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07/10/2022 | MONACO | N°TS/2021-13

Monaco | Tribunal Suprême, 7 octobre 2022, Mme P. O. c/ État de Monaco, TS/2021-13


Motifs

TS 2021-13

Affaire :

Madame P. O

Contre :

État de Monaco

DÉCISION

Audience du 22 septembre 2022

Lecture du 7 octobre 2022

Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 15 octobre 2020 du Directeur de la Sûreté publique rejetant la première demande de carte de séjour de résident de Madame P. O. et de la décision du 18 janvier 2021 du Conseiller du Gouvernement - Ministre de l'Intérieur rejetant le recours hiérarchique formé contre cette décision.

En la cause de :

Madame P. O. ;
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Motifs

TS 2021-13

Affaire :

Madame P. O

Contre :

État de Monaco

DÉCISION

Audience du 22 septembre 2022

Lecture du 7 octobre 2022

Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 15 octobre 2020 du Directeur de la Sûreté publique rejetant la première demande de carte de séjour de résident de Madame P. O. et de la décision du 18 janvier 2021 du Conseiller du Gouvernement - Ministre de l'Intérieur rejetant le recours hiérarchique formé contre cette décision.

En la cause de :

Madame P. O. ;

Ayant élu domicile en l'étude de Monsieur le Bâtonnier Thomas GIACCARDI, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit Avocat-Défenseur, substitué par Maître Thomas BREZZO, Avocat près la même Cour ;

Contre :

L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête, présentée par Madame P. O., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 4 mars 2021 sous le numéro TS 2021-13, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 15 octobre 2020 par laquelle le Directeur de la Sûreté publique a rejeté sa première demande de carte de séjour de résident et de la décision du 18 janvier 2021 du Conseiller du Gouvernement - Ministre de l'Intérieur rejetant le recours hiérarchique formé contre cette décision, au besoin, à ce que le Tribunal Suprême, par une décision avant dire droit, invite le Ministre d'État à faire connaître les motifs de fait et de droit fondant le rejet de sa demande ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que Madame O. expose que, de nationalité italienne, demeurant actuellement à Bologne, elle a présenté, le 10 juin 2020, une demande de carte de séjour de résident ; qu'à l'appui de cette demande, elle a fourni son contrat de location pour un appartement qu'elle loue XXXX un extrait de casier judiciaire attestant de sa bonne moralité ainsi que l'attestation bancaire émise par la banque XXXX, qui établit que le solde de son compte bancaire s'élève à plus de 500.000 euros ; que cette demande de carte de séjour de résident a été rejetée par une décision du Directeur de la Sûreté publique en date du 15 octobre 2020, notifiée le 27 octobre 2020 ; qu'elle a formé, le 16 décembre 2020, un recours hiérarchique contre cette décision auprès du Ministre d'État ; que, par une décision du 18 janvier 2021, notifiée le 19 janvier 2021, le Conseiller de Gouvernement - Ministre de l'Intérieur a rejeté son recours hiérarchique ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, Mme O. rappelle, à titre liminaire, que la décision de refus de sa demande de carte de séjour de résident n'a pas été motivée ; que, pour autant, elle craignait que la décision attaquée ne repose sur des faits sans rapport avec sa propre moralité mais relatifs à son fils, M. G. V., lequel a été condamné le 17 avril 2009 pour homicide, détention et port illégal d'armes en Italie ; qu'elle rappelle que M. V. a purgé la peine à laquelle il a été condamné ; qu'après sa libération en avril 2019, M. V. a résidé chez elle le temps de sa réinsertion dans la société, processus ralenti par la pandémie ; que Mme O. n'est toutefois soumise à aucune obligation légale envers son fils et ne l'a hébergé qu'à titre provisoire et pour l'aider de manière ponctuelle ; qu'en juin 2020, à l'époque où elle a formulé sa demande de carte de séjour, M. V. a été confronté à un autre problème judiciaire ; que Mme O. n'a jamais été impliquée, ni mise en cause pour aucun des faits concernant son fils et subit malheureusement cette situation ; qu'elle a fait état de l'ensemble de ces éléments dans son recours hiérarchique qu'elle y a détaillé son histoire personnelle et rappelé sa moralité exemplaire et son absence d'implication dans les incidents relatifs à son fils ; qu'elle apporte par ailleurs toutes les garanties relatives à la domiciliation de ce dernier en dehors du territoire monégasque, dans une villa sise en France qu'elle loue et dont elle s'engage à lui accorder la jouissance s'il obtient la carte de séjour de résident en Principauté ; qu'en effet, dans l'attente de la décision du Ministre d'État, Mme O., dont la résidence principale demeure établie à Bologne en Italie, a loué une résidence secondaire dans la commune de Beausoleil ;

Attendu que, selon Mme O., nonobstant le fait que l'article 6 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes qui n'impose pas à l'État de motiver un refus de première carte de séjour de résident, celui-ci doit toutefois mettre le Tribunal Suprême en mesure de statuer souverainement sur le présent recours en annulation pour excès de pouvoir ; qu'il appartient au Ministre d'État de produire les éléments justificatifs à l'appui desquels l'autorité administrative a pris sa décision de refus ainsi que les motifs de cette décision afin de permettre au Tribunal Suprême de contrôler l'exactitude et la légalité de ces motifs ; conformément à sa jurisprudence ; qu'en conséquence, à défaut de production spontanée des éléments sollicités, il conviendra, avant dire droit, au Tribunal Suprême d'ordonner une mesure d'instruction à l'effet d'ordonner la communication des motifs des décisions attaquées ;

Attendu que la requérante soutient que les décisions attaquées sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ; que celle-ci est caractérisée lorsque les faits à l'origine d'une décision administrative ont été qualifiés de façon gravement erronée et, dès lors, ne peuvent la justifier ; qu'en l'espèce, bien qu'à ce stade Mme O. ignore les motifs exacts du refus qui lui a été opposé, elle considère que ce dernier ne peut être fondé dès lors qu'elle répond aux conditions posées par l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ; qu'elle a présenté sa demande de carte de séjour de résident dans les délais prévus par l'article 1er de cette Ordonnance et a attesté d'un lieu d'habitation à Monaco ; qu'elle a également apporté la garantie de ressources financières suffisantes par la communication d'une attestation bancaire établissant que le solde de son compte s'élève à plus de 500.000 euros ; qu'elle a justifié de sa bonne moralité par la communication d'un extrait de son casier judiciaire vierge ; que, néanmoins, elle craint que le refus de sa carte de séjour de résident repose exclusivement sur des faits auxquels elle est complètement étrangère et qui ne concernent que son fils, M. G. V., condamné en 2009 en Italie où il a purgé sa peine et actuellement mis en cause sur le territoire de la Principauté pour d'autres faits ; que, si tel était le cas, le refus de délivrance concernerait des faits affectant la bonne moralité de M. V. et non celle de sa mère ; que, cependant, l'appréciation de la moralité et la décision rejetant la demande qui en résulte doivent, bien évidemment, être inhérents à l'administré dont la demande est appréciée ; qu'en aucun cas, la moralité de Mme O. ne saurait être appréciée au regard de celle de son fils ; que si l'État de Monaco entendait fonder son refus sur la moralité de Mme O., il lui appartient alors de justifier qu'elle ne satisfait pas personnellement à cette condition ; qu'une telle preuve ne pourra nullement être rapportée dès lors que la moralité de Mme O., dont elle a apporté tous les éléments de preuve, est irréprochable ; que, dans ces circonstances, les décisions attaquées ne peuvent être que fondées sur des circonstances insuffisantes pour caractériser un éventuel trouble à la tranquillité ou à la sécurité publique ou privée ; qu'elles sont dès lors entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'en outre, M. V. est majeur, étant âgé de 35 ans, est capable et n'est soumis à aucune mesure de protection juridique qui imposerait la présence à ses côtés de Mme O.; que cette dernière n'a ainsi aucune obligation judiciaire envers son fils, ni n'est responsable de ses agissements ; qu'enfin, afin de respecter la décision de rejet de sa demande de titre de séjour, Mme O., dont la résidence principale demeure en Italie, a loué une villa à Beausoleil qu'elle occupe pour le temps nécessaire à l'exercice du présent recours ; qu'il est d'ores et déjà prévu, dans l'hypothèse où elle-même obtiendrait la carte de séjour de résident, qu'elle conservera cette location afin de permettre à M. V. d'y résider seul ; que les décisions attaquées sont, dès lors, entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 4 mai 2021, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation de la requérante aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d'État rappelle, à titre liminaire, que Mme O., de nationalité XXX, réside à XXX ; qu'elle est locataire d'un appartement situé au XXXX depuis le 15 juillet 2019 ; que son fils, M. G. V., né en 1985 à Bologne, sans profession, a été titulaire d'une carte de séjour valable jusqu'au 14 juin 2006 ; qu'il a vécu à Monaco du 20 mars 2005 au 14 juin 2006, alors qu'il était inscrit en qualité d'étudiant à l'International University of Monaco ; que le 18 mars 2005, une procédure pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique, défaut de maîtrise, vitesse excessive, franchissement de ligne continue et blessures involontaires a été mise en œuvre à son encontre à Monaco ; qu'en raison de ces faits, il lui a été notifié une interdiction de conduire sur le territoire de la Principauté pendant dix-huit mois ; qu'en outre, une infraction de non-respect de cette interdiction lui a également valu une amende de 150 euros ; qu'en l'absence de demande de renouvellement, la carte de séjour, échue au 14 juin 2006, a été neutralisée le 13 décembre 2006, M. V. n'ayant toutefois jamais procédé à sa restitution ; qu'il a parallèlement fait l'objet d'un suivi médical à caractère psychiatrique ; que M. V. a ensuite été condamné le 7 avril 2009 en Italie à seize années de réclusion criminelle pour assassinat commis sur la personne de son grand-père maternel le 18 avril 2007, détention et port illégal d'armes ; qu'après sa libération de la maison d'arrêt de Bologne le 25 mai 2019, M. V. a habité chez sa mère ; que, dès le mois de juin 2020, il a à nouveau fait l'objet de poursuites, cette fois en Principauté ; que, le 8 juin 2020, Mme O. a été entendue en qualité de témoin dans une affaire pénale en cours pour des faits commis fin mars 2020, impliquant son fils, qui vivait alors chez elle ; que, le 10 juin 2020, Mme O. a présenté une demande de délivrance de première carte de séjour ; que la requérante ayant déclaré ne vouloir s'établir à Monaco qu'à la condition que son fils puisse vivre dans son appartement, sa demande a été rejetée par une décision du Directeur de la Sûreté publique prise le 15 octobre 2020 et notifiée le 27 octobre suivant ; qu'à l'occasion de cette notification, Mme O. a confirmé son souhait que son fils puisse établir sa résidence dans son logement monégasque ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en premier lieu, que la demande faite par la requérante au Tribunal Suprême d'ordonner la communication des éléments justifiant le bien-fondé des décisions attaquées sera rejetée, leurs motifs étant indiqués dans sa contre-requête ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en second lieu, que la circonstance que le casier judiciaire de Mme O. ne comporte l'indication d'aucune condamnation ne démontre pas que les décisions attaquées procéderaient d'une erreur manifeste d'appréciation ; que, si elle a justifié n'avoir personnellement fait l'objet d'aucune condamnation pénale inscrite à son casier judiciaire à la date du 10 novembre 2020, elle a elle-même rappelé que son fils a fait l'objet d'une condamnation en Italie en 2009 pour homicide, détention et port illégal d'armes ; qu'il a purgé la peine d'emprisonnement à laquelle il a été condamné et été libéré en avril 2019 ; qu'après sa libération, M. V. a été accueilli au lieu d'habitation de sa mère, selon cette dernière pendant « le temps de sa réinsertion dans la société » ; que Mme O. reconnaît que, dès le mois de juin 2020, concomitamment à la présentation de sa demande de carte de séjour, son fils a, à nouveau, fait l'objet de poursuites répressives, non plus en Italie, mais sur le territoire de la Principauté de Monaco alors qu'il vivait chez elle ; que Mme O. est susceptible d'héberger son fils à son appartement de manière pérenne ; que si la requérante envisage de conserver le logement qu'elle a loué à Beausoleil afin de permettre à son fils d'y résider seul ; que la proximité géographique entre Beausoleil et Monaco permet cependant de penser que son fils vivra en réalité avec elle en Principauté, étant relevé que le bail d'habitation de la résidence secondaire qu'elle verse aux débats n'a été conclu que pour une durée de douze mois expirant le 20 décembre 2021 et ne comporte aucune clause de reconduction ; que la requérante reconnaît ainsi les liens qui continuent à l'unir à son fils, lesquels risquent de conduire celui-ci à habiter, non dans la villa louée à titre très temporaire par sa mère à Beausoleil, dont il n'est nullement acquis qu'elle sera conservée par celle-ci en cas de délivrance de la carte de séjour qu'elle sollicite, mais avec sa mère sur le territoire monégasque ; que, dans ces conditions, l'établissement de Mme O., qui ne dispose pas d'attaches particulières à Monaco et dont la seule motivation pour y habiter consiste à rompre les liens de son fils - qui n'a ni famille, ni ressources personnelles et dont elle est le seul soutien - avec son passé carcéral italien, s'accompagnera de l'établissement de fait de ce dernier à Monaco ; que les vérifications opérées sur les personnes demandant une première carte de séjour devant porter non seulement sur elle-même mais également sur leur entourage le plus proche, le risque d'établissement de fait de M. V. en Principauté apparaît réel ; que ce risque ne peut être admis, eu égard aux exactions commises par celui-ci, à son passé criminel et aux troubles très conséquents causés à l'ordre public, spécialement sur le plan de la sécurité et de l'atteinte aux personnes ; qu'il n'est ainsi pas établi que les décisions attaquées seraient entachées d'une erreur d'appréciation et encore moins d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 2 juin 2021, par laquelle Mme O. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que la requérante estime, en premier lieu, que le Ministre d'État ne justifie ni de l'exactitude, ni de la légalité des motifs qui fondent les décisions attaquées ; qu'en vertu des articles 3 et 6 de l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté, le demandeur souhaitant obtenir une carte de séjour en Principauté doit justifier d'un logement à Monaco ainsi que d'un emploi en Principauté ou à défaut de ressources suffisantes ; que par ailleurs, il est admis que, s'agissant d'une mesure de police, l'objet est de prévenir d'éventuelles atteintes à l'ordre public, l'autorité administrative exerce à tout moment, et ce compris à l'occasion d'une première demande, son contrôle à l'égard de la moralité de l'intéressé et du risque que sa présence en Principauté pourrait causer à la tranquillité ou à la sécurité publique ou privée ; qu'il ressort des écritures mêmes du Ministre d'État que Mme O. réunit tous les critère requis à la délivrance de la carte de séjour posés par l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964 et que sa bonne moralité ne peut être mise en cause ; qu'il ne formule à son encontre aucun grief et convient qu'elle a justifié n'avoir personnellement fait l'objet d'aucune condamnation pénale inscrite à son casier judiciaire ; « Madame O. a justifié n'avoir personnellement fait l'objet d'aucune condamnation pénale inscrite à son casier judiciaire (...) » ; que seuls quelques rares paragraphes des écritures du Ministre d'État sont consacrés à la requérante, les autres s'intéressant exclusivement au fils majeur de cette dernière ; qu'il reconnaît ainsi que les faits retenus à l'appui des décisions attaquées sont en réalité relatifs à un tiers et non à la personne ayant présenté la demande ;

Attendu que la requérante ajoute, en deuxième lieu, que les décisions attaquées sont entachées d'une erreur de fait ; qu'en effet, contrairement à ce qu'affirme le Ministre d'État, elle n'a, à aucun moment, conditionné son établissement en Principauté de Monaco à celui de son fils ou à la possibilité que ce dernier puisse vivre dans son appartement ; que, si elle n'a pas caché, au moment de la constitution de son dossier de demande de carte de résident, la présence de son fils dans son appartement, elle n'a, à aucun moment, ni lors de son audition, ni au moment de la notification de la décision de rejet de sa demande, posé ladite présence comme condition de son établissement ; que, d'ailleurs, le procès-verbal établi lors de la remise de la décision de rejet ne mentionne aucune déclaration de sa part en ce sens ; que, de plus, Mme O. a expliqué, dans son recours hiérarchique, que son souhait légitime de participer à la réinsertion de son fils dans la société, à la suite de sa sortie de prison, était la raison de l'installation provisoire de ce dernier à son domicile et que ce processus avait été ralenti et complexifié par la crise sanitaire ; qu'elle a également expliqué avoir fait le nécessaire pour louer une villa à Beausoleil et précisé la laisser à la disposition de son fils si elle obtenait la délivrance de sa carte de séjour ; que l'État n'a pas tenu compte de cette circonstance et prête à Mme O. des déclarations qu'elle n'a pas faites ; qu'il appartient à l'autorité administrative d'établir l'exactitude des faits sur lesquels elle fonde ses décisions ; qu'en l'espèce, aucun élément probant ne vient corroborer l'allégation selon laquelle Mme O. aurait conditionné, tant au moment de son audition que de celui de la notification de la décision de rejet du 27 octobre 2020, sa demande de résidence à la présence de son fils à ses côtés ; que l'inexactitude des faits sur lesquels sont fondées les décisions attaquées est donc établie ;

Attendu que Mme O. fait valoir, en troisième lieu, au soutien de son moyen d'erreur manifeste d'appréciation, que la déduction selon laquelle si elle résidait en Principauté, son fils vivrait forcément avec elle en raison de la proximité entre la commune de Beausoleil et la Principauté de Monaco est purement spéculative et ne saurait valablement fonder une décision administrative dont l'exactitude matérielle des faits doit être établie et dont la légalité des motifs doit s'apprécier au jour où elle est édictée ; que son fils étant majeur et n'étant soumis à aucune mesure de protection juridique qui imposerait la présence à ses côtés, rien ne permet d'établir, au jour des décisions attaquées, que la résidence de Mme O. conduirait à l'installation de fait de son fils avec elle au seul motif de la proximité de la Principauté de Monaco avec la commune de Beausoleil ;

Attendu que Mme O. allègue, en quatrième lieu, que le contrat de location prévoit bien une faculté de renouvellement ; qu'en effet, l'article 4 du bail de location du 15 décembre 2020 stipule : « À défaut de congé, le bailleur pourra adresser au locataire, dans les mêmes délais et formes que ceux applicables congé, une offre de renouvellement » ; qu'en affirmant que le bail ne comporte aucune clause de reconduction, le Ministre d'État commet une erreur de fait ; que, par ailleurs, la légalité d'une décision administrative s'appréciant à la date de son édiction, il doit être constaté qu'à cette date, aucun élément objectif ne prouvait que le bail ne serait pas renouvelé, ni même que son échéance conduirait inexorablement M. V. à rejoindre sa mère plutôt qu'à louer un autre bien immobilier en France ;

Attendu, en dernier lieu, que Mme O. soutient que les décisions attaquées sont entachées d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux liens qui l'unissent à son fils ; que pour les motifs déjà mentionnés, la déduction du Ministre d'État selon laquelle les liens qui continuent d'unir la requérante à son fils conduiront ce dernier à résider avec sa mère est dépourvue de fondement ; que si des liens unissent Mme O. à son fils, comme toute mère à son enfant, même majeur, il ne peut en être déduit qu'ils induisent inévitablement une communauté de vie lorsqu'aucune obligation légale ne l'impose ; qu'en outre, si le Ministre d'État souligne que la requérante ne disposerait d'aucune attache particulière à Monaco, une telle allégation relève là encore de la supposition et ajoute artificiellement un critère qui n'est aucunement prévu par les textes ; que les décisions attaquées sont donc entachées d'une erreur de droit ; qu'enfin, si le Ministre d'État fait valoir que la requérante cherche, en s'installant à Monaco, à rompre les liens de son fils avec son passé carcéral, une telle explication n'est qu'une supputation qui ne saurait, en tout état de cause, constituer un élément matériel de nature à justifier les décisions attaquées ; que les décisions attaquées sont par conséquent entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 2 juillet 2021, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu que le Ministre d'État ajoute, en premier lieu, que les décisions attaquées ne sont pas entachées d'une erreur de fait ; qu'en effet, Mme O. n'établit en aucune manière que son fils aurait l'intention de s'installer dans la villa qu'elle a louée à Beausoleil si la carte de séjour lui était délivrée ; qu'ensuite, elle ne fournit aucun élément établissant que, dans ce cas, elle laisserait à son fils la jouissance de la villa qu'elle a louée à Beausoleil alors que le bail relatif à cette villa est conclu pour une durée déterminée de douze mois expirant le 20 décembre 2021 et ne comporte aucune clause de reconduction ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en deuxième lieu, que les décisions attaquées ne sont entachées d'aucune erreur manifeste d'appréciation à avoir déduit de la proximité existant entre la Principauté de Monaco et la commune de Beausoleil que Mme O. a pour objectif d'habiter avec son fils à Monaco ; qu'en effet, le principal élément permettant de penser que la requérante compte résider avec son fils est le caractère temporaire du bail conclu pour la villa située à Beausoleil ; que la continuité géographique existant entre la commune de Beausoleil et la Principauté de Monaco constitue un indice très sérieux que le bail venu à expiration, le fils de Mme O. rejoindra sa mère à Monaco ; qu'il est évident que cette proximité géographique immédiate donne à M. V. la possibilité de ne pas résider effectivement dans la villa louée par sa mère mais de s'installer de facto dans la résidence monégasque de cette dernière, dans l'hypothèse où la carte de séjour sollicitée par la requérante lui serait attribuée ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en troisième lieu, qu'il n'a commis aucune une erreur de fait et aucune erreur manifeste d'appréciation en soutenant que le caractère temporaire de la location de la villa située à Beausoleil révélerait le projet du fils de Mme O. d'habiter avec sa mère à Monaco, si la carte de séjour sollicitée par cette dernière lui était accordée ; qu'en effet, la circonstance que le contrat prévoit qu'à défaut de congé, le bailleur pourra adresser une offre de renouvellement au locataire ne remet pas en cause le caractère temporaire du bail d'habitation de résidence secondaire conclu par Mme O. ; que l'article 4 de ce bail prévoit expressément que « la présente location est consentie et acceptée pour une durée de douze mois à compter du 15 décembre 2020 pour se terminer le 20 décembre 2021 » ; que le contrat prendra donc fin le 20 décembre 2021 et seul le bailleur aura la possibilité de proposer au locataire de le renouveler, au surplus à des conditions qui ne sont pas déterminées à l'avance ; que, pour sa part, le locataire ne pourra exiger le renouvellement du contrat ; que le contrat constitue donc bien, pour ce qui concerne le locataire, un contrat à durée déterminée, insusceptible de renouvellement ;

Attendu que le Ministre d'État allègue, en quatrième lieu, qu'il n'a commis ni erreur de droit ni erreur manifeste d'appréciation en ce qui concerne le lien unissant Mme O. à son fils et son souhait de résider en Principauté ; que, d'une part, bien que Mme O. ne soit pas tenue d'accueillir son fils majeur à son domicile, elle a elle-même indiqué, contrairement à ce qu'elle affirme désormais, souhaiter que son fils puisse établir sa résidence dans son logement monégasque ; qu'en outre, ce dernier n'a ni famille ni ressources personnelles et son seul soutien est sa mère ; qu'il est constant que Mme O. n'entretient aucun lien avec le territoire de la Principauté, de sorte que son souhait de s'établir à Monaco ne peut répondre, compte tenu du contexte, qu'à la volonté de rompre avec le territoire italien où son fils a un passé carcéral ; que, d'autre part, l'objet de la mesure de police étant de prévenir d'éventuelles atteintes à l'ordre public, l'administration monégasque peut tenir compte en particulier de la circonstance que le pétitionnaire ne dispose d'aucune attache particulière à Monaco ; que la prise en compte de cette circonstance ne conduit pas à ajouter illégalement un critère non prévu par les textes, puisqu'il constitue un simple élément d'appréciation du bien-fondé de la demande ;

SUR CE,

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers ;

Vu l'Ordonnance du 5 mars 2021 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Guillaume DRAGO, Membre suppléant, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 1er septembre 2021 ;

Vu l'Ordonnance du 27 juillet 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 22 septembre 2022 ;

Ouï Monsieur Guillaume DRAGO, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Thomas BREZZO, Avocat près la Cour d'appel, substituant Monsieur le Bâtonnier Thomas GIACCARDI, Avocat-Défenseur, pour Madame O. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions à ce qu'il soit fait droit à la requête de Mme O. ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Après en avoir délibéré

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le 10 juin 2020, Mme P. O. a adressé au Directeur de la Sûreté publique une première demande de carte de séjour de résident ; que, par une décision du 15 octobre 2020, notifiée le 27 octobre 2020, le Directeur de la Sûreté publique a rejeté sa demande ; que Mme O. a formé un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision de rejet devant le Conseiller du Gouvernement - Ministre de l'Intérieur ; que, par une décision du 18 janvier 2021, notifiée le 19 janvier 2021, le Conseiller du Gouvernement - Ministre de l'Intérieur a rejeté ce recours ; que Mme O. demande au Tribunal Suprême d'annuler pour excès de pouvoir ces décisions ;

Considérant qu'aux termes de l'article 6 de l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté : « L'étranger qui sollicite, pour la première fois, une carte de séjour de résident doit présenter, à l'appui de sa requête : / - soit un permis de travail, ou un récépissé en tenant lieu, délivré par les services compétents ; / - soit les pièces justificatives de moyens suffisants d'existence, s'il n'entend exercer aucune profession. / La durée de validité de la carte de résident temporaire ne peut dépasser la durée de validité des documents et visas exigés pour entrer et séjourner dans la Principauté. / La carte de résident temporaire ne peut être renouvelée que si l'étranger satisfait aux conditions prévues aux alinéas ci-dessus. / Elle peut lui être retirée à tout moment, s'il est établi qu'il cesse de remplir ces mêmes conditions ou si les autorités compétentes le jugent nécessaires » ;

Considérant que l'objet des mesures de police administrative étant de prévenir d'éventuelles atteintes à l'ordre public, il suffit que les faits retenus révèlent des risques suffisamment caractérisés de trouble à la tranquillité ou à la sécurité publique ou privée pour être de nature à justifier de telles mesures ; que l'autorité administrative dispose, en matière de première demande de carte de séjour de résident, d'un large pouvoir d'appréciation ;

Considérant qu'il ressort des écritures du Ministre d'État que le refus de délivrer à Mme O. une première carte de séjour de résident est fondé sur la considération que la présence potentielle de son fils majeur, M. G. V., à son domicile monégasque risque, eu égard aux faits pour lesquels il a déjà été poursuivi ou condamné pénalement et des troubles à l'ordre public qu'il a déjà provoqués sur le territoire monégasque, de compromettre la tranquillité et la sécurité publique ou privée ;

Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier que s'il ne dispose pas de ressources personnelles, le fils de Mme O., majeur et capable, n'est pas dans une situation imposant qu'il soit hébergé de manière pérenne dans le logement monégasque de sa mère ; que cette dernière s'est engagée à mettre à la disposition de son fils un logement en France ; que, dès lors, le risque de trouble à l'ordre public que la présence du fils de la requérante est susceptible de constituer, lequel pourrait, au demeurant, fonder une mesure d'interdiction de pénétrer sur le territoire de la Principauté, ne peut légalement justifier le refus de délivrer à Mme O. une première carte de séjour de résident ; qu'en outre, un tel refus n'est pas de nature à conjurer le risque qui résulterait de la présence de M. V. sur le territoire de la Principauté ; que, par suite, Mme O. est fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque ;

Dispositif

Décide :

Article 1er

La décision du 15 octobre 2020 du Directeur de la Sûreté publique et la décision du 18 janvier 2021 du Conseiller du Gouvernement - Ministre de l'Intérieur sont annulées.

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de l'État.

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Didier RIBES, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, Philippe BLACHER, Stéphane BRACONNIER, Membres titulaires, et Guillaume DRAGO, Membre suppléant, rapporteur, et prononcé le sept octobre deux mille vingt-deux en présence du Ministère public, par Monsieur Didier RIBES, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Greffier en Chef.

Le Greffier en Chef, Le Vice-Président, par délégation du Président.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2021-13
Date de la décision : 07/10/2022

Analyses

L'article 6 de l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour dans la Principauté énonce les conditions et éléments que doivent réunir un étranger lors d'une première demande de carte de séjour de résident. En l'espèce, le Directeur de la Sûreté publique a refusé une première carte de séjour de résident à Mme O. en raison d'un risque de troubles pour l'ordre public que serait susceptible de déclencher son fils, déjà poursuivi ou condamné pénalement pour des faits commis sur le territoire monégasque. Elle a formé un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision devant le Conseiller du Gouvernement - Ministre de l'Intérieur qui l'a rejeté et demande au Tribunal Suprême d'annuler pour excès de pouvoir ces décisions.Le Tribunal énonce que l'autorité administrative dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans la délivrance d'une première carte de séjour de résident. En tant que mesure de police administrative, son objet est de prévenir d'éventuelles atteintes à l'ordre public et il suffit que les faits retenus révèlent des risques suffisamment caractérisés de trouble à la tranquillité ou à la sécurité publique ou privée pour être de nature à justifier une mesure telle que celle prise en la matière. Cependant, le Tribunal retient que le fils de Mme O. est majeur et n'a pas à être hébergé de manière pérenne au domicile de sa mère d'autant que la requérante s'est engagée à mettre à disposition de son fils un logement en France. Le risque de trouble à l'ordre public pourrait être évité en prenant à l'encontre de son fils une mesure d'interdiction de pénétrer sur le territoire de la Principauté. Ce risque ne peut donc légalement justifier le refus de délivrer à Mme O. une première carte de séjour de résident, qui n'empêcherait pas pour autant la présence de son fils sur le territoire. Mme O. est fondée à demander l'annulation des décisions en cause.

Droit des étrangers.

Étrangers - Conditions d'entrée et de séjour - Carte de séjour de résident - Refus - Tribunal Suprême - Recours en annulation - Protection de l'ordre public - Risque de troubles (non).


Parties
Demandeurs : Mme P. O.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964
Ordonnance du 27 juillet 2022
articles 3 et 6 de l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964
article 6 de l'Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
Vu la Constitution
Ordonnance du 5 mars 2021
article 6 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006
Ordonnance Souveraine du 19 mars 1964


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2022-10-07;ts.2021.13 ?

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