ARRET No. 60
Sofia, 14 juillet 2020
AU NOM DU PEUPLE
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La Cour suprême de cassation (CSC) de la République de Bulgarie, première section de la Chambre civile, en l’audience publique du dix-sept juin deux mille vingt, composée de :
PRESIDENTE : BRANISLAVA PAVLOVA
MEMBRES : TEODORA GROZDEVA, VLADIMIR YORDANOV
en présence de la greffière A. Ivanova, après avoir entendu l’affaire civile no. 2565 d’après le rôle de 2019, rapportée par la juge Т. Grozdeva, a admis ce qui suit :
La procédure est ouverte au titre de l’art. 290 et suivants du Code de procédure civile (CPC).
Elle est ouverte sur les pourvois en cassation formés par N.S.M., D.S.M. et N.N.M. contre l’arrêt no. 589 du 11 mars 2019 rendu dans l’affaire civile no. 4607 de 2018 par la Cour d’appel de Sofia, Chambre civile, Septième formation de jugement en appel.
Par son ordonnance no. 588 du 27 décembre 2019, la présente formation de jugement de la CSC n’a admis que le pourvoi de N.S.M. et D.S.M. dirigé contre l’arrêt, dans sa partie annulant le jugement de première instance no. 9161 du 19 décembre 2016, rendu dans l’affaire civile no. 14063 de 2015 par le Tribunal de grande instance de Sofia, et statuant à nouveau à sa place d’accueillir l’action exercée par le ministère de l’Intérieur à l’encontre de N.S.M. et D.S.M., fondée sur l’art.124, alinéa 1 du CPC, selon laquelle action les deux défendeurs ne sont pas propriétaires et ne possèdent pas de droits réels restreints sur le bien immeuble suivant : appartement no. 31, situé à [ville], [quartier], [adresse d’habitation]. Dans son ordonnance au titre de l’art. 288 du CPC, la CSC a admis que dans la partie visée, l’arrêt de la juridiction d’appel peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation sur le fondement de l’art. 280, alinéa 1, point 3 du CPC sur la question de savoir : Est-il admissible que le juge admette qu’il existe une nullité du contrat de vente d’un bien immeuble sur la base de la nullité établie d’un contrat relevant d’une autre affaire, la décision sur laquelle n’est pas passée en force de chose jugée entre les parties de l’affaire en cause ?
En l’audience publique, le mandataire des demandeurs en cassation sollicite que soit annulé l’arrêt d’appel comme erroné et qu’il soit à nouveau statué afin de rejeter l’action exercée.
Le défendeur, ministère de l’Intérieur, n’a pas déposé de réponse écrite, mais en l’audience publique son mandataire ad litem, le conseil P., conteste le pourvoi et sollicite qu’il soit à nouveau statué afin de confirmer l’arrêt d’appel.
Sur la question ayant déterminé la recevabilité du pourvoi en cassation, la présente formation de jugement de la CSC, Chambre civile, considère ce qui suit : Les limites subjectives de la force de chose jugée déterminent le cercle de personnes qui sont liées par les constatations de l’arrêt concernant l’existence ou l’inexistence du droit litigieux. En principe, la force de chose jugée ne naît qu’entre les parties en cause : art. 298, alinéa 1 du CPC. Les tiers ne sont pas lies par la force de chose jugée, sauf dans les hypothèses expressément prévues par loi : par exemple, l’art. 298, alinéa 2 du CPC selon lequel une décision de justice qui a acquis force de chose jugée s’étend également aux héritiers des parties et à leurs ayants droit. Et selon l’art. 298, alinéa 3 du CPC, une décision de justice, prononcée sur des actions relatives à l’état des personnes, y compris sur des actions en matière matrimoniale, s’étend à tous.
Afin que la force de chose jugée s’étende également aux héritiers des parties en cause ou à leurs ayants droit à titre universel ou particulier, il faut que la succession ait apparue après que la force de chose jugée a eu lieu pour l’auteur de la succession dans une affaire à laquelle celui-ci a été partie. Si la succession est apparue durant une affaire pendante et que l’ayant droit s’est substitué à l’auteur de la succession, en tant que partie en cause au titre de l’art. 226, alinéa 2 du CPC, cet ayant droit est lié par la force de chose jugée de la décision de justice en tant que partie en cause. Si la succession est apparue durant une affaire pendante et l’ayant droit ne s’est pas substitué à l’auteur de la succession, en tant que partie en cause au titre de l’art. 226, alinéa 2 du CPC, l’auteur de la succession poursuit sa participation à l’affaire sur le fondement de l’art. 226, alinéa 1 du CPC, en tant que substitut ad litem de l’ayant droit et ce dernier est lié par le jugement prononcé en l’espèce, dans les hypothèses de l’art. 226, alinéa 3 du CPC. Si la succession est apparue avant l’introduction de l’action contre l’auteur et les ayants droit ne sont pas intervenus comme parties en cause, le jugement rendu ne s’étendra pas à eux.
Dans les hypothèses où le demandeur allègue que la transaction de transfert, du fait de laquelle la propriété a été acquise par le défendeur, souffre d’un vice susceptible de mener à sa nullité, il est dans son intérêt de diriger l’action non seulement à l’encontre de la personne, qui est partie à cette transaction, mais aussi à l’encontre de ses ayants droit qui ont acquis la propriété à titre dérivatif avant l’introduction de l’action en justice, afin que ceux-ci soient également liés par la force de chose jugée de la décision rendue dans l’action en nullité de la transaction. Sinon, cette décision ne pourra pas leur être opposée par le demandeur dans une action ultérieure en revendication de la propriété, exercée à leur encontre. Dans l’hypothèse d’une telle action ultérieure, afin que le demandeur puisse prouver son droit de propriété et que soit appliqué le principe selon lequel nul ne peut transférer plus de droits qu’il n’en a (nemo plus iuris ad alium transferre potest quam ipse habet), le demandeur doit prouver, sur la base des principes généraux, les faits juridiques concrets viciant la transaction avec le défendeur de la première affaire et menant à sa nullité. Dans cette hypothèse, la décision sur la première affaire, qui ne lie pas les ayants droit du défendeur en cause, ne peut pas servir de preuve de la nullité de la transaction. Par conséquent, il n’est pas admissible que le juge admette qu’il existe une nullité du contrat de vente d’un bien immeuble, sur la base de la nullité établie du contrat relevant d’une autre affaire, la décision sur laquelle n’est pas passée en force de chose jugée entre les parties de l’affaire en cause. La décision sur cette affaire ne peut pas non plus être utilisée comme preuve de faits juridiques dont l’apparition a déterminé la nullité.
En contradiction avec la réponse ainsi apportée à la question soulevée, la juridiction d’appel, dans l’arrêt attaqué, a fondé sa conclusion du bien-fondé de l’action en constatation négative exercée contre les défendeurs, ayants droit de N.N.M., sur la force de chose jugée du jugement dans l’affaire civile no. 5987 de 2010 du Tribunal de grande instance de Sofia, prononcé dans l’action en nullité du contrat du 10 juillet 2006, exercée par le demandeur ministère de l’Intérieur à l’encontre de N.M., malgré le fait que les défendeurs N.M. et D.M. ont acquis le bien considéré de N.M. avant l’introduction de cette action en justice, soit dès le 04 octobre 2006.
Eu égard à ce qui précède, l’arrêt attaqué est erroné et il y a lieu de l’annuler à ce titre.
Une fois l’arrêt annulé, l’affaire doit être renvoyée, sur le fondement de l’art. 293, alinéa 3 du CPC, pour réexamen par une autre formation de jugement de la juridiction d’appel, car il est nécessaire de procéder à de nouveaux actes de procédure : étant donné la qualification juridique correcte de l’action, retenue par la juridiction d’appel, celle-ci doit répartir la charge de la preuve entre les parties et leur donner des instructions sur les faits à prouver (plus concrètement, en vue d’établir les faits qui, selon le demandeur, mènent à la nullité du contrat de vente du 10 juillet 2006), ainsi que leur donner la possibilité d’en fournir des éléments de preuve.
La juridiction d’appel a dû et doit donner d’office de telles instructions aux parties pour les raisons suivantes : conformément au point 2 de l’arrêt interprétatif no. 1 du 09 décembre 2013, affaire en interprétation no. 1 de 2013 de l’Assemblée générale des Chambres civile et commerciale de la CSC, lorsque la juridiction d’appel estime que la qualification, donnée par la juridiction de première instance à l’action exercée, est erronée et qu’en résultat de cela des instructions incorrectes ont été données aux parties sur les faits à prouver, elle doit assurer d’office, sans attendre d’être saisie d’un tel grief, la bonne application de la loi matérielle dans le litige, en donnant des instructions sur les faits pertinents et la répartition de la charge de la preuve, et en indiquant aux parties la nécessité de présenter les éléments de preuve concernés (art. 146, alinéas 1 et 2 du CPC). A fortiori, la juridiction d’appel à la même obligation également lorsque, en raison du dispositif imprécis de la requête, corrigé à peine devant la juridiction d’appel, la bonne qualification juridique est donnée pour la première fois par la juridiction d’appel, comme en l’espèce : par une ordonnance du 20 février 2017, la juridiction d’appel a constaté pour la première fois que la requête, introduite par le ministère de l’Intérieur à l’encontre des défendeurs N.M. et D.M., est erronée en raison d’un dispositif imprécis : selon le dispositif initialement rédigé, il fallait établir que l’acte notarié no. 077 du 04 octobre 2006, par lequel N.N.M. donnait à ses fils D.S.M. et N.S.M. un bien immeuble, l’appartement no. 31, situé à [ville], n’avait pas produit d’effets réels à la suite du transfert de la propriété. Par une demande du 06 mars 2017, apportant des précisions, le demandeur a précisé le dispositif de sa requête à l’encontre de N.M. et D.M., dans le sens qu’il souhaitait que soit établi, par rapport au ministère de l’Intérieur, que ces défendeurs ne sont pas propriétaires de l’appartement considéré : action au titre de l’art. 124, alinéa 1 du CPC. Avant la correction de cette erreur de la requête, il a été impossible de donner une qualification juridique correcte à l’action exercée par le ministère de l’Intérieur, ni de définir la nature et le volume de la protection du droit de propriété, recherchée par le ministère de l’Intérieur.
Eu égard à ces considérations, la formation de jugement de la Cour suprême de cassation de la République de Bulgarie, Chambre civile, Première section,
A RENDU L’ARRET SUIVANT :
ANNULE l’arrêt no. 589 du 11 mars 2019, rendu dans l’affaire civile no. 4607 de 2018 par la Cour d’appel de Sofia, Chambre civile, Septième formation de jugement en appel, DANS LA PARTIE accueillant l’action exercée par le ministère de l’Intérieur, fondée sur l’art. 124, alinéa 1 du CPC, contre N.S.M. et D.S.M., selon laquelle ces deux défendeurs ne sont pas propriétaires et ne possèdent pas de droits réels restreints sur le bien immeuble suivant : appartement no. 31, situé à [ville], [quartier], [adresse d’habitation], d’une surface bâtie de 90,94 m2, avec la cave no. 31 et une quote-part de 1,938 des parties communes du bâtiment et le droit de construire sur le terrain.
RENVOIE l’affaire, DANS CETTE PARTIE, pour réexamen par une autre formation de jugement de la Cour d’appel de Sofia.
L’arrêt est définitif et n’est pas susceptible de recours.