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06/12/2023 | MONACO | N°30264

Monaco | Tribunal du travail, 6 décembre 2023, Monsieur p. A. c/ La société anonyme monégasque dénommée B. C. D. devenue la société anonyme monégasque C. D.


Abstract

Contrat de travail - Clause non-concurrence - Nullité (oui) - Limitation dans l'espace (non) - Atteinte disproportionnée à la liberté du travail

Résumé

La clause non concurrence litigieuse n'est pas limitée dans l'espace, la mention « société en voie de l'être » étant imprécise et ne permettant pas au salarié d'apprécier l'étendue de son engagement au moment de sa conclusion. Elle porte une atteinte disproportionnée à la liberté du travail, n'étant pas cantonnée aux seules activités professionnelles exercées au profit de l'employeur, mais i

nterdisant toute activité même relevant d'un autre domaine d'activité que le courtage en ...

Abstract

Contrat de travail - Clause non-concurrence - Nullité (oui) - Limitation dans l'espace (non) - Atteinte disproportionnée à la liberté du travail

Résumé

La clause non concurrence litigieuse n'est pas limitée dans l'espace, la mention « société en voie de l'être » étant imprécise et ne permettant pas au salarié d'apprécier l'étendue de son engagement au moment de sa conclusion. Elle porte une atteinte disproportionnée à la liberté du travail, n'étant pas cantonnée aux seules activités professionnelles exercées au profit de l'employeur, mais interdisant toute activité même relevant d'un autre domaine d'activité que le courtage en entreprise auprès de trois groupes de sociétés, dont un sur le territoire d'un pays étranger. Cette clause est donc nulle.

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 6 DÉCEMBRE 2023

N° 1-2022/2023

* En la cause de Monsieur p. A., né le 30 août 1995 à NANTES (44000), de nationalité Française, demeurant x1 à NICE (06300) ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Séverine PATRIZIO, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

* La société anonyme monégasque dénommée B. C. D. devenue la société anonyme monégasque C. D., dont le siège social se situe x2 à MONACO (98000), prise en la personne de son Président Délégué en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Jean-Michel RENUCCI, avocat au barreau de Nice, substitué par Maître Lisa KLINGER, avocat en ce même barreau ;

d'autre part ;

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

* Vu la requête introductive d'instance en date du 14 juin 2022, reçue le 15 juin 2022 ;

* Vu la procédure enregistrée sous le numéro 1-2022/2023 ;

* Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 4 juillet 2022 ;

* Vu l'ordonnance de référé du Tribunal du travail en date du 26 juillet 2022 ;

* Vu les conclusions récapitulatives de Maître Patricia REY, avocat-défenseur au nom de Monsieur p. A., en date du 15 juin 2023 ;

* Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. C. D., en date du 13 juillet 2023 ;

* À l'audience publique du 5 octobre 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 6 décembre 2023, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces dernières en ayant été avisées par Madame le Président ;

* Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Monsieur p. A. a été embauché par contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2020 par la société anonyme monégasque C. D. en qualité de Chargé de clientèle junior. Une clause de non-concurrence était intégrée dans son contrat de travail.

Par courrier du 31 août 2021 il présentait sa démission. Son employeur l'informait alors de sa décision de mettre en œuvre la clause de non-concurrence prévue à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 14 septembre 2022.

La S. A. M. C. D. a procédé au règlement mensuel de l'indemnité de non-concurrence, que Monsieur p. A. lui a remboursé chaque mois, avant que la société ne cesse les versements à compter du mois de janvier 2022.

La S. A. M. C. D. a saisi le Tribunal du travail, statuant en référé, afin de voir ordonner à Monsieur p. A. de cesser toute activité en violation de la clause, sous astreinte, et en paiement de la somme de 15.000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts.

Par requête reçue le 15 juin 2022, Monsieur p. A. a saisi la Tribunal du travail afin d'obtenir la nullité de la clause de non-concurrence insérée au contrat de travail liant les parties en date du 1er septembre 2020 et les dépens.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par ordonnance du 26 juillet 2022, le Tribunal du travail, statuant en référé, a dit n'y avoir lieu à référé.

Par conclusions récapitulatives du 15 juin 2023, Monsieur p. A. fait valoir pour l'essentiel que :

* • la clause est imprécise,

* • Monsieur p. A. n'était pas en mesure d'apprécier à la date de la régularisation de son contrat de travail l'étendue réelle de ses engagements,

* • la clause comporte la faculté pour l'employeur de se réserver le pouvoir d'en étendre la portée, ce qui est cause de nullité,

* • la clause n'est pas limitée dans son objet,

* • elle viole le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, soumettant le salarié à une restriction à tous les postes possibles et envisageables,

* • la clause est sans limitation géographique,

* • elle fait fi des spécificités du profil de Monsieur p. A., l'empêchant d'exercer une activité correspondant à sa formation, sa qualification ou son expérience professionnelle, ses diplômes couvrant spécifiquement le domaine de l'assurance en entreprise,

* • Monsieur p. A. n'ayant jamais occupé des fonctions essentielles avec un risque de transfert de savoir-faire, le critère de nécessité d'assurer la protection des intérêts légitimes de l'entreprise n'est pas rempli,

* • la société C. D. ne démontre ni le risque auquel elle aurait été exposée, ni qu'un quelconque contrat ait été transféré suite au départ de Monsieur p. A.,

* • elle ne rapporte nullement la preuve de la réalité et l'étendue de l'investissement en formation de Monsieur p. A., qui découle uniquement de ses obligations d'employeur et ne peut justifier une clause de non-concurrence,

* • la clause ne peut faire l'objet d'une réfaction,

* • cela n'est admissible que lorsque l'annulation constituerait une sanction disproportionnée à l'illicéité constatée, ce qui n'est nullement le cas en l'espèce,

* • surtout, la révision des paramètres de la clause ne peut être demandée que par le salarié,

* • la clause est frappée de caducité, l'employeur ayant libéré son salarié en cessant de verser la contrepartie pécuniaire,

* • l'employeur n'a cessé de verser la contrepartie que lorsqu'il a été informé de la violation par le salarié des termes de la clause,

* • la nullité de la clause entraîne la nullité de la clause pénale,

* • en outre, l'employeur ne démontre pas la réalité et l'étendue de son préjudice,

* • la procédure de Monsieur p. A. n'a rien d'abusif,

* • elle n'est maintenue qu'en raison des recours exercés par son employeur malgré l'inapplicabilité de la clause,

Par conclusions considérées comme récapitulatives du 13 juillet 2023, la S. A. M. C. D. sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Monsieur p. A., 15.000 euros de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence, 5.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* • la clause de non-concurrence est valide,

* • elle est limitée dans le temps, dans l'espace et est nécessaire à la protection des intérêts légitime de l'entreprise, elle tient compte de la nature des fonctions exercées par le salarié et fixe une contrepartie financière,

* • le secteur d'activité est très fortement concurrentiel,

* • l'interdiction était précise, lui interdisant de passer au service d'une société des groupes E. ou F.,

* • Monsieur p. A. n'étant pas passé au service d'une société qui aurait été constituée après la signature de la clause, sa contestation de la mention « en voie de l'être » est infondée,

* • en outre, subsidiairement, le Juge peut décider de réduire la clause s'il la juge excessive,

* • l'objet de la clause est limité aux seules sociétés citées lesquelles interviennent dans le domaine très concurrentiel de l'assurance,

* • sa mise en œuvre ne privait nullement Monsieur p. A. de travailler en Principauté de Monaco pour un autre courtier en assurances ou plus largement dans le domaine de l'assurance,

* • il conservait également tout le loisir de retrouver un emploi dans le département des Alpes-Maritimes, lieu de sa résidence, dans le domaine de l'assurance ou du courtage, hors groupe E.,

* • la contestation relative à l'interdiction d'acquérir des activités sous franchise du groupe B. est hors sujet, aucun reproche ne lui étant fait et le Juge disposant d'un pouvoir modérateur,

* • la clause était insérée dans un contrat de travail définissant de façon claire et précise les fonctions exercées par le salarié et précisait clairement que la nature de ces fonctions était un critère légitimant l'interdiction de concurrence,

* • l'employeur n'a pas renoncé à l'exécution de la clause contractuelle en encaissant les chèques de remboursement puis en ne s'acquittant plus du paiement mensuel,

* • la violation de la clause de non-concurrence justifiait la cessation du paiement de l'indemnité financière,

* • le non-respect par le salarié de la clause entraîne l'annulation de l'obligation de procéder au versement de l'indemnité financière,

* • de plus, le salarié peut être condamné à des dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi,

* • Monsieur p. A. est passé au service de la société E., concurrent direct, dès la cessation de ses fonctions,

* • les agissements de Monsieur p. A. ont conduit à la perte d'une offre d'un client,

* • le dédommagement était stipulé dans la clause de non-concurrence,

* • l'action de Monsieur p. A. est dilatoire, dans le but de bloquer la procédure en référé.

SUR CE,

La validité d'une clause de non-concurrence est soumise aux conditions cumulatives suivantes :

* • être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise,

* • être limitée dans le temps et dans l'espace,

* • tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié,

* • fixer une contrepartie financière.

En effet, dans la mesure où elle porte atteinte au principe de la liberté du travail garantie par l'article 25 de la Constitution, la clause de non-concurrence ne doit pas mettre le salarié dans l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle et doit demeurer proportionnée.

Par ailleurs, la validité s'apprécie au moment de l'engagement.

En l'espèce, aux termes du contrat à durée indéterminée du 21 septembre 2020, Monsieur p. A. a été soumis à une clause de non-concurrence libellée dans les termes suivants :

« Compte tenu de la vocation de la Société, de la nature de son activité et de son marché spécifique, de la nature des fonctions exercées par le Salarié, en cas de cessation du présent contrat pour quelque cause que ce soit et quel qu'en soit l'auteur, le Salarié s'interdit d'être, à titre direct ou indirect, associé, actionnaire, investisseur, cadre, mandataire social ou employé, agent ou consultant, d'une société appartenant, ou en voie de l'être, aux groupes listés ci-dessous, et à ne pas acquérir sous quelque forme que ce soit, une quelque partie des activités sous franchise du groupe et celles des sociétés du groupe B.au sein desquelles le Salarié aura été amené à intervenir.

Les sociétés concernées sont les suivantes :

* • E., ou toute société appartenant au Groupe E., que ce soit sur le territoire de la Principauté de Monaco ou dans le département français des Alpes-Maritimes.

* • F., ou toute société appartenant au Groupe F., sur le territoire de la Principauté de Monaco.

Le Salarié souscrit un tel engagement pour une durée de 12 mois suivant la date à laquelle il cessera effectivement ses fonctions.

En contrepartie de cette obligation prévue ci-dessus, le Salarié percevra à compter de la date de la rupture effective du contrat de travail et pendant la durée d'application de la clause, une indemnité mensuelle de 33 % de sa rémunération brute.

La Société pourra toutefois libérer le Salarié de cette interdiction ou en réduire la durée sous réserve d'informer celui-ci par écrit au plus tard dans les quinze jours de la notification de la rupture du contrat de travail.

Il est enfin expressément convenu que toute infraction à la présente clause entraînerait le versement au profit de la Société de dommages et intérêts dont le montant serait fonction du préjudice subi sans toutefois pouvoir être inférieur à celui correspondant à deux années de rémunération brute totale perçue par le Salarié, et ceci indépendamment de la cessation effective de l'activité interdite qui pourrait être recherchée par tous moyens. ».

Il convient au préalable de rappeler que Monsieur p. A. était âgé de 25 ans au moment de la signature de la clause et qu'il s'agissait de son premier emploi. Il était alors engagé en qualité de Chargé de clientèle junior. Il ne ressort d'aucun des éléments communiqués par l'employeur que Monsieur p. A. ait bénéficié d'un quelconque savoir-faire particulier ou se soit vu attribuer une clientèle spécifique.

Au regard des exigences ci-dessus rappelées, le libellé de la clause de non-concurrence présente deux écueils majeurs. D'une part, elle n'est pas limitée dans l'espace, la mention « société en voie de l'être » étant imprécise et ne permettant pas à Monsieur p. A. d'apprécier l'étendue de son engagement au moment de sa conclusion. D'autre part, elle porte une atteinte disproportionnée à la liberté du travail, n'étant pas cantonnée aux seules activités professionnelles exercées au profit de l'employeur, mais interdisant toute activité même relevant d'un autre domaine d'activité que le courtage en entreprise auprès de trois groupes de sociétés, dont un sur le territoire d'un pays étranger.

Dans ces conditions, et sans qu'il ne soit besoin d'analyser les autres griefs ni s'il y a eu renonciation, la clause est disproportionnée par rapport à l'objectif de protection des intérêts de l'entreprise, qui n'étaient pas mis en péril de manière importante par le départ d'un jeune collaborateur dont il s'agissait du premier emploi. Elle est en conséquence nulle. La demande de dommages et intérêts de la société C. D. sera en conséquence rejetée.

S'il est exact que le Juge dispose du pouvoir de réfaction de la clause, seul le salarié peut le solliciter, au regard du caractère de protection de la nullité. La demande de la société C. D. à ce titre sera en conséquence rejetée.

La société C. D. succombant elle sera condamnée aux entiers dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Prononce la nullité de la clause de non-concurrence insérée au contrat de travail de Monsieur p. A. du 21 septembre 2020 par la société anonyme monégasque B. C. D. devenue la société anonyme monégasque C. D. ;

Rejette l'intégralité des demandes de la S. A. M. C. D. ;

Condamne la S. A. M. C. D. aux entiers dépens ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Monsieur Émile BOUCICOT et Madame Carol MILLO, membres employeurs, Madame Anne-Marie PELAZZA et Monsieur Hubert DUPONT-SONNEVILLE, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le six décembre deux mille vingt-trois.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30264
Date de la décision : 06/12/2023

Analyses

Contrats de travail ; Rupture du contrat de travail ; Concurrence - Général


Parties
Demandeurs : Monsieur p. A.
Défendeurs : La société anonyme monégasque dénommée B. C. D. devenue la société anonyme monégasque C. D.

Références :

article 25 de la Constitution


Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2024
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2023-12-06;30264 ?

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