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22/03/2022 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/07/22

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 22 mars 2022, ECW/CCJ/JUD/07/22


Texte (pseudonymisé)
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES ÉTATS
DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
Dans l’Affaire
X AG ET AUTRES
ETAT DU NIGER
Affaire N° ECW/CCJ/APP/51/18/REV-Arrêt ECW/CCJ/JUD/07/22
Arrêt
ACCRA
22 Mars 2022 AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/51/18/REV
ARRÊT N° ECW/CCJ/ JUD/07/22
Entre,
X AG, A Ao, Ag Ah et Ac
A Z
ET,
L'ETAT DU NIGER DEFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA — Président
Hon. Juge Dupe -ATOK

I - Membre
Hon. Juge Januäria Tavares Silva Moreira COSTA - Membre/Rapporteur
Assistés de :
Dr.Athanase Atannon ...

COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES ÉTATS
DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
Dans l’Affaire
X AG ET AUTRES
ETAT DU NIGER
Affaire N° ECW/CCJ/APP/51/18/REV-Arrêt ECW/CCJ/JUD/07/22
Arrêt
ACCRA
22 Mars 2022 AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/51/18/REV
ARRÊT N° ECW/CCJ/ JUD/07/22
Entre,
X AG, A Ao, Ag Ah et Ac
A Z
ET,
L'ETAT DU NIGER DEFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA — Président
Hon. Juge Dupe -ATOKI - Membre
Hon. Juge Januäria Tavares Silva Moreira COSTA - Membre/Rapporteur
Assistés de :
Dr.Athanase Atannon - Greffier en chef adjoint I. REPRÉSENTATION DES PARTIES :
Me. Idrissa Tchernaka Gecsseeeesses cesse scene , Avocats des requérants
L'Agent Judiciaire de l'Etat (AJE) , pour l'Etat défendeur
IL. ARRET
1- Cet arrêt de la Cour est rendu en audience publique virtuelle, conformément à
l'article 8 (1) des Instructions Pratiques sur la Gestion Électronique des Affaires
et des Audiences Virtuelles de la Cour de 2020.
II[- DESCRIPTION DES PARTIES
2. Les requérants sont des ressortissants nigériens et chefs de famille au sein de la communauté exploitante du site appelé Ap Aa, demeurant à Niamey.
3. Le défendeur est l'État du Niger, État membre de la CEDEAO et signataire de la Charte africaine.
4. En l'espèce, après le prononcé de l’Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/13/2020 le 8 juillet
2020, qui a statué sur le fond de l’affaire, les requérants ont, conformément à
l'article 92 du Règlement de la Cour, sollicité la révision de l’Arrêt rendu,
alléguant que la Cour a fondé sa décision sur le Titre Foncier N° 18 qu'ils n'ont
pas eu la possibilité d'examiner ; que la Cour n'a pas pris en compte la destruction
de leurs biens personnels et la privation de leurs droits d'occupation, qui auraient
pu être reconnus bien que la Cour nie qu'ils soient propriétaires de la parcelle
litigieuse et, enfin, que la Cour au sujet de la discrimination ignore le contenu du
titre de morcellement du citoyen C, qui démontre sans ambigüité que sa parcelle se trouve dans les bornes du même soi-disant Titre Foncier N°18 que la
parcelle litigeuse.
V. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
5. Par requête enregistrée au greffe de cette Cour le 5 octobre 2020 (Doc.1)
accompagnée de 7 pièces jointes, les requérants demandent la Révision de l’ Arrêt
N° ECW/CCJ/JUD/1/20, rendu le 8 juillet 2020 dans l'affaire précitée, dont le
défendeur a été notifiée le 8 octobre 2020.
6. L'Etat défendeur a présenté son mémoire en défense (Doc. 2) le 18 novembre
2020 et les requérants en ont été notifiés le 19 novembre 2020.
7. En réponse au mémoire en défense présenté par le défendeur, les requérants ont
présenté leur mémoire en réplique (Doc. 3) qui a été enregistrée le 30 décembre
2020 et notifié au défendeur le 20 janvier 2021.
8- Les parties ont été entendues lors d'une audience virtuelle tenue le 20 septembre
2021, au cours de laquelle elles ont comparu et formulé leurs observations orales.
9. Le procès a été reporté au 22 mars 2022.
VI. LES ARGUMENTS DES REQUERANTS
a. Résumé des faits
10. À l’appui de leur demande, les requérants soutiennent :
11. Qu'ils ont saisi, le 19 octobre 2018, la Cour de Justice de la CEDEAO d’une requête contre l’Etat du Niger, enregistrée au Greffe de la Cour sous l’Affaire N° ECW/CCJ/APP/51/18. (Annexe A1) 12. Qu’après son audience tenue le 7 février 2020, la Cour a rendu son arrêt N° ECW/CCJ/JUG/13/2020 le 8 juillet 2020, notification de l’arrêt a été faite à l’avocat des requérants le 14 juillet 2020 par courrier DHL.
13. La Cour a débouté les parties de toutes les prétentions, en déclarant que :
« Le droit de propriété n’a pas été violé par le défendeur, les requérants n’ont pas pu prouver leur droit de propriété sur ces biens ».
Rejette toutes les autres demandes dépendant du bien-fondé de la violation du droit de propriété, comme étant non fondées ».
14. Que c'est à la suite de cette décision qu'ils déposent une requête aux fins de révision de l’Arrêt N° ECW/CCJ/JUG/13/2020, pour les motifs exposés ci- dessous.
15. Qu'ils ont pris connaissance de la première base de révision le 29 juillet 2020, le jour où ils ont pu déterminer que le défenseur n’a jamais présenté TF N° 18 devant la Cour.
16. Qu'ils ont pris connaissance des deuxième et troisième bases de révision le 14 juillet 2020, le jour où ils ont été notifiés par courrier de l’arrêt de la Cour et ont obtenu de nouvelles preuves au sujet de la troisième base de révision le 9 septembre 2020.
17. Ils ont donc conclu que la requête est présentée dans le délai prévu.
18. Et, parmi les motifs allégués de révision, ils invoquent :
a. Sur le défaut de communication du Titre Foncier N°18
19. À l'appui de leur demande, les requérants soutiennent que :
20. Dans son arrêt, la Cour déclare que le droit de propriété des requérants est contredit par un « titre foncier affiché par l’Etat ».
21. Selon l’enquêteur engagé par les requérants, ce titre foncier ne figure pas dans le dossier ; apparemment, la Cour a basé son jugement sur un document que ni elle, ni les requérants n’ont jamais vu. Si, en revanche, l’Etat du Niger a produit ce titre foncier n°18 à la Cour, ce document n’a jamais été communiqué aux requérants, qui par conséquent n’ont pas eu la chance de le réfuter.
22. De toute façon, le principe du contradictoire n’a pas été respecté.
23. La Cour a rendu sa décision dans cette affaire en se basant sur l’existence du
titre foncier N° 18 pour débouter les requérants de leurs prétentions du droit à la propriété.
24. Dans la plainte initiale, les requérants ont démontré que l’Etat n’a pas soulevé ce soi-disant titre dans plusieurs années de litige, qu’il n’a jamais produit ce titre au cours du litige, que les aïeux de Ap Aa n’ont aucun mémoire de l’expropriation de leur terre, et que malgré une recherche active dans les archives coloniales à Dakar, on a trouvé aucune trace d’un tel titre.
25. Le défendeur n’a jamais pu apporter de pièce qui aurait contesté ces preuves.
26. Le statut de ce document est essentiel parce que, s’il n’existe pas ou n’est pas valide, l’Etat n’a jamais eu le droit de disposer de la parcelle litigieuse par voie de titre foncier N° 30637, le titre de morcellement qui se déclare être dérivé par le titre N° 18 ;
27. Les requérants, qui sont les occupants et propriétaires coutumiers selon les documentations de l’Etat, donc ne pourraient pas être privés de leur terre sans les protections prévues.
28. Selon la règle établie par cette Cour dans le cas Ak B Af c Ab Aj, si le défendeur a produit ce titre foncier contesté, le document aurait dû être divulgué aux requérants.
29. Si le défendeur ne l’a pas produit, la Cour n’aurait pas dû baser son jugement sur ledit titre foncier n° 18 sans ordonner que le défendeur le divulgue à la Cour et aux requérants pour leur donner la chance de le réfuter.
30. Contre toute attente, la Cour déboute les requérants sur la base d’une pièce qui n’a jamais été communiquée.
31. D’où la nécessité d’une révision de l'arrêt rendu.
b. Sur le droit à la compensation pour les biens détruits 32. Les requérants estiment que la Cour a omis de considérer leurs droits aux biens personnels et à l’habitation.
33. La Cour ne pourrait pas tout simplement ignorer les droits des requérants à être dédommagés pour le préjudice subi du fait de la destruction des biens construits sur le site de Ap Aa, même si la Cour rejette leur droit de propriété sur ces terres.
34. La Cour n’a pas pris en compte la « voie de fait » ou « faute » commise par l’Etat au moment de la destruction des plantations et des ouvrages réalisés à grands frais par les requérants.
35. Le fait que l’Etat a déguerpi de force les requérants des terres qu’ils occupaient en détruisant tous leurs biens sans avoir suivi les procédures en la matière, sans indemniser les requérants des pertes subie, n’est pas contesté.
36. En fait, le défenseur l’admet dans son mémoire de réplique.
37. Mais, le jugement présume que la non-reconnaissance du droit de propriété des requérants annule tous leurs autres droits tel que le droit à être dédommagé.
38. Mais même si les requérants ne pouvaient pas être reconnus comme propriétaires du terrain, ils avaient toujours des droits de propriété qui auraient dû être indemnisés, tels que l'occupation légale et pacifique et la propriété de biens personnels tels que les cultures et les maisons.
39. Cela aurait servi de base alternative et indépendante pour un jugement en faveur des requérants, et aurait pu être tranché malgré la décision de nier leur droit de propriété.
40. Il est indéniable que les requérants ont droit à réparation pour la destruction des biens se trouvant sur le site, et aussi pour leurs intérêts économiques quant à l’habitation paisible du site.
41. Débouter les requérants de leur droit à la propriété ne doit pas affecter le droit des requérants à l’indemnisation de leurs biens personnels injustement détruits.
42. Etant donné que l’Etat ne conteste pas qu’il a détruit les biens personnels des requérants et les ont privés de leur intérêt économique dans le site de Ap Aa, la Cour aurait forcément ordonné l’indemnisation de ces actifs si elle l’avait considérée.
c. Le Titre Foncier N° 25096 du citoyen C et le Titre Foncier N° 30637, délivré à Summerset, ont la même origine.
43. Dans leur requête à la Cour, les requérants ont démontré que M. C A Ai, l’acheteur d’une parcelle de terre qui était contigu au terrain de Ap Aa et qui était d’un caractère juridiquement identique au terrain litigieux, a profité d’un traitement préférentiel et discriminatoire par rapport à cette parcelle à cause de sa fortune économique et sa proximité au pouvoir politique.
44. Les énonciations du titre foncier N°25096 délivré à C précisent expressément que le terrain a pour origine un MORCELLEMENT du Titre Foncier N°18.
45. Une lecture attentive des dispositions du titre foncier N°25096 prouve à suffisance qu’il s’agit du même espace géographique ; et que le Titre foncier de C a bel et bien été établi sur la base d’Attestations de détention
coutumières identiques à celles produites par les requérants.
46. Que toutes les énonciations susvisées sont aussi corroborées par la partie MORCELLEMENT du titre foncier N°25096 délivré à C dans laquelle on peut lire que : « suivant procès-verbal de bornage en date à Niamey DU 28/08/2011, le Directeur des Affaires Ad et Cadastrales, a demandé le morcellement d’un terrain d’une superficie de 01 ha 05 à 49 ca, à distraire du Titre Foncier N° 18 ».
47. La Cour constatera donc que tous les deux titres fonciers versés aux débats font tous références à un soi-disant TF N°18 qui à ce jour n’a pas été communiqué aux requérants. Il ne fait aucun doute que le titre foncier de C se trouve effectivement dans le fameux titre foncier N°18",
48. En ce qui concerne l’origine précaire du titre de propriété ayant servi de base à la délivrance du TF N°25096 il y a lieu également de se référer aux mentions suivantes : « suivant attestation de détention coutumière N°012/CNII en date à
Am du 20/07/2009, enregistrée le 31/08/2011, f°18, n°31/1R4, signée par Madame Ae Al, le maire de la commune Niamey II ».
49. Qu’il ressort expressément des énonciations du titre foncier N° 25096 que Monsieur C a acquis son terrain auprès d’un propriétaire coutumier dénommé A AG. C'est ainsi que, dans la partie ORIGINE DE LA PROPRIÉTÉ, on peut lire la mention suivante « le terrain ci-dessus spécifié
appartient en propre à Monsieur AG A pour l'avoir acquis le 20/07/2009 auprès du Maire de la commune II de Niamey suivant attestation de détention coutumière N 012/CNII ». Que sur le plan de bornage annexé au Titre foncier de C on peut aussi lire la mention « Terrain appartenant à Mr A AG » (Propriétaire coutumier).
50. Il a été prouvé à suffisance que les requérants ont produit un titre de propriété identique à celui détenu par C mais curieusement l’Etat a annulé tous les titres de propriétés dans la zone sauf les attestations de détention coutumières détenues par C dont l’origine est pourtant identique à celle des requérants.
51. Que le TF de C précise expressément qu’il a été créé sur la base de titre précaire que l’Etat ne reconnait pas en ce qui concerne les requérants.
52. Pour reconnaitre le bien-fondé de la violation du droit contre la discrimination,
il ne faut pas forcément donner raison aux requérants par rapport au droit de propriété ; il faut simplement reconnaitre que deux parties qui avait le même droit juridique — détention coutumière — ont été traitées de manières très différentes, apparemment à cause de la différence en influence politique et économique et sans justification légitime.
53. Par conséquent, les prétentions des requérants selon lesquels il y’a eu discrimination demeurent.
b. Sur les moyens de droit invoqués
54. A l'appui de leur demande, les requérants invoquent l” article 92 du Règlement
de la Cour de Justice de la Communauté;
55. Ils ont également invoqué la jurisprudence de la Cour de céans.
c. Conclusions des requérants
56. Les requérants concluent qu’il plaise à la Cour de :
i. CONSTATER qu’entre la date de notification de la décision et la date
d’introduction du recours en révision il ne s’est pas écoulé plus de 3 mois.
ii. CONSTATER la découverte d’éléments nouveaux notamment le fait que
le Titre foncier N°18 visé dans l’arrêt N° ECW/CCJ/JUG/13/2020 rendu
par la Cour le 8/07/2020 n’a pas été communiqué aux requérants et ne
figure pas dans le dossier.
iii. CONSTATER que les requérants ont droit à une compensation du fait
de la destruction de leurs biens personnels.
iv. CONSTATER que la demande en réparation formulée par les requérants
pour la destruction violente et illégale de leurs biens n’a pas été examinée
par la Cour.
v. CONSTATER sur la base des pièces versées dans le dossier que le TF
N° 25096 du citoyen C et le TF N°30637 délivré à Summerset ont
la même origine.
vi. CONSTATER que le citoyen C et les requérants ont reçu de
l’Etat, des traitements différents d’où l’attitude discriminatoire de l’Etat
vii. EN CONSEQUENCE, déclarer recevable la requête en révision
introduite par X AG et 3 autres contre l’ARRET N°
ECW/CCJ/JUG/13/2020 RENDU LE 8 JUILLET 2020 et y faire
entièrement droit.
VII - LES ARGUMENTS DU DEFENDEUR
a) Résumé des faits
57. Dans leur programme d’embellissement de la Ville de Niamey à travers le
projet « Niamey NY ALA », les autorités de la République du Niger ont entrepris
de grands chantiers (constructions de bâtiments, routes, embellissement de la
ville. etc.).
58. C’est ainsi que la Société Summerset Continental Hôtel, projetant de
construire un hôtel de grand standing à Am, approchait les autorités pour avoir
un terrain, afin de concrétiser son projet.
59. Un terrain d’environ 10.000 m° sis à Ap Aa sera trouvé pour asseoir
le chantier.
60. Ce terrain qui se trouve au cœur du présent litige, est la propriété de l’État du
Niger et pour en faire l’acquisition, la Société Summerset adressa une demande
au Ministère de l’Urbanisme et du Logement.
61. Par arrêté n°379/MF/DGI/DADC en date du 12 septembre 2013, le Ministre
des Finances, gardien du patrimoine de l’Etat lui attribua le terrain à titre de
concession provisoire.
62. La société Summerset s’attèlera après, à accomplir toutes les diligences
nécessaires pour avoir définitivement la propriété du terrain.
63. Elle va d’ailleurs obtenir le morcellement du Titre Foncier n 18 au nom de
l’État et la création, en son nom du Titre Foncier n 30637, de la République du
Niger.
64. Étant devenu définitivement propriétaire de ce terrain, la société Summerset
fera injonction aux différents occupants de déguerpir des lieux. En vain.
65. Au vu de la résistance des requérants, la société Summerset les assigna devant
le juge des référés.
66. Pour contrecarrer son action, les demandeurs assignèrent la Société
Summerset devant le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, en
revendication du terrain litigieux, suivant acte d’huissier en date du 14 avril 2014.
67. À travers leurs demandes par devant le tribunal, ils développeront d’ailleurs
et ce, à tort, que le terrain litigieux n’est pas titré et solliciteront de cette juridiction
d’ordonner une expertise sur l’existence même du titre foncier.
68. En pleine procédure, l’Etat du Niger sera appelé en cause.
69. Le 23 juillet 2014, par jugement avant dire droit le tribunal de Niamey
ordonnait une expertise de la situation du TF n° 30637 par rapport au TF N° 18.
70. Le rapport d’expertise atteste que le terrain litigieux objet du titre foncier n°
18 est immatriculé au nom de l’État du Niger depuis 1940.
71. Le 16 mars 2016, suivant jugement n° 85, le Tribunal de Grande Instance Hors
Classe de Niamey, vidait sa saisine et rendait la décision dont le dispositif est ainsi
libellé :
«… En la forme :
- Rejette le déclinatoire de compétence et l'exception d’irrecevabilité de
l’action soulevés par l’État du Niger et la Société Summerset Continental
Hôtel ;
- Se déclare compétent ;
- Déclare recevable l’action des requérants ;
- Reçoit les demandes reconventionnelles de l’État du Niger et la Société
Summerset Continental Hôtel comme étant régulière ;
Au fond :
- Déboute les requérants de toutes leurs demandes comme étant mal
fondées ;
- Dit que le terrain litigieux est la propriété de l’État du Niger ;
- Déclare la Société Summerset Continental Hôtel attributaire d’une
concession accordée par l’État du Niger devenue définitive par la création
du titre foncier n°30.637 de la République du Niger ;
- Ordonne la destruction des plantations et le déguerpissement de tous
occupants du terrain concédé et la continuation immédiate des travaux
pour lesquels la concession a été accordée ;
72. Le 24 mars 2016, les requérants ont relevé appel de cette décision et le dossier
est encore pendant devant la Cour d’Appel de Niamey.
73. C’est ce moment que les requérants ont choisi pour saisir la Cour de céans
pour prétendre que l’ensemble des textes sur les droits humains ont été violés par
la République du Niger.
74, Suivant Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/13/2020, du 8 juillet 2020, la Cour a décidé
que : «
« a) Se déclare compétente pour connaitre de l'affaire, qu'elle juge recevable.
b) Déclare que le droit de propriété des plaignants n'a pas été violé par le
défendeur ; les requérants n’ont pas pu prouver leur droit de propriété sur ces
biens.
c) Rejette toutes les autres demandes, dépendant du bien-fondé de la violation du
droit de propriété, comme étant mal fondées … » 75. C’est la révision de cette décision que demandent les requérants.
Sur l'exception préliminaire :
Exception d'irrecevabilité de la demande de révision
76. Le défendeur soutient que:
77. La demande de révision des requérants est basée sur l’article 92 du Règlement
de la Cour de Justice de la Communauté CEDEAO ; ce texte est ainsi libellé : «
La révision est demandée au plus tard dans un délai de trois mois à compter du
jour où le demandeur a eu connaissance du fait sur lequel la demande en
révision est basée ».
78. Partant de ce texte, les requérants ont saisi la juridiction de céans en invoquant
trois moyens qui, selon eux militent en faveur d’une révision de la décision rendue
le 8 juillet 2020 par la Cour.
1- Ils prétendent: Qu’ils n’ont pas eu connaissance du Titre Foncier n° 18 qui
fonde la propriété de l’État du Niger sur le domaine revendiqué ;
2- Que la décision de la Cour n’a pas pris en compte la destruction des biens
personnels et privation de leur droit d’occupation ;
3- Que la décision attaquée au sujet de la discrimination ignore le contenu du
titre de morcellement du citoyen C, qui démontre sans ambiguïté
selon eux, que sa parcelle se trouve dans les bornes du même titre foncier ;
79. Il est constant dans cette procédure que toutes … les parties sont unanimes que le litige a commencé devant les juridictions nationales. Elles se sont échangées des pièces dans le cadre du respect du principe sacro-saint du contradictoire et les requérants ne peuvent aujourd’hui invoquer utilement qu’ils n’ont pas eu connaissance du Titre Foncier de l’État du Niger.
80. Or, pour que le texte ci-dessus-cité trouve application, il aurait fallu que les requérants démontrent qu’ils ont eu connaissance d’éléments nouveaux qu’ils n’ont pas eu l’occasion de discuter devant les juridictions ;
81. Il est unanimement admis par la doctrine et la jurisprudence que le recours en révision tend à faire rétracter une décision passée en force de chose jugée pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit ;
82. Qu’il est connu de tous que le recours en révision est entre autres ouvert si par exemple :
- il ya eu fraude de l’une des parties de nature à avoir déterminé la conviction du juge ;
- s’il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ;
- si depuis le jugement il a été retrouvé des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait de l’une des parties
83. Que les requérants en l’espèce ne se retrouvent dans aucun des cas ci-haut
énumérés;
84. Qu’en l’espèce ils demandent à la Cour de statuer sur le Titre Foncier N° 18
de l’État du Niger (sur lequel nous allons revenir, puisque la Cour n’a pas basé sa
décision sur ce titre comme ils le prétendent), le droit à une compensation et sur
une prétendue discrimination ;
85. Qu’une lecture simple de cette décision permet à l’évidence de constater que
ce ne sont pas des faits dont ils viennent d’avoir connaissance ;
86. Que leur intention n’est autre que de rouvrir un procès dans lequel leurs
demandes ont été déclarées mal fondées ;
87. Qu’ils ne remplissent donc pas les conditions pour demander la révision de
l’arrêt N° ECW/CCJ/JUD/13/2020 du 8 juillet 2020;
88. Qu’en conséquence de ce qui précède, il y a lieu de déclarer irrecevable le
recours en révision de X AG et autres ;
Au fond :
89. Il a en outre affirmé que :
a. Sur le prétendu défaut de communication du Titre Foncier N°18
90. Attendu que sur ce premier point, les requérants fondent leur argument sur le
titre foncier n°18 qui ne leur aurait pas été communiqué et qu’ils n’ont pas eu
l’occasion de le réfuter, selon leurs dires ;
91. Selon eux, la Cour s’était basée sur ce titre pour prononcer sa décision ;
92. Qu’il n’en est rien ;
93. Qu’après le mémoire en défense de l’État du Niger, les requérants ont eu à
répliquer et n’ont à aucun moment discuté de la question de la propriété de l’État
du Niger ;
94. Que contrairement à leur argumentaire aux fins de révision la Cour a décidé
qu’ils n’ont pas fait la preuve de leur droit de propriété et en conséquence les a
déboutés (Page 25 de la décision) ;
95. Qu’en tout état de cause, depuis le début de la procédure qu’ils ont initié
devant les juridictions nationales, les requérants n’ont jamais ignoré l’existence
de ce titre qui fonde la propriété contrairement à eux qui n’ont pas fait la preuve
de leur propriété comme il a été relevé devant la juridiction de céans ;
96. Qu’il résulte que ce moyen est inopérant et mérite d’être rejeté par la Cour.
b. Sur le droit à la compensation pour les biens détruits
97. Que, sur ce point, les requérants estiment (à tort) que la Cour n’a pas pris en
compte leur droit d’indemnisation ;
98. Qu’en substance selon eux, même si leur droit de propriété n’a pas été
reconnu, une indemnisation devrait être accordée en ce qui concerne leurs biens
qui auraient été détruits ;
99. Or, en droit, l’indemnisation s’entend comme une compensation financière
destinée à réparer un dommage ;
100. Les requérants demandent sur ce dernier point, la réparation d’un préjudice
qu’ils prétendent avoir subi. Ils sollicitent pour cela une révision, disent-ils.
101. Pour demander la réparation d’un préjudice en droit, il faut la réunion de trois
éléments : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le
préjudice.
102. Or ici, ils ne peuvent démontrer que si préjudice il y a eu, que celui-ci soit la
faute de l’État du Niger.
103. Ils ont été déguerpis des terres sur lesquelles ils n’ont ni droit ni titre et qu’ils
ont refusé de libérer de leur propre chef.
104. La Société Summerset et l’État du Niger ont utilisé des voies de droit (saisine
des juridictions, autorisation d’abattage des arbres) pour les faire déguerpir.
105. La demande en réparation demeure infondée et a été rejetée.
106. La Cour ne peut réviser sa décision sur ce point.
c. Sur l'origine des TP N° 25096 de M. C et N° 30637 de Summerset 107. Attendu qu’ici, les requérants tentent de faire croire que le sieur C
A qui avait un terrain contigu au terrain de Ap Aa aurait reçu « un
traitement préférentiel et discriminatoire » ;
108. Que les parties ont débattu une fois de plus sur ce point aussi et la Cour y a
statué et cela ne peut être une cause de révision de la décision rendue ;
109. Dans cette affaire, les requérants prétendent avoir subi une discrimination
sur la base de leur situation de fortune.
110. Toujours dans la tentative de tromper la Cour de céans, ils affirment à tort
qu’eux seuls ont été dépossédés de leurs terres et que d’autres personnes ayant
fait l’acquisition de portions de terres auprès des populations de Ap Aa
n’ont pas été inquiétés.
111. Or, en l’espèce, il est évident à un double titre qu’il n’y a eu discrimination
à aucun moment :
112. D’une part et ce contrairement à leur prétention, le fait que certaines
personnes n’aient pas été inquiétées s’explique logiquement parce qu’il s’agit de
personnes se situant hors du TF n° 18 et/ou d’acquéreurs n’ayant pas acheté de
portions de terres se situant sur le TF n° 18 (propriété exclusive de l’État du Niger)
qui a été morcelé et attribué à la Société Summerset.
113. Le terrain litigieux couvre une superficie d’un hectare 14 ares et 36 centiares
(lha 14 à 36 ca) et à aucun moment l’État n’a autorisé une tierce personne à se
considérer comme propriétaire de ce terrain ou d’une portion dudit terrain.
114. D’autre part, il ressort des propres pièces des demandeurs à l’instance que,
pour des besoins de la procédure, ils se sont fait établir des titres de propriété
(attestations de détention coutumière) par des autorités coutumières sur un
domaine (le terrain litigieux, pour rappel, couvre une superficie d’un hectare 14
ares et 36 centiares (1ha 14 a 36 ca) qui appartient à l’État depuis 1935 alors même
que depuis 1935 l’État n’a à aucun moment autorisé une tierce personne à se
considérer comme propriétaire de ce terrain ou d’une portion dudit terrain. Cela a
eu comme conséquence juridique, l’annulation légale de ces différents titres de
propriété irrégulièrement établis afin de servir leur cause.
115. Il n’y a eu aucune discrimination en l’espèce.
116. Le recours en révision sera purement et simplement rejeté.
b. Sur les moyens de droit invoqués
117. Le défendeur invoque dans son mémoire en défense l'article 92 du Règlement de la Cour.
c. Conclusions du défendeur
118. Le Défendeur conclut en demandant à la Cour de :
1) En la Forme :
i. Déclarer irrecevable l’action de X AG et autres du fait de
l’absence de violation des Droits Humains par l’État du Niger.
2) Au Fond :
ii. Rejeter le recours en révision comme étant mal fondé ;
iii. Mettre les dépens à leur charge.
Sur le mémoire en réplique
119. En réplique, les requérants ont répondu à l'exception d'irrecevabilité soulevée
par le défendeur, en réitérant les arguments exposés dans la requête introductive
VIIL SUR LA COMPETENCE
120. La Cour s'étant déclarée compétente pour connaître de l'affaire en vertu de
l'article 9, paragraphe 4, du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05, portant
amendement de l'article 9 du Protocole A/P1/7/91 relatif à la Cour de justice de la
Communauté, cette compétence est maintenue en cas de révision, conformément
aux dispositions des articles 92, 93 et 94, tous du Règlement de la Cour.
IX. SUR LA RECEVABILITÉ
121. En l'espèce, le défendeur a invoqué l'irrecevabilité de la révision sollicitée
par les requérants, en faisant valoir que :
122. Les faits invoqués par les requérants ne sont pas des faits dont ils viennent
de prendre connaissance;
123. Que leur intention n’est autre que de rouvrir un procès dans lequel leurs demandes ont été déclarées mal fondées ;
124. Qu’ils ne remplissent donc pas les conditions pour demander la révision de l’arrêt N° ECW/CCJ/JUD/13/2020 du 8 juillet 2020;
125. Les requérants ont répondu à ces arguments dans le mémoire en réplique, en
concluant comme dans la requête introductive d'instance.
Analyse de la Cour
126. La révision est une voie de recours extraordinaire qui permet aux parties,
dans des circonstances très limitées, d'obtenir le réexamen d'une décision finale
en raison de l'émergence d'un fait qui pourrait influencer de manière décisive la
décision de l'affaire.
127. La demande de révision est régie par les dispositions de l'article 25 du
Protocole A/P.7/1/91, relatif à la Cour et des articles 92, 93 et 94 du Règlement
de la Cour ;
128. L'article 25 du Protocole A/P.1/07/91 dispose que :
1. « La demande en révision d’une décision n’est ouverte devant la Cour que
lorsqu'elle est fondée sur la découverte d’un fait de nature à exercer une
influence décisive et qui, au moment du prononcé de la décision, était
inconnu de la Cour et du demandeur, à condition toutefois qu’une telle
ignorance ne soit le fait de négligence » ;
2. En cas de recours en révision, la procédure s’ouvre, lorsque la demande
est recevable, par une décision de la Cour constatant de manière non
équivoque que le fait présumé nouveau est réel et qu’il est de nature à
justifier la révision ainsi que la recevabilité de la demande. » (2) 4. Aucune demande en révision n’est admise cinq (5) ans après la date de
prononcé de la décision.
129. À son tour, l'article 92 du Règlement de la Cour dispose que « La révision
est demandée au plus tard dans un délai de trois mois à compter du jour où le
demandeur a eu connaissance du fait sur lequel la demande en révision est
basée ».
130. Et l'article 94 dispose que « Sans préjuger le fond, la Cour statue au vu des
observations écrites des parties, par voie d'arrêt rendu en chambre du conseil sur
la recevabilité de la demande.» (1)
« Si la Cour déclare la demande recevable, elle poursuit l’examen au fond et
statue par voie d'arrêt, conformément aux dispositions du présent règlement. »
@)
131. D'une part, il résulte des normes susmentionnées qu'il appartient à la
Cour de décider par voie d'arrêt si cette demande de révision est recevable
ou non.
132. Pour ce faire, la Cour doit vérifier si les conditions autorisant les parties à
faire usage de cette voie de recours extraordinaire sont réunies, ou plus
précisément, si les conditions de sa recevabilité sont remplies.
133. Et comme a conclu la Cour de céans, « Les conditions d'une demande en
révision telles que prévues à l'article 25 du Protocole A/P/P1/7/91 sont liées à la
découverte, par le requérant, d'un fait nouveau; que ce fait nouveau soit de nature
à exercer une influence décisive sur la décision rendue et que l'ignorance de ce
fait ne soit pas due à la négligence du requérant. » (Voir les affaires MME
TOKUNBO LIJADU OYEMADE C. LE CONSEIL DES MINISTRES & 4
AUTRES, dans la Décision rendue le 17 novembre 2009, pour l'application de
la révision de l’Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/02/08, publiée dans LR2009- 829) 134. Ces conditions ou hypothèses de recevabilité doivent être vérifiées
cumulativement, vu que l'absence de l'une d'entre elles, à elle seule, détermine
l'irrecevabilité de la demande.
135. Telle est l'interprétation de la Cour de céans dans l'Arrêt susmentionné,
affirmant que : « La révision d'une décision de justice est une procédure
exceptionnelle et soumise à une interprétation stricte. La Cour s'assure tout
d'abord que les conditions de recevabilité prévues pour donner droit à la révision
d’une décision sont préalablement remplies. Le défaut d'une seule des conditions
rend la requête irrecevable indépendamment de l'appréciation des autres
conditions. » (Voir 831)
136. La Cour de céans a, également dans l'affaire MUSA SAIDYKHAN C. LA
REPUBLIQUE DE GAMBIE, ARRET N° ECW/CCJ/APP/RUL/03/12, PUBLIÉ
DANS CCJELR 2012, énuméré les conditions de recevabilité d'une demande de
révision, comme suit: « La première condition à remplir pour qu'une demande de
révision aboutisse est que la demande doit avoir été déposée dans un délai de cinq
ans à compter de la date à laquelle l'arrêt dont la révision est demandée a été
rendu. La deuxième condition est que la partie qui demande la révision doit
déposer sa demande dans les trois mois suivant la découverte du ou des faits sur
lesquels sa demande est fondée. La dernière condition est que la demande doit
être fondée sur la découverte d'un ou plusieurs faits de nature décisive, qui étaient
inconnus de la Cour ou de la partie demandant la révision, à condition que cette
ignorance ne soit pas due à une négligence. » (Voir 864)
137. En l'espèce, il convient de vérifier si les conditions de recevabilité d'une
demande de révision sont réunies, qui, conformément aux dispositions des articles
25 du Protocole A/P.1/7/91 et 92 du le Règlement de la Cour, sont les suivantes :
a) La demande formulée dans les cinq ans après la date du prononcé de la
décision et dans un délai de trois mois à compter du jour où le requérant a
eu connaissance du fait sur lequel se fonde la demande en révision est
basée;
b) La nécessité d'invoquer un fait considéré comme nouveau;
138. L’Arrêt faisant l'objet d'une demande de révision a été rendu le 8 juillet 2020
et notifié aux requérants le 14 juillet 2020, comme ils l'admettent, et la présente
demande de révision a été déposée le 5 octobre 2020, autrement dit, près de trois
mois après la date de son prononcé, la Cour estime que la condition temporelle
est remplie.
139. En ce qui concerne la deuxième condition, à savoir la nécessité d'invoquer
un fait considéré comme nouveau, il convient de rappeler que, selon l'article 25
du Protocole, un tel fait nouveau découvert par la partie doit être susceptible
d'exercer une influence décisive sur l'affaire et être inconnu, au moment du
prononcé de l'arrêt, de la Cour et de la partie qui demande la révision, à condition
que cette ignorance ne soit pas due à une négligence.
140. La Cour va analyser les moyens invoqués par les requérants à l'appui de
leur demande de révision.
a. Sur le défaut de communication du Titre Foncier N°18
141. Les requérants prétendent :
142. Que la Cour a rendu sa décision dans cette affaire en se basant sur l’existence
du Titre Foncier N° 18 pour débouter les requérants de leurs prétentions du droit
à la propriété.
143. Dans son arrêt, la Cour déclare que le droit de propriété des requérants est
contredit par un « titre foncier affiché par l’Etat ».
144. Selon l’enquêteur engagé par les requérants, ce titre foncier ne figure pas
dans le dossier ; apparemment, la Cour a basé son jugement que ni elle, ni les
requérants n’ont jamais vu.
145. Si, en revanche, l’Etat du Niger a produit ce titre foncier n° 18 à la Cour, ce
document n’a jamais été communiqué aux requérants, qui par conséquent n’ont
pas eu la chance de le réfuter.
146. Que le principe du contradictoire n'a pas été respecté.
147. Si le défendeur ne l’a pas produit, la Cour n’aurait pas dû baser son jugement
sur ledit titre foncier n° 18 sans ordonner que le défendeur le divulgue à la Cour
et aux requérants pour leur donner la chance de le réfuter.
148. Contre toute attente, la Cour déboute les requérants sur la base d’une pièce
qui n’a jamais été communiquée.
149. D’où la nécessité d’une révision de l'arrêt rendu.
150. À son tour, le défendeur a, dans sa réponse, soutenu que le moyen invoqué est inopérant et mérite d’être rejeté par la Cour.
Analyse de la Cour
151. Les requérants prétendent que dans l’Arrêt, dont ils demandent maintenant
la révision, la Cour a décidé de rejeter leurs demandes, en se basant sur l'existence du Titre Foncier N° 18, en faveur du défendeur, qui n'a jamais été versé au dossier
et ajoutent que, si ce document avait été versé au dossier, il ne leur a jamais été
communiqué pour qu'ils puissent le réfuter et que, par conséquent, le principe du
contradictoire a été violé.
152. Les requérants ont considéré la situation invoquée comme fait nouveau dont
ils ont pris connaissance le 29 juillet 2020, le jour où ils ont pu vérifier que le
défendeur n'avait pas versé ledit document au dossier.
153. Cette compréhension des requérants révèle, tout d'abord, une
méconnaissance de l'arrêt rendu par la Cour de céans, dont ils demandent
maintenant la révision.
154. La Cour n'a pris aucune décision, fondée sur l'existence du titre de propriété
n° 18, comme les requérants voudraient nous le faire croire.
155. Ce sont les requérants qui, dans leur requête introductive d’instance, ont
informé la Cour qu'ils ont revendiqué la propriété du terrain en question devant la
juridiction nationale sur la base de titres de propriété coutumiers, et qu'une
décision a été rendue à ce sujet dans laquelle il a été fait référence à l'existence du
titre de propriété n° 18 en faveur du défendeur. Ce fait a été admis par le défendeur
qui a confirmé qu'il y avait un litige en cours entre lui et les requérants, quant à
l'établissement du droit de propriété sur le terrain en question devant la Cour
d'Appel de Niamey. (Voir 8 223 à 229 de l'arrêt)
156. Nulle part dans l'arrêt rendu par cette Cour, celle-ci n'a confirmé ou fondé
sa décision sur le titre de propriété n° 18 précité.
157. Les parties ayant admis qu'un litige entre elles était pendant devant la Cour
d'Appel de Niamey pour revendiquer la propriété du terrain en question, dans
lequel chaque partie revendiquait, pour elle-même, le droit sur le terrain en question, cette Cour s'est limitée à conclure comme indiqué aux paragraphes 250
à 257, qui sont transcrits ici :
“250. Ces documents prouvent les faits allégués par les requérants et confirmés
par l'État défendeur, dans la mesure où ce dernier admet qu'il existe un litige
entre lui et les requérants concernant la propriété des terres en question qui est
toujours pendant devant la Cour d'Appel de Niamey, dans lequel tous les deux
revendiquent la propriété desdites terres.
251. Au vu de ces faits, il y a lieu de conclure que, dans la juridiction nationale,
les requérants n'ont pas encore obtenu la reconnaissance du droit de propriété
qu'ils entendent invoquer ici, sur la base d'un titre coutumier, dérivé de la
possession, qui est contredit par un titre de propriété N° 18 affiché par l'État et
la procédure est pendante.
252. Autrement dit, le droit de propriété, invoqué par les requérants, n'est pas
encore un actif existant dans leur patrimoine.
253. Et d'autre part, il ne fait pas partie des compétences conférées à cette Cour
celle de régler les conflits liés à la revendication de propriété. Cette compétence
est réservée aux juridictions nationales.
254. Il reste donc à conclure qu’en l'espèce, les requérants ne démontrent pas
qu'ils sont les propriétaires du terrain en question, comme ils auraient dû le
faire.
255. Par conséquent, cette Cour considère que, les requérants n'ayant pas
démontré qu'ils sont propriétaires des terres en question, ils ne peuvent pas
bénéficier de la protection accordée par l'article 14 de la Charte africaine.
256. Et qu’en ce sens, la prétendue violation du droit de propriété doit être
rejetée.
158. ll ne résulte de ces constats aucune décision prise par la Cour, sur la base du
titre de foncier n° 18.
159. Le sens de la décision de la Cour reposait uniquement sur le fait que, dans le
litige établi entre les parties en instance nationale, la définition du titulaire du droit
de propriété sur le terrain en question est toujours pendante, puisque le règlement
d'un tel différend ne relève pas de la compétence de la Cour.
160. Cela signifie que, même si le défendeur avait versé au dossier le titre foncier
n° 18 susmentionné - ce qu'elle n'a même pas fait - cela n'aurait aucune incidence
sur la décision prise par la Cour, dans la mesure où cette décision était basée
uniquement sur l'existence d'un litige pendant devant une juridiction nationale
pour déterminer si les requérants avaient ou non un droit de propriété.
161. Le document susmentionné n'ayant pas été versé au dossier, la violation du
principe du contradictoire ne peut être invoquée ici.
162. Par conséquent, la Cour estime que ce premier moyen soulevé par les
requérants n'établit aucun fait nouveau, dont l'existence pourrait exercer une
influence décisive sur l'affaire, qui, en vertu de l'article 25 du Protocole
A/P1/7/91, pourrait justifier une demande de révision.
163. La Cour considère donc ce moyen comme injustifié et le rejette.
b. Sur le droit à la compensation pour les biens détruits
164. À l'appui de ce deuxième moyen, les requérants font valoir que :
165.La Cour n'a pas examiné leurs droits de propriété personnelle et d'habitation
; Que la Cour ne pourrait pas tout simplement ignorer les droits des requérants à
être dédommagés pour le préjudice subi du fait de la destruction des biens
construits sur le site de Ap Aa, même si la Cour rejette leur droit de
propriété sur ces terres ; Que contre toute attente, l'arrêt présume que la non-
reconnaissance des droits de propriété des requérants annule tous leurs autres
droits, tels que le droit d'être dédommagés ; Que même si les requérants ne
pouvaient pas être reconnus comme propriétaires du terrain, ils avaient toujours
des droits de propriété qui auraient dû être indemnisés, tels que l'occupation légale
et pacifique et la propriété de biens personnels tels que les cultures et les maisons ;
Qu'étant donné que l’Etat ne conteste pas qu’il a détruit les biens personnels des
requérants et les ont privés de leur intérêt économique dans le site de Ap
Aa, la Cour aurait forcément ordonné l’indemnisation de ces actifs si elle l’avait
considérée.
c. Le Titre Foncier N° 25096 du citoyen C et le Titre Foncier
N° 30637, délivré à Summerset, ont la même origine.
166. À titre de troisième moyen, les requérants soutiennent, en résumé, qu'ils ont
démontré que M. C A Ai, l’acheteur d’une parcelle de
terre qui était contigu au terrain de Ap Aa et qui était d’un caractère
juridiquement identique au terrain litigieux, a profité d’un traitement préférentiel
et discriminatoire par rapport à cette parcelle à cause de sa fortune économique et
sa proximité au pouvoir politique ; Que les énonciations du titre foncier N° 25096 délivré à C précisent expressément que le terrain a pour origine un
MORCELLEMENT du TF N° 18 ; Qu'une lecture attentive des dispositions du
titre foncier N° 25096 prouve à suffisance qu’il s’agit du même espace
géographique ; et que le Titre foncier de C a bel et bien été établi sur la
base d’Attestations de détention coutumières identiques à celles produites par les
requérants ; Que pour constater la violation du droit contre la discrimination, il ne
faut pas forcément donner raison aux requérants par rapport au droit de propriété
; il faut simplement reconnaitre que deux parties qui avait le même droit juridique
— détention coutumière — ont été traitées de manières très différentes,
apparemment à cause de la différence en influence politique et économique et
sans justification légitime.
167. Ils ont conclu que les prétentions des requérants selon lesquels il y'a eu
discrimination demeurent.
168. Dans sa réponse, le défendeur a, pour sa part, retenu comme non fondés ces
deux moyens invoqués ci-dessus par les requérants, pour solliciter la révision de
Analyse de la Cour
169. La Cour procédera à une analyse conjointe de ces deux derniers moyens invoqués par les requérants.
170. Or, de l'analyse des arguments invoqués ci-dessus, on peut conclure que les
requérants cherchent à contester l'arrêt, dans les parties citées, en comprenant
que la Cour a échoué dans l'évaluation des faits et dans l'application du droit, en
omettant des décisions concemant les demandes formulées, à savoir dans la
demande de compensation pour les biens détruits et dans la constatation de la violation, par le défendeur, du droit des requérants de ne pas être soumis à la
discrimination.
171. Mais sans aucune raison.
172. Comme l'admettent les requérants, la Cour, dans l'arrêt rendu, a établi que «
les requérants n'ayant pas démontré leur qualité de propriétaires des terrains en
question, ils ne peuvent bénéficier de la protection de l'article 14 de la Charte
africaine et qu'en ce sens, la violation alléguée du droit de propriété doit être
rejetée. Par conséquent, la nécessité d'établir s'il y a eu ou non-ingérence de l'État
défendeur dans le prétendu droit de propriété, ainsi que la nature de cette
ingérence, est mise en cause.
173. Eu égard au constat de la Cour selon lequel les requérants n'ont pas prouvé
leur droit de propriété, toutes les autres demandes, qui dépendent du bien-fondé
de la violation du droit de propriété, sont rejetées. » (Voir 8255 à 258)
174. En effet, pour que la Cour puisse condamner le défendeur à réparer les
préjudices causés aux requérants, il fallait, tout d'abord, que la Cour constate la
violation du droit de propriété des requérants. Sans violation du droit, il n'y a pas
de droit à la réparation.
175. D'autre part, pour que la Cour puisse déterminer si la position des requérants
était la même que celle d'un autre propriétaire auquel ils se référaient et être en
mesure de conclure qu'ils s’agiraient des « mêmes cas traités différemment », il
était crucial que les requérants démontrent leur position de propriétaire, ce qu’ils
n’ont pas fait.
176. Compte tenu de cette précision et à la lumière de ce qui précède, il est évident
que la Cour, au vu des conclusions des requérants, n'a pas omis de prendre une
décision par rapport à l'une des demandes formulées par les requérants. La Cour a précisé que « toutes les autres demandes, qui dépendent du bien-fondé de la
violation du droit de propriété, sont rejetées comme non fondées ».
177. Par conséquent, aucune omission de prononcé n'intervient dans la décision,
qui autorise la révision de l'arrêt.
178. En revanche, si l'on considère que, par leurs arguments, les requérants
entendent remettre en cause l'appréciation des faits et l'application du droit
effectuées dans l'arrêt, il convient de relever que cela n'a rien à voir avec la
révision envisagée.
179. Comme cette Cour l'a souligné dans l'affaire OCEAN KING NIGERIA LTD
C. LA RÉPUBLIQUE DU SÉNÉGAL, dans la décision sur la révision de l’Arrêt
N° ECW/CCJ/JUD/07/11-REV, en date du 12 février 2014, (non publiée), « Il est
de droit élémentaire que les questions de mauvaise interprétation/application du
droit sont des questions de droit et n'ont rien à voir avec les faits. L'article 25 (1)
stipule explicitement que les révisions sont fondées sur la découverte de faits de
nature décisive et non sur des questions de droit. Les questions de droit sont des
motifs d'appel et non de révision… » (Voir 826 page 12)
180. La Cour reconnaît qu'il est légitime pour le requérant d'être en désaccord
avec les analyses et les conclusions auxquelles la Cour est parvenue.
181. Cependant, il n'existe pas de mécanisme juridictionnel qui autorise la Cour à
réexaminer ses propres décisions, parce que la partie n'est pas d'accord avec
celles-ci.
182. Un tel mécanisme, qui serait un pourvoi ordinaire, n'était pas prévu dans le
Règlement de cette Cour.
183. Et cela ressort du Protocole relatif à la Cour de justice, qui prévoyait en son
article 19 que : « Les décisions de cette Cour (..), sont, sous réserve des dispositions du présent protocole relatives à la révision, immédiatement
exécutoires et ne sont pas susceptibles d’appel », ce qui signifie qu'ils sont
définitifs et contraignants.
184. Ainsi, en l'espèce, outre le désaccord exprimé par les requérants, quant à
l'analyse et aux conclusions auxquelles la Cour est parvenue dans l'arrêt rendu, il
a été conclu que les requérants n'ont invoqué aucun fait nouveau pouvant servir
de fondement à leur demande de révision, à la lumière des articles 25 du Protocole
A/P.1/7/91 et 92 du Règlement de la Cour.
185. En conséquence, la Cour est d'avis que la demande des requérants n'a aucun
fondement en droit et doit donc être jugée irrecevable.
X. SUR LES DÉPENSES :
186. Le Défendeur demande que les requérants soient condamnés aux dépens. Les
requérants n'ont fait aucune observation à cet égard.
187. En vertu de l'article 66 du règlement de la Cour, « Z/ est statué sur les dépens
dans l'arrêt ou l'ordonnance qui met fin à l’instance. (1) Toute partie qui
succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. (2) »
188. Compte tenu des circonstances de l'affaire, conformément à l'article 66
susmentionné, la Cour estime que chaque partie doit supporter ses propres dépens.
XI. DISPOSITIF :
189. Par conséquent, à la lumière de ce qui précède, la Cour :
Sur la compétence :
i. Se déclare compétente pour connaître du litige.
Sur la recevabilité :
ii) Déclare que la requête est irrecevable et rejetée en conséquence.
Sur les Dépens
iii. Condamne les parties à supporter leurs propres dépens.
Ont signé :
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA — Président
Hon. Juge Dupe -ATOKI - Membre
Hon. Juge Januäria T.S.M.COSTA-Membre/Rapporteur
Assistés de :
Dr. An Y - Greffier en chef adjoint
190. Fait à Accra le 22 mars 2022, en portugais et traduit en français et en anglais.



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 22/03/2022
Date de l'import : 14/04/2023

Numérotation
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/07/22
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2022-03-22;ecw.ccj.jud.07.22 ?
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