A R R Ê Tnº139Sofia, le 15.08.2019
AU NOM DU PEUPLE
La Cour suprême de cassation de la République de Bulgarie, deuxième chambre pénale, lors d’une audience publique tenue le dix-sept juin deux mille dix-neuf; composée de :
PRÉSIDENT : Elena Avdeva
MEMBRES : Ac Aa
Ag Af
avec la participation du greffier Iliana Ranguelova et en la présence du procureur Ae Ai, a entendu l’affaire pénale №1227/2018, rapportée par la juge Elena Avdeva.
La procédure est ouverte au titre de l’article 346, point 1 du Code de procédure pénale (CPP), suite au pourvoi en cassation introduit par le représentant légal des accusateurs privés A. Ab et T. Ab contre l’arrêt nº331 du 10.08.2018, dans l’affaire pénale pour infraction de droit commun sous le nº796/2017 au rôle de la Cour d’appel de Ah.
Le pourvoi indique que l’arrêt et le verdict qu’il a confirmé ont été prononcés en violation de la loi matérielle – moyen de cassation au titre de l’article 348, alinéa 1, point 1 du CPP.
Selon le requérant, la juridiction d’appel, contrairement au sens et à la raison conférés à la règle de l’article 25, alinéa 1 de la Loi sur la circulation routière (LCR (ЗДвП)), a accepté que le prévenu, en tant que conducteur d'un camion, n’avait pas enfreint les règles de la circulation en rapport avec le grave accident subséquent ayant causé la mort de M. Ab et qu’il n’y a pas de faits matériels pour l’accusation au titre de l’article 343, alinéa 1, « c » du CP.
Le représentant légal justifie sa thèse que les éléments de preuve réunis et le cadre factuel accepté comme établi par la Cour entraînent la conclusion d’une violation de la disposition visée de la LCR, infraction qui est en lien de causalité direct et continu avec l’accident subséquent, et qu’en présence du décès survenu, les faits matériels constituent une infraction.
Le pourvoi argumente aussi l’aspect subjectif des faits. Il y est déclaré que le prévenu, en tant que conducteur, aurait pu et devait prévoir les conséquences dangereuses pour l’ordre public de la manœuvre qu’il avait effectuée et qu’en ne l’ayant pas fait, il est responsable par sa faute des faits matériels graves qui en ont résulté, en agissant de manière coupable et imprudente, coupable de négligence criminelle.
Le pourvoi souligne que « le cadre factuel accepté comme étayé par les preuves orales et écrites, ainsi que par les conclusions des expertises ordonnées », prouve l’existence d’une infraction au titre de l’article 25, alinéa 1 de la LCR », car le conducteur avait l’obligation de percevoir complètement et d’observer le trafic routier avant et pendant la manœuvre. L’exigence de connaître la situation sur la route avant la manœuvre est inconditionnellement le moyen qui doit permettre au conducteur de s’assurer qu’il ne créerait pas de danger, qu’il ne se trouve pas limité au plan des moyens possibles. Le représentant légal poursuit ses réflexions dans ce sens et précise que les limites de perception et d’évaluation de la situation sur la route englobent tous ses éléments objectifs, y compris la position, la direction et la vitesse des autres participants à la circulation.
Partant de cette position, le comportement du prévenu est apprécié comme illégal, car il a commencé à traverser la trajectoire de la cycliste qui approchait, sans s’assurer qu’il ne la menacerait pas. Le pourvoi exclut l’existence d’une raison valable pour laquelle il n’aurait pas été en mesure d’évaluer ce risque en approchant l’endroit de la manœuvre. Le requérant argumente le fait que la victime s’est retrouvée dans la partie de la voie du boulevard, visible pour le prévenu, en invoquant les dépositions du seul témoin oculaire dans l’affaire – le témoin Ts. Ts.
Le représentant légal s’oppose à la signification attribuée par la cour à « l’angle mort de visibilité », soulignant que ce dernier et la visibilité réduite n’étaient pas des raisons connues, prévisibles et insurmontables, entravant la perception des participants à la circulation. A cet égard il conclut que les réflexions relatives au moment de l’occurrence du danger ne sont pas pertinentes pour les conclusions juridiques, dans la mesure où il (le danger) a été créé et réalisé en résultat de la manœuvre entreprise par le prévenu. Il a changé de trajectoire, a barré le chemin de la cycliste et les questions examinées relatives à l’apparition du danger et à la zone dangereuse de freinage n’auraient lieu qu’à partir de la position de la victime surprise par le changement de situation sur la route.
En guise de conclusion, il est dit que, puisque la Cour n’a pas appliqué de manière juste et correcte la disposition de l’article 25, alinéa 1 de la LCR et a acquitté le prévenu jugé pour avoir enfreint ce texte en rapport avec le grave accident de la route survenu, elle a commis une violation de la loi matérielle. A ce titre il est demandé d’annuler l’arrêt attaqué et qu’un nouveau jugement soit rendu, en vertu duquel le prévenu Y. P. D. soit reconnu coupable d’avoir commis une infraction au titre de l’article 343, alinéa 343, « c » en liaison avec l’article 342, alinéa 1 du CP, et qu’il lui soit appliquée la sanction correspondante.
A l’audience de la Cour de cassation le représentant légal des accusateurs privés a maintenu les considérations déjà exposées. Dans le même temps, il a invoqué aussi le caractère mal-fondé et incomplet des preuves, car c’est la troisième fois que l’affaire est portée devant la Cour de cassation et que cette dernière a les pouvoirs d’une juridiction d’appel qui doit éliminer aussi ces vices de l’acte judiciaire attaqué. Lors de sa plaidoirie il a souligné que la présence de la victime sur la voie, à droite du véhicule conduit par le prévenu, était régulière. Elle s’attendait à ce qu’il la laisse passer devant lui et qu’il continue à se déplacer en ligne droite.
Le requérant a allégué que les expertises effectuées dans le cadre de la procédure n’ont pas examiné à fond les circonstances dans lesquelles a été commise l’infraction en matière de sécurité routière et demande une expertise supplémentaire, qui avait été refusée par l’instance inférieure. Au moyen de cette expertise il espère que l’on pourrait réaliser une analyse rétrospective du déplacement des deux participants à l’accident de la route.
Le défenseur du prévenu objecte contre le bien-fondé du pourvoi. Il s’oppose à la demande d’une deuxième expertise, car en l’espèce a été recueilli le maximum d’informations, nécessaire pour régler le litige. Après avoir abordé le mécanisme établi de l’accident, il a souligné que la victime est tombée sous les pneus du véhicule lorsque ce dernier se trouvait perpendiculairement à la voie. Selon le défenseur, à aucun moment la victime ne s’est trouvée dans la zone de visibilité du prévenu et il n’aurait pas pu la percevoir. Il a également relevé qu’il n’y a pas eu de violations des règles évoquées par l’accusation en matière de règlementation de la circulation routière, dont une partie sont d’ordre général et inopérantes en l’espèce.
Par ces considérations il insiste que l’arrêt attaqué soit maintenu.
Le prévenu a rejoint la déclaration de son avocat.
L’avis exprimé par le procureur est en soutien de la plainte, en ajoutant aux moyens développés par le représentant légal l’absence de motifs concernant «la disponibilité de preuves concernant les éléments de fait établis ».
Après avoir examiné les arguments des parties et procédé à leur vérification dans les limites de l’article 347, alinéa 1 du CPP, la Cour a établi ce qui suit :
L’affaire est portée pour la troisième fois devant la juridiction de cassation.
Par jugement nº222 du 12.07.2012, le tribunal de district de Ah a reconnu le prévenu Y. P. D. non coupable d’avoir, le 07.09.2010, à [localité], en conduisant un véhicule – un camion de la marque « K .», enfreint les règles de la circulation routière au titre de l’article 25, alinéa 1 ; l’article 5, alinéa 2, point 1, de la LCR et l’article 79 du Règlement d’application de la Loi sur la circulation routière (RALCR), et causé par négligence la mort de M.T.A., ce dont il a été acquitté sur le fondement de l’article 343, alinéa 1, « c » en liaison avec l’article 342, alinéa 1, 3e phrase du CP.
Par arrêt nº67/13 du 18.03.2013 rendu dans l’affaire pénale pour infraction de droit commun nº837/2012, la Cour d’appel de Ah, a annulé le jugement et a renvoyé le dossier au procureur pour élimination de violations de procédure substantielles, commises dans la phase d’instruction. L’affaire a été introduite avec un nouvel acte d’accusation le 22.10.2013 et le Tribunal de district de Ah, chambre pénale, trente-deuxième formation, par jugement nº127 du 14.05.2014, prononcé dans l’affaire pénale pour infraction de droit commun nº4821/2014, a reconnu le prévenu Y.P.D. non coupable d’avoir, le 07.09.2010, à [localité], en conduisant un véhicule – camion de la marque « K .», enfreint les règles de la circulation routière au titre de l’article 25, alinéa 1 ; l’article 35, alinéa 2 et l’article 5, alinéa 2, point 1 de la LCR, et causé par négligence la mort de M.T.A., ce dont il a été acquitté, sur le fondement de l’article 304 du CPP, du chef d’accusation au titre de l’article 343a alinéa 1, « c » en liaison avec l’article 342, alinéa 1, 3e phrase du CP.
La Cour d’appel de Ah, chambre pénale, par arrêt nº15/15 du 22.01.2015, rendu dans l’affaire pénale pour infraction de droit commun nº885/2014, a confirmé le jugement de la juridiction de première instance.
La Cour suprême de cassation, troisième chambre pénale, par arrêt nº235 du 03.08.2015, rendu dans l’affaire pénale nº769/2015, a annulé la décision de la juridiction d’appel et a renvoyé le dossier pour réexamen par une autre formation de juges de la juridiction de deuxième instance.
La formation de juges de cassation a aperçu une contradiction et des incertitudes dans les motifs de la Cour d’appel, ainsi qu’une analyse superficielle des preuves. Après avoir invoqué la nécessité, découlant de l’article 348, alinéa 1, point 2 du CPP, d’un réexamen de l’affaire, la Cour de cassation a donné des instructions détaillées pour surmonter les violations de procédure commises par la formation de juges de la Cour d’appel.
Après réexamen de l’affaire, par arrêt nº370 du 28.09.2016, prononcé dans l’affaire pénale pour infraction de droit commun nº723/2015, la Cour d’appel de Ah, chambre pénale, troisième formation, a réaffirmé le verdict d’acquittement rendu par la juridiction de première instance.
La Cour de cassation, première chambre pénale, par arrêt nº370 du 28.09.2016, a une deuxième fois annulé la décision de la juridiction d’appel pour cause de violations de procédure substantielles.
Les juges ont constaté que la juridiction d’appel n’a accompli que partiellement les instructions données suite au contrôle de cassation.
Cette fois-ci la Cour a constaté que les experts ayant effectué la septuple expertise complexe avaient utilisé des éléments de preuve irrecevables – des dépositions du prévenu faites en sa qualité de témoin, et des dépositions des témoins Ts. et K., n’ayant pas été dûment versées. Pour cette raison la décision rendue en appel a été annulée, et l’affaire renvoyée pour nouvel examen, avec les recommandations expresses d’interroger supplémentairement les experts ayant menés l’expertise septuple pour clarifier, sur la base de sources de preuves recevables, si un changement est intervenu dans les conclusions concernant le mécanisme de l’accident, la visibilité du conducteur et la possibilité de prévenir le heurt.
La juridiction d’appel a également reçu des instructions pour apprécier la nécessité d’ordonner une nouvelle expertise ou une expertise supplémentaire.Par arrêt nº331 du 10.08.2018, rendu dans l’affaire pénale pour infraction de droit commun nº796/2017, la Cour d’appel a une nouvelle fois confirmé le jugement d’acquittement rendu par le tribunal de première instance.
Le pourvoi des accusateurs privés contre la décision ainsi prononcée par la juridiction d’appel n’est pas fondé.
Il s’impose avant tout de clarifier le cadre du contrôle de cassation. La présente formation de juges ne partage l’interprétation exprimée par l’accusation (publique et privée) concernant le caractère de la procédure de cassation sous l’hypothèse d’un pourvoi ou d’un appel porté contre la décision rendue en appel après la double annulation de la décision de la juridiction de deuxième degré.
En vertu de l’article 354, alinéa 5 du CPP, si elle annule une deuxième fois la décision ou la condamnation objet d’un appel, la juridiction de cassation ne renvoie l’affaire pour son règlement définitif sur le fond qu’à la juridiction d’appel. En cas de pourvoi ou d’appel contre la condamnation ou la décision de la juridiction d’appel, la Cour suprême de cassation tranche l’affaire sans la renvoyer pour réexamen, car ayant le pouvoir d’instance d’appel.
Cette disposition fait partie de l’ensemble de normes réglementant la procédure de cassation et de ce fait elle doit être interprétée systématiquement dans le contexte général à ce stade du procès pénal.
Il est clair qu’elle ne contient pas de référence directe à l’article 334 du CPP concernant les pouvoirs y décrits de la juridiction d’appel de confirmer, annuler ou modifier la condamnation, suspendre ou mettre fin à la procédure pénale ou renvoyer l'affaire à la juridiction de première instance pour réexamen, dans la mesure ou des possibilités analogues sont réglementées par l’article 354 du CPP quant à l’instance de cassation. De plus, le texte interdit expressément un nouveau renvoi de l’affaire, ce qui montre qu’il limite ainsi le catalogue des pouvoirs tant de la juridiction d’appel que de celle de cassation.
L’interprétation historique de l’article 354, alinéa 5 du CPP, tirée des motifs du projet de Loi modifiant et complétant (LMC) le CPP (Journal officiel N° 93 de 2011) et des débats parlementaires concernant son adoption, indique sans ambiguïté le but recherché par ce texte – améliorer l’efficacité du procès pénal et mettre fin aux renvois multiples pour réexamen. Le législateur semble avoir été mu par l’intention d’offrir, par exception, à la Cour suprême de cassation la possibilité d’une évaluation autonome des faits et de nouvelles conclusions de fait. Cela explique aussi la norme de l’article 353, alinéa 5 du CPP, en corrélation avec l’article 354, alinéa 5 du CPP, qui décrit encore une exception de l’ordre d’examen du pourvoi de cassation et de l’appel, admettant la conduite d’une enquête judiciaire dans les cas de l’ainsi dite « troisième cassation ».
Les écarts indiqués mettent dans un équilibre de compromis la nature de la procédure de cassation en tant que contrôle de l’application de la loi et la nécessité de clôture des procédures dans un délai raisonnable, en admettant dans certains cas que la Cour de cassation peut réunir, dans le cadre de l’enquête judiciaire, de nouvelles preuves, et qu’elle procède à la révision des conclusions de fait de l’instance inférieure. Pratiquement, la Cour de cassation entre dans la fonction de la juridiction d’appel, à laquelle l’affaire devrait être renvoyée pour réexamen, sous l’hypothèse générale de l’article 354, alinéa 3 du CPP. Cela suppose que la formation de cassation doit constater des violations de procédure substantielles (ou la nécessité d’aggraver la sanction ou encore de remédier à des violations de la loi matérielle en cas de verdict d’acquittement), qu’elle doit éliminer elle-même.
Ce constat n’est cependant possible que dans le respect de toutes les autres règles de contrôle de cassation, dont celles relatives aux limites du contrôle de cassation (article 347 du CPP), aux moyens de cassation (article 348 du CPP) et au contenu du pourvoi et de l’appel (article 351 du CPP). Le fait que la Cour d’appel s’est déjà prononcée deux fois dans le cadre d’un procès en cours, ne conduit pas automatiquement à la transformation du contrôle de cassation en contrôle d’appel. Il manque des fondements juridiques pour une pareille lecture des dispositions du chapitre vingt-trois du CPP. Indépendamment du nombre de fois que s’est prononcée la juridiction de troisième degré, le pourvoi de cassation doit se conformer aux exigences de l’article 351 du CPP et indiquer qui l’a introduit, la partie de la décision qui est attaquée, en quoi consiste le moyen de cassation et les données à l’appui, et ce qui est demandé. Le contrôle de cassation demeure dans le cadre déterminé par l’article 347 du CPP, qui n’est pas remplacé par le périmètre beaucoup plus large du contrôle effectué par l’instance d’appel au titre de l’article 314 du CPP, comprenant le contrôle de la régularité du verdict, indépendamment des motifs indiqués, et aussi dans la partie non attaquée.
A la lumière de ces réflexions, les objections de la part du représentant légal des accusateurs privés concernant le caractère incomplet et non fondé des preuves ne peuvent pas être acceptées, car elles ne constituent pas des moyens de cassation. Elles ne peuvent pas être examinées non plus comme un effet de violations de procédure substantielles, car un tel grief ne figure pas dans le pourvoi. Son contenu ne comprend sans équivoque que des arguments relatifs à l’application incorrecte de la loi matérielle - motif de cassation au titre de l’article 348, alinéa 1, point 1 du CPP.
Selon la jurisprudence connue et constante de la CSC, il est inadmissible d’invoquer de nouveaux moyens de cassation en complément après le délai de pourvoi. Voir Arrêt nº17 du 12.02.2016 rendu par la deuxième chambre pénale de la CSC dans l’affaire pénale №1280/2015, Arrêt nº106 du 31.05.2013 rendu par la troisième chambre pénale de la CSC dans l’affaire pénale nº237/2013, etc. Le refus de la juridiction inférieure d’ordonner une nouvelle expertise ne relève pas non plus des violations de procédures dites absolues au titre de l’article 348, alinéa 3 du CPC, qui engagent l’intervention d’office de la juridiction de cassation, sans que les parties aient à jouer un rôle actif. Elles concernent des violations particulièrement graves du CP et du CPC, dont l’élimination nécessite la réaction de la dernière instance dans les affaires pénales, en application des obligations découlant de l’article 124 de la Constitution de la République de Bulgarie, concernant l’exercice par la juridiction suprême du contrôle de l’application exacte et uniforme de la loi par toutes les juridictions. Ordonnance Р nº302 du 03.01.2017 rendue par la première chambre pénale de la CSC dans l’affaire pénale nº1248/2016 ; Arrêt nº546 du 16.07.2007 rendu par la troisième chambre pénale de la CSC dans l’affaire pénale nº260/2007 ; Arrêt nº911 du 09.11.2006 rendu par la première chambre pénale de la CSC dans l’affaire pénale nº272/2006, etc.
Les arguments du représentant légal concernant la limitation de son droit de prouver l’accusation au moyen d’examens d’experts, ne peuvent pas être acceptés.
L’ensemble de l’activité d’expert dans l’affaire était dirigée clairement vers l’élucidation dans le détail du mécanisme de l’accident et de la participation du prévenu et de la victime.
Lors du dernier examen de l’affaire par la Cour d’appel de Ah, les juges de cette dernière ont admis un deuxième interrogatoire des experts ayant réalisé l’expertise complexe médico-légale et automobile. Avant cela, il avait été procédé à quatre expertises médico-légales et automobiles. Au cours du procès il avait été établi que deux des sept experts étaient décédés et qu’ils ne pourraient pas être remplacés dans le cadre des missions déjà accomplies par les autres experts.
Aussi, dans son désir d’exécuter le plus strictement les instructions de l’arrêt d’annulation, la formation de juges au deuxième degré a-t-elle ordonné une nouvelle expertise complexe exigeant expressément des experts d’utiliser, en répondant aux questions posées, toutes les preuves réunies, excepté celles contenues dans les dépositions du témoin K. et du prévenu, notamment celles faites par ce dernier avant son inculpation.
A côté des missions des experts déjà formulées précédemment, une nouvelle mission leur a été assignée : déterminer s’il est possible d’indiquer la trajectoire de la cycliste, toutes les conclusions devant être illustrées par un schéma à l’échelle. Après avoir accueilli cette expertise, la Cour a ordonné une expertise complexe médico-légale et automobile supplémentaire, après laquelle – une expertise automobile supplémentaire.
A l’audience du 05.02.2018, après l’interrogatoire des experts, les juges ont entièrement satisfait la demande du représentant légal des accusateurs privés concernant une expertise supplémentaire, qui permettrait d’exclure tout doute d’utilisation de sources de preuves irrecevables et de dépositions ignorées du témoin oculaire Ts. Ts., en détaillant supplémentairement, dans un plan rétrospectif, la position du camion et de la victime l’un par rapport à l’autre avant le contact entre eux.
La réponse des experts a été entendue le 21.05.2018.
Suite à la demande insistante des accusateurs, la formation de juges a admis une expertise automobile supplémentaire, devant se prononcer sur la question surgie concernant la visibilité latérale du conducteur à droite.
Après la présentation de la dernière conclusion d’expert, le représentant des accusateurs privés a plaidé pour une deuxième expertise d’arbitrage, qui devrait donner une réponse à toutes les questions commentées dans les expertises précédentes. Les juges ont rejeté cette demande par ordonnance motivée, en soulignant que les expertises entendues sont exhaustives et non contradictoires et qu’elles ne suscitent pas de doutes d’incompétence. Les juges de cassation partagent la conclusion faite, car les objections du représentant légal se réduisent à ne pas accepter les conclusions d’expert et au désir d’étudier des versions hypothétiques qui manquent de base objective.
L’examen des étapes de procédure suivies par la juridiction d’appel exclue la présence d’une violation grave des règles de procédure limitant les droits procéduraux des accusateurs privés aux termes de l’article 79 du CPP. Par l’intermédiaire de leur représentant ils ont bénéficié de la possibilité d’exiger des preuves obtenues par tous les moyens procéduraux, et pour cette raison la décision rendue en appel n’est pas susceptible de révision au titre de l’article 348, alinéa 3, point 1 du CPC.
Ne peuvent être acceptés non plus les arguments exposés dans le pourvoi concernant une violation de la loi en présence d’un contexte factuel correctement établi. Ce dernier révèle le mécanisme suivant de l’accident examiné : Le 7.09.2010 le prévenu Y. D. conduisait un camion « K » à [localité], en direction de [rue] vers [rue]. Dans la même direction circulait également à vélo la victime M. Ab Ad en file, le prévenu a entrepris une manœuvre pour tourner à droite, afin d’entrer dans un chantier entouré d’une clôture métallique opaque. Le camion avançait parallèlement, à quelques mètres de la clôture.
Le témoin Ts. Ts. travaillait comme gardien de ce chantier. Il se tenait au portail et a aperçu le camion « K » qui approchait. Après que le conducteur l’eut averti en allumant le clignotant droit, il s’est déplacé. A ce moment Ts. a vu une cycliste qui roulait vite. Elle est apparue sous un angle non établi, à droite derrière le camion et a essayé d’entrer avec ce dernier dans le chantier, sans tenter de s’arrêter. Lorsque le camion s’est approché du portail, elle essaya de le contournait du côté droit et s’est penchée en avant. La roue du vélo s’est retrouvée sur un rail du tram, le vélo a glissé, a tourné et la cycliste est tombée. Elle s’est retrouvée sous le camion et a été écrasée par ses roues arrière.
Selon le pourvoi de cassation, ce contexte factuel « est étayé par les preuves orales et écrites, ainsi que par les conclusions des expertises ordonnées, et illustre l’infraction commise par le prévenu aux termes de l’article 25, alinéa 1 de la LCR ». La disposition précitée oblige chaque conducteur de véhicule qui va entamer une manœuvre quelconque, y compris de tourner à droite ou à gauche pour s’engager dans une autre route ou dans une propriété riveraine, doit, avant d’entreprendre la manœuvre, s’assurer qu’il ne créera pas de danger pour les participants à la circulation qui sont derrière lui, devant lui ou qui passent à côté de lui, et réaliser la manœuvre en tenant compte de leur position, direction et vitesse de circulation. Le représentant légal interprète ce texte légal comme un engagement du conducteur, illimité quant aux manières et moyens, d’exclure tout risque lors d’une manœuvre, excepté « un cercle limité d’hypothèses menant à une impossibilité objective insurmontable pour le conducteur d’exécuter l’obligation d’examiner attentivement la situation sur la route avant de commencer une manœuvre et de l’observer pendant sa réalisation ».
Dans cet ordre d’idées, la question de la possibilité pour le conducteur de percevoir la cycliste est appréciée comme subsidiaire pour l’élucidation du mécanisme de l’accident, car lors d’une visibilité difficile ou pour des tronçons routiers se trouvant dans le point mort, cette obligation du conducteur ne disparaît pas.
La Cour d’appel a correctement estimé que les faits établis n’indiquent pas une inexécution coupable de la part d’Y. D. de la disposition de l’article 25, alinéa 1 de la LCR.
Il convient ici de souligner (en réponse à l’allégation du représentant légal que l’arrêt contrôlé transforme le point mort en une sorte d’indulgence pour le comportement irrégulier des conducteurs) que dans les motifs de la décision attaquée la zone techniquement insurmontable sans visibilité, n’est examinée qu’à titre d’argument supplémentaire contre les observations du représentant légal.
Les réflexions de la juridiction inférieure suivent le modèle de reductio ad absurdum par rapport à l’allégation relative à l’ampleur pratiquement illimitée des mesures que le conducteur doit prendre pour assurer la réalisation d’une manœuvre sans danger, car elles conduiraient à l’arrêt général de la circulation. Beaucoup plus significatives sont les conclusions de la Cour concernant la pertinence au plan réglementaire des actes du prévenu comme conducteur du camion qui, examinées à la lumière de l’article 25, alinéa 1 de la LCR, supposent des mesures possibles et raisonnables pour la réalisation de manœuvres en toute sécurité. Il n’est pas exigé que les conducteurs aient un comportement déterminé par des attentes de conduite irrégulière de la part des participants à la circulation ou par des éventualités de cas de force majeure. Le contexte factuel en l’espèce ne prouve pas la position des participants à l’accident, décrite par le représentant légal, selon laquelle description la victime circulait tout à fait à droite de la voie de circulation délimitée et ne pouvait pas poursuivre son mouvement rectiligne, car devant elle s’est placé le camion tournant à droite. Par expertise irréfutable, il a été établi qu’en entamant sa manœuvre, le conducteur du camion « K » n’avait pas une possibilité objective de voir dans les rétroviseurs la cycliste qui circulait à droite de lui. La Cour d’appel a vérifié la visibilité technique pour le conducteur à partir du point d’observation du conducteur à travers la vitre latérale droite, en roulant parallèlement à la cycliste.
Bien que les experts n’aient pas abouti à une conclusion motivée catégorique, ne connaissant pas la position de la victime sur son vélo et la hauteur de la tige de selle, la Cour a logiquement rejeté la version de la circulation parallèle de la cycliste entre la clôture métallique et le camion (avant la manœuvre), car l’endroit de sa chute et de son écrasement par les roues arrières du camion montrent qu’elle était derrière le camion. A cet égard, le représentant légal accentue sur les dépositions de l’unique témoin oculaire - le témoin Ts. Ts., dans la partie où il déclare avoir vu la victime lors du commencement de la manœuvre du camion et il fait le lien avec la conclusion qu’elle se trouvait dans la partie visible de la voie pour le prévenu.
Les dépositions du témoin Ts. Ts. ont été commentées avec force détails par les experts ayant réalisé l’expertise médicale et automobile complexe et l’expertise supplémentaire, et n’ont pas donné lieu à une conclusion scientifiquement justifiée dans ce sens.
Au contraire, les juges de la formation actuelle ne sont pas d’accord avec le représentant légal, à savoir que le prévenu, même s’il n’avait pas vu la victime au début de la manœuvre, serait tenu de prendre en compte sa position, sa direction et sa vitesse de circulation, et d’éviter sa mise en danger. Ces réflexions seraient justifiées s’il était établi en l’espèce qu’avant d’amorcer le virage le prévenu avait eu la possibilité de percevoir la cycliste comme participant à la circulation, qui (à cause de sa position, sa direction et sa vitesse) pourrait influer sur la sécurité de la manœuvre entreprise. Arrêt nº67 du 17.08.2016 rendu par la troisième chambre pénale de la CSC dans l’affaire pénale nº143/2016 ; Arrêt nº36 du 26.02.2019, rendu par la deuxième chambre pénale de la CSC dans l’affaire pénale nº1241/2018. Il manque en l’espèce des preuves convaincantes pour cela, et pour cette raison la Cour d’appel a bien fait de ne pas se lancer dans des conjectures incertaines et elle a refusé d’engager la responsabilité pénale du prévenu sur la base des hypothèses déclarées par le représentant légal, en l’absence d’une base factuelle établie de manière indubitable.
Dans le cadre d’un examen judiciaire détaillé, après avoir épuisé l’ensemble des outils de procédure pour établir la vérité objective, l’accusation n’a pas prouvé que le prévenu a violé l’article 25, alinéa 1 de la LCR (ainsi que les autres écarts de la LCR qui lui sont imputés, et qui ne font pas l’objet du pourvoi), et pour cette raison la juridiction d’appel a légalement confirmé son acquittement pour le chef d’accusation en vertu de l’article 343, alinéa 1, « c » en liaison avec l’article 342, alinéa 1, 3e phrase du CP.
Par ces motifs et se fondant sur l’article 354, alinéa 1, point 1 du CPP, la Cour suprême de cassation, deuxième chambre pénale
ARRÊTE :
MAINTIENT la décision nº331 du 10.08.2018, rendue dans l’affaire pénale pour infraction de droit commun sous le nº796/2017 au rôle de la Cour d’appel de Ah.
La décision n’est pas susceptible de recours.
PRÉSIDENT :
MEMBRES :1.
2.