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23/04/2015 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/APP/01/15

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 23 avril 2015, ECW/CCJ/APP/01/15


Texte (pseudonymisé)
COMMUNITY ECOWAS COURT OF JUSTICE, €
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMUNIDADE,
No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT,
OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE II, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, B
TEL: 09-6708210/5240781 Fax 09-5240780/5239425 Website: www. courtecowas.org COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE
L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO) SIEGEANT
A B AU NIGERIA
CE 23 avril 2015
AFFAIRE NO. ECW/CCJ/APP/04/14
Ai C & ANOR REQUERANT
CONTRE
RE

PUBLIQUE DU BENIN DEFENDERESSE
COMPOSITION DE LA COUR
- Hon. Juge Jérôme TRAO...

COMMUNITY ECOWAS COURT OF JUSTICE, €
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMUNIDADE,
No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT,
OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE II, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, B
TEL: 09-6708210/5240781 Fax 09-5240780/5239425 Website: www. courtecowas.org COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE
L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO) SIEGEANT
A B AU NIGERIA
CE 23 avril 2015
AFFAIRE NO. ECW/CCJ/APP/04/14
Ai C & ANOR REQUERANT
CONTRE
REPUBLIQUE DU BENIN DEFENDERESSE
COMPOSITION DE LA COUR
- Hon. Juge Jérôme TRAORE Président
- Hon. Juge Hamèye F. MAHALMADANE Membre
- Hon. Juge Alioune SALL Membre
ASSISTEE de Me Athanase ATANNON Greffier I- Les parties et leur représentation
1. Les requérantes sont Aw Ai C et Madame Aj Bc, toutes deux de nationalité béninoise, représentées par Maître Olga A Anassidé, Avocate au barreau de Cotonou (République du Bénin).
2. La défenderesse est la République du Bénin, représentée légalement par l’Agent judiciaire du trésor, ayant élu domicile pour les besoins de la cause à l’Ambassade du Bénin au Nigéria, et défendue par Maître Hippolyte Yédé, Avocat au barreau de Cotonou.
IT — Présentation des faits et de la procédure
3. La Cour de justice de la CEDEAO a été saisie par requête en date du 7 mars 2014, pour violation des articles 3 et 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et de l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
4. Aw Ai a été employée comme domestique par Madame Bb At, dès l’âge de six ans. Prétextant quelques années plus tard de relations intimes que Aw Ai aurait entretenues avec son mari, Madame At lui aurait infligé une série de traitements cruels, avec des traumatismes importants qui ont conduit à une incapacité temporaire de travail de plus de quarante cinq (45) jours. La victime a alors porté plainte contre sa patronne devant le Tribunal de première instance de Cotonou, lequel a condamné cette dernière à quatre (4) mois d’emprisonnement et réservé les intérêts civils du fait qu’il était impossible d’évaluer les préjudices subis par la plaignante compte tenu de l’absence, dans le dossier, d’un certificat attestant sa guérison totale. Ce jugement, rendu le 16 juin 2006, a été frappé d’appel par acte en date du 28 août 2006, sous le numéro 207.
5. Quant à la seconde requérante, Madame Aj Bc, elle a d’abord porté plainte contre le sieur Ap Av, avec qui elle avait mise en relation pour qu’il l’aide à soigner ses maux d’ordre gynécologiques, qui avaient donné lieu à plusieurs fausses couches. Se faisant passer pour un médecin gynécologue- Obstréticien, M. Av lui aurait administré des traitements qui ont aggravé ses maux et son état de santé, au point qu’elle en est devenue stérile, c’est-à-dire dans l’incapacité de procréer pour le futur. En outre, la requérante a commencé à éprouver de vives douleurs au niveau de son organe reproducteur et commencé à perdre progressivement sa vue ainsi que la capacité de mouvoir sa jambe gauche. Elle a alors porté plainte devant le tribunal de première instance de Cotonou qui, par jugement du 10 septembre 2007, à la somme de six cent cinquante mille (650.000) francs CFA à verser à la plaignante. Ce jugement a, à son tour, fait l’objet d’un appel par acte en date du 12 septembre 2007.
6. Aux termes de l’article 470 du code de procédure pénale, en vigueur au moment des faits, « dès que le greffier a reçu l'appel et la requête, il fait parvenir celle-ci au Président de la Cour d’appel ainsi qu’une expédition du jugement et de l'acte d’appel ».
7. Le dossier « Ai C c/ At Ida » a effectivement été transmis au Parquet général par lettre n° 131GTC du 28 mai 2008 et retourné au Greffe du Tribunal par le Parquet général sous le n° 3383 le 2 juin 2008 pour des formalités à accomplir, mais il n’a jamais été retourné et est resté à ce jour sans suite.
8. Quant au second dossier, « Aj Bc c/ Av Ap », il n’a jamais fait l’objet d’une quelconque diligence et n’a donc pu être transmis au Parquet général.
9. À ce jour, les requérantes n’ont jamais obtenu ni des extraits ni des copies des décisions de justice en cause, en dépit d’une série de démarches aux fins de continuer la procédure. Le conseil des deux parties, qui saisit aujourd’hui la Cour de la CEDEAO, a pourtant multiplié les correspondances, tant au Greffier en chef du Tribunal de Cotonou qu’aux Président de cette juridiction ainsi qu’au Procureur de la République près celle-ci, mais elles sont restées sans suite.
10.Une sommation interpellative, datée du 31 octobre 2013, a même été adressée au Greffier en chef, aux fins de savoir :
1. Pourquoi ces deux dossiers ne sont pas transmis au Parquet général de la
Cour d'appel de Cotonou ?
2. Où se trouvent actuellement ces dossiers ?
3. Quelles sont les diligences effectuées à ce jour pour leur transmission au Parquet Général ?
4. Pourquoi aucune suite n’a été donnée aux multiples correspondances de leur conseil ? 5. Quelles sont les mesures prises pour que les intérêts des requérants soient protégés ?
11.Par la suite, les requérantes, toujours par l’intermédiaire de leur conseil, ont saisi l’Inspecteur général des Services Judiciaires, avec transmission de la copie de l’ensemble des démarches et correspondances entreprises.
12.Ces diverses initiatives n’ont donné lieu, à ce jour, à aucune réponse de la part de leurs destinataires.
13.Aujourd’hui, du fait de l’écoulement des délais de jugement de ces différentes affaires, il semble que toute action des requérantes devant les juridictions nationales serait promise à une forclusion, conformément aux dispositions de l’article 8 alinéa 2 du nouveau Code de procédure pénale, qui précisent que « la prescription est de trois (03) ans révolus en matière de délits et d’une (01) année révolue en matière de contravention ».
14.C’est dans ces conditions que la Cour de justice de la CEDEAO a été saisie par requête enregistrée le 7 mars 2014.
ITI — Les arguments des parties
15.La partie demanderesse estime, au vu de l’ensemble de ces circonstances, que l’Etat du Bénin a échoué à protéger les droits des victimes, et que le comportement de ses autorités administratives et judiciaires a eu pour résultat la violation du droit de ces denières à accéder à la justice, de leur droit à un procès équitable et de celui d’être jugé dans un délai raisonnable. Une disposition de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et deux de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples sont invoquées :
16.Article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 :
« Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi ».
17.Article 3 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples :
« 1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi ».
Article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples :
« 1. Toute personne a droit à ce sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
a. le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur
18. A l’appui de ses prétentions, les requérantes rappellent qu’au total, plus de six (6) années se sont écoulées depuis que leur dossiers auraient dû être transmis à la seule Cour d’appel et que selon toute vraisemblance, ceux-ci ont été perdus.
19. Comme partie défenderesse, l’Etat du Bénin fait essentiellement valoir deux arguments.
20. D’une part, il considère, dans des conclusions in limine litis, reçues au Greffe de la Cour le 20 juin 2014, qu’avant de saisir la Cour de justice de la CEDEAO, les requérantes auraient dû, au préalable, porter leurs revendications devant les juridictions nationales. Pour cela, il invoque des dispositions de droit national, notamment l’article 114 de la Constitution qui dispose que « la Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l'Etat en matière constitutionnelle (.) elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques ». En d’autres termes, les requérantes auraient dû, d’abord préalablement à toute saisine de la Cour de la CEDEAO, poursuivre la revendication de leurs droits devant les juridictions nationales, et devant la Cour constitutionnelle en particulier.
21. D’autre part, l’Etat béninois fait valoir qu’il a accompli, sur la période récente, un effort considérable pour rendre son système judiciaire plus performant et ses procédures plus diligentes, et qu’il réfute, sur cette base, les griefs qui ont été articulés à son encontre. À cet égard, il a évoqué des mesures de type programmatique comme le recrutement de personnels, la construction d’un site pour loger la Cour d’appel de Cotonou et la rénovation des locaux abritant le Tribunal de première instance de Cotonou. La partie défenderesse fait également part du « soutien du programme américain Au Ah Ay », par lequel l’Etat béninois a mis en place un projet « Accès à la justice ». Elle a indiqué, par deux fois dans son Mémoire en défense enregistré le 8 avril 2014, que « la transmission des dossiers » litigieux « suit son cours ».
IV - Discussion, appréciation de la valeur des arguments des parties
22. La Cour estime qu’il importe de se pencher sur l’exception soulevée par l’Etat du Bénin (A), avant d’apprécier le fond du litige (B)
A) Sur l’exception tirée du non épuisement de voies de recours internes 23. La Cour a déjà fait observer que l’Etat du Bénin a soulevé une exception
tenant à la non saisine, par les requérants, de la Cour constitutionnelle
nationale, instituée juge des libertés par le Constituant lui-même (article 114 de la Loi Fondamentale béninoise, précitée). En d’autres parties de ses écritures, le défendeur évoque plus généralement les « recours internes » qui auraient dû être préalablement explorés par les requérantes.
24, Sur ce point précis, deux objections peuvent être opposées à l’argumentation béninoise. La première est générale puisqu’elle touche les principes mêmes qui gouvernent l’ordre international dans lequel se déploie une organisation comme la CEDEAO. Celle-ci, en effet, est une organisation internationale, à qui les Etats confèrent certes des pouvoirs et des compétences, mais qui, une fois qu’elle en est détentrice, peut voir ses normes primer sur celles des Etats membres. En adhérant à l’organisation internationale, en souscrivant aux normes dégagées par celle-ci comme personne morale autonome, les Etats renoncent, par là même, à une part de leur liberté et acceptent que la volonté de l’organisation s’impose à eux. Il en résulte qu’ils ne peuvent, dès lors, invoquer leur propre droit national pour échapper à leurs obligations communautaires. En l’espèce, il n’est pas en principe concevable que l’Etat du Bénin s’abrite derrière les dispositions de la Constitution pour faire l’impasse sur ses devoirs tirés du Traité de la CEDEAO et de tous les actes qui en procèdent, parmi lesquels les Protocoles organisant la compétence de la Cour.
25. De façon plus précise encore, la Cour estime que la question de l’épuisement des voies de recours internes ne se pose pas devant elle. Non seulement ce préalable n’est prescrit dans aucun texte en vigueur, mais elle a eu, dans le passé, à faire justice des thèses qui tendaient à réintroduire cette règle, par le biais d’interprétations diverses, mais qui avaient toutes en commun de ne reposer précisément sur aucun texte. Dans sa décision avant dire droit du 14 mars 2007, rendue dans l’affaire Professeur Ab An Ae c/ République de Gambie et Université de Gambie », elle avait spécifié que « l'exception préliminaire soulevée par les défenderesses et portant sur le non-épuisement préalable des recours internes n’a aucun rapport avec la procédure de saisine de la Cour ». Puis, dans son arrêt du 27 octobre 2008, « Dame Am Ac Ag et République du Niger », la Cour, répondant à l’affirmation de l’Etat du Niger suivant laquelle « fout en reconnaissant que la condition d’épuisement des voies de recours internes ne figure pas parmi les conditions de recevabilité (…) devant la Cour de justice de la CEDEAO, la République du Niger considère cette absence comme une lacune que la pratique de la Cour devrait combler », la Cour a clairement répondu qu’ « / n ya pas (..) lieu de considérer l’absence d’épuisement préalable des voies de recours internes comme une lacune que la pratique de la Cour doit combler ; car celle-ci ne saurait, sans violer les droits des individus, leur imposer des conditions et des formalités plus lourdes que celles prévues par les textes communautaires ». Elle a encore rappelé ce point dans bien d’autres arrêts (arrêt du 8 juillet 2011, Oceanking c/ Etat du Sénégal par exemple).
26. La Cour reste fidèle à cette manière de voir, elle considère qu’elle n’a pas à méconnaître les textes qui gouvernent son organisation et son fonctionnement. Dès lors, la requête introduite devant elle par Aw Ai C et Aj Bc est recevable.
B) Sur le fond
27. La Cour doit d’abord se pencher sur la question de l’atteinte même à un droit (a) avant d’examiner, éventuellement, les conséquences qui s’attachent à la conclusion à laquelle elle sera parvenue (b)
a) Sur l’atteinte aux droits des requérantes
28. La Cour constate qu’au moment où est saisie, plus de six (6) années et plus de sept (7) années se sont écoulées s’agissant d’une procédure, somme toute très courante, de traitement des deux dossiers respectifs qui lui sont soumis. Elle constate que les requérantes, ont, par le biais de leur conseil, effectué une série de démarches pour faire aboutir la procédure, démarches dont les preuves ont été versées au dossier. Il s’agit notamment :
- du courrier du 20 novembre 2008, adressé à Monsieur le greffier en chef près le Tribunal de première instance de Cotonou ;
- du courrier du 21 janvier 2009 adressé à Monsieur l’Inspecteur Général des Services Judiciaires, à Cotonou ;
- du courrier adressé à Monsieur le Greffier en chef près le Tribunal de première instance de Cotonou, du 25 mai 2009 ;
- du courrier du 26 mai 2009 adressé à Monsieur le Procureur de la
République, l’informant de la précédente démarche ;
- du courrier du 26 mai 2009 adressé à Monsieur le Président du Tribunal de
première instance de Cotonou, aux mêmes fins ;
- du courrier du 22 juin 2010 adressé à Monsieur l’Inspecteur Général des Services Judiciaires, à Cotonou ;
- du courrier du 7 mars 2011, toujours adressé à Monsieur le Greffier en chef près le Tribunal de première instance de Cotonou (il y aurait alors eu un nouveau Greffier affecté au Tribunal) ;
- Sommation interpellative du 31 octobre 2013 adressée à Monsieur le Greffier en chef du Tribunal de première instance de Cotonou.
29. Aucune de ces démarches n’a, si l’on se fie aux éléments versés dans le dossier, jamais donné lieu à la moindre réaction de leurs destinataires. La Cour est d’avis qu’une telle situation est révélatrice d’une incurie incontestable des services judiciaires, ainsi que de défaillances dont le résultat a été la mise en péril des droits des requérantes. Il faut rappeler à cet égard qu’aujourd’hui, tout donne à penser que les espoirs d’une poursuite de la procédure devant les juridictions béninoises sont définitivement anéanties, quoiqu’en dise la partie défenderesse. Au demeurant, la Cour doit constater que sur le plan concret du dossier qui lui est soumis, les réfutations qu’avance l’Etat du Bénin restent relativement « générales » et ne répondent pas, de façon précise et satisfaisante aux questions soulevées par les requérantes. L’inertie persistante des autorités judiciaires a conduit à une situation objective de déni des droits des victimes, Aw Ai et Madame Aj.
30. Il s’agit d’une série de droits qui se décomposent en un droit d’accès à la justice, un droit d’être informé de la procédure à laquelle on est partie, et un droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Le droit d’accès au juge doit se manifester tant par l’existence formelle de voies d’accès au juge, de recours ouverts que, de façon plus substantielle, par la facilitation ou la simplification de cet accès, l’élaguation des embûches ou obstacles superflus, qui ne se recommandent pas impérativement d’une bonne administration de la justice. Le droit d’être informé de la procédure, droit des justiciables et de ceux qui les assistent, implique non seulement la signification ou la notification des actes en temps dû, mais le droit d’obtenir une réponse des services judiciaires compétents, lorsqu’ils sont requis pour cela. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable implique quant à lui l’exclusion des lenteurs et complexités injustifiées avec notamment le souci d’écarter les menaces d’anéantissement des droits des justiciables, par le biais de la prescription de leur droit d’agir, point culminant et absurde, sans doute atteint en l’espèce.
31. Sur tous ces points, la Cour constate que le système judiciaire de l’Etat défendeur a révélé des carences indubitablement pourvoyeuses d’une responsabilité. À ce stade, la Cour croit utile de rappeler un certain nombre de décisions qu’elle a rendues sur la question de l’exécution des décisions de justice, ainsi que du droit et du délai pour agir devant le juge :
- Arrêt du 31 janvier 2012, Mme Ar Ao et 31 autres c/ Société Togotelecom et Etat Togolais : « La Cour relève également que la demande qui lui est soumise par les requérants (.…) concerne exactement l’inexécution de l’arrêt de la Cour d’appel (...) et que ce fait conforte les allégations de violation des droits de l’homme des requérants » ;
- Arrêt du 31 octobre 2012, Ak Af c/ République du Faso : « Les autorités judiciaires nationales ont donc l'obligation d'agir avec toute la diligence requise afin qu’à toutes les étapes de la procédure pénale (phases d'enquête, d’instruction, de jugement) il n y ait pas de retard inconsidére, excessif ou injustifié. Ainsi, tout retard excessif ou injustifié qui survient à l’une des phases de la procédure affecte inéluctablement le droit d’être jugé dans un délai raisonnable » ;
- Arrêt du 3 juillet 2013, Ba Ag et 33 autres, Al Aa et 4 autres, Ad Aq Ax et 29 autres c/ République togolaise » : « La
Cour est d'avis que l’inaction des autorités togolaises pour instruire les plaintes des requérants et examiner leur cause conformément au droit togolais, depuis 3 ans et 4 ans pour certains, voire 7 ans pour d’autres, a abouti à une situation dans laquelle il est patent de dire que le droit des requérants à voir leur cause examinée dans un délai raisonnable a été violé
- Arrêt du 28 janvier 2014, Monsieur Az As c/ République fédérale du
Nigéria, dans lequel la Cour estime que l’inaction des autorités judiciaires sur une période de six (6) années suffit à établir que le requérant n’a pas été jugé dans délai raisonnable.
32. Dans le présent cas, il convient d’ajouter que les défaillances relevées se comprennent d’autant moins que les demanderesses ont été mises dans une situation où leur intégrité physique a été très sérieusement atteinte, ce qui a entraîné la survenance d’un certain nombre de maux irréversibles (comme l’impossibilité de procréer, dans un cas) ou chroniques, nécessitant bien entendu une prise en charge médicale que la modestie de leur condition et de leurs revenus a dû rendre bien aléatoire.
33.En conclusion, la Cour admet que les droits des requérantes ont été méconnues, et que c’est à bon droit que les articles 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, 3 et 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ont été visés.
b) Sur l’indemnisation demandée 34. Dans leurs écritures, les requérantes demandent à la Cour de leur accorder, au titre de réparation des divers préjudices qu’elles ont subis, la somme de cinquante millions (50.000.000) de francs CFA à chacune d’entre elles.
35. La Cour regrette qu’à l’appui d’une telle demande, les requérantes n’aient pas produit de documents susceptibles de donner une idée des dépenses qu’elles ont dû engager depuis que les maux et traumatismes dont elles souffrent leur ont été infligés. Elle n’ignore toutefois ni l’intensité des souffrances physiques et psychologiques endurées par les victimes, ni, bien entendu, les dépenses que les traitements médicaux nécessaires ont dû entraîner. La Cour ne peut, à cet égard, ne pas tenir compte de la modestie de la condition des plaignantes. Eu égard à toutes ces données et à sa pratique en matière d’allocation d’indemnités compensatrices, elle considère qu’il est raisonnable qu’en réparation des préjudices subis, chacune des deux requérantes se voie allouer la somme de vingt millions (20.000.000) de francs CFA, à verser par l’Etat béninois.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Statuant publiquement et contradictoirement en premier et dernier ressort, en matière de violation des droits de l’homme ;
En la forme
Rejette l’exception tirée du non épuisement des voies de recours internes soulevée par la République du Bénin ;
Au fond
Dit que la République du Bénin, par le biais de son système et de ses autorités judiciaires, a violé le droit des deux requérantes à accéder à la justice et leur droit à être jugé dans un délai raisonnable ;
Dit que la République du Bénin devra allouer à chacune des requérantes, la somme de vingt millions (20.000.000) de francs CFA en réparation des préjudices physiques et psychologiques subis par elles ;
Condamne la République du Bénin aux dépens
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique à B, par la Cour de justice de la CEDEAO, les jours, mois et an susdits.
Et ont signé,
- Hon. Juge Jérôme TRAORE
- Hon. Juge Hamèye B. MAHALMADANE
- Hon. Juge Alioune SALL
ASSISTEE de Me Athanase ATANNON


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/APP/01/15
Date de la décision : 23/04/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2015-04-23;ecw.ccj.app.01.15 ?
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