textes contraires aux droits
de l'homme constitue, d'une part, une violation du principe de l'égalité devant
la loi et les charges publiques et, d'autre part, une violation de la compétence
et de l'impartialité des juridictions telles qu’elles résultent des instruments
juridiques internationaux cités .
122. Comme prévu à l'article 10 d) du Protocole A/P1/7/91, relatif à la Cour,
tel qu'amendé par le Protocole Additionnel A/SP.1/01/05:
« Peuvent saisir la Cour :… Toute personne victime de violations des droits
de l’homme … ».
(i) « La demande soumise à cet effet ne doit pas être anonyme et
(ii) ne sera pas portée devant la Cour de Justice de la Communauté
lorsqu'elle a déjà été portée devant une autre Cour internationale
compétente ».
123. Comme le soutient le défendeur, pour étayer une action concernant la
violation des droits de l'homme, il faut que le requérant soit victime et que
l'Etat défendeur soit responsable des violations alléguées. (Voir les Arrêts
N° ECW/CCJ/RUL/04/09, rendu en dans l'affaire MUSA AN c.
RÉPUBLIQUE DE GAMBIE (843), ECW/CCJ/JUD/05/11, dans l'affaire
CENTRE POUR LA DEMOCRACIE ET LE DEVELOPPEMENT (C.D.D.
) ET AUTRE c. MAMADU TANDJA ET REPUBLIQUE DU NIGER (827)
et plus récemment, l’Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/06/19, rendu dans l'affaire
REV. FR. SALOMON MFA & 11 AUTRES c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE
124. Par conséquent, le critère essentiel d’une plainte en matière de droits
humains est que le requérant soit victime de la violation des droits de
l'homme et que ce dernier doit prouver son locus standi, dans l'affaire. (Voir
Arrêt N° ECW/CCJ/RUL/05/11, du 1” juin 2011, rendu dans l'affaire,
AM AO Ai c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA,
828 et 29 et Arrêt N° ECW/CCJ/RUL/07/12, du 15 mars 2012, rendu dans
l'affaire, ALHAJI MUHAMMED IBRAHIM HASSAN V. GOUVERNEUR DE
L'ÉTAT DE GOMBE & GOUVERNEMENT FÉDÉRAL DU NIGERIA, ($
46.)
125. La Cour souligne dans les affaires précitées, AJ AL &
33 ORS ; X C & 4 SRO ; TOMEKPELANOU & 29 ORS c.
RÉPUBLIQUE DU TOGO (& 24) que « Pour prétendre victime, il doit
exister un lien suffisamment direct entre un requérant et le préjudice qu'il
estime avoir subi du fait de la violation alléguée. »
126. A cet égard, la Cour, dans l'affaire ODAFE OSERADA c. CONSEIL
DES MINISTRES ET AUTRES, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/01/08, AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/05/07, CCILR 2014-2009 — page 177 8 33 et 34, pour
n'avoir rien trouvé dans les faits et moyens du requérant, qui se traduise par
un certain préjudice causé à son encontre, en tant qu'individu, a déclaré : « II
ne suffit pas pour que le recours en appréciation de la légalité contre un acte
soit recevable, que cet acte affecte d’une manière quelconque le requérant ;
encore faut-il qu’il existe une relation suffisamment directe de cause à effet
(...) En outre, le requérant doit être directement et individuellement concerné
par l'acte attaqué. Autrement dit, le requérant doit établir ou démontrer que
le Règlement attaqué le concerne directement et individuellement. Il s’agir
là de deux conditions cumulatives et dès lors que l'une des deux n'est pas
satisfaite, le recours est irrecevable ».
127. Pour en revenir à la présente affaire, il convient de noter que, d'après
l'ensemble des faits allégués et leurs moyens, il n'y a aucune allégation selon
laquelle la qualité de victime du requérant peut être établie. En d’autres
termes, le requérant ne prétend pas avoir subi de préjudice du fait de la
violation alléguée des instruments de protection des droits de l'homme
invoqués.
128. Ce constat découle de l'analyse de la requête introductive dans laquelle
le requérant a déclaré que le litige est fondé sur les manquements aux
obligations qui incombent à la République Togolaise relativement aux
Résolutions de la 53%" Session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat
et de Gouvernement de la CEDEAO, les dispositions de la Charte Africaine
de la Démocratie, le Protocole Additionnel A/SP1/12/01 et les violations
constatées dans la procédure de recomposition de la Cour Constitutionnelle,
alléguant que ces manquements violent les instruments de protection des
droits de l'homme invoqués.
129. Dans sa réplique, le requérant a en outre fait valoir que l'Etat togolais a
pris sur lui de se conformer aux résolutions prises par la 53°"° Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, il est obligé de le faire
dans le respect des normes internationales ratifiées par lui et qui s’imposent
lui ; que ce sont les violations commises lors de la mise en œuvre des
décisions actées par le communiqué final qui fondent la compétence de la
Cour à connaître de ce différend ; que sa qualité de victime découle de ce que
l’application de ces textes contraires aux droits de l’homme constitue d’une
part, une violation du principe de l’égalité devant la loi et les charges
publiques, la compétence et l’impartialité des juridictions telles qu’elles
résultent des instruments juridiques internationaux cités.
130. Il a également affirmé qu'au regard de l’imminence des transgressions
redoutées, et en raison des décisions iniques rendues par la Cour
Constitutionnelle, il est fort à craindre que la République Togolaise ne viole
de nouveau le droit à l’égalité devant la loi du candidat Ab Ag AG.
131. À aucun moment le requérant ne précise comment et de quelle manière
les violations ou violations imminentes du principe d'égalité devant la loi ou
de la compétence et de l'impartialité des tribunaux, qu'il reproche à l'Etat
défendeur, se sont produites ou comment elles ont eu un impact sur sa sphère
personnelle ou juridique.
132. En d'autres termes, le requérant ne s'identifie pas effectivement comme
victime de violations des droits de l'homme, se limitant à un argument
générique et subjectif.
133. Par conséquent, n'étant pas une victime, le requérant n'a pas qualité pour
saisir la Cour d'une violation des droits de l'homme.
134. D'autre part, étant donné que le requérant soutient et admet que le
présent recours est fondé sur les manquements aux obligations qui incombent
à la République Togolaise relativement aux Résolutions de la 53°"° Session
ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la
CEDEAO, aux dispositions de la Charte Africaine de la Démocratie, au
Protocole Additionnel A/SP1/12/01 et les violations constatées dans la
procédure de recomposition de la Cour Constitutionnelle, invoquant que ces
manquements violent les instruments de protection des droits de l'homme.
135. Il résulte de l'article 9 d) du Protocole relatif à la Cour, tel qu’amendé
par le Protocole Additionnel (A./SP.1/01/05) que :
« 1. La Cour a compétence sur tous les différends, qui lui sont soumis et qui
ont pour objet:
d) l’examen des manquements des Etats membres aux obligations qui leur
incombent en vertu du Traité, des Conventions et Protocoles des Règlements,
des décisions et des directives;
136. Et comme il résulte de l'article 10 (a) du même Protocole Additionnel
« Peuvent saisir la Cour :
(a) Tout Etat membre et, à moins que le Protocole n’en dispose
autrement, le Secrétaire Exécutif, pour les recours en manquement
aux obligations des Etats membres » .
137. Cela signifie qu'en cas de manquement par l'Etat défendeur des
obligations imposées par les décisions prises par la 53°" Session de la
Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, le
requérant n'a pas qualité pour saisir cette Cour, puisque cette possibilité n'a été conférée par la disposition précitée qu'aux États membres et au Président
de la Commission.
138. D'autre part, étant donné que le requérant n'a pas précisé comment les
violations qu'il reproche à l'État défendeur l'ont affecté, c'est-à-dire si elles
ont eu un impact négatif ou personnel direct sur lui, il faut conclure qu’il n'a
pas le locus standi pour introduire la présente action. (Voir M. AI
MBA C. RÉPUBLIQUE DU GHANA & 16 AUTRES, ECW/CCJ/JUD/30/18
@ page 16-17, non publié et FÉDÉRATION DES JOURNALISTES
AFRICAINS & 4 AUTRES C. RÉPUBLIQUE DE GAMBIE
ECW/CCJ/JUD/04/18 @ p. 17 ans, non publié)
139. Dans ce sens et dans les termes exposés ci-dessus, cette Cour conclut
que, dans cette partie, l'exception préliminaire soulevée par l'État défendeur
est fondée et que, par conséquent, le présent recours doit être déclaré
irrecevable et rejeté.
XIII-SUR LES DEPENS:
140. En l'espèce, les parties demandent une condamnation réciproque aux
dépens.
141. Conformément à l'article 66 du Règlement de la Cour « (1)1I est statué
sur les dépens dans l'arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. et "(2)
Toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce
sens. » 142. Conformément au numéro 2 de l'article précité, le requérant est
condamné aux dépens.
XIV. DISPOSITIF
143. En ces termes, la Cour :
i) Se déclare compétente pour connaître du litige.
ii) Déclare la requête introductive irrecevable et la rejette en conséquence.
Sur les Dépens:
iii. Le requérant supportera les dépens qui doivent être calculés par le
Greffier en chef.
Ont signé :
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA- Président
Hon. Juge Keikura BANGURA-Membre
Hon. Juge Januäria T. S. M.COSTA-Membre/Rapporteur
Assistés de :
Dr. Athanase ATANNON Greffier en chef adjoint
144. Fait à Y, le 22 mars 2022, en portugais et traduit en anglais et en
français.



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 22/03/2022
Date de l'import : 14/04/2023

Numérotation
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/08/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2022-03-22;ecw.ccj.jud.08.2022 ?
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