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12/08/2022 | BULGARIE | N°3901/2018

Bulgarie | Bulgarie, Cour suprême de cassation, Quatrième département civil, 12 août 2022, 3901/2018


DÉCISION
N° 35
Sofia, le 12 août 2022

La Cour suprême de cassation de la République de Bulgarie, Quatrième département civil, siégeant en audience publique le trente-et-un janvier deux-mille-vingt-deux, composée de :
PRÉSIDENT : Mimi Furnadzhieva
MEMBRES : Velislav Pavkov
Desislava Popkoleva

Ayant examiné l'affaire civile n° 3901 du registre de 2018, rapportée par le juge Popkoleva, pour prendre une décision, a pris en compte le suivant :
La procédure relève de l'article 290 du Code de procédure civile.
Par l'ordonnance n

° 60644/06.10.2021 relative à un pourvoi en cassation de Gold Leasing OOD, par l'intermédiaire de...

DÉCISION
N° 35
Sofia, le 12 août 2022

La Cour suprême de cassation de la République de Bulgarie, Quatrième département civil, siégeant en audience publique le trente-et-un janvier deux-mille-vingt-deux, composée de :
PRÉSIDENT : Mimi Furnadzhieva
MEMBRES : Velislav Pavkov
Desislava Popkoleva

Ayant examiné l'affaire civile n° 3901 du registre de 2018, rapportée par le juge Popkoleva, pour prendre une décision, a pris en compte le suivant :
La procédure relève de l'article 290 du Code de procédure civile.
Par l'ordonnance n° 60644/06.10.2021 relative à un pourvoi en cassation de Gold Leasing OOD, par l'intermédiaire de l'avocat K. B., a été admis un pourvoi en cassation contre la décision n° 1515 du 19/06/2018 rendue dans l'affaire civile en appel n° 6402/2017 du registre de la Cour d'appel de Sofia à [localité] dans la partie par laquelle la décision n° 4525 du 22.06.2017 a été partiellement confirmée, rendue dans l'affaire civile n° 1890/2015 du registre du tribunal de la ville de Sofia, et les demandes introduites par le requérant contre le Ministère public de la République de Bulgarie ont été rejetées avec des fondements juridiques en vertu de l'article 49 de la Loi bulgare sur les obligations et les contrats pour le paiement d'une indemnité pour préjudice pécuniaire pour la différence dépassant 802 408,92 BGN jusqu'au montant total demandé de 1 638 441,99 BGN et pour le paiement d'une indemnité pour préjudice non pécuniaire pour la différence dépassant 3 000 BGN jusqu'au montant total demandé de 50 000,00 BGN.
Le demandeur — requérant forme un pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'appel, qu'il insiste être erroné à cause de violation matérielle des règles de la procédure judiciaire et défaut de fondement - motifs de l'article 281, p. 3, du Code de procédure civile.
La partie adverse, le Ministère public de la République de Bulgarie, dans sa réponse au pourvoi, soutient que les arguments avancés dans le pourvoi pour manque de fondement de la décision attaquée ne sont pas fondés.
Le pourvoi en cassation a été admis dans l'hypothèse de l'article 280 alinéa 1, p. 3 du Code de procédure civile sur les questions suivantes, telles que clarifiées et précisées par la Cour de Cassation : 1/ Le lien de causalité entre le comportement illicite du débiteur et le préjudice causé est-il rompu lorsque le créancier n'accomplit pas des actes qui pourraient être qualifiés comme risque commercial inhabituel et 2/ Quels sont les critères sur la base desquels doit être déterminée l'indemnisation du préjudice non pécuniaire subi par les personnes morales en cas de violation du droit de l'Union européenne par les actes et omissions illicites de l'État.
Sur la première question soulevée, la présente formation de la CSC statue comme suit :
Pour rejeter la demande du demandeur tendant à l'octroi des créances de la compte comptable «Créances de contentieux » « Clients» pour un montant de 218 910,27 BGN, la Cour d'appel a considéré qu'il s'agissait de créances dues par les preneurs en vertu de contrats de location existants, c'est-à-dire ceux qui n'avaient pas été annulés ou résiliés pour les motifs prévus par la loi ou le contrat, mais qui ont finalement été annulés par une décision de l'assemblée générale des actionnaires de la société demanderesse sans qu'aucune action ne soit entreprise pour les recouvrer par voie judiciaire. La Cour d'appel a estimé qu'il ne s'agissait pas de dommages pour lesquels le Ministère public de la République de Bulgarie était responsable, car même si les originaux des contrats de location et les documents d'accompagnement (billets à ordre, plans de remboursement, etc.) étaient en possession du Ministère publique, ce qui a sans aucun doute rendu les processus de comptabilisation des contrats et des paiements effectués en vertu de ceux-ci très difficiles. Le demandeur avait la possibilité d'engager une procédure judiciaire appropriée en vertu de l'article 410 du Code de procédure civile, qui n'exigent pas la production de preuves de la créance invoquée dans la demande, et ensuite, à condition que la procédure prévue à l'article 422 du Code de procédure civile soit engagée, de demander par l'intermédiaire du tribunal la production des originaux des documents nécessaires au bon déroulement de la demande ou de leurs copies certifiées conformes en vertu de l'article 186 du Code de procédure civile. Elle a estimé que même s'il y avait un préjudice pécuniaire, le défendeur ne devait pas en être responsable. Selon le raisonnement exposé ci-dessus, la Cour d'appel a estimé qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre le préjudice subi par le demandeur sous la forme de l'annulation des créances de la compte comptable « Créances de contentieux ». « Clients » en raison de l'expiration du délai de prescription pour remboursement et de la conduite illégale du Ministère public. Afin d'évaluer la justesse des conclusions de la Cour d'appel, il est nécessaire d'examiner trois concepts clés qui sont pertinents pour la question soulevée, à savoir la causalité, le risque commercial inhabituel et la limitation des dommages par le créancier. En ce qui concerne le lien de causalité, la CSC, dans sa jurisprudence, utilise deux méthodes principales pour établir un lien de causalité entre l'acte fautif et le préjudice — tout d'abord, on applique la théorie dite de l'équivalence, selon laquelle il existe un lien de causalité entre le dommage et l'acte commis, lorsque ce dernier est une condition nécessaire à la survenance du dommage /ainsi la décision n° 9 du 2 février 2018 dans l'affaire civile n° 1444/2017 du troisième département civil/. L'existence de la causalité est vérifiée en retirant mentalement l'acte de l'ensemble des conditions qui ont causé le préjudice. Si un préjudice survient même sans la présence d'un acte, il n'y a pas de lien de causalité et vice versa — si un préjudice ne survient pas sans la présence d'un acte, il y a un lien de causalité. La théorie dite de l'adéquation est utilisée pour déterminer le montant du préjudice direct - seul le préjudice, qui résulte typiquement de manière adéquate de l'acte fautif, est direct. Compte tenu de la conclusion de la Cour d'appel selon laquelle le lien de causalité entre le comportement de l'accusation et le préjudice subis a été rompu par le fait que le demandeur n'a pas présenté ses créances à l'encontre des clients, il est nécessaire d'examiner les raisons pour lesquelles le demandeur n'a pas présenté ses créances en justice. Le Code bulgare du commerce impose aux commerçants un niveau de diligence plus élevé que le droit civil commun — il s'agit de la diligence d'un bon commerçant — article 302 du Code bulgare de commerce. La diligence d'un bon commerçant est comprise comme le degré de soin du groupe professionnel auquel la personne appartient. Elle impose au destinataire des exigences plus élevées que la diligence d'un bon propriétaire, car cette diligence doit être dispensée par un professionnel. La diligence raisonnable doit également être adaptée au risque auquel l'entreprise est exposée. Plus les recettes attendues sont importantes, plus le risque que peut assumer l'entreprise est élevé. En règle générale, le directeur général doit s'efforcer de faire en sorte que les activités de l'entreprise soient conformes au risque habituel pour l'entreprise. Il résulte de ce qui précède que la société requérante / ou, plus précisément, son directeur général / était tenue, lors du recouvrement de ses créances, de prendre en compte le risque de présenter les demandes sans les documents originaux sur lesquels se fonder, afin de respecter le barème de diligence raisonnable imposé aux commerçants. C'est également dans ce sens que va la jurisprudence de la CJUE, qui considère que le lien de causalité entre le préjudice subi et le comportement illicite du débiteur n'est pas rompu lorsque le créancier ne prend pas une certaine mesure pour empêcher la survenance du préjudice, lorsque cette mesure constitue un risque commercial inhabituel / Affaire T-178/98, confirmée par la CJUE dans l'affaire C-472/00 P/.
Afin d’évaluer s'il existe un risque commercial inhabituel, le tribunal doit comparer les options dont disposait le créancier au moment de décider d'entreprendre ou non une action particulière. Pour cette évaluation, il est nécessaire de prendre en compte les critères suivants : la probabilité que l'action entreprise conduise au résultat souhaité par le créancier, les pertes éventuelles que le créancier subirait si l'action entreprise échouait, la mesure dans laquelle les pertes éventuelles aggraveraient la situation financière de l'entreprise, et le rapport entre les pertes éventuelles et les gains éventuels. En tenant compte de ces critères cumulatifs, il est possible d'évaluer s'il existe un risque commercial inhabituel, et cette évaluation doit toujours être spécifique à la lumière de tous les éléments pertinents dans l'affaire.
Par souci d'exhaustivité, il convient de préciser que selon l'article 83, alinéa 2, de la Loi bulgare sur les obligations et les contrats, le débiteur n'est pas tenu de réparer le préjudice que le créancier aurait pu éviter en exerçant l'activité selon les principes d’une bonne gestion. En effet, cette disposition est applicable à la responsabilité contractuelle, mais elle est d'une importance fondamentale dans la mesure où elle reflète certains des principes de base du droit des contrats, tels que le principe de bonne foi /compris comme l'honnêteté et l'intégrité/ — article 63 de la Loi bulgare sur les obligations et les contrats.
Sur la base de ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que le lien de causalité entre le comportement illicite et le préjudice subi n'est pas rompu par le fait que le créancier n'a pas pris certaines mesures pouvant être qualifiées de risque commercial inhabituel.
La question étant ainsi répondue, les conclusions de la Cour d'appel selon lesquelles il n'y avait pas de lien de causalité entre le préjudice subi par le demandeur, sous la forme de la radiation des créances de la compte comptable « Créances de contentieux » « Clients » pour un montant de 218 910,27 BGN, en raison de l'expiration des délais de prescription pour remboursement, et le comportement illicite de l'accusation, sont considérées comme incorrectes. Les preuves dans cette affaire ont établi que la société demanderesse était confrontée à un risque commercial inhabituel — ses chances de gagner le procès sans disposer des documents originaux et avec le refus de l'accusation de les produire en vertu de l'article 186 du Code de procédure civile étaient minimes. L'alternative consistant à déposer une demande de délivrance d'un titre exécutoire en application de l'article 410 du CPC sans que la société ne dispose des documents relatifs aux contrats de location, conclus avec ses clients, aboutit pratiquement au même résultat, dans la mesure où en cas d'objection du débiteur au titre de l'article 414 du CPC, dont la loi n'exige pas qu'elle soit motivée, le créancier sera obligé d'introduire une action au titre de l'article 422 du CPC. Il convient également de tenir compte du fait que, en raison de la perte probable des affaires, le demandeur devrait supporter tous les frais et coûts de ces procédures, c'est-à-dire être responsable en vertu de l'article 78, alinéa 3 du Code de procédure civile. En outre, il convient d'ajouter que, pendant la période en cause, les activités de la société requérante étaient pratiquement bloquées en raison des documents et des configurations informatiques saisis par l'accusation. En l'espèce, en omettant d'introduire des actions ou des requêtes au titre de l'article 410 du Code de procédure civile sans les documents originaux sur lesquels ses réclamations seraient fondées, la société requérante a limité l'étendue du préjudice subi causé par le comportement fautif de l'accusation. Si le demandeur avait introduit de telles actions, le montant du préjudice qu'il aurait subi aurait inévitablement augmenté, et donc sa demande d'indemnisation contre le défendeur pour ce même préjudice. Si l'on suit la logique de la Cour d'appel, le lien de causalité entre le comportement de l'accusation et le préjudice n'aurait pas été rompu si la société requérante avait porté ses revendications devant les tribunaux, ce qui aurait conduit au résultat déjà décrit — à un montant plus élevé du préjudice subi par la demanderesse, et donc à un montant plus élevé de l'indemnisation réclamée. Cela crée effectivement une situation dans laquelle le demandeur est pénalisé pour avoir exercé une diligence raisonnable et limité le montant de son propre préjudice, et donc le montant de l'indemnité payable par le débiteur.
En ce qui concerne la radiation des créances du compte comptable 443 « Créances de contentieux » pour un montant de 274 205,97 BGN et du compte comptable 498 « Autres débiteurs » pour un montant de 342 916,83 BGN, la conclusion finale de la Cour d'appel selon laquelle le défendeur n'était pas responsable de ce préjudice était correcte.
Il est établi à partir des données de l'affaire que les créances du compte comptable 443 sont formées de deux contrats de location-financement — n° 474/27.06.2007, conclu avec Serdika tourist LTD et n° 597/20.02.2009, conclu avec Aqua Factor EOOD. Les créances au titre du premier contrat ont été produites en partie en 2014 par le demandeur devant la Cour d'arbitrage auprès de la CCIB, Sofia, qui par une décision du 19.12.2014 dans l'affaire n° 90/2014 a rejeté les demandes comme prescrites en vertu de l'article 111, lettre « c » et de l'article 119 de la Loi bulgare sur les obligations et les contrats, jugeant non fondée l'affirmation du demandeur selon laquelle, pour la période allant du 10/02/2010 (saisie des documents originaux et des supports électroniques contenant des informations sur les créances en cours/ au 22/08/2013) date de restitution des documents/, la prescription n'avait pas couru. La décision de la Cour suprême de cassation dans l'affaire commerciale n° 1575/2015 a rejeté la demande d'annulation de la sentence arbitrale introduite par la société demanderesse contre Serdika tourist LTD en vertu de l'article 47 de la Loi bulgare sur l'arbitrage commercial international. Les créances au titre du second contrat de leasing ont été portées devant le tribunal de première instance de Varna en vertu de l'article 410 du Code de procédure civile en 2012, et la procédure d'injonction a été convertie en une procédure déclarative au titre de l'article 422 du Code de procédure civile. Par une décision du 29/04/2014 du Tribunal régional de Varna dans l'affaire commerciale d'appel n° 1661/2013, la juridiction d’appel a annulé dans son intégralité comme irrecevable la décision rendue par la première instance, par laquelle les actions déclaratoires du demandeur ont été rejetées et a mis fin à la procédure dans l'affaire. Selon le raisonnement de la décision dans la procédure déclarative, le demandeur avait soulevé des motifs différents pour les créances de ceux soulevés dans la procédure d'injonction et, par conséquent, la protection de ces demandes ne pouvait être recherchée que par le biais d'une action en condamnation, y compris par le biais d'un passage d'une action déclaratoire à une action en condamnation, option dont le demandeur dans l'affaire d'appel n'a toutefois pas fait usage malgré la possibilité qui lui a été offerte par la juridiction d'appel. L'arrêt ainsi rendu était susceptible d'un pourvoi en cassation, mais il n'existe aucune preuve dans l'affaire et aucune allégation selon laquelle le demandeur aurait fait appel de l'arrêt d'appel devant la CSC. Sur la base des faits ainsi établis, la formation constate qu'en l'espèce il n'existe pas de lien de causalité entre le comportement illicite du défendeur et le préjudice subi. Ce dernier ne résulte pas de la rétention illicite des documents originaux des deux contrats de location-financement, mais étaient le résultat de l'action en justice du demandeur pour des créances prescrites au titre du premier contrat et de son défaut de procédure pour remédier à l'irrégularité de la requête devant la juridiction d'appel concernant les créances réclamées au titre du second contrat de location.
Les données de l'affaire ne permettent pas d'établir un lien de causalité direct et immédiat entre les relations de la société demanderesse avec « Est » JSC /partenaire majoritaire de « Gold Leasing » OOD/ à l'occasion de la conclusion de l'accord-cadre d'assistance financière et du remboursement ultérieur des créances non recouvrées en vertu des contrats de prêt conclus avec 42 preneurs et le comportement du défendeur et en particulier la rétention illicite des documents de la société. Cette dernière alors ne semble pas être une condition nécessaire et suffisante, dans des circonstances ordinaires, pour que le préjudice soit parvenu.
Compte tenu de ce qui précède et conformément à l'article 293, alinéa 2, du Code de procédure civile, l'arrêt de la juridiction d'appel dans la partie rejetant la demande de paiement d'une indemnité pour préjudice pécuniaire pour la différence excédant 802 408,92 BGN jusqu'au montant de 1 021 319,19 BGN, soit pour un montant de 218 910,27 BGN, doit être annulé et la demande — accueillie jusqu'au montant indiqué, et dans le reste de la partie attaquée — accueilli.
Sur la deuxième question soulevée, la présente formation de la CSC conclut comme suit :
Tout d'abord, il convient de noter que la jurisprudence bulgare a nié pendant des décennies le droit des personnes morales à réclamer le préjudice moral. Ces dernières années, la Cour suprême de cassation a accordé des indemnités pour préjudice moral à des personnes morales — décision n° 16 du 2 mars 2021 dans l'affaire civile n° 1914/2020 du IVe département civil, décision n° 29 du 10 mars 2020 dans l'affaire civile n° 1690/2019 du IVe département civil, décision n° 206 du 26 mars 2019 dans l'affaire civile n° 4762/2017 du IIIe département civil. L'absence de développements doctrinaux ainsi que de jurisprudence sur les critères permettant de déterminer l'indemnisation du préjudice moral subi par les personnes morales impose d'interpréter les dispositions internes du droit de l'UE en conséquence et donc de déduire les critères de détermination de cette indemnisation de la jurisprudence de la CJUE. Séparément, il est nécessaire de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur les critères de détermination de l'indemnisation du préjudice moral subi par les personnes morales.
Dans certains de ses arrêts, la CJUE s'est contentée d'établir le comportement illicite qui a conduit au préjudice moral respectif (par exemple, l'atteinte à la réputation), l'indemnisation étant déterminée en équité — « ex aequi at boni » selon la terminologie de la CJUE, c'est-à-dire sans indiquer les critères spécifiques que la CJUE a utilisés. Un exemple à cet égard est l'affaire T-88/09, dans laquelle il a été jugé au point 76 que «...compte tenu de l'ensemble des considérations exposées aux points 71—75 ci-dessus et en l'absence d'informations plus précises de la part des requérants quant à l'étendue du préjudice subi par Idromacchine sur sa réputation, la Cour générale estime que la somme de 20 000 EUR constitue une indemnité équitable ». D'autres arrêts de la CJUE énoncent les critères selon lesquels l'indemnisation du préjudice moral subi est déterminée. Dans l'affaire C-45/15 P, point 52 /Safa Nicu Sepahan Co. contre Conseil de l'Union européenne/, il est indiqué comme suit : « Aux points 88 à 91 de l'arrêt attaqué, la Cour générale a rendu que, pour déterminer le montant de l'indemnité du préjudice moral en l'espèce, il convient de tenir compte, notamment, de la gravité de la violation constatée, de sa durée, du comportement du Conseil et de l'incidence sur les tiers de la prétendue participation de Safa Nicu Sepahan à la prolifération nucléaire iranienne. À cet égard, la cour générale constate sur le fond que l'allégation du Conseil à l'égard de Safa Nicu Sepahan revêt un poids particulier, qu'elle n'est cependant pas étayée par des données ou des éléments de preuve pertinents et que le Conseil n'a pas vérifié, ni de sa propre initiative ni en réponse aux protestations de Safa Nicu Sepahan, si ladite allégation était fondée afin de limiter les conséquences néfastes qui en résultent pour cette entreprise. » Dans certains cas, la CJUE a estimé que le versement d'une compensation pécuniaire symbolique était suffisant — Décision du 14 juin 1979, V/Commission (18/78, EU:C71979:154, paragraphe 19) ou qu'une compensation non pécuniaire pouvait être accordée — Décision du 10 mai 2006, Galileo International Technology/Commission (T-279/03, EU:T:2006:121, paragraphe 63). Dans d'autres cas, la CJUE n'a pas accordé de compensation sous une forme spécifique, car elle a estimé que l'annulation de l'acte illégal ou la simple constatation dans le jugement de l'existence d'un comportement illégal peut constituer une compensation satisfaisante au sens de l'article 340 TFUE — (T-47/03, EU:T:2007:207 ; Hochbaum et Rawesrr[sic]/Commission (44/85, 77/85, 294/85 et 295/85, EU:C:1987:348, paragraphe 22).
Dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l'homme a également tenté de formuler des critères selon lesquels l'indemnisation du préjudice moral subi par les personnes morales devrait être déterminée — ainsi au point 59 de la Décision du 4 mars 2014 dans l'affaire Microintellect OOD contre Bulgarie, il a été jugé que « en ce qui concerne la demande de préjudice moral, la Cour relève qu'elle n'a pas exclu la possibilité d'accorder une indemnisation pour préjudice moral à une société commerciale pour des motifs plus ou moins « objectifs » ou « subjectifs ». Il s'agit en particulier de la réputation de l'entreprise, de l'incertitude dans la planification et la prise de décision, de la scission dans la gestion de l'entreprise et enfin, bien que dans une moindre mesure, de l'anxiété et de l'embarras causés aux membres de l'équipe de direction. » Dans la Décision du 6 avril 2000 rendu par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Comingersoll contre Portugal, paragraphe 29, la Cour a adopté des critères similaires pour déterminer le montant de l'indemnisation du préjudice moral, en vertu desquels, pour évaluer l'indemnisation, la Cour prend en compte, outre le préjudice pécuniaire, c'est-à-dire la perte subie en conséquence directe de la violation alléguée, aussi le préjudice moral, c'est-à-dire la réparation de l'anxiété, des désagréments ou de l'incertitude causés par l'infraction, ainsi que d'autres dommages non pécuniaires ; et le point 35 de la même Décision, où il est indiqué que « les demandes relatives au préjudice moral subi par ces sociétés peuvent comprendre des demandes plus ou moins « objectifs » ou « subjectifs ». La réputation de l'entreprise, l'incertitude de la planification, la perturbation de la gestion de l'entreprise, et là il n'y a pas de méthode précise pour calculer les conséquences, et enfin, bien que dans une moindre mesure, l'anxiété et les désagréments causés aux membres de la direction de l'entreprise, doivent être pris en compte.
Il ressort de ce qui précède qu'il existe trois approches pour déterminer l'indemnisation du préjudice moral subi par les personnes morales dans la jurisprudence des juridictions européennes. Dans le premier cas, l'indemnisation est déterminée à la discrétion du tribunal sans spécifier de critères spécifiques. Une telle approche doit être rejetée car elle crée de l'incertitude et introduit également une ambiguïté dans les attentes juridiques des parties lésées. Dans la seconde approche, il est considéré que l'indemnisation peut consister en l'annulation elle-même de l'acte illégal ou en la simple constatation dans le jugement de l'existence d'un comportement illégal. Cette approche doit également être rejetée dans la mesure où le principe de base de la responsabilité civile bulgare est la réparation pécuniaire du préjudice subi. Par conséquent, la seule approche possible consiste à énumérer des critères indicatifs lors de la détermination de l'indemnisation du préjudice moral en cas de violation du droit de l'Union européenne par des actes illicites ou des actes/omissions de l'État, en laissant l'appréciation à la juridiction de jugement dans chaque cas, en tenant compte de tous les faits et circonstances pertinents de l'affaire. Ces critères indicatifs peuvent être : la gravité de la violation constatée, sa durée, le comportement de l'autorité publique, l'effet sur les tiers causé par l'acte illégal ou l'acte/omission illégale de l'État, le degré d'atteinte à la réputation de l'entreprise, l'incertitude dans la planification, la rupture dans la gestion de l'entreprise, l'anxiété et les désagréments causés aux membres de la direction de l'entreprise.
En conclusion de la question posée, on peut répondre que les critères indicatifs sur la base desquels l'indemnisation du préjudice moral doit être déterminée en cas de violation du droit de l'Union européenne par des actes illicites ou des actes/omission illicites de l'État subis par des personnes morales sont comme suit : la gravité de la violation constatée, sa durée, le comportement de l'autorité publique, l'effet sur les tiers causé par l'acte illégal ou l'action/omission illégale de l'autorité publique, le degré d'atteinte à la réputation de la société, l'incertitude dans la planification et la perturbation de la gestion normale de la société, l'anxiété et les désagréments causés aux membres de la direction de la société.
Compte tenu des critères susmentionnés, la présente formation de la CSC estime que l'indemnisation pour le préjudice moral sous forme d'atteinte à la réputation de la société et de perturbation de sa gestion normale pendant une période prolongée doit être fixée à 10 000 BGN.
Compte tenu de ce qui précède et sur la base de l'article 293, alinéa 2, du Code de procédure civile, la Décision de la juridiction d'appel dans la partie où elle rejette la demande pour la différence entre 3 000 et 10 000 BGN, doit être annulée et la demande doit être maintenue à hauteur de ce montant.
Compte tenu de l'issue finale du litige, les frais d'État et les honoraires d'avocat pour la présente instance, d'un montant de 7 637,29 BGN, ainsi que la partie non attribuée des frais pour les deux premières instances conformément à la partie accueillie des demandes, d'un montant de 21 784,44 BGN, soit au total 29 421,73 BGN, sont dus à la partie requérante.
Motivée par ce qui précède, la Cour suprême de cassation

A DÉCIDÉ :

ANNULE la Décision n° 1515 du 19/06/2018, rendu dans l'affaire civile en appel n° 6402/2017 du registre de la Cour d'appel de Sofia dans la partie rejetant les demandes présentées par Gold Leasing OOD, CUI [CUI] contre le Ministère public de la République de Bulgarie avec des motifs juridiques en vertu de l'article 49 de la Loi bulgare sur les obligations et les contrats pour le paiement d'une indemnité pour préjudice pécuniaire pour la différence dépassant 802 408,92 BGN jusqu'au montant de 1 021 319,19 BGN et pour le paiement d'une indemnité pour préjudice moral pour la différence dépassant 3 000 BGN jusqu'à 10 000 BGN, et à sa place rend :
CONDAMNE le ministère public de la République de Bulgarie à payer à Gold Leasing OOD, CUI [CUI], sur la base de l'article 49 de la Loi bulgare sur les obligations et les contrats, la somme de 218 910,27 BGN — indemnité pour préjudice pécuniaire et la somme de 7 000,00 BGN — indemnité pour préjudice moral résultant de la violation du droit de l'Union européenne, ainsi que les intérêts légaux sur les montants des principaux à partir du 10 février 2015 jusqu'à leur paiement final.
CONFIRME la décision n° 1515 du 19/06/2018 rendue dans l'affaire civile en appel n° 6402/2017 du registre de la Cour d'appel de Sofia dans la partie restante attaquée par Gold Leasing OOD.
CONDAMNE le Ministère public de la République de Bulgarie de payer à Gold Leasing OOD, CUI [CUI], conformément à l'article 78, alinéa 1 du Code de procédure civile le montant de 29 421,73 BGN constituant les coûts des trois instances judiciaires.
La DÉCISION n'est pas susceptible d'appel.


Type d'affaire : Décision

Références :

Origine de la décision
Formation : Quatrième département civil
Date de la décision : 12/08/2022
Date de l'import : 20/02/2023

Numérotation
Numéro d'arrêt : 3901/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;bg;cour.supreme.cassation;arret;2022-08-12;3901.2018 ?
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