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17/05/2016 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/11/16

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 17 mai 2016, ECW/CCJ/JUD/11/16


Texte (pseudonymisé)
RTE No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT, COMMUNITY COURT OF JUSTICE,
ECOWAS OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
CEDEAO SconnÉ PMB 567 GARKI, AI
TEL/FAX:234-9-6708210/09-5240781 TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMMUNIDADE,
CEDEAO Website: Www.courtecowas.org
LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE DES ETATS
DE L’AFRIQUE DE L’OUEST, siégeant à AI en République
Fédérale du Nigeria, ce jour 17 mai 2016, dans l’affaire :
Affaire N

°ECW/CCJ/APP/39/15
Arrêt N° : ECW/CCJ/JUD/11/16
1. Ag Ac, née vers 1952 à Bintagoun...

RTE No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT, COMMUNITY COURT OF JUSTICE,
ECOWAS OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
CEDEAO SconnÉ PMB 567 GARKI, AI
TEL/FAX:234-9-6708210/09-5240781 TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMMUNIDADE,
CEDEAO Website: Www.courtecowas.org
LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE DES ETATS
DE L’AFRIQUE DE L’OUEST, siégeant à AI en République
Fédérale du Nigeria, ce jour 17 mai 2016, dans l’affaire :
Affaire N°ECW/CCJ/APP/39/15
Arrêt N° : ECW/CCJ/JUD/11/16
1. Ag Ac, née vers 1952 à Bintagoungoun
(Cercle de Goundam, Région de Tombouctou, profession,
ménagère domiciliée à Goundam, de nationalité malienne ;
2. Aa Ac, née vers 1957 à Bintagoungoun,
profession ménagère domiciliée à Bintagoungoun, de nationalité
malienne ;
3. Ag B, née vers 1993 à Bintagoungoun, profession
ménagère domiciliée à Bintagoungoun, de nationalité malienne ;
4. Ag Y, née vers 1973 à Bintagoungoun, profession
ménagère domiciliée à Bintagoungoun, de nationalité malienne ;
Ayant toutes pour conseils Maitre Mariam DIAWARA, avocate
régulièrement inscrite au Barreau du Mali, Darsalam Rue 603,
Porte 116, BP 696 Bamako-République du Mali, tel : +223 20 22
81 33/+223 66 74 81 23 et Maitre Modibo T. DOUMBIA, avocat
régulièrement inscrit au Barreau du Mali, Immeuble sis à l’ACI
2000-Hamdalaye, Bamako, tel : 20.95.45.78/ 20.31.73/ Fax :
20.29.68, email : toureh.associés@orangemali.net
Contre :
L’Etat du Mali, représenté par la Direction du Contentieux de l’Etat, BP : 234, tel : +223 20.29.67.11/fax : +223 20 29 67 10 à Ad
A 2000-Rue 385-Portes 315-Bamako/Mali.
Composition de la Cour :
Honorable Juge TRAORE Jérôme : Président/ Juge Rapporteur
Honorable Juge Yaya BOIRO : Membre
Honorable Juge Alioune SALL : Membre
Assistés de Maître Athanase ATTANON : Greffier
A rendu l’arrêt dont la teneur suit :
I- PROCEDURE
Le 18 décembre 2015, Ag Ac, Aa Ac, Ag B et Ag Y, toutes de nationalité malienne, par le biais de leurs conseils, saisissaient la Cour de Justice de la Communauté C d’une requête aux fins de constat de violation des droits de l’homme et de paiement de dommages-intérêts ;
A la même date, elles introduisaient une requête aux fins de procédure accélérée ;
Le 11 janvier 2016, le Greffe de la Cour invitait la République du Mali à produire un mémoire en défense dans un délai d’un mois ;
Le 03 février 2016, la République du Mali déposait au greffe de la Cour son mémoire en défense ;
Le dossier a été appelé à l’audience hors siège à Abidjan le 20 avril 2016 ;
A l’issue des débats, le dossier a été mis en délibéré pour arrêt être rendu le 17 mai 2016 au siège de la Cour à AI ;
II- FAITS-PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
. Par requête reçue au greffe de la Cour de Justice de la Communauté CEDEAO, Mesdames Ag Ac, Aa Ac, Ag B et Ag Y saisissait ladite Cour à l’effet de la voir dire et juger que l’Etat du Mali a :
violé la Convention sur l’Elimination de toutes les Formes de Discrimination à l’égard des Femmes ratifiée par le Mali en 1985 ;
porté atteinte au droit de propriété, notamment le droit à ne pas être injustement privé de sa propriété ;
heurté leur droit à l’égalité devant la loi ;
En conséquence :
Ordonner à l’Etat du Mali de faire cesser la violation de leurs droits évoqués, et prendre toutes mesures appropriées pour garantir leurs droits de propriété et successoral ;
Condamner l’Etat du Mali à payer à chaque requérante la somme de deux cent millions (200.000.000) FCFA, soit un total de Huit cent millions (800.000.000) FCFA au titre de réparation des préjudices matériels et moraux subis par elles du fait de cette grave violation de leurs droits humains, du fait de l’iniquité du procès ;
Le condamner au paiement de la somme forfaitaire de dix millions (10.000.000) FCFA par requérante au titre de remboursement, tous frais de justice confondus, et occasionnés par les multiples procédures devant les juridictions nationales en raison de cette violation de leurs droits humains ;
En outre, le condamner au paiement de l’ensemble des dépens récupérables (conformément à l’article 69 du Règlement de la Cour) tels qu’ils seront évalués relativement à la saisine de la Cour ;
- Enfin, le condamner aux entiers dépens ;
8. Elles exposent qu’elles ont été reconnues comme étant les seules héritières, par le jugement d’hérédité N°05 en date du 18 février 2010 établi par la Justice de Paix à compétence étendue de Goundam, de leur père B Ac décédé le 11 février 1993 à Bintagoungoun (Cercle de Goundam, dans la région de Tombouctou) ;
9. Quelques mois après le décès de leur père, un nommé Aj Z, proche de leur défunt père, est intervenu pour les priver de leur héritage en prétextant qu’une femme ne peut et ne doit hériter d’un bien foncier à Bintagoungoun, en l’espèce, les vingt-quatre (24) champs de culture laissés par leur de cujus ; ce dernier décèdera en 2002 sans bénéficier d’une décision de justice en sa faveur ;
10. Après le décès de Aj Z , un certain Ac AH est entré en scène en se faisant passer pour le représentant des héritiers du défunt Aj Z, alors même qu’il ne dispose d’aucun mandat et que sa représentation a été récusée par les héritiers de Aj Z à travers des actes juridiques ;
11. Le 13 janvier 1994, le Tribunal Civil de Goundam, par jugement N°11 du 13 janvier 1994, leur reconnaissait expressément la qualité d’héritères de feu B Ac et concluait que Aj Z n’avait pas cette qualité ; cependant, le Tribunal lui a toutefois confié la gestion et l’exploitation des champs de culture en lui enjoignant de subvenir à leur besoins toutes les fois qu’elles seront dans la nécessité ou dépourvues de tout soutien ;
12. Suite à un appel interjeté contre ce jugement par Ag Ac, la Cour d’Appel de Mopti, dans son arrêt N°35/bis du 14 Avril 1999 a confirmé partiellement le jugement en ces termes : «
- Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a confié la gestion et l’exploitation des champs à Aj Z et l'obligation pour lui de subvenir aux besoins des héritières ;
Statuant à nouveau sur ce point :
Dit que l'exploitation des champs demeurera entre les mains des héritières sous le contrôle de Aj Z pour garantir le maintien desdits champs dans le patrimoine de la famille du défunt conformément à la coutume locale » ;
13. Suivant un pourvoi formé par Aj Z, la Cour Suprême dans son arrêt N°52 du 18 mars 2003, cassa ledit arrêt tout en renvoyant la cause et les parties devant la Cour d’Appel de Bamako qui, nouvellement composée, a, par arrêt N°90 du 18 février 2004, rendu la décision suivante : «
- Au fond, annule le jugement rendu comme ayant statué ultra petita,
Statuant à nouveau :
- reçoit la requête de Ag Ac, Aa Ac, Ag Y et Ag B comme régulière,
- dit que la dévolution successorale des champs par elles réclamées sera soumise aux prescriptions de la coutume musulmane... » ;
14. Elles formèrent un pourvoi contre cet arrêt, et la Cour Suprême, par arrêt N°207 du 23 juin 2008, l’a rejeté au motif que la Cour d’Appel à « décidé tout simplement que la dévolution successorale des champs sera soumise aux prescriptions de la coutume musulmane sans autre indication sur le partage » ;
15. En raison d’un blocage dans l’exécution de l’arrêt N°90 du 18 février 2004 de la Cour d’Appel de Bamako, le nommé Ac Ac AH, a par requête en date du 22 avril 2010, sollicité de ladite Cour, l’interprétation de son propre arrêt N°90 du 18 aout 2004 ; et par arrêt N°444 du 14 juillet 2010, la Cour d’Appel de Bamako a statué en ces termes : « Dit que l’arrêt N°90 du 14 février 2004 sera interprété comme suit: la dévolution successorale sera faite conformément à la coutume musulmane de la famille du défunt Aj Z où la femme n'hérite pas d’une terre de culture » ;
16. Poursuivant leur exposé, elles précisent qu’il n’est nulle part établi que la coutume Sonrhaï à laquelle il est fait référence dans les motivations de l’arrêt N°444 du 10 juillet 2010, écarte la femme de l’héritage d’un quelconque bien foncier et, contrairement à la teneur de cette décision, l’islam a toujours reconnu à la femme le droit d’hériter de biens fonciers (champs de culture, immeubles ou parcelles); pour preuve, tous les jurisconsultes du droit musulman qui ont été sommés par voie d’huissier de justice, ont affirmé que cette décision (arrêt N°444 du 10 juillet 2010) est en contradiction flagrante avec le Droit musulman qui n’a jamais écarté la femme d’un quelconque héritage ;
17. En raison de l’illégalité flagrante de cette décision, elles se sont pourvues en cassation où la section judiciaire de la Cour Suprême du Mali, par arrêt N°250 du 03 octobre 2011, a rejeté le pourvoi en ces termes : « Attendu que sauf tentative de la part de la demanderesse de remettre en cause le contenu de l'arrêt N°90 du 14 février 2004, il est difficile d'imaginer que la Cour d’Appel puisse procéder par une violation de la coutume en interprétant son propre arrêt ; que le second moyen tiré de la violation de la coutume musulmane n'étant pas plus heureux que le premier, il échoit de le rejeter pour son impertinence » ; qu’elle a également rejeté la requête aux fins de rabat d’arrêt qu’elles ont introduite, par son arrêt N°338 du 27 décembre 2012 au motif qu’elles tentent de contester le raisonnement et l’analyse juridique de l’arrêt de la Haute juridiction ;
18. En définitive, l’arrêt N°338 du 27 décembre 2012 de la Cour Suprême du Mali s’est désormais posé comme une jurisprudence suivant laquelle la fille, la femme et la sœur d’un défunt ne peuvent ni ne doivent hériter d’un bien foncier en raison de leur sexe, toute chose qui est non seulement dépourvue de fondement légal mais aussi viole manifestement toutes les conventions internationales ratifiées par le Mali ;
19. Au soutien de leurs prétentions, elles invoquent relativement à la compétence de la Cour et à la recevabilité de leur requête, les articles 9.4 et 10.d du Protocole Additionnel de 2005 et la
ECW/CCJ/APP/13/08/ El Ah Ae Ab contre C et Ai et ECW/CCJ/JUD/05/10 du 08/11/2010 Ac X contre Ai) ;
20. Sur la violation de la Convention sur l’Flimination de toutes les Formes de Discrimination à l’égard des Femmes, les requérantes soutiennent que l’Etat du Mali a violé les articles 1°”, 2, 3, 5, 24 de cette Convention que le Mali a ratifiée en 1985 et exposent que l’Etat du Mali, qui est tenu d’assurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité que ceux des hommes et garantir, à travers ses lois successorales la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire conformément à la teneur de la convention suscitée, s’est plutôt soustrait à son obligation de protéger la femme contre toute sorte de discrimination, en corroborant à travers ses lois successorales, une discrimination fondée sur l’infériorité de la femme par rapport à l’homme, violant ainsi et de façon manifeste les dispositions pertinentes de la Convention susmentionnée ;
21. Sur la violation de leur droit de propriété et de leur droit à l’égalité devant la loi, les requérantes soutiennent que l’Etat du Mali a violé les articles 1", 2, 7 et 17 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (D.U.D.H) et les articles 3et 14 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (C.A.D.H.P) qui consacrent l’égalité de tous les citoyens devant la loi et le droit à la propriété;
22. Elles précisent qu’au regard de l’arrêt N°444 du 14 juillet 2010 de la Cour d’Appel de Bamako, une femme, en droit musulman, ne peut pas ou ne doit pas hériter d’une terre de culture ; aussi, les divers recours introduits devant la Cour Suprême du Mali pour dénoncer ces violations des droits de l’homme ont-ils tous été rejetés par elle à travers ses arrêts N°250 du 03 octobre 20111 et N°338 du 27 décembre 2012, ignorant ainsi les engagements internationaux de l’Etat du Mali ;
23. Il est donc indéniable pour elles, que l’Etat du Mali, à travers ses lois sur la succession et l’attitude de la Cour Suprême qui a ignoré les textes internationaux protégeant les droits violés, a clairement établi une distinction ou exclusion fondée sur le sexe ; et il vient d’être suffisamment prouvé qu’en raison de leur sexe et de leur ethnie, elles ont été exclues de l’héritage de biens fonciers appartenant à leur père au mépris des articles ci-dessus cités ;
24. Elles relèvent que le législateur malien, devait en application de l’article 7 de la DUDH, protéger leurs droits ; et la Cour suprême du Mali devrait considérer les engagements internationaux prohibant la discrimination comme partie intégrante du droit positif successoral ;
25. Sur la condamnation pécuniaire, les requérantes soutiennent que l’Ftat du Mali est responsable de la violation de leurs droits que sont l’égalité devant la loi et l’égalité de sexe, le droit de propriété et il appartient à la Cour d’ordonner la réparation de la violation de leurs droits en leur accordant des dommages-intérêts ;
26. En outre, l’Etat du Mali devra également rembourser les frais de justice qu’elles ont exposés mais précisent ne pas pouvoir produire les justificatifs y relatifs, compte tenu de la durée de la procédure, soit plus de vingt (20) ans ;
27. Dans son mémoire en défense, l’Etat du Mali demande à la Cour de :
- Dire et juger que l’Etat du Mali n’a commis aucune violation des droits de l’homme ;
- Rejeter la requête comme mal fondée.
28. L’Etat du Mali expose que les requérantes, par leur requête demandent à la Cour de justice de la CEDEAO d’apprécier les décisions de justice du Mali et de constater que celles-ci constituent des violations de droits qui ouvrent droit à des réparations ; cependant, cet exercice ne rentre pas dans le champ de compétence de la Cour ;
29. Pour l’’Etat du Mali, c’est en toute souveraineté que ses juridictions ont rendu des décisions au nom du peuple malien, lesquelles décisions consacrent sa souveraineté ;
30. Il ne revient donc pas à une autre juridiction, même régionale de réformer des décisions rendues par les juridictions nationales ;
31. L’Etat du Mali ajoute que les requérantes, sous le couvert de « violation des droits de l’homme », tentent de faire passer la Cour de Justice de la CEDEAO pour un troisième degré de juridiction de reformation implicite des décisions judiciaires des cours et tribunaux maliens ; toutefois, cette tentative se heurte incontestablement à la jurisprudence constante de la cour de céans qui a toujours rappelé sans ambages qu’elle n’est pas une juridiction d’appel ou de cassation des décisions rendues par les juridictions nationales ;
32. Il cite à titre illustratif les arrêts ECW/CCJ/APP05/13 du 23 octobre 2005 relatif au litige opposant la République du Mali à Ac Al AG et ECW/CCJ/JUD/02/10 du 04 mars 2010 relatif au litige opposant la République du Mali à Docteur Af Ak ;
IM- MOTIFS DE LA DECISION
En la forme
1. Sur la recevabilité
33. Attendu que la requête des requérants est conforme aux
prescriptions de l’article 33-1 et 2 du Règlement de la Cour ;
34. Qu'’il echet en conséquence de la déclarer recevable ;
2. Sur la competence
35. Attendu qu’aux termes de l’article 9-4 du Protocole Additionnel (A/SP.1/01/05) du 19 janvier 2005 portant Amendement du Protocole (A/P.1/7/91) relatif à la Cour de Justice de la Communauté : « La Cour est compétente pour connaître des cas de violation des droits de l’Homme dans tout Etat membre » ;
36. Qu’en l’espèce, la requête présentée par les requérants portent sur la constatation de la violation de leurs droits ; que les faits évoqués se rapportent effectivement à des actes qu’ils estiment attentatoires à leurs droits ;
37. Qu’il y a lieu, par conséquent pour la Cour, de retenir sa compétence pour examiner la requête, conformément aux dispositions précitées et à sa jurisprudence;
Au fond
1. Sur la violation de la Convention sur l’Elimination de toutes
les Formes de Discrimination à l'égard des Femmes
38. Attendu que la Convention sur l’Elimination de toutes les Formes de Discrimination à l’égard des Femmes (CEDEF) prohibe toute discrimination fondée sur le sexe féminin ; Qu’elle dispose en son article 1” que: « Aux fins de la présente convention, l’expression "discrimination à l’égard des femmes" vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine » ;
39. Qu’aux termes des articles 2 et 5 de cette Convention, les Etats parties doivent non seulement s’abstenir de toute discrimination fondée sur le sexe mais aussi et surtout assurer une protection juridictionnelle des droits des femmes et garantir la protection effective de leurs droits, par le truchement des tribunaux compétents et d’autres institutions ;
40. Que cette Convention préconise en outre aux Etats parties la prise de mesures appropriées, pour éliminer la discrimination entre les hommes et les femmes ;
41. Attendu que, l’Etat du Mali a ratifié la CEDEF en septembre 1985 après l’avoir signée en février de la même année ; Qu’elle est donc partie à cette convention ;
42. Attendu qu’en l’espèce, les juridictions maliennes, notamment la Cour d’Appel de Bamako et la Cour Suprême, ont rendu des décisions par lesquelles elles ont exclu les requérantes de la dévolution successorale de leur père, en ce qui concerne la terre, précisément les champs de culture ; Que ces décisions ont eu pour fondement la coutume musulmane ;
43. Attendu que la Cour de Céans, dans sa jurisprudence, s’est toujours refusée à apprécier les décisions rendues par les juridictions nationales, au motif qu’elle n’est pas une juridiction de contrôle de ces décisions ; Que cette faculté relève des Hautes juridictions des Etats membres ;
44, Attendu cependant que le fait pour la Cour d’exclure les décisions des juridictions nationales de son champ de compétence ne saurait être interprétée de façon absolue ;
45. Qu’en effet, lorsqu’une décision de justice est, en elle-même attentatoire aux droits de l’homme, il va de soi que le juge communautaire, qui a reçu mandat de protéger les droits des citoyens de la communauté, ne saurait avoir d’autre choix que d’intervenir et dénoncer cette violation ; Qu’il ne saurait rester inerte face à une violation flagrante des droits de l’homme, peu importe l’acte qui est à l’origine de cette violation ;
46. Qu’il ne s’agit pas pour lui ici de contrôler la légalité d’une décision rendue par une juridiction nationale mais de constater la violation manifeste des droits de l’homme contenue dans un acte judiciaire;
47. Qu’il faut en effet distinguer le contrôle opéré sur la légalité d’une décision rendue par une juridiction nationale et la constatation d’une violation des droits de l’homme résultant d’une décision de justice ;
48. Que si le juge communautaire ne peut apprécier la bonne application des textes de droit interne par les juges nationaux, il reste compétent pour relever les violations des droits de l’homme même lorsqu’elles ont pour origine une décision rendue par un juge d’un des Etats membres ;
49. Que le juge des droits de l’homme qu’il est, ne remplirait pas son rôle de protecteur des droits de l’homme, s’il devait laisser échapper des violations flagrantes des droits de l’homme, contenues dans des décisions des juridictions nationales ;
50. Qu’en outre, les décisions de justice ne sauraient constituer une porte ouverte pour la violation des droits de l’homme ; Que ces décisions de justice peuvent être regardées comme des actes pris par des autorités judiciaires et, comme telles , elles peuvent être, comme tout acte, de nature à porter atteinte aux droits de l’homme ; Que dans telles circonstances, le juge des droits de l’homme doit constater la violation manifeste issue de ces actes ;
Si. Attendu que dans le cas d’espèce, les juridictions maliennes, notamment la Cour d’Appel de Bamako et la Cour Suprême ont exclu les requérantes de la dévolution successorale ; Qu’elles ont été exclues de cette partie de la succession parce qu’elles sont des femmes comme il ressort de l’arrêt N°444 du 14 juillet 2010 de la Cour;
52. Attendu que l’Etat du Mali est partie à la CEDEF précitée mais aussi à d’autres textes tels que la C.A.D.H.P ou la D.U.D.H, qui prohibent tous les discriminations fondées sur le sexe ; Que ces textes font d’ailleurs partie intégrante de son droit positif et s’imposent aux juridictions maliennes ;
53. Attendu que les juridictions maliennes, en excluant les requérantes de la dévolution successorale du fait de leur sexe, ont opéré à leur égard une discrimination ;
54. Qu’il y a lieu par conséquent pour la Cour de constater que les requérantes ont été victimes de discrimination ;
2. Sur la violation de l'égalité devant la loi
66. Attendu que l’égalité devant la loi est consacrée par la CADHP en son article 3 et, par la DUDH en ses articles 1, 2.1 et 7 ; Que ces dispositions postulent que tous les citoyens naissent libres et égaux en droit, et doivent bénéficier d’une totale égalité devant la loi ainsi que d’une égale protection de la loi ;
67. Que l’égalité devant la loi implique également qu’une personne ne peut faire l’objet d’une discrimination qui soit fondée sur des critères tels que la race, l’ethnie, la religion, le sexe, .… ;
68. Qu’en l’espèce, les requérantes n’ont pas bénéficié, devant les juridictions maliennes, d’une égale protection de la loi ; Qu’en effet, elles n’ont pas bénéficié des mêmes droits que les hommes quant à la succession relevant du foncier devant lesdites juridictions ;
69. Que ce faisant, il y a lieu de conclure qu’il y’a eu rupture d’égalité entre les héritiers sur la dévolution successorale sur la terre ;
3. Sur la réparation
69.Attendu que la compétence de la Cour en matière de violation des droits de l’homme lui permet non seulement de constater lesdites violations mais aussi d’ordonner leur réparation s’il y a lieu ;
70. Attendu qu’en l’espèce, les requérantes exposent que « n’étant ni fonctionnaires ni commerçantes, la mère de l’orpheline (Ag Y) ainsi que les deux sœurs du de cujus (Ag Ac et Aa Ac) ont effectué toutes sortes de corvées et de taches serviles pendant 22 ans (de février 1993, date de décès du de cujus B Ac, à février 2015, date de la présente requête) pour assurer leur propre survie ainsi que celle de l’orpheline dans une localité où la majorité de la population tire ses revenus essentiellement des travaux champêtres. Cette situation les a sérieusement affectées et l’orpheline, en raison de son bas âge, a reçu une éducation hypothétique, à cause d’un manque de moyens de subsistance et risque d’en trainer, ad vitam aeternam, les séquelles » ;
71.Qu’il résulte de cet exposé des faits que l’exclusion des requérantes du droit à la succession sur la terre appartenant à leur de cujus, leur a causé, non seulement un préjudice matériel mais aussi, un préjudice moral ; Qu’en effet, leur exclusion de leur droit à la succession sur la terre les a empêcher pendant 22 ans d’exploiter lesdites terres pour non seulement se nourrir mais aussi tirer des revenus de cette exploitation ; Qu’en outre, cette exclusion a contribué nécessairement à altérer leurs conditions de vie et à faire d’elles des êtres inférieurs aux hommes ;
72. Qu’au regard de la nature des préjudices subis par les requérantes, il convient de déclarer l’Etat du Mali entièrement responsable desdits préjudices et d’en ordonner leur réparation ;
73. Qu’ainsi, une somme de 10.000.000 FCFA allouée à chacune des requérantes serait une juste réparation des préjudices subis ;
4- Sur la demande de remboursement des frais de justice
exposés par les requérantes
74.Attendu que les requérantes demandent à la Cour de condamner la République du Mali à leur rembourser la somme de Dix millions (10.000.000) FCFA pour tous frais de justice confondus, et occasionnés par les multiples procédures devant les juridictions nationale en raison de la violation de leurs droits de l’homme ;
75. Attendu cependant qu’elles ne produisent pas au dossier les justificatifs des frais qu’elles ont engagé ; Qu’aucun début de preuve n’est en effet apporté pour fonder cette prétention ;
76.Qu’en l’absence de tout élément de preuve pouvant attester des frais engagés par les requérantes, il y'a lieu de les débouter de cette prétention ;
5- Sur les dépens 77.Attendu qu’aux termes de l’article 66.2 du Règlement de la Cour : « 1. Il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance.
2. Toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens » ;
78.Qu’en l’espèce, la République du Mali a succombé dans la présente procédure ;
79.Qu’il y a lieu, par conséquent, de la condamner aux entiers dépens ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violation des droits de l’homme, en premier et dernier ressort
En la forme
- Déclare recevable la requête de Dame Ag Ac et trois autres ;
- Se déclare compétente pour en connaître ;
Au fond
- Dit que les requérantes ont été victimes de discrimination et de violation de leur droit à l’égalité devant la loi ;
- Déclare la République du Mali responsable des conséquences dommageables desdites violations ;
En conséquence :
- Condamne la République du Mali à payer à Ag
B et Ag Y, la somme de dix millions (10.000.000) chacune, pour tous préjudices confondus ;
- Déboute les requérantes du surplus de leurs prétentions ;
- Condamne la République du Mali aux entiers dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement en audience à AI en
République Fédérale du Nigeria, par la Cour de Justice de la
Communauté, CEDEAO, les jour, mois et an susdits ;
Ont signé :
- Hon. Juge Jérôme TRAORE : Président / Juge Rapporteur
- Hon. Juge Yaya BOIRO : Membre
- Hon. Juge Alioune SALL : Membre
= Maître Athanase ATTANON : Greffier


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/11/16
Date de la décision : 17/05/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2016-05-17;ecw.ccj.jud.11.16 ?
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