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21/11/2017 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/15/17

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 21 novembre 2017, ECW/CCJ/JUD/15/17


Texte (pseudonymisé)
COMMUNITY ECOWAS COURT OF JUSTICE, € No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT, OFF AMINU KANO CRESCENT,
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
CEDEAO WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
TRIBUNAL DE JUSTIÇA CEDEAO DA COMUNIDADE, Near” TEL: Website: PMB 09-6708210/5240781 567 www. GARKI, courtecowas.org AB Fax 09-5240780/5239425
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES
ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
SIEGEANT A C AU NIGERIA
CE 21 Novembre 2017
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/14/15
ARR

ET N° ECW/CCJ/JUD/15/17
M. A B REQUERANT
CONTRE
L’ETA...

COMMUNITY ECOWAS COURT OF JUSTICE, € No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT, OFF AMINU KANO CRESCENT,
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
CEDEAO WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
TRIBUNAL DE JUSTIÇA CEDEAO DA COMUNIDADE, Near” TEL: Website: PMB 09-6708210/5240781 567 www. GARKI, courtecowas.org AB Fax 09-5240780/5239425
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES
ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
SIEGEANT A C AU NIGERIA
CE 21 Novembre 2017
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/14/15
ARRET N° ECW/CCJ/JUD/15/17
M. A B REQUERANT
CONTRE
L’ETAT DU BURKINA DEFENDERESSE
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Hamèye Founé MAHALMADANE Président
Hon. Juge Yaya BOIRO Juge
Hon. Juge Alioune SALL Juge
Assistés de Me Aboubacar Djibo DIAKITE Greffier I — Les parties et leur représentation
La Cour a été saisie par requête déposée le 22 avril 2015 par M. A B, inspecteur divisionnaire des Douanes de nationalité burkinabé, représenté par la Société Civile Professionnelle (SCP) Ouattara-Sory et Salambéré, avocats associés, inscrits au barreau du Burkina.
L’Etat du Burkina est représenté par son Agent judiciaire du Trésor, établi à Af, BP 7015.
IT — Présentation des faits et de la procédure
A la suite de la découverte de quatre cantines dont deux contenaient une somme d’argent d’un montant d’un milliard neuf cent six millions cent quatre-vingt-dix mille six cent quatre (1.906.190.604) francs CFA, appartenant à M. A B, directeur général des douanes, celui-ci a été inculpé le 5 janvier 2012 de corruption passive, d’enrichissement illicite, de blanchiment de capitaux et de détention illégale d’arme à feu.
Par la suite, après avoir été présenté devant un juge d’instruction qui a pris une ordonnance déclarant les charges suffisamment établies et renvoyant le dossier d’instruction au Procureur général près la Cour d’appel de Af, M. B a saisi le Chambre d’accusation aux fins d’annulation d’un certain nombre d’actes de procédure. Par arrêt n° 027 du 30 avril 2014, ladite Chambre a rejeté la requête en nullité et ordonné le renvoi du requérant devant la Chambre criminelle pour y être jugé.
Contre cet arrêt, M. B s’est pourvu en cassation, mais ce nouveau recours a été déclaré irrecevable par la Cour de cassation dans un arrêt du 26 février 2015, au motif que la déclaration de pourvoi n’a pas été inscrite par les conseils de M. B sur le registre tenu à cet effet par le greffe de la Cour d’appel de Af, conformément aux dispositions de l’article 583 du Code de procédure pénale du Ah Ai, mais a été faite par simple correspondance en date du 5 mai 2014.
C’est dans ces conditions que M. A B a saisi la Cour de justice de la CEDEAO aux fins de constater la violation, par l’Etat du Burkina à travers ses organes judiciaires, d’un certain nombre de ses droits.
III — Moyens et arguments des parties
Le requérant articule deux griefs à l’encontre de l’Etat du Burkina.
D’une part, celui-ci aurait méconnu le principe d’égalité des citoyens devant la loi (prévu notamment par l’article 3-2 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples), le droit à un procès équitable (stipulé par l’article 7-1 de la même Charte), ce en ayant entravé son droit à exercer un recours effectif puisqu’il estime que si son pourvoi en cassation n’a pas été déposé dans les formes requises par la loi burkinabé, c’est en raison d’une grève du personnel judiciaire le jour même de ce dépôt, et que c’est devant l’impossibilité de faire autrement qu’il a été obligé de déclarer son pourvoi par simple correspondance. Il s’ensuit, selon le requérant, que le dysfonctionnement du service public de la justice l’a empêché d’exercer son droit au recours, et que la grève qu’il allègue a eu pour effet, objectivement, de porter atteinte à son droit à un procès équitable.
D'autre part, le requérant invoque une atteinte à la présomption d’innocence, énoncée par l’article 7-1 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dans la mesure où il n’a eu de cesse, prétend-il, d’être présenté par les autorités burkinabé, tout au long d’une procédure qui n’avait pas encore conclu à sa culpabilité comme un « voleur », terme qu’il reprend lui-même dans ses écritures. Cette présomption de culpabilité qu’on a fait peser sur lui constitue également, de son point de vue, une violation de ses droits.
Pour l’ensemble de ces griefs, le requérant sollicite de la Cour qu’elle constate que le dysfonctionnement des services judiciaires a, en définitive, entravé l’exercice de son droit à un procès équitable, que son droit à la présomption d’innocence a été violé, que « la période de transition n’est pas propice pour offrir à M. B A un procès équitable », et en conséquence qu’elle condamne l’Etat du Burkina à lui payer la somme de cinquante millions (50.000.000) de Francs CFA à titre de compensation financière.
L’Etat du Burkina réfute ces deux imputations. Il rappelle d’abord les dispositions du Code pénal burkinabé relatives aux formes et conditions de dépôt du pourvoi en cassation (article 583) et suggère clairement qu’il n’existe pas de procédure alternative à celle qui est prévue par la loi. Sur la même lancée, l’Etat défendeur émet de sérieux doutes sur les déclarations du requérant, en s’interrogeant d’une part sur le fait qu’aucun document établissant la réalité de la grève évoquée n’a été produit, et que, « curieusement » note-t-il, la correspondance du requérant a bien été reçue au greffe de la juridiction le jour même où la grève aurait eu lieu (le 5 mai 2014).
Sur la présomption d’innocence, l’Etat défendeur s’est contenté de plaider l’absence de preuve des prétendues déclarations évoquées par le requérant. Il a ajouté que M. B a au contraire obtenu, à un moment donné, une liberté provisoire lui ayant permis de battre campagne aux élections municipales (du 2 décembre 2012), et même d’être élu conseiller, tout cela en dépit des critiques qu’une partie de l’opinion a adressées aux autorités judiciaires ayant décidé de lui accorder cette liberté provisoire.
L’Etat défendeur conclut en demandant à la Cour de dire qu’aucune violation de droits de l’homme n’a été commise au préjudice du requérant, et qu’en conséquence l’octroi d’une quelconque indemnité ne se justifie point.
IV — Analyse de la Cour
En la forme
La Cour constate que les conditions de l’exercice de sa compétence sont a priori réunies : les violations alléguées auraient eu lieu sur le territoire d’un Etat membre de la Communauté, les instruments internationaux évoqués lient l’Etat défendeur et au demeurant, aucune des parties ne soulève l’incompétence de la juridiction.
Au fond :
Les données soumises à la Cour paraissent relativement simples : le requérant fonde ses demandes sur l’entrave de son droit à un procès équitable consécutive à une grève des services de la justice, et sur la violation de la présomption d’innocence résultant de déclarations publiques l’accusant avant même que la justice ait tranché le différend en cause.
Sur la violation au droit à un procès équitable :
Le débat porte ici sur la portée et les conséquences des faits de grève allégués par M. B dans sa requête.
La Cour doit cependant s’interroger sur ce point à plusieurs égards. En effet, le requérant n’a, dans aucune pièce du dossier, formellement rapporté la preuve de ce dysfonctionnement des services de la justice au Ah Ai, et plus précisément, de cette grève qui l’aurait empêché de déposer son pourvoi dans les formes et conditions orthodoxes. Le requérant et ses conseils auraient parfaitement pu, devant l’entrave ainsi constatée, chercher à établir la réalité de la grève ne serait-ce que par un constat d’officier assermenté ou par tout autre moyen. Il s’agit là d’une précaution dont on s’explique difficilement qu’elle échappe à un professionnel du droit, dans une instance aux enjeux considérables et ce, à la veille de la réalisation d’un risque de forclusion. La simple gravité de l’affaire aurait dû inciter le requérant et ses conseils à s’entourer de précautions probatoires minimales, de l’établissement de preuves de la rupture du fonctionnement du service de la justice. Les moyens disponibles à cet égard sont nombreux : constat d’huissier, déclaration écrite du greffier en chef de la Cour d’appel de Af, avec qui le conseil de M. B prétend s’être entretenu sur la conduite à tenir devant le dysfonctionnement constaté, voire de simples coupures de presse pouvant au moins constituer un commencement de preuve, et établissant que ce jour-là, une grève avait paralysé le fonctionnement des services judiciaires. Or, la Cour constate que rien de tout cela n’a été établi.
Elle est d’autant moins encline à considérer ce fait comme acquis que l’Etat défendeur lui-même semble en contester l’existence puisqu’il émet un doute, dans ses écritures, sur le fait que le jour prétendu de la grève (le 5 juin 2014), la correspondance par laquelle les conseils du requérants saisissaient le greffe lui était dûment parvenue (pp. 3 in fine et 4 du Mémoire en défense).
Il faut en outre insister sur un autre élément capital du débat sur ce point : pour emporter la conviction de la Cour, le requérant ne doit pas seulement prouver le dysfonctionnement des services de la justice le jour où la déclaration de pourvoi devait être faite, il doit également démontrer qu’il s’était lui-même présenté au greffe de la juridiction au même moment. Deux faits doivent ainsi être mis en évidence pour que la demande soumise à la juridiction des céans puisse prospérer : l’événement que constitue la grève et la présence du conseil du requérant dans les locaux du secrétariat de la Cour d’appel aux fins de déposer le pourvoi en cassation.
Au surplus, il ne figure nulle part dans les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale burkinabé, que la déclaration de pourvoi par correspondance peut se substituer à l’inscription de celle-ci dans le registre conçu à cet effet. La procédure utilisée par les conseils du requérant ne se fonde ainsi sur aucun texte.
En tout état de cause, la Cour ne saurait prendre pour argent comptant des allégations non prouvées. Or, ni la grève décriée par le requérant, ni la présence de celui-ci dans les locaux de la juridiction n’a été prouvée. Et la Cour a maintes fois rappelé la nécessité d’étayer les griefs soulevés devant elle par des preuves, entre autres dans ses arrêts suivants :
- arrêt du 7 octobre 2015, « Messieurs Al Aa et autres contre Etat du Togo » (ECW/CCJ/JUD/18/15) :
810 : « Considérant qu’en règle générale, il appartient au demandeur de rapporter la preuve de ses prétentions, et qu’en application de ce principe, la Cour de la CEDEAO retient de manière constante (...) que tous les cas de violation des droits de l’homme invoqués devant elle par un requérant, doivent être étayés de manière spécifique, par des preuves suffisamment convaincantes et non équivoques.
En l'espèce, la Cour relève à l’issue des débats et sur la base des pièces de la procédure, que les requérants ne rapportent aucun élément de preuve quant à leur arrestation et leur détention par les autorités judiciaires togolaises ».
- arrêt du 16 février 2016, « Aj Ag Am contre République du Togo » (ECW/CCI/JUD/02/16) :
831 : « La Cour observe cependant que le requérant ne fournit jamais la preuve des actes de torture subis. Il n'existe dans le dossier ni témoignage, ni surtout des constatations d'ordre scientifique ou médical propres à étayer les affirmations contenues dans la requête. Or, en la matière comme en bien d’autres, il incombe au demandeur de soumettre à l’appréciation de la Cour les éléments de preuve attestant la réalité de la violation invoquée » ;
- arrêt du 16 février 2016, « Ab Ae Ac et Ad Ak contre République de Guinée » (ECW/CCI/JUD/03/16) :
8 66 et 73 : « Attendu qu’en l'espèce, le requérant Ak Ad ne produit pas à l’appui de ses déclarations, des actes pouvant fonder les allégations de violation des droits de la défense ; qu’il ne produit en effet ni la décision qui le condamne à un (01) mois d'emprisonnement, ni aucun autre acte d’une autre nature qui pourrait attester d’une part qu’il a été jugé pour désertion, et d’autre part, qu’il a été victime de la violation de ses droits à la défense lors dudit jugement ; qu’il n’existe au dossier aucune pièce qui puisse attester ses déclarations (….) ;
Ainsi, pour des raisons liées aussi bien aux données intrinsèques du dossier qu’à sa jurisprudence traditionnelle, la Cour estime que la violation du droit au procès équitable et à l’égalité devant la loi, consécutive à la grève des services judiciaires, ne saurait être établie. Il convient donc de rejeter ce moyen.
Sur la violation du droit à la présomption d’innocence :
M. A B avance également que tout au long de la procédure judiciaire qui le concerne, les autorités burkinabé l’ont volontiers présenté, selon ses propres termes, comme « un voleur de la République », et que cette imputation infamante, articulée alors que sa culpabilité n’avait nullement été judiciairement établie, constitue une violation de son droit à la présomption d’innocence, consacré notamment par l’article 7-1 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Si de telles accusations avaient été effectivement formulées dans le contexte d’une procédure judiciaire en cours, la Cour aurait sans nul doute considéré qu’il s’agirait d’une méconnaissance des droits du requérant. Encore faut-il, comme toujours, que la preuve de tels griefs soit rapportée. Or, la Cour est au regret de constater que sur ce second point de l’argumentation de M. B, aucun élément ne lui a été rapporté, de nature à étayer cette critique. Dans des circonstances pareilles, que la Cour a connues dans le passé, les plaideurs s’efforcent d’éclairer la religion des juges en versant aux débats des déclarations ou prises de position corroborant les accusations de parti-pris. Cette exigence probatoire simple n’a pas été respectée par le requérant. Au reste, ce point de son argumentation ne fait pas plus de trois (3) paragraphes de deux (2) lignes chacun (avant- dernière page de la requête).
Il convient d’ajouter que dans sa jurisprudence, la Cour a toujours estimé qu’en tant que telles, de simples déclarations, même émanées d’hommes politiques, ne suffisent pas à constituer une violation de la présomption d’innocence. Une telle violation se déduit de faits précis, de préjudices soufferts, notamment en cours de procédure, et non de simples propos.
Dans ces conditions, la Cour ne peut pas considérer que la requête établit la violation du droit à la présomption d’innocence. Il convient donc de rejeter cette allégation comme mal-fondée.
Sur les dépens :
Compte tenu de tous ces éléments, la Cour estime qu’il convient de condamner le requérant aux dépens, conformément à l’article 66 de son Règlement.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violations de droits de l’homme, en premier et dernier ressort,
En la forme
Se déclare compétente ;
Déclare recevable la requête introduite par M. B A contre l’Etat du Burkina;
Au fond
Dit que les violations des droits à l’égalité devant la loi, à un procès équitable et à la présomption d’innocence ne sont pas établies ;
Déboute en conséquence le requérant de l’ensemble de ses demandes ;
Le condamne aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Cour de justice de la CEDEAO à C, les jour, mois et an susdits.
Et ont signé Hon. Juge Hamèye Founé MAHALMADANE Président
Hon. Juge Yaya BOIRO Juge
Hon. Juge Alioune SALL Juge
Assistés de Me Aboubacar Djibo DIAKITE Greffier


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/15/17
Date de la décision : 21/11/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2017-11-21;ecw.ccj.jud.15.17 ?
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