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19/02/2018 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/06/18

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 19 février 2018, ECW/CCJ/JUD/06/18


Texte (pseudonymisé)
COMMUNITY ECOWAS COURT OF JUSTICE, € No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT, OFF AMINU KANO CRESCENT,
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
CEDEAO WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
TRIBUNAL DE JUSTIÇA CEDEAO DA COMUNIDADE, Near” TEL: Website: PMB 09-6708210/5240781 567 www. GARKI, courtecowas.org AB Fax 09-5240780/5239425
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES
ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
SIEGEANT A C AU NIGERIA
CE 19 FEVRIER 2018
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/02/17
ALAZA .Y. A

REQUERANT
CONTRE
REPUBLIQUE DU TOGO DEFENDE...

COMMUNITY ECOWAS COURT OF JUSTICE, € No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT, OFF AMINU KANO CRESCENT,
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
CEDEAO WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
TRIBUNAL DE JUSTIÇA CEDEAO DA COMUNIDADE, Near” TEL: Website: PMB 09-6708210/5240781 567 www. GARKI, courtecowas.org AB Fax 09-5240780/5239425
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES
ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
SIEGEANT A C AU NIGERIA
CE 19 FEVRIER 2018
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/02/17
ALAZA .Y. A REQUERANT
CONTRE
REPUBLIQUE DU TOGO DEFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR
- Hon. Juge Jérôme TRAORE Président
- Hon. Juge Yaya BOIRO Membre
- Hon. Juge Alioune SALL Membre
ASSISTE DE Me ATHANASE ATANNON Greffier I — Les parties et leur représentation
Le requérant est le sieur Ab Aa A, de nationalité togolaise, ancien technicien à At Ad, demeurant à Lomé (Togo), représenté par le Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo (CACIT) et assisté par Maîtres Ferdinand Ekouévi Amazohoun et Claude Kokou Amegan, avocats inscrits au barreau du Togo. La requête a été introduite devant la Cour le 11 janvier 2017.
L’Etat du Togo est représenté par Maître Sanvee Ohini, demeurant au Cabinet d’avocats associés, 32, rue des Bergers à Lomé (Togo) avocat inscrit au barreau du Togo.
IT — Les faits et la procédure
La requête principale a été déposée le 11 janvier 2017 au greffe de la Cour de justice de la CEDEAO, elle fait mention de violations de droits de l’homme que l’Etat du Togo aurait commises à l’encontre de M. A. Le même jour, le requérant a, par acte séparé, formé une demande aux fins d’admission de l’affaire à la procédure accélérée, fondée sur la précarité de sa situation personnelle et familiale, qui nécessiterait que sa cause soit traitée en urgence.
Par ordonnance du 15 février 2017, le président de la Cour de justice de la CEDEAO a rejeté ladite demande, au motif que « ni l'examen des pièces de procédure, ni l'appréciation des motifs articulés par le demandeur ne permettent d'établir l'existence d’une urgence particulière justifiant qu’il soit statué à bref délai ».
Le 20 mars 2017, l’Etat du Togo a introduit un « mémoire exceptionnel » demandant à la Cour de déclarer irrecevable la requête introductive d’instance, pour défaut de qualité du « Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo » (CACIT'), qui n’aurait subi aucun préjudice.
A l’audience, les parties ont été entendues et leurs moyens et arguments longuement exposés.
III- Moyens et arguments des parties
Pour établir la violation des droits de l’homme, le demandeur allègue que dans le cadre de son travail, il a eu, avec d’autres employés, à être accusé de vol de matériel technique (« tourets », « connecteurs », « manchons » et gaz) alors qu’il se trouvait en mission à l’intérieur du pays. De retour dans la capitale pour les besoins de l’enquête, il aurait été convoqué au Centre de traitement des renseignements (CTR) où il a été « menotté » puis « bastonné » par les hommes de la sécurité chargés de l’interroger. Le requérant avance qu’il est resté soixante- douze heures sans s’alimenter, qu’il a été détenu dans une salle obscure et dépourvue d’aération, qu’il a subi des coups avant d’être présenté à un juge d’instruction qui l’a placé sous mandat de dépôt. Après avoir passé quatorze mois et neuf jours à la prison de Lomé, il a été, avec les autres co-inculpés, jugé le 28 mars 2007, et condamné à vingt - quatre mois d’emprisonnement dont dix avec sursis, et qu’à sa sortie de prison, il a été licencié pour faute lourde par At Ad. Continuant à clamer son innocence quant à sa responsabilité pénale, M. A demande à la Cour de constater la violation de ses droits par les forces de sécurité togolaises, qui lui auraient infligé des actes de torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants. Il estime également qu’il a été arrêté et détenu de façon arbitraire. Enfin, il conteste le licenciement subséquent à sa détention, qu’il considère comme abusif sur la base des dispositions du Code du travail togolais.
A l’appui de ses prétentions, il invoque divers textes, de droit national (Constitution togolaise, Code de procédure pénale et Code du travail du Togo) et de droit international (Pacte relatif aux droits civils et politiques, Convention contre la torture, Déclaration universelle des droits de l’homme, « Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement », Charte africaine des droits de l’homme et des peuples etc).
Pour sa part, l’Etat du Togo demande d’abord à la Cour de déclarer la requête irrecevable, eu égard que le sieur A serait « représenté » par un « Collectif d’associations » (CACIT) ne pouvant se prévaloir de la qualité de victime. Sur le fond, l’Etat défendeur conteste également les arguments du requérant, en mettant en exergue le caractère régulier de la procédure dont il a fait l’objet et en contestant la véracité des faits ainsi que celle des documents médicaux que celui-ci a soutenus ou produits.
IV — Analyse de la Cour
En la forme, la Cour doit d’abord se pencher sur la cause d’irrecevabilité soulevée par l’Etat défendeur.
La Cour rappelle qu’il résulte en effet d’une jurisprudence bien établie que seules les « victimes » des violations de droits de l’homme peuvent se présenter devant elles. Elle n’admet pas d’actio popularis ou tout ce qui pourrait lui ressembler dans une procédure comme celle-ci. Cette jurisprudence est bien assise. La nécessité d’un préjudice personnel, justification de l’intérêt à agir, a été soulignée plusieurs fois par la Cour.
Dans l’arrêt du 9 mai 2011, « Center for Am and Developpement, et Center for Defence of Human rights and Am contre Ao Af et République du Niger » (ECW/CCJ/JUD/05/11), la Cour, après avoir cité les termes de l’article 10 du Protocole de 2005, la Cour note qu’ « il ressort des éléments du dossier que les requérantes sont des personnes morales, établies sous l’empire des lois de la république fédérale du Nigéria et des lois de la république du Bénin, respectivement pour le Centre pour le développement et la démocratie et le Centre pour la défense des droits de l’homme en Afrique et la démocratie. Or, en l'espèce, à supposer même que lesdites associations possèdent la capacité juridique dans leurs Etats respectifs, elles n’ont pas démontré leur qualité de victime ni justifié de la qualité pour agir au nom de victimes dont elles auraient reçu mandat » (828).
Puis , « la Cour (..) note que les décisions prises par Monsieur Ao Af n’ont d'effets qu’à l’égard des nationaux nigériens et éventuellement à l’égard des résidents dans ce pays. Or, les requérantes ne sont pas des associations de droit nigérien et ne justifient pas avoir de sections dans cet Etat non plus. Lesdites décisions ne leur sont dès lors pas opposables et ne les touchent ni de près ni de loin ; elles ne peuvent donc être victimes de leurs conséquences. En définitive, elles ne sauraient se voir reconnaître la qualité de victimes » (829).
Dans l’arrêt du 12 février 2014, « Monsieur Ac Aq contre République du Mali » (ECW/CCIJ/JUD/03/14), la Cour : « Dit que Ac Aq ne peut se prévaloir de la qualité de victime de violations de ses droits (….) puisqu’il n’a pu être candidat aux élections présidentielles au sens de la loi électorale du Mali
En conséquence, le déboute (…) » (8 29).
Rapporté au cas présent, cette jurisprudence signifie que la Coalition des Associations Contre l’Impunité au Togo (CACIT) ne saurait être considérée comme une victime par la Cour. Elle doit donc être écartée de la cause, et la requête déclarée irrecevable en ce qu’elle concerne la CACIT.
En conséquence, la Cour déclare la demande de la CACIT irrecevable.
La Cour remarque toutefois que la CACIT ne s’est présentée qu’ « aux côtés » de M. A, que celui-ci a bien saisi la Cour, ainsi que cela résulte des mentions de la requête introductive d’instance. La victime prétendue ne s’est donc jamais « effacée » au profit de la CACIT, son nom figure sur l’acte qui saisit la Cour ; en conséquence, la requête doit être déclarée recevable en ce qui la concerne.
La Cour déclare dès lors la requête recevable en ce qui concerne M..A.
Sur le fond, la Cour doit d’abord faire deux observations.
La première concerne l’invocation du droit togolais. A l’appui de sa requête, le demandeur se prévaut en effet de dispositions de la Constitution togolaise, du Code de procédure pénale et du Code du travail du Togo. Or, la Cour a toujours souligné que, comme juge de la violation des droits de l’homme, elle applique les normes internationales opposables aux Etats, c’est-à-dire, notamment, les engagements internationaux de ceux-ci, qui consistent souvent en traités ratifiés ou actes unilatéraux d’institutions internationales auxquelles ils sont membres. La Cour ne saurait donc, en principe, apprécier la conduite des Etats en vertu de leur droit national. C’est pourquoi elle doit, dans la présente affaire, écarter tous les arguments reposant sur la Constitution du Togo, ainsi que sur le Code de procédure pénale et le code du travail du pays.
La Cour doit également écarter les normes internationales n’ayant pas un caractère obligatoire, ne liant pas les Etats. L’on sait en effet qua dans l’ordre international notamment, peuvent être pris une foule d’actes n’ayant pas un caractère impératif à l’égard des Etats, actes relevant de ce qu’on appelle la « Soft Law », droit « vert » OU « mou », n’ayant qu’une portée incitative mais ne pouvant pas être tenu pour obligatoire à l’égard des Etats.
Or, parmi les textes cités par le requérant, on trouve des actes de telle nature : c’est le cas de l’« Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement », ou encore de la « Déclaration sur les principes de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir ».
Il s’agit là deux instruments juridiques adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies (respectivement 43/173 du 9 décembre 1988 et 40/34 du 29 novembre 1985), de telles résolutions n’ayant en principe pas d’effet obligatoire. Il importe donc que la Cour les écarte également des débats. Pour mémoire, on rappellera que dans son Arrêt du 16 février 2016, « Ak As Ap contre République du Togo », la Cour avait indiqué, à propos de tels instruments juridiques, que « de tels instruments ne sont évidemment pas dépourvus de tout intérêt pour la Cour ; ils peuvent notamment constituer des indices précieux dans l’appréciation d’un « consensus » autour de règles données, dans la perspective notamment de l'émergence d’une coutume internationale, source incontestable de droit. Mais en eux-mêmes, ces instruments à portée déclarative ne lient pas les Etats, et la Cour a toujours insisté sur le fait que les allégations de violation des droits de l’homme doivent reposer sur des textes qui obligent effectivement ces Etats. Comme elle a eu à le déclarer dans son arrêt « Al Ai » du 11 juin 2010, « le régime international de protection des droits de l’homme devant les organes internationaux repose essentiellement sur les traités auxquels les Etats sont parties (…) » ($46). De même dans l'arrêt précité du 13 juillet 2015, « CDP et autres contre Ag Aj », la Cour estime qu’ « elle n’a vocation à sanctionner que la méconnaissance d'obligations résultant de textes internationaux opposables aux Etats » (825).
S’agissant des mérites mêmes de la requête, la Cour doit relever trois éléments importants du dossier.
Le premier est que, contrairement aux allégations du requérant, il a bien été condamné pour vol. Ce point ressort très clairement de l’arrêt de la Cour d’appel de Lomé du 9 septembre 2010. Le requérant a été reconnu coupable aussi bien en première instance (p. 5 de l’arrêt) qu’en appel (dispositif de l’arrêt, p. 9). Il s’ensuit que son arrestation et sa détention ne sauraient être qualifiées d’arbitraires.
Sans doute cela ne justifie nullement qu’il puisse subir, au cours de sa détention, un traitement dégradant. Mais sur ce point, aucune preuve n’est rapportée par le requérant. Ce dernier se contente de narrer les actes dégradants qu’il aurait subis au cours de sa détention, notamment durant la phase d’enquête, mais aucun élément probant n’est produit à cet égard. La Cour constate que le requérant procède par simples affirmations et n’offre aucune possibilité à la Cour d’exercer son contrôle quant aux faits dénoncés. Or, c’est une exigence minimale qu’un demandeur doit fournir les preuves de ce qu’il avance. Dans maintes affaires, la Cour a rejeté une requête pour griefs non prouvés. Dans l’arrêt du 17 février 2010, « Ah Ar contre République du Bénin », elle a indiqué que « les cas de violation des droits de l’homme doivent être étayés par des éléments de preuve qui permettent à la Cour de les constater et d’en sanctionner la violation s’il y a lieu» ($ 34). Puis dans l’arrêt du 31 octobre 2012, « An Ae contre République du Faso », elle « observe que le requérant n’étaye cette allégation d'aucune preuve. Il ne fait même pas une description édifiante des faits de mauvais traitements subis, des personnes impliquées, des circonstances de temps et de lieu dans lesquelles elles seraient intervenues » (837).
Sans doute le demandeur a-t- il produit un certificat médical faisant état de douleurs et pathologies dont il souffrirait. Mais il convient de relever que ce document n’a été produit qu’en 2016, et que les faits dénoncés remontent aux années 2005-2006. Le temps écoulé - plus de dix années — n’est pas de nature à conférer à cette pièce une grande importance.
Il convient d’ajouter qu’à maintes reprises, le certificat médical que voilà se contente de reprendre les déclarations du requérant, et l’indique bien. La Cour ne s’interroge pas sur l’existence ou la matérialité des faits litigieux, elle se contente de constater que la preuve de ceux-ci n’est pas rapportée dans des conditions satisfaisantes ou propres à emporter sa conviction.
Dès lors, elle doit déclarer non fondé le grief de violation des droits de l’homme par l’Etat défendeur.
Sur les dépens La Cour, conformément à l’article 66 de son Règlement, condamne le requérant aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violations de droits de l’homme, en premier et dernier ressort,
En la forme
Se déclare compétente ;
Déclare irrecevable la requête en ce qui concerne la Coalition des Associations Contre l’Impunité au Togo (CACIT), pour défaut de qualité ;
Déclare recevable la requête en ce qui concerne le sieur Ab Aa A
Au fond
Déboute le requérant pour griefs non étayés
Le condamne aux dépens
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Cour de justice de la CEDEAO à C, les jour, mois et an susdits.
Et ont signé
Hon Juge Jérôme TRAORE
Hon. Juge Yaya BOIRO
Hon Juge Alioune SALL
Assistés de Me Athanse ATANNON Greffier


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/06/18
Date de la décision : 19/02/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2018-02-19;ecw.ccj.jud.06.18 ?
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