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16/02/2016 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUG/03/16

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 16 février 2016, ECW/CCJ/JUG/03/16


Texte (pseudonymisé)
COMMUNITY COURT OF JUSTICE, € No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT, ECOWAS OFF AMINU KANO CRESCENT,
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
CEDEAO Near” PMB 567 GARKI, AB
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMUNIDADE, TEL: 09-6708210/5240781 Fax 09-5240780/5239425 CEDEAO Website: www. courtecowas.org
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMI UE
DES ETATS DE L’AFRI UE DE L’OUEST
Siégeant à Au en République F

édérale du Nigeria ;
Le 16 février 2016
Composition de la C...

COMMUNITY COURT OF JUSTICE, € No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT, ECOWAS OFF AMINU KANO CRESCENT,
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
CEDEAO Near” PMB 567 GARKI, AB
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMUNIDADE, TEL: 09-6708210/5240781 Fax 09-5240780/5239425 CEDEAO Website: www. courtecowas.org
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMI UE
DES ETATS DE L’AFRI UE DE L’OUEST
Siégeant à Au en République Fédérale du Nigeria ;
Le 16 février 2016
Composition de la Cour
Honorable Juge Jérôme TRAORE Président
Honorable Juge Hamèye Founé MAHALMADANE : Membre
Honorable Juge Alioune SALL Membre
Assistés de Monsieur DIAKITE Djibo Aboubacar Greffier A rendu l’arrêt dont la teneur suit dans l’affaire :
1. Monsieur Ao AH AL, né en 1972 à Conakry, juriste domicilié au quartier Camayenne, Commune de Dixinn (CONAKRY) ;
2. Monsieur Ad AK, né en 1975 à Al, militaire domicilié au quartier Wanindara ; Commune de Ratoma (CONAKRY)
Requérants, ayant pour conseils Monsieur le Bâtonnier An AI, Maitre Mohamed TRAORE et Maître Rachel LIDON, domiciliés pour la procédure chez Maitre Mohamed TRAORE, Immeuble CCFA/Kaloum-Conakry (Guinée), tel : (00 224) 664 28 40 11/ (00 224) 655 26 32 33, email : Mohamed reotra66@yahoo.fr
Contre
La République de Guinée: Défendeur
Ayant pour conseils Maitre Maurice Lamey KAMANO, Avocat au Barreau de Conakry, demeurant à Conakry, Commune de Kaloum, quartier Kouléwondy, Rue KA-026, Tel : (00224) 664-23-16-84/631- 13-13-08, BP: 3860 et Maitre Joachim GBILIMOU ; Avocat au Barreau de Guinée, demeurant à Conakry, Commune de Kaloum, quartier Kouléwondy, Rue KA-026, Tel : (00224) 664-22-70-75/622- 22-70-75, BP 3860
I- PROCEDURE
1. Le 13 Novembre 2013, les requérants Ao AH AL et Ad AK, par le biais de leurs conseils, déposaient au greffe de la Cour de justice de la Communauté CEDEAO, une requête pour violation des droits de l’Homme ;
. Le 06 décembre 2013, le Greffier en Chef de la Cour signifiait ladite requête à la République de Guinée qui n’a pas déposé de mémoire en défense dans le délai de 30 jours ;
. Le 13 juin 2014, le Greffier en Chef établissait un certificat de carence à l’encontre de la République de Guinée ;
. Le 13 janvier 2015, suite à une requête des conseils des requérants, le Président du panel des juges leur a accordé un délai de quinze (15) jours pour déposer des pièces complémentaires ;
. Le 13 mars 2015, les conseils des requérants déposaient au greffe de la Cour une plainte complémentaire et des offres de preuve ;
. Le 05 juin 2015, les avocats constitués pour le compte de la République de Guinée saisissaient Madame la Présidente de la Cour d’une demande de prorogation de délai ;
. Le 12 juin 2015, le Président du panel leur accordait un nouveau délai d’un (01) mois pour le dépôt de leurs écritures, suivant ordonnance aux fins de prorogation de délai ;
. Le 19 octobre 2015, le Greffier en Chef établissait une attestation de non-dépôt du mémoire en défense de la République de Guinée malgré la prorogation de délai qui leur avait été accordée ;
9. Le dossier a été appelé à l’audience du 07 octobre 2015 et renvoyé au 19 janvier 2016 à la demande des conseils des requérants ;
10. A l’audience du 19 janvier 2016, la République de la Guinée n’a pas comparu. Prenant la parole, les requérants ont demandé à la Cour de faire droit à leurs prétentions d’autant plus que leurs écritures ont été acceptées par le défendeur qui n’a pas produit de conclusions. À l’issu de ces observations, le dossier a été mis en délibéré pour arrêt être rendu le 16 février 2016
II- FAITS-PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
11. Par requête en date du 13 novembre 2013, Messieurs Ao AH AL et Ad AK saisissaient la Cour de Justice de la Communauté pour violation de leurs droits et demandent à la Cour de :
- recevoir leur requête pour être intervenue suivant les formes et délais légaux ;
- les y déclarer bien fondés ;
- ordonner leur libération provisoire immédiate ;
- condamner l'Etat de Guinée au paiement de la somme globale de cent quatorze millions (114.000.000) Francs CFA à Monsieur Ad AK , de dommages intérêts en réparation du préjudice considérable qui lui a été causé, exécutoire de plein droit au prononcé de la décision au taux légal à compter de cette date ;
- condamner l'Etat de Guinée au paiement de la somme globale de cent vingt-quatre millions (124.000.000) FCFA à Monsieur Ao AH AL, de dommages intérêts en réparation du préjudice considérable qui lui a été causé, exécutoire de plein droit au prononcé de la décision au taux légal à compter de cette date ;
- condamner l'Etat de Guinée aux entiers dépens, s’élevant à la somme de soixante-six millions (66.000.000) de francs CFA à parfaire.
12.Au soutien des violations invoquées, Monsieur Ao AH AL expose qu’il a été interpellé le 19 avril 2013 et gardé à vue, laquelle garde à vue a été prolongée le 23 avril 2013 et le 25 avril 2013 ;
13. Que le 26 avril 2013 et aux termes de huit (08) jours de garde à vue, le Procureur près le Tribunal de première Instance de Ar Ai A décernait un mandat de dépôt contre lui pour présomptions de corruption sur le fondement de l’article 69 du Code de Procédure Pénale ; Que le 29 avril 2013, un réquisitoire introductif d’instance était établi, pour des faits allégués de corruption, au visa des articles 191, 192, 193 et suivants du Code Pénal ; Que le parquet constatant l’incompétence de la juridiction de Dixinn, transférait son dossier à Av où il a été présenté au magistrat instructeur le 06 mai 2013 ; qu’il était inculpé par ce dernier pour corruption sans autres précisions et mandat de dépôt a été décerné contre lui ;
14. Que le 10 mai 2013, il a été interrogé pour la première fois sur le fond et répondait aux questions du Federal Bureau of Investigation (FBI) américain, posées par le Procureur, en présence d’un agent du FBI, de son interprète, de l’avocat aux Etats-Unis de l’Etat guinéen ;
que depuis cet interrogatoire, il n’a plus été interrogé et aucun acte n’a été accompli dans le cadre de l’information ouverte contre lui;
15. Monsieur Ad AK expose qu’il a été interpellé le 16 avril 2013 pour une supposée faute militaire et placé en garde à vue ; que le 18 avril, il a été condamné à un mois d’emprisonnement pour désertion ; que ce même jour, il y’a eu une perquisition à son domicile sans aucun fondement juridique et le lendemain 19 avril 2013, une perquisition chez son nouvel employeur, VBG, sans aucun lien avec une supposée faute militaire ; Que dans le cadre de cette procédure militaire, il n’a pu être assisté et n’a pu apporter de documents pour sa défense ;
16. Qu’après trois (03) semaines d’emprisonnement militaire, il a été transféré au Tribunal de Première Instance de Kaloum, inculpé le 09 mai 2013 du chef de corruption, sans autres précisions et placé en détention par le magistrat instructeur ;
17. Que son épouse aussi a été placée en garde à vue le 30 avril 2013 pour trois (03) jours et a dû partager sa cellule avec des hommes ; qu’elle n’a pas non plus pu nourrir son nouveau-né ;
18. Que le 20 mai 2013, il a été interrogé au fond par le magistrat instructeur et ne l’a plus été depuis lors, encore moins confronté à un quelconque témoin ;
19. Que les différentes demandes de mise en liberté provisoire qu’ils ont introduites par le biais de leur conseil, ont toutes été rejetées par le magistrat instructeur; Qu’ils ont interjeté appel des ordonnances refusant leur mise en liberté provisoire ;
20. Que le 23 juillet 2013, le magistrat instructeur ordonnait leur mise en liberté provisoire qu’il a assortie du paiement d’une caution ; Qu’ils ont interjeté appel de cette ordonnance et la Chambre d’accusation a, dans son arrêt du 06 août 2013, ordonné leur mise en liberté provisoire assortie des obligations du contrôle judiciaire ;
21.Que le parquet général s’est pourvu en cassation contre cet arrêt le 7 août 2013 ; qu’ils n’ont jamais reçu notification de la requête aux fins de pourvoi en cassation ;
22. Que depuis ce pourvoi en cassation, ils sont demeurés en détention et le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de prolongation de leur détention préventive le 05 septembre 2013, sans la motiver et en la fondant sur des articles erronés du Code pénal ;
23. Que ces actes constituent des violations de leurs droits que sont :
- les droits de la défense dans le cadre de la procédure
disciplinaire subie par Monsieur AK.
- le droit à un recours effectif ;
- le droit à bénéficier d’un tribunal indépendant ;
- le droit à un procès équitable incluant l'égalité des armes et
le principe du contradictoire ;
- le droit à ne pas subir de traitements inhumains et
dégradants ;
24. Le 13 mars 2015, les requérants déposaient une requête complémentaire d’où il ressort qu’ils ont été libérés le 27 novembre 2013 contre le versement d’une caution de cent cinquante millions (150.000.000) de francs guinéens ; qu’ils concluent que leur demande avant dire droit et relative à leur mise en liberté immédiate n’a plus d’objet ;
25.Que cependant, ils maintiennent les précédentes violations invoquées ci-dessus et exposent qu’ils ont été à nouveau victimes de violation de leurs droits que sont :
- le droit à être jugé dans un délai raisonnable ;
- et le droit à la libre circulation et au libre choix de leur résidence ;
26. Qu'’ils sollicitent que la Cour :
- Reçoive leur requête complémentaire et la déclare bien fondée ;
- Condamne l’Etat de Guinée :
e au paiement de la somme de six cent quatre-vingt-dix millions (690.000.000) de francs guinéen, à parfaire, à Monsieur Ad AK, de dommages et intérêts en réparation du préjudice considérable qui lui a été causé, exécutoire de plein droit au prononcé de la décision au taux légal à compter de cette date ;
e au paiement de la somme globale de un milliard deux cent trente un million (1.231.000.000) de francs guinéens, à parfaire à Monsieur Ao AH AL, de dommages et intérêts en réparation du préjudice considérable qui lui a été causé, exécutoire de plein droit au prononcé de la décision au taux légal à compter de cette date ;
- Condamne l’Etat de Guinée aux entiers dépens, s’élevant à la somme, pour chacun des requérants, de deux cent millions (200.000.000) de francs guinéens, à parfaire ;
27.Sur la violation du droit à la défense, Monsieur AK soutient que la peine d’emprisonnement qui lui a été infligée relève de la matière pénale et il aurait dû bénéficier de toutes les garanties propres au procès équitable ; qu’il n’a jamais été entendu équitablement et publiquement et n’a pas pu disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, et n’a pas non plus pu communiquer avec un conseil ; que la décision le condamnant à une peine d’emprisonnement ne lui a jamais été notifiée et il n’a pu interjeter appel de cette décision;
28. Qu’il conclut à la violation des articles 14 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (P.I.D.C.C), 7-1 et 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (D.U.D.H) et 9 de la constitution guinéenne ainsi que l’arrêt Engel et autres contre Pays-Bas de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ;
29. Sur le caractère arbitraire de leur arrestation et détention, les requérants exposent que selon le communiqué du 22 avril 2013, ils ont été arrêtés en qualité de témoins ; qu’à cette date cependant, AK Ad faisait l’objet d’une sanction militaire pour désertion ; que AL Ao AH, lui demeurait en garde à vue sans notification d’aucun droit ni de faits précis jusqu’à son interrogatoire au fond par le magistrat instructeur, sur question d’un de ses conseils ; qu’il ignorait le type d’infraction, les dates et lieux de la supposée infraction ;
30. Que c’est lors de l’interrogatoire au fond en date du 10 mai 2013 que le magistrat instructeur a précisé oralement que Monsieur AL est poursuivi pour corruption passive ;
31. Que AK Ad a été inculpé le 09 mai 2013 sans aucune précision sur le chef d’inculpation puisqu’il a seulement été indiqué corruption ; que ce n’est que lors de son interrogatoire au fond du 20 mai 2013 qu’il a pu connaître les raisons de son arrestation, et les accusations portées contre lui ;
32.Qu’en outre, leur arrestation et détention ont été faites en violation de la loi guinéenne ; qu’en effet, la procédure engagée contre eux n’est fondée sur aucune plainte ni dénonciation alors que selon l’article 38 du Code de Procédure Pénale (CPP) guinéen, le Procureur de la République ne peut mettre en mouvement l’action publique que sur la base d’une plainte ou une dénonciation ; Qu’ils ont été gardés à vue au-delà du délai légal en violation des dispositions de l’article 77 du CPP qui prévoit un délai de garde à vue de quarante-huit (48) heures, prolongée à une reprise et pouvant être doublé en cas d’atteinte à la sureté de l’Etat ;
33.Que Ao AH AL a été gardé à vue pendant huit (08) jours alors que le délit de corruption ne constitue pas une infraction considérée comme constituant une atteinte à la sureté de l’Etat ; qu’en outre, la garde à vue des requérants a été faite en violation des articles 62 et suivants du CPP qui prescrivent que le gardé à vue bénéficie du droit de prévenir un membre de sa famille et de consulter un médecin, et que la garde à vue doit être consignée dans un registre ; que leur garde à vue a violé également les dispositions des articles 60 ou 70 du CPP qui prescrivent que le placement en garde à vue n’intervient que s’il est essentiel pour les nécessités de l’enquête et s’il existe des indices graves et concordants de culpabilité contre une personne ; que dans le cas d’espèce, rien ne permettait de prouver que les nécessités de l’enquête exigeaient leur placement en garde à vue ;
34. Que le requérant AL AH Ao a été détenu sur la base d’un mandat de dépôt irrégulier décerné par un Procureur incompétent, en l’occurrence le Procureur de la République près le T.P.I de Dixin qui lui a décerné un mandat de dépôt le 26 avril 2013 ; qu’au regard des articles 131, alinéa 3, 132 et 138 du CPP, le second mandat de dépôt qui lui a été décerné le 06 mai 2013 est également illégal ;
35. Que le magistrat instructeur a renouvelé leur détention préventive en invoquant des articles erronés du code pénal et en s’abstenant de motiver son ordonnance du 05 septembre 2013 alors même que la Chambre d’accusation avait ordonné leur mise en liberté provisoire sous contrôle judiciaire; qu’en outre, ce renouvellement a été fait en violation de l’article 142 du CPP dans la mesure où aucun acte d’instruction n’avait été posé dans le dossier durant quatre mois ;
36. Qu’enfin, leur détention depuis le 06 août 2013 est arbitraire ; Qu’ils sont restés en détention bien que la Chambre d’Accusation ait ordonné leur mise en liberté provisoire dans son arrêt du 06 aout 2013 ;
37. Que pour le requérant AL AH Ao, sa détention est arbitraire depuis le 08 mai 2013 ; que AK lui soutient que sa détention est arbitraire depuis le 11 mai 2013 ;
38. Que pour eux, leur arrestation et détention ont été faites en violation des articles 9, 14.3 a) du P.I.D.C.P , 9 de la D.U.D.H, 6 et 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (C.A.D.H.P) , 9 de la Constitution guinéenne ;
39. Sur la violation de leur droit à un recours effectif, AK Ad et AL AH Ao soutiennent qu’ils ont interjeté appel de plusieurs ordonnances du juge d’instruction ; qu’en outre, ils ont introduit des requêtes en annulation ; Qu’à ce jour, aucune
juridiction ne s’est prononcée sur les requêtes en nullité, ce qui constitue un déni de justice ; que la question de la contestation de la constitution de partie civile de l’Etat guinéen n’a pas aussi été tranchée ;
40. Qu'ils citent au fondement de ce moyen les articles 9.4 du P.I.D.C., 8 de la D.U.D.H, 7.1 de la C.A.D.H.P, la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ainsi que de la Cour de Justice de la CEDEAO ;
41. Sur la violation du principe d’indépendance de la justice, ils exposent que le mode de saisine du juge d’instruction en Guinée contrevient à une apparence d’indépendance en ce sens que celui-ci est saisi par le Procureur de la République, lequel est soumis à l’autorité du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice ; Qu’ils ont pu constater visuellement que le magistrat instructeur et le parquet prenaient les directives directement du Ministre de la Justice, ce qui contrevient au principe d’indépendance ;
42. Que les déclarations du Ministre de la Justice qui a critiqué leurs conseils, constituent une violation de la Constitution guinéenne ;
43. Que le magistrat instructeur n’a pas fait preuve d’indépendance dans le traitement des procédures les concernant ;
44. Que cette absence d’indépendance de la justice constitue une violation des articles 14.1 du P.I.D.C., 10 de la D.U.D.H, 107 et 111 de la Constitution guinéenne ainsi que la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (C.E.D.H);
45. Sur la violation des principes du contradictoire et de l’égalité des armes, les requérants soutiennent que le principe du contradictoire n’a pas été respecté aussi bien devant le magistrat instructeur qu’à la Chambre d’Accusation ; qu’ils n’ont pas, en effet, eu communication de la procédure les concernant et qu’ils ne sont pas entrés en possession de l’entier dossier y relatif ;
46. Qu’ils citent au fondement de cette allégation les articles 14 du P.I.D.C.P, 10 de la D.U.D.H, 9 de la Constitution guinéenne ainsi que de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de 47. Sur le caractère inhumain et dégradant des traitements subis par AK Ad, il soutient qu’il a été placé en détention préventive malgré son mauvais état de santé, qui était connu du magistrat instructeur ; que détenu, il n’a pas pu consulter un médecin spécialiste ; que son état de santé s’est progressivement détérioré du fait de sa détention ; Qu’il s’agit là de traitements inhumains et dégradants ;
48. Qu’au fondement de cette allégation, il invoque les articles 7 du P.I.D.C.P, 5 de la D.U.D., 5 de la C.A.D.H.P, 5 , 6 et 15 de la Constitution guinéenne ainsi que des décision de la C.E.D.H ;
49. Sur la violation de leur droit à être jugé dans un délai raisonnable, AK Ad et Ao AH AL soutiennent que certaines de leurs requêtes, déposées au cabinet du magistrat instructeur n’ont jamais reçu de réponses ; qu’il en est ainsi de deux requêtes de main levée de contrôle judiciaire pour motifs de santé déposées dans l’intérêt de AK Ad les 3 décembre 2013 et 19 mai 2014 et de la requête aux fins de clôture de l’instruction du 25 février 2014 ; qu’en outre, certaines de leurs requêtes n’ont pas été examinées dans des délais raisonnables ; que leur requête aux fins de main levée du contrôle judiciaire déposée le 17 mars 2014 au cabinet du magistrat instructeur n’a reçu une réponse que le 14 mai 2014, soit deux (02) mois après, en violation des dispositions de l’article 145, alinéa 2 du CPP guinéen, qui prévoit un délai de cinq (05) jours ; que la demande de main levée du contrôle judiciaire déposée à la Chambre d’Accusation le 12 juin 2014 n’a reçu une réponse que le 18 décembre 2014, soit après un délai de six 06) mois, en violation de l’article 145, alinéa 2 du CPP guinéen qui prévoit un délai de vingt un (21) jours pour statuer sur de telles demandes ; qu’enfin, la Cour Suprême, saisie d’un pourvoi en cassation le 07 août 2013 ne s’est prononcée que le 14 avril 2014, par une décision d’irrecevabilité du pourvoi; que plus généralement, l’instruction ouverte il y’a près de deux années n’a pas évolué depuis l’inculpation des requérants ;
50.Qu’au fondement de cette violation, les requérants invoquent les articles 9 alinéa 3 et 4 , 14 du P.I.D.C.P, 7 de la C.A.D.H.P, le CPP de la Guinée en ses articles 145 et 225 ainsi que les arrêts B contre Côte d’Ivoire en date du 22 février 2013 et C Ax et cinq autres ( ECW/CCJ/JUG/04/09) du 17 décembre 2009 de la Cour de Justice de la CEDEAO et l’arrêt AG Y contre Suisse (CEDH, 21 octobre 1986, série A N°164) ;
51. Sur la violation de leur droit à la liberté de circulation et au libre choix de la résidence, les requérants la fondent d’une part sur le fait qu’ils ont été maintenu en détention entre le 06 août 2013 et le 29 novembre 2013, pour cause de pourvoi supposément suspensif du Ministère public guinéen, pourvoi qui, pourtant ne l’était pas, et d’autre part, sur le fait qu’ils ont été soumis à un contrôle judiciaire qu’ils estiment strict et qui leur imposait des obligations de :
- ne pas sortir de certaines limites territoriales ;
- ne pas se rendre dans les lieux publics et s’abstenir de toutes déclarations dans les radios publiques ou privées de la place ;
- informer le juge d’instruction de tout déplacement au-delà de Conakry ;
- se présenter deux fois dans la semaine, tous les lundi et vendredi au cabinet du juge ;
52. Qu’ils citent l’article 12 $1 du P.I.D.CP, l’article 13.1 de la D.U.D., l’article 12 (1) (2) de la C.A.D.H.P, l’article 10, alinéa 4 de la Constitution guinéenne et l’arrêt As Aq et Af B contre Côte d’Ivoire (ECW/CCI/JUD/03/13) du 22 février 2013 ;
53. Sur les réparations sollicitées, les requérants invoquent les
articles 66 et suivants des règles de la Cour ;
II- MOTIFS DE LA DECISION
En la forme
1. Sur la recevabilité de la requête
54. Attendu que la requête des requérants est conforme aux prescriptions de l’article 33-1 et 2 du Règlement de la Cour ; Qu’en outre, leur requête complémentaire est également conforme aux dispositions précitées ;
55. Que les requêtes étant conformes aux conditions de recevabilité prévues par l’article 33.1 et 2, il y’a lieu de les déclarer recevables ;
2. Sur la compétence
56. Attendu qu’aux termes de l’article 9-4 du Protocole Additionnel (A/SP.1/01/05) du 19 janvier 2005 portant Amendement du Protocole (A/P.1/7/91) relatif à la Cour de Justice de la Communauté : « La Cour est compétente pour connaître des cas de violation des droits de l’Homme dans tout Etat membre » ;
57. Attendu qu’en l’espèce, les requêtes des requérants portent sur la constatation de la violation de leurs droits ; que les faits évoqués se rapportent effectivement à des actes qu’ils estiment attentatoires à leurs droits ;
58. Qu’il y’a lieu par conséquent pour la Cour de retenir sa compétence pour examiner lesdites requêtes ;
3. Sur le défaut à l'encontre de la République de Guinée
59. Attendu qu’aux termes de l’article 90 du Règlement de la Cour : « Si le défendeur, régulièrement mis en cause, ne répond pas à la requête dans les formes et délais prescrits, le requérant peut demander à la Cour de lui adjuger ses conclusions » ;
60. Attendu qu’en l’espèce, la République de Guinée a reçu notification de la requête le 06 décembre 2013 ; qu’elle n’a pas répondu à la requête dans le délai de trente (30) jours qui lui a été prescrit ;
61. Que suivant requête en date du 05 juin 2015, elle a sollicité une prorogation de délai qui lui a été accordée par ordonnance en date du 12 juin 2015 ; que malgré cette prorogation, aucune écriture n’a été déposée par la République de Guinée ;
62. Qu’au regard donc de ce qui précède, il y’a lieu de faire application des dispositions de l’article 90 précité et rendre une décision par défaut contre la République de Guinée ;
Au fond
1. Sur la violation des droits de la défense de
Monsieur AK
63. Attendu que les droits de la défense sont consacrés par les articles 7 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et 14.2 du Pacte International sur les Droits Civils et politiques (P.I.D.C.P); Que ces droits comprennent le droit pour toute personne accusée d’une infraction pénale de se faire assister d’un conseil de son choix, d’être informé de la possibilité qu’il a à s’attacher les services d’un conseil et même d’obtenir gratuitement et aux frais de l’Etat l’assistance d’un conseil lorsque l’intérêt de la justice 64. Attendu que la Cour ne peut constater et sanctionner la violation des droits de l’Homme que si celui qui allègue de telles violations en rapporte la preuve »
65. Que la Cour, dans l’arrêt rendu le 17 février 2010 dans l’affaire
(N°ECW/CCJ/APP/03/09) a affirmé au paragraphe 35 dudit arrêt que : « I! est de règle générale en droit qu’au cours du procès, la partie qui fait des allégations doit en apporter la preuve. La constitution et la démonstration de la preuve appartiennent donc aux parties en procès. Elles doivent utiliser tous les moyens légaux et fournir les éléments de preuve tendant à soutenir leurs prétentions. Ces preuves doivent être convaincantes pour établir un lien entre elles et les faits allégués » ;
66. Attendu qu’en l’espèce, le requérant AK Ad ne produit pas à l’appui de ses déclarations, des actes pouvant fonder les allégations de violation de ses droits à la défense ; Qu’il ne produit en effet ni la décision qui le condamne à un (01) mois d’emprisonnement, ni aucun autre acte d’une autre nature qui pourrait attester d’une part qu’il a été jugé pour désertion, et d’autre part qu’il a été victime de la violation de ses droits à la défense lors dudit jugement ; Qu’il n’existe au dossier aucune pièce qui puisse attester ses déclarations ;
67. Qu’il y'a lieu de relevé que même les conseils du requérant n’ont pas pris pour « argent comptant » les déclarations du requérant puisqu’eux-mêmes précisent à la page 12 au point 3.4, premier paragraphe, de leur requête initial, « qu’il ne figure au dossier aucun procès-verbal ni aucun mandat d’interpellation » et utilisent le verbe « sembler » dans leur narration des faits ;
68. Qu’il echet par conséquent de conclure que la prétention de violation des droits de la défense de AK Ad est mal fondée ;
2. Sur le caractère arbitraire de l'arrestation et de la détention des requérants AK Ad et AH Ao AL
69. Attendu que l’arrestation et la détention arbitraire de tout individu sont prohibées par les articles 6 de la C.A.D.H.P, 9 de la D.U.D.H et 9 du P.I.D.C.;
70. Attendu que pour le Groupe de Travail sur la détention arbitraire mis en place par la Commission des droits de l’Homme des Ag Ah : « La détention revêt un caractère arbitraire à chaque fois que la situation juridique relève d’une des trois catégories suivantes :
- Il est manifestement impossible d’invoquer un fondement juridique quelconque qui justifie la privation de la liberté ;
- La privation de liberté résulte de l’exercice par l’intéressé de droits ou de libertés proclamés dans les articles 7, 13, 14, 18, 19, 20 et 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et, pour autant que les Etats concernés soient parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans les articles 12, 18, 19, 21, 22, 25, 26 et 27 de cet instrument ;
- L’inobservation, totale ou partielle, des normes internationales relatives au droit à un procès équitable, énoncées dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme et dans les instruments Intemationaux pertinents acceptés par les Etats concernés, est d’une gravité telle que la privation de liberté prend un caractère arbitraire » ;
71. Attendu qu’en l’espèce, les requérants n’apportent pas la preuve du caractère arbitraire de leur détention ; qu’ils se contentent en effet de déclarer qu’aucun motif ne leur a été notifié au moment de leur arrestation ; qu’aucune preuve matérielle ne permet à la Cour de fonder de telles allégations ;
72. Attendu qu’il est constant que l’interpellation des requérants s’est faite à l’issue des perquisitions dont ils ont fait l’objet ; que ces perquisitions ont été effectuées par la police judiciaire sur réquisition du Procureur de la République près le Tribunal de
Première Instance de Dixinn et un procès-verbal a été établi en ce qui concerne Ao AH AL ; que ce dernier a été présenté au Procureur de la République ci-dessus cité ; Que la réquisition s’est faite dans le cadre de l’exécution d’un accord de coopération judiciaire entre la République de Guinée et le Gouvernement des Etats-Unis pour les besoins d’une enquête multi juridictionnelle en cours et portant sur des allégations de corruption entourant l’obtention de droits miniers en République de Guinée ; Qu’il serait tout de même étonnant que les requérants n’aient pas été informés des motifs de leur interpellation qui s’est faite à la suite d’une perquisition ;
73. Qu’en tout état de cause, les allégations des requérants relativement au caractère arbitraire de leur arrestation ne sont fondées sur aucun élément de preuve ; Qu’aucun acte ne permet à la Cour de constater l’absence de notification des motifs de leur arrestation ; Que comme relevé ci-dessus, la Cour ne peut fonder la violation des droits de l’Homme sur des allégations sans fondement ;
74. Qu’en l’absence de tels éléments, il échet de conclure au caractère mal fondé de la violation invoquée ;
75. Attendu qu’en ce qui concerne le dépassement de huit (08) jours des délais de garde à vue invoqué par les requérants pour justifier le caractère arbitraire de leur détention pendant l’enquête préliminaire, ils n’en apportent aucunement la preuve ; qu’aucun acte ne permet en effet de constater un tel dépassement ; que ce faisant, cette prétention se trouve aussi être mal fondée ;
76. Que s’agissant de leur détention par le juge d’instruction du cabinet N°02 du T.P.I de Kaloum, il ressort de la procédure que cette détention est fondée sur des titres de détention ; qu’un mandat de dépôt a été décerné contre chacun des requérants lors de l’inculpation pour des faits de corruption ; que leur détention a été donc faite sur la base d’un acte délivré par une autorité compétente, conformément aux prescriptions de la législation guinéenne ;
77. Qu’en outre, le renouvellement de la détention des requérants a été fait par le juge d’instruction chargé de l’instruction de leur dossier ; qu’au regard de la législation guinéenne, celui-ci a le droit de procéder à la prolongation de la détention en la motivant ;
78. Qu’il n’appartient pas au juge communautaire d’apprécier les motifs de l’ordonnance de prolongation de la détention du juge d’instruction vu qu’il n’est pas une chambre d’instruction de second degré ;
79. Qu’au regard des éléments ci-dessus évoqués, il y’a lieu de conclure que la détention des requérants, ordonnée respectivement le 06 mai et le 09 mai et prolongée par le juge d’instruction n’a pas un caractère arbitraire ;
80. Attendu que la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Conakry ordonnait la mise en liberté provisoire des requérants suivant arrêt en date du 06 août 2013 ; que suite à cet arrêt, l’Avocat général a formé pourvoi le lendemain même du rendu de l’arrêt, pourvoi sur lequel le Parquet Général de la Cour d’Appel de Conakry s’est fondé pour suspendre l’exécution de l’arrêt de mise en liberté provisoire des requérants, maintenant ainsi les requérants en détention ;
81. Attendu cependant que la loi N°91/008 du 23 décembre 1991 portant attributions et fonctionnement de la Cour Suprême ne confère pas un caractère suspensif au pourvoi formé contre les arrêts rendus par la Chambre d’Accusation en matière de détention préventive ; que la suspension des effets de l’arrêt de la Chambre d’Accusation en date du 06 août 2013 n’avait pas de fondement légal ;
82. Attendu que les requérants devaient être mis en liberté provisoire depuis le 06 août 2013 ; Que leur maintien en détention au-delà de cette date, sans fondement légal, et ce jusqu’au 29 novembre 2013, date de l’ordre de mise en liberté, constitue une détention arbitraire et viole par conséquent les articles 9 du P.I.D.C et de la D.U.D.H ;
2. Sur la violation du droit à un recours effectif
83. Attendu que le droit à un recours effectif est garanti par les instruments internationaux de protection des droits de l’homme notamment, la C.A.D.H.P en son article 7, la D.U.D.H en son article 8 et le P.I.D.C.P en son article 2.3; Que l’article 2.3 du Pacte précité dispose que :
« 3. Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à:
a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles;
b) Garantir que l'autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l'Etat, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développera les possibilités de recours juridictionnels;
c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié » ;
84. Attendu que le recours effectif, selon Ap AJ, dans son article « le droit à un recours effectif devant l’autorité nationale compétente dans les conventions internationales relatives à la protection des droits de l’homme », est celui qui ne sera pas de pure forme mais offrira toutes les garanties d'efficacité requises et quelque chance de succès, celui qui aboutira à une décision susceptible de se matérialiser dans les faits ; que le recours effectif est celui qui permet donc à son auteur non seulement de saisir l’autorité compétente (judiciaire ou administrative) de sa requête
mais aussi d’obtenir d’elle une décision pouvant se matérialiser dans les faits ;
85. Attendu qu’en l’espèce, les requérants ont saisi la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Conakry des requêtes en annulation de la procédure d’information engagée contre eux, qu’ils considèrent comme violant leurs droits fondamentaux ; qu’il ressort du dossier que ces requêtes ont été reçues sous le numéro 24 le 13 mai 2013 par ladite Chambre ;
86. Qu’ils ont également déposé une requête aux fins de clôture de l’instruction le 25 février 2014 au cabinet du juge d’instruction ;
87. Que cependant, aucune décision relative à ces recours n’a été rendue par ces juridictions à ce jour ; qu’en ne donnant aucune suite aux requêtes en annulation et aux fins de clôture de l’instruction déposées par les requérants, la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Conakry et le juge d’instruction du cabinet du T.P.I de Dixin ont violé le droit à un recours effectif des requérants ;
3. Sur la violation du principe d'indépendance de la Justice
88. Attendu que la D.U.D.H en son article 10 et le P.I.D.C.P en son article 14.1 consacrent le droit que toute personne a, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial… ;
89. Que l’indépendance de la Justice, qui est un principe sacro-saint de la démocratie postule que la justice, dans son fonctionnement, ne doit faire l’objet d’immixtion de la part de l’exécutif ou du législatif ; Qu’en d’autres termes, il doit y avoir une séparation des pouvoirs consacrés constitutionnellement ;
90. Qu’il ressort des principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, adoptés par le septième Congrès des Ag Ah pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et confirmés par l’Assemblée générale dans ses Résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985 que : « 1. L’indépendance de la magistrature est garantie par l’Etat et énoncée dans la Constitution ou la législation nationale. Il incombe à toutes les institutions, gouvernements et autres de respecter l’indépendance de la magistrature.
2. Les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisis impartialement, d’après les faits et conformément à la loi, sans restrictions et sans être l’objet d’influences, incitations, pressions, menaces ou interventions indus, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit » ;
91. Attendu qu’en l’espèce, la Constitution de la République de Guinée consacre le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire en son article 107 ;
92. Que la saisine du juge d’instruction par le Procureur est prescrit par la législation guinéenne ; Qu’il faut relever ici que cette saisine ne compromet en rien l’indépendance du juge d’instruction qui est un magistrat du siège et détenteur du pouvoir judiciaire ; Que s’il est vrai que le Procureur de la République est un magistrat soumis hiérarchiquement au Procureur Général, lui-même soumis au Ministre de la Justice, il y’a lieu de le distinguer du juge d’instruction qui est un magistrat indépendant qui exerce ses fonctions en toute indépendance ; que c’est lui qui est chargé de conduire l’instruction des dossiers dont il est saisi et non le Procureur qui le saisit ; Que dès lors, l’on ne peut considérer la simple saisine du juge d’instruction par le Procureur comme violant l’indépendance de la justice ;
93. Qu’en outre, comme la Cour l’a déjà relevé dans ses arrêts Aa Ac Ae contre République du Niger en date du 27 octobre 2008 (Arrêt N°ECW/CCJ/JUD/06/08) et Aj X et autres contre la République du Sénégal en date du 22 février 2013 (ECW/CCJ/JUG/04/13) , il ne lui appartient pas
d’apprécier la législation des Etats membres ; Or en l’espèce, la saisine du juge d’instruction par le Procureur de la République est prescrite par la Loi N°037/AN /98 du 31 Décembre 1998 portant Code de Procédure Pénale de la Guinée; Que donner son appréciation sur cette loi serait faire une appréciation de la loi portant Code de Procédure Pénale de la Guinée, ce qu’elle ne peut faire ;
94. Qu’enfin, les actes invoqués par les requérants relatifs à l’immixtion du Ministre de la Justice dans la procédure ne sont pas justifiées ; qu’il s’agit là de simples allégations non étayées par des éléments de preuve ;
95. Qu’au regard de ce qui précède, il échet de conclure que la violation invoquée est mal fondée ;
4. Sur la violation du principe du contradictoire et l'égalité des armes
96. Attendu que l’égalité des armes est un des éléments inhérents à la notion de procès équitable ; qu’elle veut que chaque partie se voit offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire et exige que soit ménagé un juste équilibre entre les parties ; Que le principe du contradictoire signifie la possibilité pour les parties de connaître et de commenter tous les éléments de preuve produits et toutes les observations présentées de manière à orienter la décision du Tribunal ; que ce principe est étroitement lié à l’égalité des armes et sont consacrés par les articles 10 de la D.U.D.H et 14 du P.I.D.C.P ; Que la violation de l’égalité des armes résulterait donc d’un déséquilibre provoqué par une juridiction, entre les parties à un procès dans la présentation de leur cause ; que la violation du principe du contradictoire impliquerait le fait qu’une personne accusée n’ait pas pu connaître et discuter les éléments de preuve sur lesquels se fondent son accusation ; Que la C.E.D.H dans son arrêt Ab contre la Finlande ( N°27752/95 du 27 avril 2000) a jugé que la non-communication des preuves à la
défense peut porter atteinte à l’égalité des armes ainsi qu’au principe du contradictoire ; Que la même Cour, dans son arrêt Am c. contre la Pologne (N°38184/03 du 24/04/2007) jugeait que le fait que l’accusé ait eu un accès limité à son dossier et à d’autres documents constituait une atteinte à l’égalité des armes ; Que dans son arrêt Rowe et Davis contre le Royaume Unie
(N°28901/95 du 16/02/20002), elle a relevé que le principe du contradictoire nécessite que les autorités de poursuite communiquent à la défense toutes les preuves pertinentes en leur possession, à charge comme à décharge ;
97. Attendu qu’en l’espèce, il apparaît du dossier que les requérants n’ont pas été mis dans les même conditions que l’accusation dans le cadre de leur défense, au cours de la procédure d’instruction ;
Qu’en effet, ils n’ont pas, d’une part, eu communication des pièces de la procédure dans des délais qui puissent leur permettre d’assurer convenablement leur défense et, d’autre part, certaines pièces ne leur ont pas été communiquées ;
98. Qu’un interrogatoire au fond programmé le 09 mai 2013 a dû être reporté au 10 mai 2013, parce que le dossier n’avait pas été mis à la disposition des requérants ; Que ledit interrogatoire qui s’est tenu le 10 mai l’a été en présence de tierces personnes sans qu’ils n’aient été préalablement informés ;
99. Que le rapport du Commissaire divisionnaire CONDE ne leur a pas été communiqué alors qu’il s’agit d’une pièce essentielle de la procédure ; Que ce rapport porte sur des actes d’enquêtes notamment les perquisitions effectuées au domicile de Ao AH AL et Ad AK ; Qu’il s’agit en réalité du rapport des perquisitions effectuées et qui ont donné lieu à la saisie d’objets d’une part et, d’autre part à l’interpellation des requérants ;
100.Que sa communication était donc nécessaire pour permettre aux requérants de discuter de son contenu ; Qu’en ne le communiquant pas aux requérants au cours de la procédure, les autorités judiciaires, particulièrement le juge d’instruction du cabinet N°2 du Tribunal de Première Instance de Kaloum, ont violé le principe du contradictoire ;
101.Qu’au regard de ce qui précède, il échet de conclure que l’Etat de Guinée, par le biais de ses autorités judiciaires, a violé les principes de l’égalité des armes et du contradictoire dans la procédure engagée contre les requérants ;
5. Sur le caractère inhumain et dégradant du traitement subi par AK Ad
102. Attendu que les articles 5 de la C.A.D.H.P, 5 de la D.U.D.H et 7 du P.I.D.C.P interdisent les traitements inhumains et/ou dégradants sur toute personne ;
103.Attendu que le traitement inhumain, selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans l’arrêt Tyrer (CEDH, 25/04/1978), est celui qui engendre de vives souffrances physiques et morales susceptibles de surcroît d’entrainer des troubles physiques aigues ; que le traitement dégradant, suppose, selon la même Cour, des mesures de nature à créer chez des individus des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier, à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale ;
104. Attendu qu’en l’espèce, le fait de placer le requérant AK Ad en détention préventive, bien qu’il ait signalé son état de santé, ne constitue pas en soi des traitements inhumains et dégradants si la mesure de placement en détention préventive est justifiée d’une part et, d’autre part, s’il n’existe aucun acte médical permettant au juge d’instruction, d’apprécier la compatibilité de l’état de santé de la personne mise en cause à la mesure de privation de liberté ;
105. Qu’en outre, le placement en détention préventive ne prive pas l’inculpé de son droit de subir des soins si son état de santé le nécessite, même en dehors de son lieu de détention ;
106. Attendu qu’il y’aurait eu traitements inhumains et dégradants si le requérant n’avait pas eu la possibilité de se soigner malgré une détérioration de son état de santé et s’il était même privé de soins sur ordre du juge d’instruction ; Que cela n’est pas le cas en l’espèce ; Qu’en effet, le requérant a non seulement été consulté par un médecin interne à la maison d’arrêt mais aussi, il a été autorisé à subir des soins dans un centre hospitalier ; Que des mesures ont donc été prises pour préserver l’état de santé du requérant, notamment son placement dans un centre hospitalier ;
107. Qu’au regard donc de ce qui précède, il y a lieu de conclure que AK Ad n’a pas été victime de traitements inhumains et dégradants ;
6. Sur la violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable
109. Attendu que les articles 7 de la C.A.D.H.P , 9, alinéa 3, 14 du P.I.D.C.P consacrent le droit pour tout citoyen à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable ; Que selon la C.E.D.H, la notion de délai raisonnable s’apprécie suivant les circonstances de la cause, notamment la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités administratives et judiciaires compétentes (CEDH, Boddaert contre Belgique, 12 octobre 1992, série A n°235-D) ;
110. Que pour la détermination de la durée d’une procédure pénale, il est pris comme point départ la date de l’accusation (CEDH, arrêt Eckel du 15 juillet 1982, Série A n°51) et la date de la décision définitive comme point final ;
111. Attendu qu’en l’espèce, les requérants Ao AH AL et Ad AK ont été respectivement inculpés le 06 mai et le 09 mai 2013 pour des présomptions graves de corruption passive ; Que le juge d’instruction en charge du dossier a procédé à leur interrogatoire au fond respectivement le 10 mai et le 20 mai 2013 ; Qu’à ce jour, soit plus de deux (02) ans après leur inculpation, il n’existe aucune décision de justice relativement aux faits qui leur sont reprochés ;
112. Attendu cependant qu’il n’est pas établi que les faits reprochés aux requérants présenteraient une certaine complexité nécessitant de longues investigations ; Qu’en effet, les personnes inculpées dans la procédure sont au nombre de deux et ont été interrogées sur le fond de l’affaire; Que des perquisitions ont été effectuées et des objets saisis ; Que le juge d’instruction en charge du dossier n’a posé aucun acte relatif à la recherche de la manifestation de la vérité après l’interrogatoire au fond des inculpés ; Qu’en outre, il s’agit de faits délictuels ne nécessitant pas en principe une longue période d’instruction ;
113. Qu’au regard donc de la nature des faits reprochés aux requérants et de l’absence de complexité dans la procédure, deux (02) ans sans qu’aucune décision de justice ne soit rendue, ne parait pas raisonnable ;
114. Qu’il y'a lieu de conclure que leur droit d’être jugé dans un délai raisonnable a été violé ;
7. Sur la violation du droit à la liberté de circulation et au libre choix de sa résidence
115. Attendu que les articles 12 (1) (25) de la C.A.D.H.P, 13.1 de la D.U.D.H et 1281 du P.I.D.C.P consacrent le droit pour toute personne de circuler librement et de choisir sa résidence ;
116. Que cependant, ce droit n’est pas absolu et peut faire l’objet de limitation par la loi ou pour d’autres motifs;
117. Attendu qu’en l’espèce, les requérants ont été placés sous contrôle judiciaire suivant une ordonnance du juge d’instruction, en date du 27 novembre 2013, suite à leur mise en liberté provisoire ; Que le contrôle judiciaire est prévu par la législation guinéenne ;
118. Que bien que le contrôle judiciaire constitue une mesure restrictive de la liberté de circuler et de choisir librement sa résidence, il ne saurait constituer une violation de cette liberté dès lors qu’il a été prescrit par une décision judiciaire ;
119. Qu’il échet donc de conclure qu’il n’y a pas violation du droit à la liberté de circulation et au libre choix de la résidence des requérants ;
8. Sur les réparations
120. Attendu que la compétence de la Cour en matière de violation des droits de l’homme lui permet non seulement de constater lesdites violations mais aussi d’ordonner leur réparation s’il y a lieu ;
121.Que dans l’affaire Z Aw contre Burkina-Faso (ECW/CCJ/JUD/13), la Cour relevait que:» Les mesures [qu’elle] ordonne (.…) lorsqu’elle constate la violation des droits de l’homme ont principalement pour finalité la cessation desdites violations et la réparation. Elle tient compte pour cela des circonstances propres à chaque affaire pour indiquer les mesures adéquates… » ;
122.Attendu qu’en l’espèce, la Cour constate que les requérants ont été victimes d’une détention arbitraire sur la période comprise entre le 06 août 2013 et le 29 novembre 2013 et de la violation du principe du contradictoire et de l’égalité des armes, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et le droit à un recours effectif, dans la procédure engagée contre eux ;
123. Que ce faisant, il convient pour la Cour d’ordonner la réparation de telles violations par une indemnisation des requérants ;
124. Attendu que le requérant Ao AH AL avant sa détention, était contractuel dans la société VBG Sarl en qualité d’Ak At en Relations Institutionnelles ; qu’il percevait un salaire mensuel d’environ Quarante millions (40.000.000) de francs guinéens ; Qu’il a perdu son emploi du fait de sa détention provisoire ;
125. Attendu que le requérant AK Ad aussi avait un contrat de travail à durée indéterminée avec la société VBG Sarl avant sa détention; Qu’il percevait un salaire mensuel d’environ Douze millions (12.000.000) de francs guinéens ; qu’il a aussi perdu son emploi à la suite de sa détention ;
126. Attendu que les requérants ont perdu leur emploi du fait de leur détention provisoire, laquelle présente un caractère arbitraire ;
127. Que la perte de leur emploi leur cause inévitablement un préjudice financier ;
128. Qu’il convient par conséquent d’ordonner la réparation de ce préjudice en octroyant des dommages-intérêts à chacun des requérants ;
129. Qu’en outre, la violation du principe du contradictoire, du droit à un recours effectif, de l’égalité des armes et du droit d’être jugé dans un délai raisonnable leur a également causé des préjudices qu’il convient de réparer ;
9. Sur les dépens
130.Attendu qu’aux termes de l’article 66.2 du Règlement de la Cour: «1. Il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance.
2. Toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens » ;
3. Attendu qu’en l’espèce, la République de la Guinée a succombé dans la présente procédure ;
4. Qu’il y’a lieu par conséquent de la condamner aux entiers dépens ;
Par ces motifs
La Cour, statuant publiquement, par défaut à l’encontre de la République de Guinée, en matière de violation des droits de l’Homme, en premier et dernier ressort ;
En la forme :
- Déclare la requête recevable ;
- Se déclare compétente pour en connaître ;
Au fond ;
- Déclare mal fondés la violation du droit à la défense et les
AK Ad ;
- Dit que les prétentions des requérants relatives au caractère arbitraire de leur arrestation, à la violation du principe d’indépendance de la justice, et à la violation de leur droit à la libre circulation et au libre choix de leur résidence sont mal fondées ;
Dit que leur détention en vertu des titres émis par le juge d’instruction n’est pas constitutive de violation des droits de l’homme ;
Dit par contre que leur détention est devenue arbitraire sur la période allant du 06 août au 29 novembre 2013 ;
Dit également que l’Etat de la Guinée, à travers ses autorités judiciaires, a violé le droit des requérants à un recours effectif, le principe du contradictoire et l’égalité des armes ainsi que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ;
Condamne la République de Guinée à payer la somme de Trente millions (30.000.000) FCFA à Ao AH AL et la somme de Quinze millions (15.000.000) FCFA à Ad AK pour toutes causes de préjudices confondus ;
Les déboute du surplus de leurs prétentions ;
Condamne la République de la Guinée aux entiers dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement en audience à Au en République Fédérale du Nigeria, par la Cour de Justice de la Communauté, CEDEAO, les jours, mois et an susdits ;
Ont signé :
Honorable Juge Jérôme TRAORE : Président
Honorable Juge Hamèye Founé MAHALMADANE : Membre
Honorable Juge Alioune SALL : Membre
Assistes de Maitre DIAKITE Djibo Aboubacar : Greffier


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUG/03/16
Date de la décision : 16/02/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2016-02-16;ecw.ccj.jug.03.16 ?
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