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17/05/2016 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/14/16

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 17 mai 2016, ECW/CCJ/JUD/14/16


Texte (pseudonymisé)
COMMUNITY COURT OF JUSTICE,
ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, ST CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMMUNIDADE,
CEDEAO No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT,
OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, A
TEL/FAX:234-9-6708210/09-5240781 COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
SIEGEANT A A AU NIGERIA
CE 17 MAI 2016
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/35/15
ARRET N° ECW/CCJ/JUD/14/16
La Société du Pont de KAYES REQUERANT
CONT

RE
REPUBLIQUE DU MALI DEFENDERESSE
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Jérôme TRAORE ...

COMMUNITY COURT OF JUSTICE,
ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, ST CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMMUNIDADE,
CEDEAO No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT,
OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, A
TEL/FAX:234-9-6708210/09-5240781 COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
SIEGEANT A A AU NIGERIA
CE 17 MAI 2016
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/35/15
ARRET N° ECW/CCJ/JUD/14/16
La Société du Pont de KAYES REQUERANT
CONTRE
REPUBLIQUE DU MALI DEFENDERESSE
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Jérôme TRAORE Président
Hon. Juge Yaya BOIRO Juge
Hon. Juge Alioune SALL Juge Rapporteur
Assistés de Me Athanase ATANNON Greffier I — Les parties et leur représentation
La Cour a été saisie par requête reçue en son Greffe le 16 novembre 2015. Cette requête a été déposée par la « Société du Pont de Kayes » (S.P.K), société anonyme de droit malien ayant son siège social à Kaye (République du Mali) et représentée par le cabinet d’avocats « Aquereburu et Partners », sis au 777, avenue Ab Al à Lomé (République du Togo).
La République du Mali, défenderesse, est représentée par la Direction générale du contentieux de l’Etat.
IT — Présentation des faits et de la procédure
La requérante, la Société du Pont de Kayes, (S.P.K) expose que le 3 octobre 1996, elle a conclu avec l’Etat du Mali un contrat de concession du pont routier de péage de Kayes. Aux termes de ce contrat, il était concédé à la S.P.K. la construction d’un pont reliant Af Ac à Kaye Ba, d’une longueur de 420 mètres, et d’un coût estimatif de deux milliards huit cent millions (2.800.000.000) de francs CFA. La SPK se voyait attribuer l’exploitation et l’entretien du pont pour une période de 20 ans. Aux termes de l’article 33 du contrat de concession, le concessionnaire, c’est-à-dire la SPK, serait rémunéré par le péage, dont les tarifs figuraient dans le contrat.
Sur cette base, la requérante a sollicité et obtenu un prêt bancaire pour le montant prévu de deux milliards huit cent millions (2.800.000.000) de francs CFA. Elle a par suite réalisé le pont, et celui-ci était ouvert à la circulation de 23 avril 1999.
Aux termes de la requête, les autorités maliennes auraient brutalement arrêté le péage et, n’auraient, par la suite, nullement donné suite aux interpellations successives de la requérante.
C’est dans ces conditions que la Société du Pont de Kayes aurait saisi la Cour de justice de la CEDEAO, pour violation de ses droits par l’Etat du Mali.
L’Etat du Mali a d’abord répondu aux arguments de la requérante par un mémoire en défense. Il y invoque d’abord l’incompétence de la Cour et, sur le fond, le caractère non fondé des prétentions de la SPK.
Le 16 février 2016, la Société du Pont de Kaye a déposé au Greffe de la Cour un mémoire en réplique. Elle y expose que la Cour a pleine compétence pour examiner l’affaire qui lui est soumise et, d’autre part, que l’Etat du Mali a opposé un refus persistant à toutes les tentatives de restauration du péage.
III — Moyens et arguments des parties
La SPK avance qu’en rompant unilatéralement le contrat de concession, l’Etat du Mali lui aurait causé un manque à gagner de neuf milliards neuf cent cinq millions huit cent quarante mille (9.905.840.000) francs CFA, somme établie sur la foi d’un rapport d’expertise financière joint au dossier. Elle considère que l’inexécution par le Mali de son obligation contractuelle a eu pour résulter de compromettre gravement et dangereusement sa situation économique.
Elle invoque donc une violation de ses « droits économiques » et se fonde, pour cela, sur plusieurs instruments internationaux liant l’Etat du Mali. Il s’agit des dispositions suivantes :
- Article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme selon lequel « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondéeàä obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité grâce à l'effort national et à la coopération internationale » ;
- Préambule de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, aux termes duquel «il est essentiel d'accorder désormais une attention particulière au droit et au développement des citoyens », et, ajoute la requête, « que les droits civils et politiques sont indissociables des droits économiques, sociaux et culturels, tant dans leur conception que dans leur universalité et que la satisfaction des droits économiques garantit la jouissance des droits civils et politiques » ;
- Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, qui, selon encore la requérante, « pose le principe de l'égalité entre tous les citoyens concernant les droits économiques ainsi que toutes les constitutions des Etats africains qui font de la protection des droits de l’homme un élément objectif de l'existence même de l'Etat » ;
- Enfin, la requête s’appuie sur l’article 4 du Traité de la CEDEAO en ce qu’il engage les Etats membres à reconnaître, et protéger les droits de l’homme.
Sur la foi de l’ensemble de ces éléments, la Société du Pont de Kaye demande à la Cour de « dire et juger que l'Etat du Mali a violé » ses « droits économiques et a violé ses propres engagements internationaux », d’ordonner à celui-ci de lui payer la somme de neuf milliards neuf cent cinq millions huit cent quarante mille (9.905.840.000) francs CFA en réparation du préjudice subi et de le condamner aux dépens.
Pour sa part, l’Etat du Mali soutient l’incompétence de la Cour à connaître de l’affaire qui lui est soumise. Le Mali considère que le litige en question est relatif à l’exécution d’obligations contractuelles, question tranchée par le droit national malien, notamment l’article 105 de la loi de 1987 portant régime général des obligations au Mali, et qui, de son point de vue, s’applique aussi bien aux obligations civiles que commerciales.
Plus spécifiquement, l’Etat défendeur invoque l’article 55 du contrat de concession le liant à la SPK, lequel donne compétence, pour toute contestation née de l’exécution du contrat, à « la juridiction malienne ».
Il ajoute qu’ « aucun acte » n’a été pris pour arrêter le péage et qu’il a lui-même, par ailleurs, « intégralement payé » le prêt de deux milliards huit cent millions (2.800.000.000) de francs CFA initialement contracté par la SPK.
Dès lors, l’Etat du Mali demande à la Cour de reconnaître qu’elle n’est pas compétente. Si « par extraordinaire » elle devait connaître du fond, il lui est demandé qu’elle reconnaisse que le Mali « n’aviolé aucun engagement contractuel », et de débouter la requérante de ses prétentions.
IV — Analyse de la Cour
En la forme :
La Cour doit d’abord se pencher sur la question même de sa compétence. Outre qu’il s’agit là d’une obligation première pour toute juridiction saisie, elle doit, en l’espèce, accorder d’autant plus d’attention à ce point que l’Etat défendeur en fait un élément capital de sa défense.
La question posée porte sur l’aptitude de la Cour à connaître d’un contentieux dont la nature et l’origine contractuelle ne sont contestées par aucune des parties : c’est bien le contrat de concession du pont routier à péage de Kaye, conclu le 3 octobre 1996 entre les deux parties, qui constitue la source du présent litige.
La Cour, il faut le rappeler, est compétente en matière de violation des droits de l’homme, conformément à l’article 10 du Protocole additionnel de 2005. La question est donc de savoir si l’inexécution d’une obligation contractuelle est, en tant que telle, susceptible d’être analysée comme une « violation des droits de l’homme ».
Il est difficile, de l’avis de la Cour, de confondre les deux domaines. Un examen minutieux des arguments et moyens de la Société du Pont de Kaye révèle qu’en dépit des tentatives de celle-ci de situer le préjudice qu’elle aurait subi sur le terrain des droits de l’homme, il ne s’agit jamais que d’exécution d’engagements conventionnels.
Certes, la requérante invoque un certain nombre de textes internationaux opposables au Mali. Mais force est de constater que nulle part dans ses écritures, et à aucun moment au cours des plaidoiries, elle n’a pu spécifier un « droit de l’homme » précis, une prérogative précise protégée par les instruments invoqués, qui aurait été méconnue en l’espèce. La Société du Pont de Kayes évoque, de façon somme toute assez imprécise, des « droits économiques », mais il n’existe pas, dans le champ des droits de l’homme, de « droit économique » en général. Il existe en revanche des prérogatives spécifiées, des « droits- créances » spéciaux, trouvant à s’appliquer dans l’ordre économique. La Cour doit constater que l’argumentation de la SPK manque à cet égard de précision, pèche par « généralité ».
A supposer que la requérante ait effectivement subi un manque à gagner, une telle lésion ne s’analyse pas nécessairement en « violation de droit de l’homme », la notion de « droits de l’homme » étant plus précise et renvoyant à un catalogue de prérogatives données. La Cour est bien obligée de constater, à l’instar de l’Etat défendeur, que le contentieux qui lui est soumis ne relève nullement des « droits de l’homme », mais reste de nature contractuelle, et ne s’approprie pas à une saisine de la Cour dans le cadre de l’article 10 du Protocole de 2005.
Toute lésion de type économique, tout manque à gagner, ne se traduit pas nécessairement en « violation de droits de l’homme ». Il faut en conclure que le litige en question doit être porté devant d’autres instances que la Cour, celle-ci n’ayant évidemment pas à indiquer ces instances.
Ce faisant, la Cour reste dans sa tradition jurisprudentielle.
Dans l’arrêt du 2 novembre 2007, « Aa Ah Aj Am c. Ad Ae et Etat du Bénin », la Cour, après avoir rappelé que « les deux parties étaient en relations d’affaires », a relevé qu’ « il n'a nullement été question de violations de droits de l’homme mais simplement de relations contractuelles » (828) et a ainsi conclu à son incompétence.
Dans l’affaire « Mrs Ag Ai Ak et autres c république du Sénégal » (arrêt du 22 novembre 2007), la Cour s’est également déclarée incompétente compte tenu du fait que « le présent litige ne porte pas sur les droits de l’homme » (854).
Il convient, aux yeux de la Cour, de rester fidèle à cette jurisprudence et, sans qu’il soit besoin d’aller plus loin dans le débat judiciaire, de décliner sa compétence dans le présent procès et, conséquemment, de condamner la Société requérante aux dépens conformément à l’article 66 du Règlement.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violations des droits de l’homme, en premier et dernier ressort,
En la forme
Se déclare incompétente pour connaître de la requête introduite par la Société Pont de Kayes ;
Met les dépens à la charge de la requérante
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Cour de justice de la CEDEAO à A, les jour, mois et an susdits
Et ont signé
Hon. Juge Jérôme TRAORE, Président
Hon. Juge Yaya BOIRO, Juge
Hon. Juge Alioune SALL, Juge Rapporteur
Assistés de Me Athanase ATANNON Greffier


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/14/16
Date de la décision : 17/05/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2016-05-17;ecw.ccj.jud.14.16 ?
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