Sofia, le 24.02.2016
AU NOM DU PEUPLE
La Cour suprême de cassation de la République de Bulgarie, Troisième section civile, en audience à huis clos le vingt-six octobre deux mille quinze, composée de :
PRÉSIDENT : MARIA IVANOVA
MEMBRES :
JIVA DEKOVA
OLGA KERELSKA
Après avoir entendu le rapport de la juge KERELSKA, affaire civile 2525/2015, pour statuer, a pris en considération ce qui suit :
La procédure est au titre de l’article 290 du CPC.
Elle a été ouverte sur la base du pourvoi en cassation formé par R. N. Y de [localité] contre l’arrêt n° 21/06.01.2015 rendu dans l’affaire civile n° 3277/2014 par la Cour d’appel de Sofia, collège civil, 7-ème formation, dans la partie où, après annulation de la décision en première instance du Tribunal de la ville de Sofia, collège civil, I – 3, dans l’affaire civile n° 9024, est prononcée une nouvelle décision rejetant la recours de R. N. Y. de [localité] à l’encontre de HUMPTA [société] [localité] concernant l’allocation d’une indemnité pour préjudice moral subi en rapport avec l’opération effectuée le 06.07.2006, d’un montant de 50 000 BGN, ainsi que des dépens.
Le demandeur au pourvoi soulève des griefs concernant la violation des règles de procédure, de la loi matérielle et le caractère infondé de la décision. Il demande son annulation et l’allocation des dépens.
Le défendeur au pourvoi en cassation HUMPTA [société], Sofia, conteste le pourvoi dans son mémoire en réponse dans l’affaire.
Le tiers complice Y. P. E. ne prend pas position sur le pourvoi en cassation.
Par ordonnance n° 837/24.07.2015 est admis le pourvoi en cassation sur la question :
« Le demandeur – patient, dans la demande au titre de l’article 49 en liaison avec l’article 45 de la Loi sur les obligations et les contrats (LOC), doit-il énumérer de manière exhaustive tous les changements négatifs intervenus dans son état de santé pour obtenir une indemnité pour eux ou, s’ils sont établis (y compris par expertise médico-légale), ils doivent être indemnisés comme faisant partie de la prétention d’indemnisation globale des préjudices pour la santé détériorée qui est alléguée. » Il a été jugé, qu’à l’égard de cette question, les conditions prévues à l’article 280, alinéa 1, point 3 du CPC, sont remplies.
En réponse à la question posée, la Cour suprême de cassation, 3e section civile, a adopté ce qui suit :
Aux termes de l’article 127, alinéa 1, point 4 du CPC, le demandeur doit exposer dans sa demande les faits sur lesquels elle se fonde. Lorsqu’il s’agit d’une demande en dommages et intérêts pour préjudices causés en résultat d’une intervention médicale, cette exigence de la loi de procédure ne doit pas être interprétée littéralement, car il est exigé que le demandeur formule toutes les conséquences néfastes des actes du médecin ou de l’équipe médicale. Cela s’ensuit du fait que d’habitude, le demandeur-victime ne possède pas des connaissances médicales spéciales. Eu égard à cela, lorsque le demandeur a décrit dans la demande son état de santé détérioré, sans indiquer de manière exhaustive tous les changements négatifs concrets intervenus au niveau de son physique et de son état de santé, et qu’une expertise médico-légale a été demandée en vue de leur établissement, il n’y a pas lieu de considérer que la prétention du demandeur n’inclut tel ou tel autre changement négatif concret, qui de son côté puisse servir de fondement pour la Cour de rejeter la demande en dommages et intérêts dans sa partie correspondante. Dans ce sens, par arrêt n° 80/09.07.2014, affaire civile n° 5554/2013, la 3e chambre civile de la CSC a jugé que pour la mise en cause de la responsabilité d’une équipe médicale pour acte préjudiciable lors de la réalisation d’une intervention chirurgicale, le fondement de la demande n’est pas tiré du contenu littéral des expressions utilisées dans la demande. Si le demandeur prétend avoir subi un préjudice en résultat d’une erreur médicale, il n’est pas tenu de formuler les circonstances exposées dans la demande, ni dans le langage de la loi, afin qu’elles soient prises en compte pour la détermination des éléments constitutifs du fait, ni dans celui de la médecine, afin qu’elles puissent être introduites comme objet du litige en vue de la défense du défenseur. Dans ce sens, l’absence de mentionnement à part et exhaustif de tous les effets préjudiciables pour la santé du demandeur ne constitue pas une irrégularité de la demande au sens de l’article 129 du CPC, qui doit être régularisée de la manière prévue par ses dispositions.
Pour statuer sur la décision attaquée, la Cour d’appel a jugé que si un médecin ou un autre spécialiste médical commet une erreur médicale causant la mort du patient ou une lésion corporelle à celui-ci, l’établissement de soins avec lequel le médecin ou le spécialiste médical est en relation de travail pourrait en être tenu responsable en vertu de l’article 49 de la LOC – responsabilité du fait d’autrui. La situation légale de l’établissement de soins est celle d’employeur ou de commanditaire du travail à l’égard des personnes mentionnées. Il a été jugé à cet égard que le défendeur – l’HUMPTA « St-I.-R. », en tant qu’établissement de soins, est par principe légitimement responsable, en sa qualité de commanditaire, du travail du personnel médical. Dans la mesure où le Dr E. (tiers complice au procès) n’était pas en relation de travail, l’établisement hospitalier défendeur ne peut pas être responsable de ses actes illicites. Au jour de l’intervention chirurgicale objet du procès, intervention qui a eu, selon les allégations du demandeur, des conséquences préjudiciables pour lui, le Dr Y. E. était doctorant à l’hôpital et il n’a eu son contrat de travail que le 15.01.2007. Eu égard à cela, la Cour d’appel a apprécié que la demande en dommages et intérêts, au titre de l’article 49 de la LOC, introduite à l’encontre de l’HUMPTA [société] pour préjudices causés par des actes illicites du Dr E., n’est pas fondée. Il a été également jugé que la responsabilité de l’hôpital peut être engagée, si sont établis des préjudices subis par le demandeur et un comportement illicite des médecins ayant pris part au traitement du demandeur R. Y., qui soit en lien de causalité avec les préjudices. Il y aura présence d’un comportement illicite, selon la Cour, si les médecins ont violé la règlementation concernant la conduite du traitement ou ont enfreint les règles établies dans la pratique en matière de diagnostic de la maladie et de conduite du traitement. Il y aura responsabilité également si une négligence a été commise dans le diagnostic ou la conduite du traitement, laquelle négligence a, de son côté, amené à des omissions évidentes, à la suite desquelles a été posé un mauvais diagnostic ou a été appliqué un traitement inadéquat, ou en présence d’imprudence lorsque le médecin a entrepris des actes qui sont hors de sa compétence ou sa qualification. Sur la base des dépositions des témoins interrogés dans l’affaire, les Dr Romanski et Dr T., ainsi que des données des expertises médico-légales, il n’a pas été établi non plus qu’un des médecins ait commis une violation des règles et standards médicaux établis, il n’a pas été établi non plus qu’un des médecins ait commis une négligence ou une imprudence lors des actes chirurgicaux effectués. En outre, il n’a pas été établi un lien de causalité entre les actes des médecins ayant effectué l’intervention objet du procès et le préjudice allégué par le demandeur, à savoir la présence du syndrome douloureux. A cet égard la Cour d’appel se réfère à la conclusion de la triple expertise médico-légale, selon laquelle la première douleur pour laquelle le demandeur a été opéré, est une neuralgie intercostale à cause d’une fracture de côtes, qui par la suite, après plusieurs interventions chirurgicales, acquiert le caractère d’une douleur neuropathique, sans pouvoir dire de manière sûre si la douleur s’est manifestée immédiatement après la première intervention chirurgicale objet du procès, ou si elle est due au sectionnement de nerfs intercostaux lors d’une des opérations suivantes. Selon la Cour d’appel, la seule complication post-opératoire est l’atonie musculaire dans la région hypocondriaque droite (Tx 8-10), qui détermine le développement par la suite de complications supplémentaires et un traitement opératoire – une plastie abdominale. Selon la Cour ce préjudice moral cependant n’est pas déclaré par le demandeur dans sa demande et par conséquent l’on doit admettre qu’une réparation n’en est pas demandée. Par ces motifs, la Cour d’appel a jugé que les éléments constitutifs au titre de l’article 49 de la LOC ne sont pas réalisés et que pour cette raison la demande en indemnisation pour préjudice moral subi n’est pas fondée.
Sur le pourvoi en cassation : Le grief au pourvoi de cassation qu’en violation des règles de procédure la juridiction d’appel a examiné et exclu la responsabilité de l’HUMPTA « St-I.-Rilski » au titre de l’article 49 de la LOC concernant l’action ou l’inaction du Dr Y. E., à cause de l’absence d’un contrat de travail entre lui et l’hôpital au moment de l’intervention chirurgicale. La première instance a jugé que le Dr E. a effectué des actes chirurgicaux et l’observation post-opératoire du demandeur au nom de l’hôpital, ce dont il a été chargé par celui-ci, et que, eu égard à cela, l’HUMPTA est par principe responsable de ces actes, fait qui n’est pas contesté dans le recours en appel formé par l’hôpital. Compte tenu de cela et en vertu de l’article 269 du CPC, la juridiction d’appel n’avait pas la possibilité procédurale de juger les conclusions de la juridiction de première instance, relatives à la responsabilité de l’hôpital pour les actes du Dr Y. E., dans une autre procédure, et dans ce sens elle s’est prononcée au-delà de l’objet de la requête. En violation de l’article 172 du CPC, la juridiction d’appel a crédité les dépositions des médecins – témoins ayant participé à l’équipe qui a réalisé l’opération et qui sont, certes, intéressés, vu la possibilité, si la demande est accueillie, que l’hôpital exerce une action récursoire à leur encontre. En contradiction avec les preuves réunies dans l’affaire, la juridiction d’appel a jugé qu’en l’espèce l’équipe de médecins qui a réalisé l’opération objet du procès n’a pas commis de violation des règles et standards médicaux. L’avis des experts exprimé dans la triple expertise médico-légale ordonnée dans l’affaire (point 3) est catégorique, à savoir que l’on passe au traitement du syndrome douloureux et, en particulier de la névralgie intercostale post-traumatique, après épuisement des possibilités qu’offrent les méthodes de traitement médicamenteux et instrumental. Il était à la charge du défendeur d’établir que ces possibilités ont été réellement épuisées, ce qui en l’occurrence n’a pas été fait. Eu égard à cela, il n’y a pas lieu de juger qu’il est constant que la réalisation de l’opération chirurgicale était l’unique moyen possible permettant d’influencer le syndrome douloureux et que, par principe, la réalisation de l’opération chirurgicale n’a pas violé des règles et standards médicaux établis. Les conclusions de la Cour d’appel concernant l’absence de faute de la part de l’équipe médicale sont, elles aussi, en violation de la loi matérielle et procédurale. Aux termes de l’article 45, la faute est supposée jusqu’à preuve du contraire.
Il est à la charge du défendeur de réfuter cette présomption légale. Mais il n’y pas de telle preuve de la part du défendeur. Eu égard à cela, la Cour a jugé à tort qu’il n’a pas été établi en l’espèce que l’équipe médicale a agi dans les conditions de négligence ou d’imprudence. Juste au contraire, il y a des données en l’espèce qu’avant l’application du traitement chirurgical toutes les données concernant le traitement appliqué jusqu’à ce moment-là n’étaient pas réunies, et respectivement, que toutes les méthodes de traitement alternatif étaient épuisées, ce qui en soi-même indique une négligence, et la réalisation de l’intervention, vu l’absence de résultat positif - aussi une imprudence. Les trois expertises médico-légales présentées à l’audience indiquent de manière catégorique que l’atonie musculaire, établie aussi au moment actuel, est en résultat de l’opération réalisée à l’HUMPTA « St.-I.-R. » Comme il a été indiqué, cette circonstance a été jugée comme établie aussi par la décision de la juridiction d’appel. Vu la réponse à la question juridique qui a été posée, il apparaît que ce résultat préjudiciable est inclus dans la prétention alléguée. Dans la mesure où les autres éléments constitutifs du fait dommageable concernant ce préjudice concret sont également établis, une indemnité doit être allouée. Selon la conclusion de la triple expertise (question n° 5) le demandeur se plaint au moment actuel essentiellement de fortes douleurs, difficiles à supporter, dans la région hypocondriale droite, où est visible et palpable une éminence ronde de la paroi abdominale, de large surface, à cause de l’atonie musculaire. La sensibilité cutanée sur cette zone est réduite, mais la sensation de douleur est accrue. L’atonie musculaire a déterminé par la suite le développement de complications supplémentaires et un traitement opératoire – une plastie de la paroi abdominale (question n°6). En présence de ces données, la Cour considère que l’indemnité équitable et adéquate des préjudices causés par l’opération objet du procès, qui en sont une conséquence directe et immédiate, s’élève à 12 000 BGN. Un tel lien de causalité direct n’est pas établi par rapport aux autres préjudices moraux. Pour les nombreuses interventions chirurgicales réalisées et l’application d’autres méthodes de traitement après l’opération objet du procès, il est impossible de conclure de façon inconditionnelle que la douleur neuropathique existant actuellement est en résultat de l’opération effectuée dans l’hôpital défendeur, comme c’est aussi la conclusion des experts ayant effectué l’expertise médico-légale. A cet égard la présente instance partage les conclusions de la Cour d’appel.
Eu égard aux considérations qui précèdent, la décision rendue en appel doit être annulée en tant qu’elle rejette le recours en indemnité et estime le montant de l’indemnité à hauteur de 12 000 BGN, et une nouvelle décision doit être rendue, faisant droit au recours pour ce montant, avec l’intérêt légal à compter de la date de .
Proportionnellement à la partie accueillie des recours, l’HUMPTA [société] doit verser à R. N. Y., au titre de dépens, la somme de 1 363,35 BGN. Proportionnellement à la partie rejetée des recours, le demandeur doit verser à l’HUMPTA « St.-I.-R. », au titre de dépens, la somme de 2 048 BGN. Le demandeur doit donc au défendeur des dépens d’un montant rajusté par voie de compensation, s’élevant à 684,65 BGN. Le défendeur doit aussi payer les frais de justice pour la partie accueillie du recours, se montant à 960 BGN.
Sur la base de ce qui précède, la Cour suprême de cassation, formation de la 3-ème section civile,
ARRÊTE :
ANNULE la décision n° 21/06.01.2015 rendue dans l’affaire civile n° 3277/2014 par la Cour d’appel de Sofia, Collège civil, 7-ème formation, par laquelle, après annulation de la décision en première instance dans l’affaire civile N° 9024/2011 du Tribunal de la ville de Sofia, collège civil, I-3, est prononcée une nouvelle décision qui rejette la recours en indemnité de R. N. Y. à l’encontre de l’HUMPTA [société] [localité] en vue d’obtenir une réparation du préjudice moral subi à la suite de l’intervention chirurgicale réalisée le 06.07.2006, pour un montant de 50 000 BGN dans la partie qui rejette le recours et estime le préjudice à hauteur de 12 000 BGN, ainsi que dans la partie relative aux dépens, au lieu de laquelle
JUGE :
CONDAMNE l’HUMPTA [société] [localité] à verser à R. N. Y. la somme de 12 000 BGN au titre d’indemnité pour préjudice moral subi à la suite de l’intervention chirurgicale réalisée le 06.07.2006.
CONDAMNE R. N. Y. à verser à l’HUMPTA [société] [localité], au titre de dépens devant les trois instances, le montant rajusté par voie de compensation de 684,65 BGN.
CONDAMNE l’HUMPTA [société] [localité] à payer les frais de justice pour la partie accueillie du recours, s’élevant à 960 BGN.
MAINTIENT la décision attaquée pour le surplus.
L’ARRÊT n’est pas susceptible de recours.
PRÉSIDENT :
MEMBRES :