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29/07/2019 | BULGARIE | N°377

Bulgarie | Bulgarie, Cour suprême de cassation, 29 juillet 2019, 377


Texte (pseudonymisé)
ARRET



no. 377



Sofia, 29 juillet 2019



AU NOM DU PEUPLE



LA COUR SUPREME DE CASSATION de la République de Bulgarie, Chambre commerciale, Deuxième section, en son audience publique ce onze décembre deux mille dix-huit, composée de:



PRESIDENTE : EMILIA VASSILEVA

MEMBRES : KOSTADINKA NEDKOVA

ANNA BAEVA



En présence de la greffière Sofia Simeonova, après avoir entendu l’affaire commerciale no. 520 d’après le rôle de 2018, rapportée par la juge Kostadinka Nedkova, et avant de statuer, a

considéré ce qui suit :



La procédure a été ouverte sur le fondement de l’art. 290 du CPC.

Le pourvoi en cassation a été formé par R.A.S. et ...

ARRET

no. 377

Sofia, 29 juillet 2019

AU NOM DU PEUPLE

LA COUR SUPREME DE CASSATION de la République de Bulgarie, Chambre commerciale, Deuxième section, en son audience publique ce onze décembre deux mille dix-huit, composée de:

PRESIDENTE : EMILIA VASSILEVA

MEMBRES : KOSTADINKA NEDKOVA

ANNA BAEVA

En présence de la greffière Sofia Simeonova, après avoir entendu l’affaire commerciale no. 520 d’après le rôle de 2018, rapportée par la juge Kostadinka Nedkova, et avant de statuer, a considéré ce qui suit :

La procédure a été ouverte sur le fondement de l’art. 290 du CPC.

Le pourvoi en cassation a été formé par R.A.S. et N.M.M., en personne et comme représentante légale de ses enfants mineurs R.M.F. et F.M.F., contre l’arrêt no. 1927/09.08.2017 rendu par la Cour d’appel de Sofia sur l’affaire civile no. 1286/2016, dans la partie ou, suite à l’annulation du jugement du 01 octobre 2015 du Tribunal de grande instance de Sofia sur l’affaire civile no. 8115/2012, ont été rejetées leurs actions engagées sur le fondement de l’art. 284 du Code des assurances (abrogé) contre l’Association « Bureau national des assureurs automobiles bulgares », concernant le paiement d’indemnités à titre des préjudices immatériels subis du fait de la mort de M.F.M., et les demandeurs en cassation ont été condamnés à payer les frais de la procédure.

Il est avancé dans le pourvoi en cassation que l’arrêt attaqué, dans sa partie déclarée recevable en cassation, est irrégulier en raison de sa contradiction avec la loi matérielle et de son caractère infondé. Dans le même temps, il est soutenu qu’il existe des vices de procédure substantiels, consistant en l’absence d’un nouveau rapport en l’espèce conformément à l’art. 146 du CPC, dans la mesure où la deuxième juridiction a admis comme applicable une loi matérielle nationale différente de celle appliquée par la juridiction de première instance. Les demandeurs en cassation estiment que la juridiction d’appel a appliqué le droit matériel tchèque en contradiction avec la disposition de l’article 3, paragraphe 1 de la Première directive 72/166/CEE, sans appliquer le principe d’interprétation conforme, conformément aux décisions de la Cour de justice de l’UE sur des demandes préjudicielles, renfermant une interprétation des directives transposées sur les véhicules automoteurs : arrêts С-22/12 du 24 octobre 2013, С-348/98 du 15 juillet 1998 et С -277/2012 du 24 octobre 2013 de la Cour de justice de l’UE. Ils considèrent que le §444, alinéa 3 du Code civil de la République t., appliqué à l’égard de la date de l’accident de la circulation, contredit le droit européen : article 1, paragraphe 2 de la Deuxième directive 84/5/CEE, remplacé par l’art. 9, point 1, lettre « a » de la Directive 2009/103/CE. Ils soutiennent que, conformément à la législation de la République t., en vigueur à la date de l’accident de la circulation, les victimes ont le droit de réclamer aussi bien une indemnité unique au titre de la loi spéciale régissant l’assurance de la responsabilité civile, qu’une indemnité plus élevée au titre du § 13 du Code civil (CC) de la République t. – dans le cas d’un préjudice immatériel particulièrement grave. A l’appui, ils citent la pratique de la Cour de justice de l’UE, conformément à laquelle les Etats membres ne peuvent pas fixer dans leur législation nationale des limites maximales d’indemnisation inférieures à la couverture déterminée dans la Directive 84/5/CEE. Ils déclarent que le juge a refusé de manière infondée d’appliquer l’art. 26 du Règlement Р.ІІ et l’art. 45 du Code de droit international privé. Ils réclament les frais de justice pour l’ensemble des procédures devant les juridictions.

L’association « Bureau national des assureurs automobiles bulgares », partie défenderesse sur le pourvoi en l’espèce, avance des moyens tirés du caractère infondé du pourvoi. Elle réclame les frais pour la présente procédure, d’un montant de 10 872 leva.

La partie défenderesse sur le pourvoi et tiers personne intervenante, la compagnie d’assurance Af Ad Aa Ab, exprime à son tour l’avis du caractère infondé du pourvoi.

Par une ordonnance au titre de l’art. 288 du CPC, le pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel a été déclaré recevable dans la partie concernant les actions en paiement d’indemnités pour préjudice immatériel et d’intérêts légaux sur celles-ci, sur deux points de droit : 1) sur le fondement de l’art. 280, alinéa 1, point 3 du CPC (version JO no. 47/2009), sur la question de droit matériel : « Les principes du caractère autonome et de la primauté du droit de l’Union européenne et le principe selon lequel il faut assurer l’effet positif des directives, permettent-ils au juge national d’appliquer le droit national, transposant une directive, sans appliquer le principe de l’interprétation conforme, conformément aux décisions de la Cour de justice de l’UE sur des demandes préjudicielles portant sur l’interprétation de la directive transposée concernée?; et 2) sur le fondement de l’art. 280, alinéa 1, point 1 du CPC (version JO no. 47/2009), sur la question de droit procédural : « Lorsque la juridiction d’appel juge incorrecte la qualification donnée par la juridiction de première instance et par conséquent, inexactes les consignes données aux parties sur les faits à prouver, peut-elle d’office, sans en être saisie sur un tel grief, donner des consignes quant aux faits qui doivent être prouvés et à la nécessité d’engager les éléments de preuve concernés ? ».

La Cour suprême de cassation, Chambre commerciale, Deuxième section, après avoir considéré les griefs exposés dans le pourvoi et les arguments des parties, compte tenu de ses compétences au titre de l’art. 293 du CPC, a admis ce qui suit :

Afin de prononcer l’arrêt attaqué, la juridiction d’appel a admis comme certain du point de vue des faits que le 07 juin 2009, le ressortissant bulgare М.М., né en 1977, est mort lors d’un accident de la circulation sur le territoire de la République t., alors qu’il voyageait comme passager dans une automobile conduite par un autre ressortissant bulgare. Par un jugement prononcé en République t., le conducteur de l’automobile, assuré pour le risque responsabilité civile auprès d’une compagnie d’assurances tchèque, a été reconnu coupable pour l’accident survenu. L’assureur a versé à chacun des demandeurs une indemnité d’un montant de 240 000 couronnes tchèques, à travers son représentant en Bulgarie, la compagnie d’assurances Af Ad Aa Ab, constitué comme tiers personne intervenante en faveur du défendeur.

La juridiction d’appel a ordonné que soit établie l’applicabilité du droit de la République t., en se fondant sur l’arrêt de la Cour de justice de l’UE du 10 décembre 2015, affaire С-350/14, contenant une interprétation de l’art. 4, §1 du Règlement (CE) no. 864/2007 de l’UE (R. II) concernant la détermination du droit applicable aux obligations extracontractuelles découlant d’un accident de la circulation avec une mort survenue. Elle a indiqué que, conformément à l’arrêt cité, dans de tels cas, c’est le droit de l’Etat, où est survenu le préjudice direct, en l’espèce la République t., qui est applicable, et non celui de l’Etat où sont subis les préjudices dits « indirects » par les proches de la personne décédée, qui sont la conséquence du préjudice subi par la personne lésée.

Il a été établi qu’à la date de l’accident de la circulation, qui a coûté la vie à М.М., père, époux et fils des demandeurs, la règle de l’alinéa 3 du §444 de la Loi no. 40/1964 (Code civil) de la République t. était en vigueur : conformément à cet alinéa, en cas de décès, ses proches ont droit à une indemnité unique, due par l’assureur sur l’assurance de la responsabilité civile : 240 000 couronnes tchèques pour chaque enfant, conjoint, parent. Dans le même temps, le § 13 de la même loi prévoit que l’atteinte au « droit de protection de l’intégrité de la personne » donne également droit à une réparation pour préjudice immatériel causé par des faits dommageables, lorsque la mort d’un proche peut constituer un préjudice immatériel grave pour le développement de la personnalité du survivant. Il a été admis, sur la base des réponses reçues des autorités compétentes tchèques en application de la Convention européenne relative à l’échange d’information juridique entre les Etats membres, qu’en cas de mort occasionnée à un proche, les victimes ont pu recevoir une indemnité unique au titre du § 444, alinéa 3 du Code civil de la République t., et, dans les cas d’un préjudice immatériel extrêmement grave, ils ont droit à une indemnité conformément au § 13, alinéa 2 et alinéa 3 du Code civil, mais que l’obligation de l’assureur d’indemniser le dommage ainsi causé ne concerne pas les prétentions au titre du § 13, alinéa 2 du Code civil de la République t. Les réponses du ministère tchèque de la Justice indiquent que la pratique juridique tchèque et sa non-conformité avec les directives européennes dites « sur les véhicules automoteurs » ont été examinées par la Cour de justice de l’UE, qui a admis que si l’on exclut de la portée de la responsabilité civile les prétentions au titre du § 13 du Code civil, la couverture de l’assurance obligatoire de la responsabilité de la personne assurée au titre du droit civil se voit limiter pour les dommages, malgré sa responsabilité au titre du Code civil, et la Cour de justice de l’UE a abouti à la conclusion que la législation nationale de la République t. contredit le droit communautaire. Suite aux amendements apportés à la législation nationale, le juge tchèque a reçu le droit, dans certaines circonstances – caractère extraordinaire de la situation, en conformité avec le § 13 du Code civil, de fixer des indemnités supérieures aux indemnités « standard », y compris par rapport aux assureurs.

Etant donné ce qui précède, le juge du fond a admis que le droit applicable est le droit matériel tchèque, tel qu’il était en vigueur à la date de l’accident, bien qu’à cette époque il n’était pas en conformité avec les directives de l’UE. Cela est argumenté par le fait qu’à la différence des règlements de l’UE, les directives ne sont pas directement applicables dans la législation nationale. Voilà pourquoi il a été admis que les actions en paiement d’indemnités pour préjudices immatériels sont infondées, car le seul responsable pour l’indemnisation des préjudices immatériels au titre du § 13 du Code civil de la RT au moment de l’accident de la circulation, était l’auteur direct, ces préjudices n’étant pas inclus dans le risque de l’assureur qui, au moment visé, ne devait que les indemnités uniques, explicitement définis comme montant par le § 444, alinéa 3 du Code civil de la RT, et versées par lui. Selon les juges du fond, même si l’on admet l’applicabilité du § 13 du Code civil de la République t., « le caractère extraordinaire » des préjudices reste non prouvé au sens de la disposition citée.

La juridiction d’appel a considéré aussi comme infondé le moyen tiré de l’inapplicabilité du droit tchèque au regard de l’art. 45, alinéa 2 du Code de droit international privé, respectivement au regard de l’art. 26 du Règlement R. II. Selon ce dernier, l’application d’une disposition de la loi d’un pays, désignée comme applicable par le Règlement Ac B, ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for. Après un débat sur le § 13, § 444, alinéa 3 du Code civil, l’art. 45, alinéa 2 du Code de droit international privé et l’art. 26 du Règlement R. II, les juges du fond ont abouti à la conclusion selon laquelle l’incompatibilité entre les indemnités prononcées par les juridictions bulgares pour des situations identiques et celles prévues par la loi tchèque applicable, ne constitue pas une incompatibilité avec l’ordre public bulgare. Ils ont indiqué que « l’ordre public » désigne des normes impératives fondamentales pour la loi du pays ou des principes juridictionnels d’importance universelle, tel le droit en général à une indemnité pour les préjudices subis du fait de la perte d’un proche. Les juges ont admis qu’il y aurait eu une incompatibilité avec l’ordre public bulgare si les demandeurs, selon la loi tchèque, n’avaient pas eu droit à une indemnité pour les préjudices subis du fait de la perte de leur proche, ce qui n’est pas la situation présente car les demandeurs en cassation avaient une prétention directe dirigée contre l’assureur tchèque, laquelle prétention a obtenu satisfaction aux termes de la loi tchèque. Eu égard à ce qui précède, la juridiction d’appel a conclu que malgré les indemnités fixes prévues par la loi tchèque, à la différence de la loi bulgare où le montant est déterminé par le juge dans la mesure où l’équité l’exige, cela ne mène pas à une incompatibilité manifeste avec l’ordre public national de la République de Bulgarie, ce qui a pour conséquence qu’on ne peut pas écarter l’application de la loi étrangère.

Sur la question de droit matériel soulevée :

Dans son arrêt du 10 octobre 2017, sur l’affaire С-413/15, la Cour de justice de l’UE a donné une interprétation de l’art. 1, paragraphe 4 de la directive 84/5/CEE (réglementant les bureaux nationaux d’assurance en tant qu’organes de compensation), en liaison avec l’art. 288 du TFUE. Le point 31 des motifs de cet arrêt indique que conformément à la jurisprudence de la Cour, une directive ne peut, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à l’encontre de celui-ci. Dans le même temps, le point 33 de cet arrêt explique que des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive peuvent être invoquées par les justiciables non seulement à l’encontre d’un Etat membre et de l’ensemble des organes de son administration, telles que les autorités décentralisées, mais également à l’encontre d’organismes ou d’entités qui sont soumis à l’autorité ou au contrôle de l’Etat ou qui détiennent des pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers (arrêts de la CJUE sur les affaires C‑188/89, C‑253/96 et C‑258/96). Le point 35 de la partie explicative de l’arrêt cité indique explicitement qu’une entité ou un organisme, fût-il de droit privé, qui s’est vu confier par un Etat membre l’accomplissement d’une mission d’intérêt public et qui détient à cet effet des pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers est susceptible de se voir opposer les dispositions d’une directive revêtues d’un effet direct (des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive – point 41). Le point 38 souligne que la mission qu’un organisme d’indemnisation est chargé par un Etat membre d’accomplir, et qui participe de l’objectif général de protection des victimes poursuivi par la réglementation de l’Union en matière d’assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile, doit être regardée comme une mission d’intérêt public inhérente, en l’occurrence, à l’obligation imposée aux Etats membres à l’article 1, paragraphe 4, de la Deuxième directive.

Eu égard à ce qui précède, le point 2 du dispositif de l’arrêt sur l’affaire С-413-15 de la CJUE fournit une interprétation obligatoire selon laquelle un organisme de droit privé auquel un Etat membre a confié la mission visée à l’article 1, paragraphe 4, de la Deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, telle que modifiée par la Troisième directive 90/232/CEE du Conseil, du 14 mai 1990, et laquelle entité ou organisme dispose à cet effet, en vertu de la loi, de pouvoirs exorbitants, tels que le pouvoir d’imposer aux assureurs qui exercent une activité d’assurance automobile sur le territoire de l’Etat membre concerné qu’ils s’affilient à lui et le financent, peut se voir opposer des dispositions d’une directive susceptibles de revêtir un effet direct.

Dans son arrêt du 24 octobre 2013, sur l’affaire С-22/12, la CJUE a admis que l’article 3, paragraphe 1 de la Première directive 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs et au contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, l’article 1, paragraphes 1 et 2 de la Deuxième directive 84/5/CEE du Conseil du 30 décembre 1983 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, modifiée par la Directive 2005/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005, et l’article 1, premier alinéa de la Troisième directive 90/232/CEE du Conseil du 14 mai 1990 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs doivent être interprétés en ce sens que l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs doit couvrir l’indemnisation des préjudices immatériels subis par les proches de victimes décédées dans un accident de la circulation, dans la mesure où son indemnisation est prévue au titre de la responsabilité civile de l’assuré par le droit national applicable. Afin de répondre à la demande préjudicielle, la CJUE a exposé les considérations suivantes dans les motifs de l’arrêt :

Le point 37 de l’arrêt indique que les préambules des Première et Deuxième directives font ressortir que celles-ci tendent, d’une part, à assurer la libre circulation tant des véhicules automoteurs stationnant habituellement sur le territoire de l’Union que des personnes qui sont à leur bord et, d’autre part, à garantir que les victimes des accidents causés par ces véhicules automoteurs bénéficieront d’un traitement comparable, quel que soit le point du territoire de l’Union où l’accident s’est produit (point 26 de l’arrêt sur l’affaire C‑300/10 de la CJUE). La Première directive, telle que précisée et complétée par les Deuxième et Troisième directives, impose aux Etats membres de garantir que la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs ayant leur stationnement habituel sur leur territoire soit couverte par une assurance et précise, notamment, les types de dommages et les tiers victimes que cette assurance doit couvrir (point 38). Conformément au point 45 des motifs, les Etats membres sont tenus de garantir que la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, applicable selon leur droit national, soit couverte par une assurance conforme aux dispositions des Première, Deuxième et Troisième directives. La liberté qu’ont les Etats membres de déterminer les dommages couverts ainsi que les modalités de l’assurance obligatoire a été restreinte par les Deuxième et Troisième directives, en ce qu’elles ont rendu obligatoire la couverture de certains dommages à concurrence de montants minimaux déterminés (point 46 des motifs). Figurent notamment parmi ces dommages dont la couverture est obligatoire les dommages corporels, ainsi que le précise l’article 1, paragraphe 1, de la Deuxième directive. La notion de « dommage corporel » englobe tout préjudice, dans la mesure où son indemnisation est prévue au titre de la responsabilité civile par le droit national applicable au litige, résultant d’une atteinte à l’intégrité de la personne, ce qui comprend les souffrances tant physiques que psychologiques (point 47). Eu égard à cela, le point 50 des motifs de l’arrêt indique qu’au nombre des dommages qui doivent être réparés conformément aux Première, Deuxième et Troisième directives figurent les préjudices immatériels dont l’indemnisation est prévue au titre de la responsabilité civile par le droit national applicable au litige. Il s’ensuit de l’article 1, point 2 en liaison avec l’article 3, paragraphe 1, première phrase de la Première directive que la protection qui doit être assurée par cette directive, s’étend à toute personne ayant droit, en vertu du cadre juridique national de la responsabilité civile, à la réparation du dommage causé par des véhicules (point 51). La notion de dommage figurant à l’article 1, point 2, de la Première directive n’étant pas davantage circonscrite, rien ne permet de considérer que certains dommages, tels que les préjudices immatériels, dans la mesure où ils doivent être réparés selon le droit national de la responsabilité civile applicable, devraient être exclus de cette notion (point 53). Voilà pourquoi les Etats membres sont tenus de garantir que l’indemnisation due, selon leur droit national de la responsabilité civile, à raison du préjudice immatériel subi par les membres de la famille proche des victimes d’accidents de la circulation, soit couverte par l’assurance obligatoire à concurrence des montants minimaux déterminés à l’article 1, paragraphe 2, de la Deuxième directive (point 55). Le point 58 des motifs indique expressément que la responsabilité de l’assuré qui résulte des articles 11 et 13 du Code civil tchèque ayant son origine dans un accident de la circulation et étant de nature civile, rien ne permet de considérer qu’une telle responsabilité ne relève pas du droit national matériel de la responsabilité civile auquel renvoient les directives susmentionnées. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, l’interprétation donnée indique que l’article 3, paragraphe 1 de la Première directive, l’article 1, paragraphes 1 et 2 de la Deuxième directive et article 1, premier alinéa, de la Troisième directive doivent être interprétés en ce sens que l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs doit couvrir l’indemnisation des préjudices immatériels subis par les proches de victimes décédées dans un accident de la circulation, dans la mesure où cette indemnisation est prévue au titre de la responsabilité civile de l’assuré par le droit national applicable (point 59).

Sur la base des interprétations obligatoires, données par la CJUE dans les arrêts cités ci-dessus, et des dispositions de l’art. 282, alinéa 2, alinéas 4 et 6 du Code des assurances (abrogé), la présente formation de jugement estime que l’association « Bureau national des assureurs automobiles bulgares » constitue un organisme au sens de l’article 1, paragraphe 4 de la Deuxième directive 84/5/CEE, qui est chargé par l’Etat bulgare d’accomplir une mission d’intérêt général et qui dispose à cet effet, en vertu de la loi, de pouvoirs exorbitants, tels que le pouvoir d’imposer aux assureurs qui exercent une activité d’assurance automobile sur le territoire de la République de Bulgarie qu’ils s’affilient à lui et le financent, et par conséquent il peut se voir opposer des dispositions d’une directive susceptibles de revêtir un effet direct. Le Bureau national des assureurs automobiles bulgares  est aussi un organisme soumis au contrôle de l’Etat – art. 282, alinéa 7, en liaison avec l’art. 297, alinéa 1, l’art. 298, l’art. 303 – l’art. 304 du Code des assurances (abrogé), ce qui de manière indépendante détermine également la possibilité pour le Bureau de se voir opposer des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive.

La disposition de l’article 3, paragraphe 1 de la Première directive, qui prévoit que « chaque Etat membre prend toutes les mesures utiles pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance, les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance étant déterminés dans le cadre de ces mesures », répond aux critères d’effet direct de la directive, car еlle est inconditionnelle et suffisamment précise. Elle contient une règle claire et précise indiquant que la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs ayant leur stationnement habituel sur le territoire de l’Etat membre concerné est couverte par l’assurance obligatoire de la responsabilité civile (à concurrence des montants minimaux déterminés à l’article 1, paragraphe 2 de la Deuxième directive 84/5/CEE).

Eu égard à ce qui précède, la disposition de l’article 3, paragraphe 1 de la Première directive 72/166/CEE, ayant un effet direct, est opposable à l’association « Bureau national des assureurs automobiles bulgares ».

Sur la question de droit procédural

La réponse à la deuxième question soumise au contrôle de cassation, se trouve dans la jurisprudence obligatoire de la CSC : point 2 de l’arrêt interprétatif no. 1/09.12.2013 sur l’affaire en interprétation no. 1/2013 de l’Assemblée plénière des Chambres civile et commerciale de la CSC. Selon cette jurisprudence, lorsque la juridiction d’appel estime que la qualification, donnée par la juridiction de première instance à l’action introduite est erronée, et que cela a donné lieu à des consignes inexactes aux parties quant aux faits à prouver, elle doit d’office, sans être saisie d’un tel grief, assurer l’application correcte de la loi matérielle à l’égard du litige, en donnant des consignes quant aux faits pertinents et à la répartition de la charge de la preuve, en indiquant aux parties la nécessité d’engager les éléments de preuve concernés (art. 146, alinéas 1 et 2 du CPC). Ainsi la juridiction d’appel assurera-t-elle la mise en œuvre de la fonction principale du rapport : assurer le bien-fondé des conclusions des juges du fond vis-à-vis des faits pertinents et garantir des conclusions juridiques conformes, étant donné le besoin de faire correspondre la décision sur le fond du litige à la loi matérielle applicable en l’espèce (art. 5 du CPC).

Sur le bien-fondé du pourvoi

Au regard des réponses apportées aux questions de droit posées, l’arrêt d’appel est infondé car il a été prononcé en violation de la loi matérielle et contient des vices de procédure substantiels.

Eu égard à ce qui a été exposé par la présente formation de jugement sur la question de droit matériel soulevée, la conclusion de la juridiction d’appel selon laquelle la disposition de l’article 3, paragraphe 1 de la Première directive 72/166/CEE ne trouve pas application par rapport au Bureau national des assureurs automobiles bulgares, est erronée, car les juges du fond ont ignoré la jurisprudence obligatoire de la CJUE. S’agissant de l’opposition au Bureau de la règle inconditionnelle et suffisamment précise, contenue dans l’article 3, paragraphe 1 de la Première directive 72/166/CEE, selon laquelle l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs doit couvrir la responsabilité civile de l’assuré par le droit national (en l’espèce, le droit tchèque), la juridiction d’appel a admis de manière erronée que le montant de l’indemnité due au titre de l’assurance est limité à concurrence de l’indemnité unique au titre du § 444, alinéa 3 du Code civil de la République t. et qu’il ne couvre pas l’indemnité délictuelle en cas d’un préjudice immatériel extrêmement grave, conformément au § 13, alinéas 2 et 3 du Code civil de la République t. Il faut noter que les prétentions des demandeurs ne dépassent pas les montants minimum des indemnités d’assurance, indiquées dans l’article 1, paragraphe 2 de la Deuxième directive 84/5/CEE.

Contrairement à la première juridiction, la juridiction d’appel a admis que le droit applicable à l’égard de la fixation de l’indemnité pour préjudice immatériel n’est pas le droit bulgare, mais le droit matériel tchèque et sur la base de celui-ci, elle a rejeté les actions, en considérant qu’il n’y avait pas de motif d’appliquer le § 13 du Code civil de la République t. pour déterminer une indemnité supérieure au montant fixé au titre du § 444 du Code civil de la République t. L’inapplicabilité du § 13 du Code civil a été argumentée non seulement par l’absence d’un effet direct de la disposition susmentionnée de la directive par rapport au Bureau, mais aussi par le « caractère extraordinaire » non prouvé par les demandeurs en cassation du préjudice, au sens de la disposition citée. Malgré la modification de la qualification juridique des actions en paiement de l’indemnité pour préjudice immatériel, du fait de l’application d’une loi matérielle étrangère, aux éléments constitutifs différents, selon lesquels le préjudice doit avoir un « caractère extraordinaire », la juridiction d’appel, en violant la jurisprudence obligatoire de la CSC – point 2 de l’arrêt interprétatif no. 1/09.12.2013 sur l’affaire en interprétation no. 1/2013 de l’Assemblée plénière des Chambres civile et commerciale de la CSC, et le principe du principe d’office, n’a pas donné des consignes aux parties quant aux éléments constitutifs du § 13 du Code civil de la République t. vis-à-vis des faits pour lesquels elles avaient la charge de la preuve, mais n’ont pas engagé des éléments de preuve.

Eu égard à ce qui précède, l’arrêt d’appel, dans la partie soumise au contrôle de cassation, doit être cassé comme irrégulier. Etant donné le vice de procédure substantiel, commis par la juridiction d’appel au sujet du rapport, dans l’hypothèse d’une qualification juridique modifiée par la juridiction d’appel, l’affaire doit être renvoyée pour un nouvel examen par une autre formation de jugement de la Cour d’appel de Ae, en vue des consignes quant aux faits pertinents au titre du § 13 du Code civil de la République t., la répartition de la charge de la preuve et les consignes à donner aux parties quant à la nécessité d’engager les éléments de preuve concernés.

Lors du réexamen de l’affaire, la juridiction d’appel doit se prononcer également sur les frais engagés par les parties dans la présente procédure, en fonction de l’issue du litige sur le fond.

Motivée par ce qui précède, sur le fondement de l’art. 293, alinéas 2 et 3 en liaison avec l’art. 281, point 3 du CPC, la Cour suprême de cassation, Chambre commerciale, Deuxième section,

DECIDE :

ANNULE l’arrêt no. 1927/09.08.2017 sur l’affaire civile no. 1286/2016 de la Cour d’appel de Sofia, dans la partie par laquelle, suite à l’annulation du jugement du 01 octobre 2015 sur l’affaire civile no. 8115/2012 du Tribunal de grande instance de Sofia, ont été rejetées les actions fondées sur le moyen tiré de l’art. 284 du Code des assurances (abrogé), introduites par R.A.S. et N.M.M., en personne et comme représentante légale de ses enfants mineurs R.M.F. et F.M.F., contre l’Association « Bureau national des assureurs automobiles bulgares », en paiement d’indemnités à titre de préjudices immatériels, subis du fait de la mort de M.F.M. sur le territoire de la République t., d’un montant de 62 614 leva pour R.A.S. et N.M.M., et d’un montant de 82 615 leva pour R.M.F. et F.M.F., avec les intérêts légaux du 06.06.2012, ainsi que, dans la partie condamnant les demandeurs à payer les frais en dessus de 2 358,02 leva.

RENVOIE l’affaire pour un nouvel examen par une autre formation de jugement de la Cour d’appel.de Ae.

L’ARRÊT n’est pas susceptible de pourvoi.

PRESIDENT: MEMBRES : 1. 2.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 377
Date de la décision : 29/07/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;bg;cour.supreme.cassation;arret;2019-07-29;377 ?
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