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13/05/2024 | LUXEMBOURG | N°48147

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 mai 2024, 48147


Tribunal administratif N° 48147 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48147 1re chambre Inscrit le 7 novembre 2022 Audience publique du 13 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48147 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2022 par Maître Ibtihal E

l Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

Tribunal administratif N° 48147 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48147 1re chambre Inscrit le 7 novembre 2022 Audience publique du 13 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48147 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2022 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Venezuela), de nationalités vénézuélienne et péruvienne, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 octobre 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 janvier 2024.

Le 18 décembre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date des 15 décembre 2020, 24 novembre 2021, ainsi que des 2 et 23 mars 2022 Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 4 octobre 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 6 octobre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La 1décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 18 décembre 2019 sur base de la loi entretemps modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 18 décembre 2019, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 15 décembre 2020, 24 novembre 2021 et des 2 et 23 mars 2022, sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Vous signalez être né le …, être de double nationalité vénézuélienne et péruvienne et avoir vécu entre 2007 et 2015, avec vos parents, votre grand-mère et vos deux sœurs à … (Etat de Carabobo) au Venezuela, où vous auriez travaillé comme « administrateur des douanes » (p. 2 du rapport d'entretien). Vous auriez par la suite déplacé votre centre de vie à Lima au Pérou à cause de problèmes rencontrés au Venezuela, mais précisez être tout de même retourné à plusieurs reprises au Venezuela en avion. Le 10 décembre 2019, vous avez quitté le Pérou à bord d'un avion en direction de l'Espagne. Pendant ces quatre ans passés au Pérou, vous auriez travaillé « dans mille choses » (p. 6 du rapport d'entretien) en précisant avoir dès le début recherché du travail dans le but de faire venir votre famille restée au Venezuela. Après une semaine passée en Espagne, vous seriez venu au Luxembourg en compagnie de votre conjointe, la dénommée …, qui a également introduit une demande de protection internationale, demande qui a entretemps été refusée, et précisez que votre fille mineure … serait retournée vivre au Venezuela auprès de sa mère …. Vos parents vivraient actuellement à Lima, tandis que vos deux sœurs se seraient installées en Espagne et aux Etats-Unis.

Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous craindriez de vous trouver dans le collimateur des « colectivos ».

Ainsi, dès 2013, vous auriez été engagé dans la vie politique estudiantine et vous vous seriez inscrit dans le mouvement « Giro 58 » (p. 6 du rapport d'entretien). Vous auriez en outre aidé à organiser des campagnes, comme par exemple d'expliquer aux étudiants pourquoi il serait important de soutenir les mouvements estudiantins, contrôler la qualité des installations des salles de classe et envoyer des rapports à la direction de l'université, organiser la bienvenue des nouveaux étudiants et préparer les salles pour les examens. Vous expliquez que les problèmes auraient commencé en 2013 dans le cadre des élections pour le président général des mouvements estudiantins, lorsque votre mouvement, qui aurait été le favori, aurait été confronté à des manifestations et agitations de mouvements de gauche soutenant le régime. Vous précisez que ces derniers auraient saboté les élections et que vous auriez alors mis vos études « en pause » (p. 6 du rapport d'entretien) et que vous auriez rejoint comme « volontaire » la coalition de l'opposition Mesa Democratica Unida, respectivement, le parti Primera Justicia, faisant partie de cette coalition. Vous auriez participé comme « bénévole » à plusieurs marches et auriez assisté en tant qu'« auditeur » à des formations et des meetings. Votre engagement se serait développé continuellement jusqu'en février 2015 et on vous aurait notamment proposé la fonction de secrétaire de la jeunesse de l'Etat de Carabobo.

2 Le 11 février 2015, vous trouvant avec des collègues à un meeting avec la population et des différents mouvements de la Jeunesse dans un quartier pauvre de Valencia, des membres des « colectivos » seraient arrivés en moto, vous auraient menacés et enjoints de partir sur ordre du gouverneur, en vous appelant par votre prénom. Vous auriez demandé des explications mais auriez alors été poussé par un des « colectivos », tandis qu'un autre aurait retenu votre compagne en lui signalant de ne pas s'en mêler pour ne pas également subir les « conséquences » (p. 7 du rapport d'entretien). Vous ajoutez que vous auriez cédé après que ces personnes vous auraient en plus volé votre portable et d'autre matériel à vos collègues. Lorsque vous seriez allé « demander mon téléphone », on vous aurait frappé et vous seriez finalement tous partis et auriez gagné le siège du parti Primero Justicia. Vous auriez encore déposé plainte le jour-même auprès du parquet de Valencia et précisez avoir continué avec vos activités. Quelques jours plus tard, par peur, votre compagne serait rentrée chez elle dans une autre ville. Vous-mêmes auriez par la suite commencé à recevoir des appels et messages menaçants.

Le 19 février 2015, en rentrant chez vous, des personnes armées seraient sorties d'une camionnette et vous auraient fait monter dans leur véhicule. Vous auriez alors été amené dans un garage et on vous aurait expliqué que vous vous trouveriez dans les installations de la CICPC, en état d'arrestation pour conspiration contre le gouvernement, ce qui serait un mensonge alors qu'un secrétaire de jeunesse n'aurait pas cette « capacité » (p. 7 du rapport d'entretien). On vous aurait par la suite signalé que vous devriez payer dix millions de bolivars pour être libéré et cinq de plus pour récupérer votre voiture, sinon vous seriez amené en prison et on vous condamnerait à une peine de vingt ans pour « terrorisme » (p. 7 du rapport d'entretien). Vous auriez du coup appelé votre père qui aurait réussi à rassembler les quinze millions jusqu'au lendemain grâce à des amis.

Lors de votre libération, on aurait encore pris en photo, mis en garde de cesser vos activités politiques et vous auriez reçu un coup sur la tête lorsque vous auriez demandé aux policiers de vous conduire jusqu'à votre voiture. Votre père vous aurait finalement conduit à la maison avec votre voiture. Le lendemain, vous seriez allé à l'hôpital pour vous faire prescrire des médicaments contre les douleurs et pour calmer les nerfs et le 23 février 2015, vous auriez déposé plainte auprès du parquet de Valencia, tout en sentant que cela ne vous protégerait pas parce que les « colectivos » seraient protégés par l'Etat et que le procureur protégerait le CICPC. Vous auriez par la suite encore « une fois reçu des appels » (p. 8 du rapport d'entretien) menaçant de vous tuer si vous continuiez avec vos plaintes et les portiez à un « échelon supérieur » (p. 8 du rapport d'entretien) et vous ordonnant de payer dix millions de bolivars pour éviter qu'il n'arrive quelque chose à votre père.

Vous auriez du coup demandé conseil auprès des gens de votre parti qui vous auraient mis en contact avec le président de Primero Justicia. Lorsque vous auriez expliqué à ce dernier que vous posséderiez aussi la nationalité péruvienne, il vous aurait proposé de vous aider à partir au Pérou en tant qu'« invité spécial » (p. 8 du rapport d'entretien) du parti Peruanos para el Kambio (PPK), un parti qui serait l'allié du vôtre. Après avoir parlé à votre famille, vous auriez accepté cette idée et le 27 février 2015, ledit parti péruvien aurait accepté de vous accueillir comme invité spécial.

Pendant vos préparations de départ, vous auriez vécu de façon cachée, jusqu'à prendre, fin mars 2015, à Valencia le bus pour Guayaquil en Equateur, où vous seriez monté à bord d'un autre bus en direction de Lima début avril 2015. Vous dites que le parti Peruanos para el Kambio vous aurait alors soutenu avec une somme inférieure au salaire minimum et qu'il aurait mis à votre disposition une chambre, le temps que vous trouveriez un travail. Vous précisez par conséquent que « Cette année 2015, j'ai travaillé. L'année d'après ma famille est arrivée » (p. 8 du rapport d'entretien). Votre campagne vous aurait rejoint encore plus tard au Pérou, alors que vous auriez voulu qu'elle finisse ses études à Caracas.

3 Au cours de l'année 2015, vous seriez tout de même retourné une première fois au Venezuela pour vous inscrire à l'université de Carabobo, alors que vous auriez eu l'espoir de revenir vivre dans ce pays après que la situation se serait calmée. A l'université, vous auriez eu une confrontation verbale avec des étudiants soutenant les mouvements estudiantins pro-gouvernementaux. Ces derniers vous auraient menacé de vous tuer et vous auriez été obligé de vous enfuir alors que les agents de sécurité ne vous auraient pas protégé. Vous expliquez en outre avoir essayé d'avoir une vie normale au Venezuela, de vous « rétablir » (p. 10 du rapport d'entretien) et de sortir tranquillement dans la rue sans ressentir de peur. Après huit jours que vous auriez passés auprès du parrain de votre fille, vous auriez tout de même pris le choix de retourner au Pérou pour ne pas prendre de risques.

En 2016, vous seriez une deuxième fois retourné au Venezuela parce que vous auriez eu besoin de vous faire établir un document pour votre fille auprès d'un notaire. Pendant ce séjour, en logeant chez vous et des amis, vous auriez participé à des manifestations et auriez subi les actions des forces de l'ordre qui auraient réprimé ces protestations. En retournant à Lima, vous auriez amené votre mère, votre grand-mère et votre sœur.

En 2017, il y aurait eu des élections au Venezuela concernant la reconnaissance du Conseil national électoral et du Tribunal supérieur de la justice et dans ce cadre, un centre de vote aurait été installé à Lima. A la fin du décompte des votes, vous auriez participé à une marche qui se serait dirigée vers le consulat du Venezuela, où les manifestants se seraient disputés avec un groupe venu soutenir le régime vénézuélien. A un moment, un de ces sympathisants du régime vous aurait reconnu comme étant « le gars de Carabobo » (p. 8 du rapport d'entretien), vous aurait dit d'arrêter de déranger et vous aurait invité à rejoindre « l'empire avec les Yankees » (p. 8 du rapport d'entretien).

Vous prétendez vous souvenir de cette personne de la faculté de droit où elle aurait appartenu « au groupe de la jeunesse de l'université et aussi aux colectivos » (p. 17 du rapport d'entretien).

En février 2018, vous seriez encore une fois retourné au Venezuela en avion, pour aller récupérer votre fille à cause des « indécisions » (p. 5 du rapport d'entretien) de sa mère. Vous auriez séjourné chez la grand-mère maternelle de votre fille, seriez resté un mois au Venezuela et précisez que rien de particulier ne serait arrivé alors que vous auriez été discret.

Pendant cette période, beaucoup de Vénézuéliens « de pas très bonne qualité » (p. 8 du rapport d'entretien), parmi eux des « colectivos », se seraient infiltrés au Pérou et auraient commencé à commettre des crimes à Lima où la bande criminelle des « Tren de Aragua » (p. 8 du rapport d'entretien), qui serait soutenue par le régime vénézuélien, se serait installée. A cause des actes de ce groupe, les Vénézuéliens auraient commencé à être mal vus et la xénophobie serait montée au Pérou. Votre fille aurait du coup connu des soucis à l'école et vous n'auriez pas été soutenu par la direction de l'école. Vous auriez par conséquent décidé de changer d'école pour votre fille. Vous ajoutez que votre compagne aurait à ce moment également connu des discriminations au travail.

Le 7 octobre 2019, votre voisin vous aurait informé qu'un petit garçon serait venu lui demander si votre maison était bien habitée par un Vénézuélien, tout en vous mettant en garde qu'il aurait entendu que telle serait la façon de procéder du Tren de Aragua. Vous auriez du coup décidé de porter plainte « Que des personnes suspectes ont demandé après moi. Que les personnes (…) sont du Tren de Aragua et par rapport à la trajectoire de ma vie politique » (p. 17 du rapport d'entretien).

Vous auriez par la suite reçu des appels sur WhatsApp à partir de numéros vénézuéliens vous signalant qu'on vous aurait retrouvé et se présentant une fois comme Tren de Aragua. A ce moment, vous auriez décidé de quitter l'Amérique du Sud et vous auriez contacté le PPK pour les informer de 4votre choix en raison de la xénophobie au Pérou et des soucis rencontrés. Avant votre départ, vous auriez encore changé de domicile par souci de sécurité.

Le 10 décembre 2019, vous auriez pris l'avion pour quitter le Pérou à destination de l'Espagne. Vous précisez qu'aucun autre membre de votre famille n'aurait connu les mêmes problèmes que vous, qu'ils travailleraient et mèneraient une vie « calme » (p. 19 du rapport d'entretien).

En cas de retour au Venezuela, vous craindriez que la situation ne soit encore pire qu'avant votre départ alors que le parti de MADURO aurait gagné les élections du 21 novembre 2021 dans presque « tous les secteurs » (p. 9 du rapport d'entretien), qu'il aurait encore plus de force et que votre vie serait par conséquent à risque. Vos craintes seraient toujours d'actualité alors que toutes vos informations auraient été enregistrées dans le « réseau de Maduro » (p. 9 du rapport d'entretien).

En cas d'un retour au Pérou, vous craindriez également pour votre sécurité alors qu'il n'y aurait pas assez de police par rapport à la population. Il y aurait beaucoup de Vénézuéliens au Pérou à cause d'un manque de contrôle aux frontières ce qui aurait permis au Tren de Aragua de s'y installer. Vous craindriez pour votre vie au Pérou, alors que vous n'auriez pas reçu de garantie, respectivement, la protection nécessaire après votre dépôt de plainte. Vous seriez d'avis que les menaces reçues au Pérou pourraient se concrétiser.

A l'appui de votre demande, vous présentez les documents suivants:

- Votre passeport vénézuélien, prolongé en novembre 2019 « pour avoir la documentation en règle » (p. 18 du rapport d'entretien), faisant notamment état d'entrées au Venezuela les 5 octobre 2015, 26 avril 2016 et 20 février 2018 et de sorties les 27 mars 2015, 12 octobre 2015, 26 juin 2016 et 8 mars 2018, votre passeport péruvien, émis le 14 juillet 2017, avec lequel vous êtes entré le 11 décembre 2019 en Espagne, votre carte d'identité vénézuélienne, ainsi qu’une photo de votre carte d'identité péruvienne, émise le 12 juillet 2019 ;

- treize copies en langue espagnole, versés le 2 février 2022, non traduites contrairement à ce prévoit l'article 10 (5) de la Loi de 2015. Notons que selon votre mandataire, il s'agirait de copies conformes de pièces originales, dont, une datant du 12 octobre 2013, qui certifierait votre inscription au parti « Primera Justicia », deux pièces qui constitueraient des plaintes que vous auriez déposées les 12 et 23 février 2015 auprès de la « direction du secrétariat général des droits fondamentaux », un rapport médical datant du 20 février 2015, une pièce datée au 25 février 2015 qui concernerait votre affiliation au Pérou au parti « Peruanos para el Kambio » et une datant du 27 février 2015, qui porterait acceptation de votre demande d'affiliation à ce parti, une pièce datant du 17 juillet 2017 qui ferait état des agressions dont vous auriez été victime, une pièce qui constituerait une plainte que vous auriez déposée le 14 octobre 2019 auprès de la Police péruvienne, une pièce datant du 28 octobre 2019 qui concernerait une communication que vous auriez eue avec le président du parti « Peruanos para el Kambio » et une pièce datant du 8 novembre 2019, qui constituerait la réponse du président à votre demande, une pièce datée au 30 novembre 2019, qui attesterait d'un dépôt de garantie suite à un changement de résidence, une pièce datant du 10 juillet 2021, qui aurait été émise par l'ensemble des partis politiques présents à Carabobo, pour dénoncer les « persécutions » dont vous auriez été victime, ainsi qu'une pièce qui constituerait une déclaration de votre mère faite le 11 juillet 2021, devant ladite direction du secrétariat général des droits fondamentaux.

5Notons encore que confronté par l'agent chargé de votre entretien à expliquer comment il est possible de verser un document du PPK datant de novembre 2019, alors que le parti n'existait déjà plus à cette époque, vous répondez que « Je ne sais pas, mais quand j'ai demandé de l'aide ils m'ont donné cette lettre. (…) Je suis allé au siège du PPK j'ai donné une lettre à la secrétaire et ils m'ont rendu cette lettre du 8 novembre où ils disent qu'ils rejettent ce que j'ai vécu » (p. 18 du rapport d'entretien).

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Monsieur, avant tout autre développement en cause, je tiens à soulever que des doutes évidents doivent être formulés par rapport à la sincérité de vos propos et à la réelle gravité de votre situation au Venezuela, respectivement, quant aux véritables motifs qui vous ont poussé à d'abord quitter le Venezuela, puis le Pérou, pour venir introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

Ce constat doit évidemment en premier lieu être dressé au vu de vos multiples retours volontaires au Venezuela entre 2015 et 2018. En effet, force est de constater que vous prétendez craindre être victime de persécutions au Venezuela sur base de problèmes que vous y auriez rencontrés entre 2013 et mars 2015, mais que déjà en octobre de cette même année, vous êtes volontairement et officiellement retourné chez vous dans le seul but de vous inscrire à l'université, avant d'à nouveau officiellement quitter le pays une semaine plus tard. Vous avez fait de même en 2016 et en 2018, lorsque vous avez à chaque fois volontairement séjourné entre un et deux mois au Venezuela en participant prétendument même à des manifestations contre le régime, tout en tentant de vivre tranquillement, avant de quitter le pays de manière officielle en direction du Pérou.

Il faut en déduire que vous ne prenez donc manifestement pas vous-même au sérieux vos motifs de fuite, respectivement, vos prétendues craintes, desquels vous pensez toutefois pouvoir vous servir dans le but de vous faire octroyer une protection internationale en Europe. Il s'ensuit que déjà sur base de ce seul élément, aucune suite positive à votre demande de protection internationale ne saurait être envisagée, alors qu'on doit pour le moins pouvoir attendre d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée et en vrai besoin de protection, qu'elle ne retourne pas volontairement et même à plusieurs reprises dans le pays dans lequel elle craindrait justement d'être victime de telles persécutions.

Que vous n'êtes nullement persécuté au Venezuela, respectivement dans le collimateur du régime qui serait lié au CICPC et aux « colectivos », respectivement, que vous n'êtes pas enregistré dans le « réseau de Maduro » (p. 9 du rapport d'entretien), se trouve davantage confirmé par la prolongation de votre passeport qui vous a été accordée par les autorités vénézuéliennes en novembre 2019, ainsi que vos nombreuses entrées et sorties officielles du Venezuela qui se seraient à chaque fois passées sans le moindre incident. Il peut en outre aussi être exclu que vous ayez vécu de façon « cachée » au Venezuela lors de ces séjours dans le pays, alors que vous faites état de démarches administratives, de participations à des manifestations ou encore de départs officiels et en bus en emmenant votre grand-mère, votre mère et votre sœur avec vous au Pérou. Les craintes que vous exprimez par rapport à un retour au Venezuela, doivent en tout cas être définies comme étant totalement infondées, voire, inventées. Ce constat vaut d'autant plus, qu'hormis le fait que vous auriez à l'époque jugé bon que votre compagne reste au Venezuela pour y finir ses études, tandis que vous auriez vécu et travaillé au Pérou en attendant d'avoir épargné assez d'argent pour faire venir votre 6famille, vous auriez également jugé bon de laisser votre fille mineure derrière vous en acceptant qu'elle retourne vivre au Venezuela avec sa mère, après que vous l'auriez pourtant fait venir au Pérou.

Il saute en outre aux yeux qu'aucun élément de votre dossier administratif, ni aucune de vos déclarations faites lors de votre entretien concernant vos motifs de fuite, ne permet de conclure à l'existence dans votre chef d'un quelconque activisme politique, respectivement, de confirmer que vous seriez, tel que vous le prétendez, à percevoir comme un activiste politique. En effet, à part le fait que vous auriez en tant qu'étudiant, comme des centaines de milliers, voire, des millions de Vénézuéliens, participé au cours de la dernière décennie à des manifestations contre le régime, vous précisez encore avoir examiné et préparé des salles universitaires, organisé la bienvenue des nouveaux étudiants à l'université ou encore motivé d'autres étudiants à participer aux élections. Or, il ne ressort pas de vos dires en quoi votre prétendu activisme pour le parti Primera Justicia, respectivement, la Mesa Democratica Unida aurait concrètement consisté.

Soulevons dans ce contexte que les copies de documents que vous versez à l'appui de votre demande ne sauraient pas non plus donner plus de poids à vos dires ou permettre de retenir un quelconque activisme politique que vous auriez exercé au Venezuela. En effet, il s'agit en premier lieu de noter que vous restez en défaut de verser des traductions conformes de ces documents dans une des langues prévues par la Loi de 2015, de sorte que celles-ci ne sauraient pas être prises en compte dans le cadre de la présente décision. Quand bien même elles seraient prises en compte, il s'agirait en plus de constater que vous avez uniquement versé des copies dont l'authenticité ne saurait nullement être établie. Vous prétendez certes que votre premier mandataire au Luxembourg vous aurait erronément expliqué que ce ne serait pas important de verser des pièces originales, mais, hormis le caractère plus que douteux de la réalité d'une telle remarque, une telle excuse ne saurait nullement justifier l'absence de production de toute pièce originale. Ce constat vaut d'autant plus que vous aviez entretemps changé de mandataire au Luxembourg et qu'en novembre 2021, dans le cadre de votre entretien concernant vos motifs de fuite, vous avez été rendu attentif au fait qu'il serait important de verser des pièces originales. Vous prétendez en plus que les pièces originales se trouveraient chez votre mère de sorte qu'il vous aurait manifestement été facile de vous les faire parvenir, à supposer qu'elles existent vraiment. Or, aucune pièce originale n'est parvenue à la Direction de l'immigration jusqu'à ce jour.

Rappelons en plus, que, confronté par l'agent chargé de votre entretien à expliquer comment il est possible de verser un document qui aurait été émis par le PPK en novembre 2019, alors que le parti n'existait déjà plus à cette époque, vous n'êtes pas en mesure de fournir une explication ou justification cohérente en prétendant simplement que « Je ne sais pas, mais quand j'ai demandé de l'aide ils m'ont donné cette lettre. (…) Je suis allé au siège du PPK j'ai donné une lettre à la secrétaire et ils m'ont rendu cette lettre du 8 novembre où ils disent qu'ils rejettent ce que j'ai vécu » (p. 18 du rapport d'entretien). Or, tel que l'agent chargé de votre entretien vous l'a déjà fait savoir, ledit parti a cessé d'exister en mars 2019, respectivement, le parti s'est renommé « Contigo » à cette date, de sorte qu'il n'est pas logique que vous ayez encore, en novembre 2019, pu communiquer avec le parti PPK. De plus, au vu de vos déclarations quant à l'obtention de cette lettre, il ne saurait clairement pas non plus être exclu qu'il s'agirait d'un document de pure complaisance établi dans le seul but de servir votre cause.

Il faudrait en outre se demander comment vous auriez fait pour vous faire remettre en juillet 2021, c'est-à-dire, pendant votre séjour au Luxembourg, une seule et même lettre qui aurait été signée par les Secrétaires généraux ou le Président de trois différents partis d'opposition et rédigée par une personne inconnue, dans le seul but de préciser, à première vue, que votre maison à Valencia aurait 7été le théâtre de visites des « colectivos » et que votre mère, qui y habiterait, aurait été menacée, sinon pourquoi les dirigeants de ces partis politiques se donneraient la peine d'écrire cette lettre, supposément ensemble, d'autant plus qu'il est incompréhensible pourquoi ils vous adresseraient comme étant un « dirigente politico », alors que vous-même ne vous qualifiez à aucun moment de dirigeant politique. Vous restez d'ailleurs totalement muet sur les moyens entrepris pour vous procurer cette lettre. Surtout, il ne ressort nullement de vos explications que votre maison aurait été visitée par des « colectivos », voire, que votre mère serait habitante de cette maison et qu'elle aurait été menacée par des « colectivos ». En effet, vous aviez encore prétendu dans le cadre de votre entretien qu'en 2016, vous auriez amené votre mère au Pérou et vous aviez précisé qu'elle habiterait toujours à « Lima avec mon père » (p. 4 du rapport d'entretien), sans jamais faire part de visites de « colectivos » chez vous à la maison.

Au vu de ce qui précède, et à supposer que les pièces versées seraient à prendre en compte, il est donc évident que, là-aussi, des doutes manifestes quant à leur authenticité et la véracité de leur contenu devraient être retenus. Ajoutons encore au vu des copies versées, que vous êtes également resté en défaut de verser une quelconque preuve que vous auriez fait des études en administration et en droit, respectivement, que votre profession aurait été « Administrateur des douanes » (p. 2 du rapport d'entretien), tout comme vous êtes resté en défaut de verser des preuves en lien avec votre prétendu activisme politique lorsque vous auriez été « auditeur » à des formations et des meetings ou encore en lien avec la fonction de secrétaire de la jeunesse de l'Etat de Carabobo qu'on vous aurait proposée, voire, que vous auriez occupée.

A toutes fins utiles rajoutons que vous n'avez pas non plus versé de preuves en lien avec le prétendu enlèvement dont vous auriez été victime et votre libération par votre père moyennant quinze millions de bolivars en février 2015. Etant donné qu'une telle somme aurait constitué à la date mentionnée 2.355.000 millions de dollars, il peut d'ailleurs aussi être exclu que vos prétendus ravisseurs aient demandé une telle somme colossale pour la libération d'un simple étudiant ou que votre père ait réussi à rassembler une telle somme en quelques heures moyennant des amis. Dans ce contexte, il ne fait pas de sens non plus que vous prétendez avoir été prêt à payer 5 millions de bolivars, donc quelques 785000 dollars à l'époque, pour récupérer votre voiture, en prétendant qu'elle en aurait valu « environ 20 », ce qui reviendrait à dire que vous auriez possédé en 2015, une voiture d'une valeur de 3.14 millions de dollars. Il paraît dès lors évident que vous avez inventé cette histoire de toutes pièces, voire, que le contexte général de cet incident et de votre libération n'a manifestement pas été tel que vous tentez de le faire croire et que vous avez décidé de parler de sommes marquantes parce que cela sonnerait mieux ou donnerait plus de tonus à votre récit.

Soulevons encore que vous n'êtes pas cohérent non plus lorsque vous prétendez avoir déposé plainte auprès de la police après que vous auriez été enlevé, mais que vous n'auriez pas eu d'espoir que cela servirait à quelque chose parce que les « colectivos » seraient protégés par l'Etat. En effet, vous précisez vous-même que vous auriez été enlevé par des policiers du CICPC, de sorte qu'il ne fait pas de sens que vous vous attendiez à ce que les policiers confrontés à votre plainte suite à cet enlèvement, s'en prennent à des « colectivos » qui n'auraient pas été impliqués dans cet incident.

Enfin, notons que vous prétendez d'un côté que votre profession au Venezuela aurait été « administrateur des douanes », mais de l'autre côté que vous auriez été étudiant en administration des douanes et puis en droit et que vous auriez fait une pause dans vos études en 2013 pour devenir activiste politique. De plus, il s'agirait de soulever qu'en tant qu'employé dans l'administration des douanes, vous auriez donc travaillé pour le régime, respectivement, en tant qu'étudiant en administration des douanes, votre but aurait forcément été de travailler pour le régime, ce qui paraît pourtant totalement incompatible avec votre prétendu activisme politique au nom de l'opposition.

8 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que vos motifs de fuite de nature « politique » concernant les « colectivos » et vos prétendues craintes d'être tué par le régime vénézuélien doivent être rejetés pour manquer de crédibilité et ne seront par conséquent pas pris en compte pour statuer sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale. Il est en même temps conclu que vous avez du coup quitté le Venezuela pour des seuls motifs économiques ou de convenance personnelle au vu de la crise économique et humanitaire qui a secoué le Venezuela, en passant les années 2015 et 2016 à travailler au Pérou et de gagner assez d'argent aux fins de vous permettre de faire venir le reste de votre famille. Après avoir finalement travaillé quatre ans au Pérou « dans mille choses », vous avez décidé de partir pour l'Europe.

Il paraît d'autant plus établi que vous avez inventé votre récit de toutes pièces et que seuls des motifs économiques ou de convenance personnelle sous-tendent votre demande de protection internationale, alors que vous avez quitté le Venezuela au cours de la dernière décennie à l'instar de millions d'autres Vénézuéliens qui ont quitté le pays sur base de ces mêmes motifs. En effet : « The country is bankrupt, and widespread undernourishment has driven people to seek refuge elsewhere, causing the largest exodus in Latin American history.(…) Severe shortages of medicines, medical supplies, and food leave many Venezuelans unable to feed their familles adequately or access essential healthcare". The COVID-19 pandemic has compounded the suffering »; « Some 5.9 million Venezuelans, approximately 20 percent of the country's estimated total population, have fled their country since 2014, the Inter-Agency Coordination Platform for Refugees and Migrants from Venezuela reports ».

Pour être complet sur ce sujet, notons encore que suite à l'exode massif susmentionné des années 2010, l'année 2020 s'est caractérisée par un certain retour au calme au Venezuela et par un retour de plus en plus de Vénézuéliens au pays qui sont désormais autorisés à investir en dollars et à faire proliférer leurs entreprises privées. Ces retours au pays se sont encore multipliés par la suite, à cause de la crise économique liée au COVID-19, ayant souvent fait perdre le travail aux Vénézuéliens partis dans d'autres pays sud-américains pour fuir la crise économique dans leur propre pays. Ces retours démontrent en même temps, tel que relevé ci-avant, que les Vénézuéliens ont par le passé surtout fui la crise économique et non pas les autorités ou des persécutions, tout en ne craignant manifestement pas d'y retourner.

Quand bien même un grain de crédibilité devrait être accordé à vos dires et que vous craindriez effectivement pour votre sécurité à cause de votre prétendu activisme politique pour l'opposition vénézuélienne, aucune protection internationale ne vous saurait être accordée pour les raisons étayées ci-dessous.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du 9pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, soulevons avant tout autre développement qu'une demande de protection internationale s'analyse par rapport au(x) pays d'origine du demandeur, respectivement, par rapport au(x) pays dont il possède la nationalité, à savoir, dans votre cas, le Venezuela et le Pérou.

Si comme susmentionné, il était donc retenu que vous auriez introduit votre demande de protection internationale sur base de craintes fondées d'être victime au Venezuela d'actes de persécution tel que définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015, il s'agirait toujours d'analyser votre besoin de protection par rapport au deuxième pays dont vous possédez la nationalité à savoir le Pérou.

Force est dans ce contexte de constater que vous ne faites clairement pas état d'un récit ou de craintes en rapport avec le Pérou qui justifieraient dans votre chef l'octroi du statut de réfugié. En effet, si vous tentez de relier à nouveau vos prétendues craintes en rapport avec le Pérou à votre activisme politique au Venezuela de sorte à ce qu'elles rentreraient donc a priori dans le champ d'application des textes susmentionnés, il s'agit toutefois de soulever que les incidents mentionnés ne revêtent clairement pas un degré de gravité tel à pouvoir être qualifiés d'actes de persécution tel que définis par la loi.

Ainsi, vous expliquez que des Vénézuéliens criminels, dont les « colectivos », se seraient infiltrés au Pérou et que les Tren de Aragua se seraient installés à Lima. A cause des actes de ce groupe, les Vénézuéliens auraient commencé à être mal vus et la xénophobie serait montée au Pérou, ce qui aurait notamment eu comme conséquence que votre fille aurait connu des soucis à l'école et que vous auriez finalement été obligé de la faire changer d'école. Vous ajoutez que votre compagne aurait à ce moment également connu des discriminations au travail. Or, le seul fait de pointer une xénophobie qui serait montée au Pérou, sans faire état d'exemples concrets et personnels d'injustices et de discriminations vécues ne saurait évidemment pas suffire pour justifier dans votre chef l'octroi du statut de réfugié. Ce constat vaut d'autant plus que vous précisez que votre fille serait entretemps retournée vivre au Venezuela, tandis que vous-même pourriez donc vivre au Pérou comme Péruvien.

Vous ajoutez encore craindre pour votre sécurité au Pérou parce qu'en octobre 2019, votre voisin vous aurait informé qu'un garçon serait venu lui demander si votre maison était bien habitée par un Vénézuélien, tout en vous expliquant qu'il aurait entendu que tel serait la façon de procéder du Tren de Aragua. De plus, vous faites état d'appels anonymes vénézuéliens et d'un appel par des personnes se présentant comme Tren de Aragua, reçus sur WhatsApp et vous expliquez qu'un membre des « colectivos » vous aurait reconnu lors d'une manifestation en 2017 à Lima comme étant « le gars de Carabobo » (p. 8 du rapport d'entretien) et qu'il vous aurait dit d'arrêter de déranger et invité à rejoindre « l'empire avec les Yankees » (p. 8 du rapport d'entretien). Ces incidents, à les supposer réels, ne revêtent toutefois clairement pas un de gravité suffisant pour pouvoir être définies comme actes de persécution au sens de la Convention de Genève ou de la Loi de 2015.

Partant, vos craintes alléguées concernant votre sécurité au Pérou doivent être perçues comme étant totalement hypothétiques ou infondées, et ne s'analysent manifestement pas en 10l'existence dans votre chef d'une crainte fondée de persécution au sens desdits textes. Ce constat vaut d'autant plus qu'hormis cet incident isolé lors de votre participation à une manifestation à Lima, vous n'auriez en fait jamais été abordé, menacé ou agressé par qui que ce soit en relation avec vos prétendus problèmes au Venezuela, au cours de toutes ces années passées au Pérou. Après l'incident devant le consulat vénézuélien, vous auriez d'ailleurs continué à vivre et à travailler normalement au Pérou jusqu'à votre départ pour le Luxembourg. Vous affirmez pour le surplus que vos parents vivraient aussi à Lima sans faire part d'un quelconque problème qu'ils y auraient vécu.

A cela s'ajoute qu'il n'est clairement pas non plus établi que vous n'ayez pas pu compter sur l'aide des autorités péruviennes, respectivement, que celles-ci n'aient pas pu ou pas voulu vous offrir une protection ou vous permettre de faire valoir vos droits au Pérou. En effet, bien que vous seriez d'avis que votre sécurité serait compromise au Pérou parce qu'il n'y aurait pas assez de policiers par rapport à la population ou qu'on ne vous aurait pas accordé de « garantie » après un dépôt de plainte, il s'agit de soulever qu'il ressort des recherches ministérielles que les autorités péruviennes ne restent manifestement pas inactives face aux agissements des Tren de Aragua, un groupe qui ferait partie des « colectivos » si on se tenait aux informations ressortant de votre plainte déposée au Pérou.

Ajoutons à toutes fins utiles qu'il est par ailleurs faux que les Tren de Aragua seraient soutenus par le régime vénézuélien. Bien au contraire, il ressort des recherches ministérielles que ce groupe criminel est activement est violemment combattu par les autorités vénézuéliennes et qu'il a lui-même déclaré la guerre aux forces de l'ordre du Venezuela en septembre 2018. Notons à titre d'exemple que: « Dans les Etats d'Aragua et de Carabobo, une autre organisation criminelle fait régner la terreur : el Tren de Aragua, qui tire son nom d'un syndicat mafieux qui rackettait les constructeurs du système ferroviaire. Les affrontements avec les services de l'Etat et cette bande sont monnaie courante dans ces régions où se concentrent les industries vénézuéliennes. Un de ses leaders, arrêté au Pérou lors d'une tentative de braquage, a lui-même confessé qu'il avait dû fuir le Venezuela à cause des « incessantes persécutions de la police ». La force de frappe de ces bataillons irréguliers n'est pas à négliger. Le 6 mai 2019, le général d'aviation Jackson Silva, directeur de l'Ecole de formation des troupes professionnelles, ainsi que quatre autres officiers trouvent la mort dans une embuscade tendue par le Tren de Aragua. Quatre autres militaires ont été blessés lors du combat qui les opposa aux membres de ce syndicat du crime. ».

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des 11menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Outre les conclusions ci-dessus retenues quant aux doutes relatives à la crédibilité de vos déclarations, il y a encore lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015.

En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour au Venezuela ou au Pérou, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou vous personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Vos seules prétendues craintes sécuritaires en rapport avec les « colectivos », respectivement, les « Tren de Aragua », sont en tout cas à percevoir comme étant totalement hypothétiques en ne sauraient pas permettre de retenir que vous risqueriez d'être victime d'une telle atteinte grave lors d'un retour au Venezuela ou au Pérou.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Venezuela, du Pérou, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une part, de la décision ministérielle du 4 octobre 2022 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 4 octobre 2022 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 4 octobre 2022, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations, telles qu’actées lors de son audition par un agent du ministère.

En droit, le demandeur reproche au ministre de ne pas lui avoir accordé le bénéfice du doute en ce qu’il lui aurait reproché de ne pas avoir remis de pièce originale. Il renvoie à cet égard au Guide 12et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés et à un ouvrage intitulé « Note on Burden and Standard of Proof in Refugee Claims » du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, ci-après « la CourEDH », pour en retenir qu'une cohérence complète des déclarations des demandeurs de protection internationale ne serait pas nécessaire pour conclure à leur crédibilité.

Il fait valoir que le ministre aurait fondé sa décision sur l'absence de crédibilité de l'intégralité de son récit en se livrant à une interprétation subjective.

Après avoir rappelé les éléments ayant conduit le ministre à retenir un défaut de crédibilité dans son chef, Monsieur … fait valoir que les éléments de son récit auraient été suffisamment détaillés et précis, de sorte à devoir être considérés dans leur intégralité comme plausibles. Il se serait, par ailleurs, réellement efforcé d'étayer son récit et aurait fourni au ministre toutes les informations pertinentes à sa disposition.

Il conteste avoir quitté le Venezuela pour des seuls motifs économiques ou de convenance personnelle au vu de la crise économique et humanitaire y régnant.

Concernant le refus de lui octroyer le statut de réfugié, après avoir cité les articles 42 et 39 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur soutient qu’il aurait déjà été persécuté dans le passé par des partisans du régime au pouvoir au Venezuela qui lui auraient rendu la vie insupportable tant au Venezuela qu'au Pérou. Ainsi, ayant été personnellement victime de violence physique et mentale de la part des partisans du régime du président Maduro, il pourrait se prévaloir d'une crainte de persécution pour des motifs politiques en cas de retour dans son pays d'origine, telle que prévue à l'article 37, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015.

S’agissant du refus de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur se base sur l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015 en soutenant qu’il serait de notoriété publique que les opposants au pouvoir vénézuélien seraient systématiquement persécutés et menacés.

Il se rapporte à un rapport de l’UNHCR publié en août 2017 et intitulé « Human rights violations and abuses in the context of protests in the Bolivarian Republic of Venezuela from 1 April to 31 July 2017 », selon lequel les opposants politiques vénézuéliens seraient fréquemment soumis à des intimidations, à des pressions, voire à des persécutions. Depuis la victoire du parti d'opposition la Table de l'unité démocratique (MUD) aux législatives de décembre 2015, le régime du Président Maduro n'aurait cessé de museler toute opposition par la force. Outre les arrestations, les opposants politiques seraient victimes d'autres types d'intimidations et de persécutions, non seulement de la part des forces de l'ordre, mais également de la part de colectivos armés.

Monsieur … renvoie encore à un rapport publié le 12 février 2018 et intitulé « Venezuela:

Institucionalidad democrática, Estado de derecho y derechos humanos en Venezuela. Informe de Pais » de la Commission interaméricaine des droits de l'homme qui aurait retenu que depuis l'élection du président Maduro, plusieurs organisations auraient dénoncé avec véhémence les agissements violents des forces de sécurité et des forces armées dans le cadre d'opérations de sécurité et au cours des manifestations contre le gouvernement. Parmi les entités les plus décriées se trouveraient le Cuerpo de Investigaciones Cientificas, Penales y Criminalisticas (Corps d'Enquêtes Scientifiques, Pénales et Criminelles, CICPC), la Garde nationale bolivarienne (GNB), le Comando Antiextorsién y Secuestro (Commando Anti- extorsion et Enlèvement), le Service bolivarien de renseignements (Sebin) et la 13police nationale bolivarienne. Ces organes, dont certains feraient partie des forces militaires, seraient accusés de contribuer à un processus de « militarisation des politiques de sécurité citoyenne » et d'avoir commis de nombreuses violations des droits de l'Homme.

Il cite encore à cet égard un rapport de l'organisation non-gouvernementale Human Rights Watch publié le 29 novembre 2017 et intitulé « Crackdown on Dissent Brutality, Torture, and Political Persecution in Venezuela » et deux articles du journal Le Monde pour en conclure qu’en tant qu’activiste politique, il courrait en cas de retour au Venezuela ou au Pérou, un risque réel et élevé d'être victime d'atteintes graves au sens de l'article 48, point (b) de la loi du 18 décembre 2015 ou d’actes prohibés par l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » 14et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

15L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Il échet de rappeler que la question de savoir si un étranger craint avec raison d’être persécuté doit être examinée par rapport au pays dont celui-ci a la nationalité. En effet, tant que l’intéressé n’éprouve aucune crainte vis-à-vis du pays dont il a la nationalité, il n’est possible d’attendre de lui qu’il se prévale de la protection de ce pays. Il n’a pas besoin d’une protection internationale et, par conséquent, il n’est pas à considérer comme réfugié1.

Si le demandeur de protection internationale a une double nationalité, sa demande devra être appréciée par rapport au risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourt dans chacun des pays dont il a la nationalité, l’octroi de la protection internationale ne se justifiant, dans ce cas, seulement dans l’hypothèse où les conditions afférentes sont réunies par rapport à chacun des pays en question2.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation générale, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance, étant à cet égard relevé que l’examen de la crédibilité de son récit constitue une étape nécessaire dans l’examen d’une telle demande.

Au regard des contestations afférentes de la partie étatique, il convient dès lors de prime abord d’examiner la crédibilité du récit du demandeur.

1 Trib. adm., 15 décembre 2004, n° 18573 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 127 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 19 mars 2015, n° 35742 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 128.

16 A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.3 S’agissant tout d’abord des craintes du demandeur de faire l’objet de persécutions respectivement d’atteintes graves, ainsi que de ses besoins de protection par rapport au Venezuela, il échet de constater que le ministre a remis en cause la crédibilité du récit du demandeur sans que ce dernier prenne position de façon circonstanciée par rapport aux différents éléments soulevés par le ministre, Monsieur … se bornant, en effet, à rappeler les différentes incohérences relevées par le ministre tout en citant diverses publications concernant la charge de la preuve dans le cadre de demandes de protection internationale.

Il échet tout d’abord de constater que sur sa fiche de motifs remplie au moment de l’introduction de la demande de protection internationale en date du 15 décembre 2020, le demandeur indique ne pas avoir été « tranquille à l’université parce [qu’il aurait été] membre actif du mouvement étudiant GIRO 58 » et que face au manque de nourriture, il aurait « commencé à assister aux manifestations pacifiques contre le gouvernement », tout en relevant encore la présence de « groupes composé par des délinquants sans scrupules qui [auraient] commencé à [leur] racketter de l’argent ».

Le demandeur n’y indique nullement être un activiste politique ni avoir fait l’objet d’un enlèvement, de violences ou de menaces, mais insiste sur la situation humanitaire et économique existant au Venezuela tout comme sur les problèmes de xénophobie dont seraient victimes les ressortissants vénézuéliens au Pérou.

Concernant le prétendu activisme politique du demandeur et plus particulièrement les documents émis par le parti politique Peruanos Por El Kambio (PPK) versés par le demandeur, il échet de constater que Monsieur … a été confronté lors de son entretien auprès du ministère au fait qu’il serait douteux que le PPK émettrait en novembre 2019 un document, alors que ledit parti politique aurait cessé d’exister depuis mars 2019, confrontation à laquelle le demandeur n’a pu opposer la moindre explication tout en se perdant dans ses explications4 et en s’énervant5. Il échet encore de relever que le demandeur est qualifié dans ledit document de « dirigeant politique vénézuélien », alors qu’il ne se qualifie lui-même que de simple « activiste politique »6 et affirme qu’il allait « aux manifestations en tant que citoyen »7.

Le tribunal partage encore les doutes émis par le ministre au regard du « Communiqué relatif à la condamnation des faits qui se sont déroulés à Valencia dans l’Etat de Carabobo » du 11 juillet 3 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.

4 Rapport d’audition, p. 18.

5 Notes de l’agent du ministère ayant mené l’audition du demandeur : « Monsieur poursuit avec des explications alambiquées et qui n’ont pas vraiment de sens. Il finit par s’en prendre à l’interprète et tente de dire que la confusion ne vient pas de lui, mais de l’interprète. L’interprète et l’agent qui par ailleurs comprend également l’espagnol lui font remarquer que ses propos sont incompréhensibles. L’agent explique qu’il n’y a pas de lieu de s’en prendre à l’interprète comme il le fait. L’agent décide d’interrompre l’entretien », rapport d’audition, p. 19.

6 Rapport d’audition, p. 9.

7 Ibidem, p. 10.

172021, signé par les représentants de quatre partis politiques vénézuéliens et soumis par le demandeur à l’appréciation du tribunal, aux termes duquel le logement du demandeur aurait été « la cible d’intimidations de la part de personnes soutenant la dictature régionale » et sa mère, qui se serait trouvée dans ledit logement, aurait été menacée de mort par des « bandes criminelles comme « Tren de Aragua » et de hauts fonctionnaires du gouvernement de l’Etat de Carabobo », étant donné que, d’un côté, les faits y relatés n’ont aucunement été mentionnés par le demandeur ni au moment de son audition auprès du ministère, ni dans sa requête introductive d’instance, et, d’un autre côté, la mère du demandeur a vécu au Pérou depuis 20168.

S’agissant du prétendu enlèvement du demandeur par les policiers du Cuerpo de Investigaciones Científicas, Penales y Criminalísticas (CICPC) en février 2015, événement aucunement mentionné sur la fiche de motifs remplie par le demandeur à l’occasion de l’introduction de sa demande de protection internationale, le tribunal relève qu’aucun crédit ne saurait être accordé au récit du demandeur à cet égard. En effet, le demandeur reste en défaut de fournir le moindre détail quant à sa libération par son père qui aurait réussi à collecter au bout de quelques heures le montant de quinze millions de bolivars, équivalant, de manière non contestée, à l’époque des faits à 2.355.000 millions de dollars, et quant à sa disponibilité de payer 5 millions de bolivars, équivalant à 785.000 dollars, pour récupérer sa voiture, une Renault Logan, qui aurait eu une valeur de 20 millions de bolivars, soit 3.140.000 dollars.

Au vu des éléments qui précèdent et des nombreuses incohérences et contradictions au niveau des dates des faits invoqués9 ainsi que des activités exercées par le demandeur, qui était tantôt étudiant tantôt administrateur des douanes, voire activiste politique, le tribunal retient, au vu de l’absence de prise de position circonstanciée de la part du demandeur dans le cadre de la requête introductive d’instance sur les points de crédibilité soulevés par le ministre, que le récit du demandeur, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre.

Le manque de crédibilité général du récit du demandeur se trouve encore conforté par le comportement adopté par lui avant son arrivée en Europe. En effet, le demandeur est retourné à de multiples reprises au Venezuela après s’être installé au Pérou en raison notamment d’une inscription à l’université, respectivement d’un rendez-vous auprès d’un notaire. Le fait que ces entrées et sorties vers et du Venezuela se sont faites de manière officielle tout comme la circonstance que le demandeur s’est vu délivrer un passeport de la part des autorités vénézuéliennes sont encore de nature à corroborer la conclusion de la partie étatique selon laquelle le demandeur n’est nullement dans le collimateur des colectivos ou du « régime Maduro ». Ce constat est encore renforcé tant par le fait que le demandeur a laissé sa compagne finir ses études au Venezuela, alors que lui-même travaillait au Pérou afin d’épargner assez d’argent pour faire venir sa famille, que par le fait qu’il a laissé retourner sa fille au Venezuela auprès de sa mère.

Pour ce qui est ensuite de la situation sécuritaire générale au Venezuela, il y a lieu de relever qu’à défaut de prise de position circonstanciée du demandeur, ce dernier n’a pas mis le tribunal en mesure de pouvoir procéder à l’examen de la situation sécuritaire au Venezuela afin d’apprécier si celle-ci répond le cas échéant aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, disposition non invoquée par le demandeur.

8 Ibidem, p. 5.

9 Ibidem, p. 13.

18Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et des éléments à sa disposition, le tribunal est amené à conclure que le demandeur n’a pas fait état d’un élément de nature à justifier dans son chef l’octroi de l’un des statuts conférés par la protection internationale par rapport au Venezuela, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée sa demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet quant à ce pays.

S’agissant ensuite des craintes du demandeur de faire l’objet de persécutions respectivement d’atteintes graves, ainsi que ses besoins de protection par rapport au Pérou, il y a lieu de constater qu’il ressort du rapport d’audition du demandeur qu’il invoque par rapport au Pérou le fait qu’en raison de son activisme politique au Venezuela, des Vénézuéliens criminels, dont les « colectivos », se seraient infiltrés au Pérou et les « Tren de Aragua » se seraient installés à Lima, ce qui aurait conduit à une augmentation de la xénophobie vis-à-vis des Vénézuéliens, qui, aurait eu comme conséquence que sa fille aurait connu des problèmes à l’école, de sorte qu’elle aurait été obligée de changer d’établissement scolaire. Sa compagne aurait fait l’objet de discriminations à son lieu de travail. Le demandeur précise, par ailleurs, (i) qu’en octobre 2019, son voisin l’aurait informé qu’un garçon se serait informé si un Vénézuélien habitait dans la maison du demandeur, ce qui serait la façon de rassembler des informations des « Tren de Aragua », (ii) qu’il aurait reçu des appels anonymes de Vénézuéliens et un appel par des personnes s’étant présentées comme des membres des « Tren de Aragua » et (iii) qu’en 2017, lors d’une manifestation à Lima, un membre des « colectivos » l’aurait reconnu et l’aurait invité à rejoindre « l’empire avec les Yankees »10.

Force est au tribunal de constater que s’agissant de l’incident ayant eu lieu en 2017 avec un membre des « colectivos », ce dernier est en lien avec le prétendu activisme politique du demandeur au Venezuela, récit ayant été retenu ci-avant comme n’étant pas crédible, de sorte que la même conclusion s’impose au regard des faits y relatifs invoqués par rapport au Pérou. S’agissant des autres motifs invoqués par le demandeur, il échet de retenir que ces incidents ne revêtent pas un degré de gravité suffisant pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution ou d’atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015 et que les craintes alléguées concernant sa sécurité au Pérou sont essentiellement hypothétiques.

En effet, le demandeur a vécu au Pérou depuis 2015 jusqu’à son départ vers l’Europe en 2019, il y a travaillé et il a fait venir sa mère, sa grand-mère et sa sœur en 2016 et sa fille en 2018. Sa compagne l’a rejoint après avoir fini ses études au Venezuela.

S’agissant tout d’abord des discriminations dont ont fait l’objet la fille et la compagne du demandeur à l’école, respectivement sur le lieu de travail, il échet de retenir qu’un tel comportement est certes condamnable mais n’atteint pas le degré de gravité pour le qualifier de persécution ou d’atteinte grave au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Quant à sa crainte de faire l’objet de représailles des « Tren de Aragua », il échet de constater que le demandeur déduit cette crainte du comportement d’un garçon ayant demandé à son voisin si dans son immeuble habitait un Vénézuélien, « mode opératoire »11 qui serait typique pour les « Tren de Aragua » et serait suivi de la commission de crimes. Or, il échet de constater qu’il n’y a pas eu d’actes concrets laissant penser que le demandeur serait entré dans le collimateur dudit groupement, étant encore précisé qu’il a pu déposer une plainte auprès de la police péruvienne quant à cet incident, que les agents de police ont pris sa déposition et lui ont conseillé de rappeler au cas où un tel incident se reproduisait et d’attendre leur arrivée. Il s’ensuit que, nonobstant le caractère hypothétique de la 10 Rapport d’audition, p. 8.

11 Rapport d’audition, p. 17.

19crainte exprimée dans ce contexte par le demandeur, les autorités péruviennes seraient disposées à lui accorder une protection si un tel événement se reproduisait ce qui est encore confirmé par le délégué du gouvernement, pièce à l’appui, sans être contesté par le demandeur.

S’agissant des appels menaçants reçus de la part des « Tren des Aragua », respectivement de « gens du Venezuela »12, le tribunal constate que le demandeur est resté en défaut tant lors de son audition auprès du ministère que pendant la procédure contentieuse de préciser quel était l’objet desdits appels à part que l’appelant a déclaré savoir « où [il] [s]e trouve (…) »13, étant encore relevé que pour autant que des menaces concrètes auraient été exprimées, il ne ressort pas de l’audition du demandeur qu’elles auraient été suivies d’actes concrets, de sorte que la crainte exprimée par le demandeur à cet égard est essentiellement hypothétique et l’expression d’un sentiment général d’insécurité ne justifiant pas l’octroi d’un des statuts de la protection internationale.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, à défaut d’autres moyens, que c’est à bon droit sans violer l’article 3 de la CEDH que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 4 octobre 2022 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de ce volet de son recours, le demandeur soutient que la décision du ministre lui enjoignant de quitter le territoire devrait encourir la réformation pour violation des articles 3 de la CEDH, ainsi que 4 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », en ce qu’elle serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation de sa situation individuelle eu égard à la situation générale dans son pays d’origine. En effet, contrairement à l’appréciation ministérielle et au vu de sa désertion et de son opposition au gouvernement vénézuélien, il y aurait lieu de retenir qu’en cas de retour au Venezuela, il encourrait un risque sérieux d’être persécuté et de subir des traitements inhumains et dégradants de la part des autorités de son pays d’origine.

Il se réfère, à cet égard, plus particulièrement à un arrêt de la CourEDH du 11 janvier 2007 dans une affaire Salah Sheekh c. Pays-Bas dans le cadre duquel il aurait été retenu que l’expulsion d’un étranger par un Etat contractant pourrait soulever un problème au regard de l’article 3 de la CEDH, et donc engager la responsabilité de l’Etat en cause au titre de ladite convention, lorsqu’il y aurait des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, s’il était expulsé vers le pays de destination, y courrait un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH.

En pareil cas, cette disposition impliquerait l’obligation de ne pas expulser la personne concernée vers ce pays. Dans ce même arrêt, la CourEDH aurait encore retenu qu’il faudrait apprécier la 12 Rapport d’audition, p. 17.

13 Rapport d’audition, p. 17.

20situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de l’article 3 de la CEDH, ce qui impliquerait que, pour apprécier la réalité dans le chef d’étrangers menacés d’expulsion ou d’extradition d’un risque allégué de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, il serait nécessaire de se livrer à un examen complet et ex nunc de la situation régnant dans le pays de destination, cette situation pouvant changer au fil du temps.

En soulignant, en substance, que le fait qu’il aurait déjà été persécuté avant son départ du Venezuela ferait présumer que ces persécutions se poursuivraient en cas de retour dans son pays d’origine, il fait valoir que dans les circonstances actuelles, la protection offerte par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte serait rendue illusoire s’il était éloigné à destination du Venezuela en dépit de son profil et de la situation sécuritaire qui y prévaudrait.

A cela s’ajouterait que son renvoi vers son pays d’origine emporterait également une violation de l’article 19 de la Charte qui interdiraient le refoulement des demandeurs de protection internationale déboutés vers leur pays d’origine, le demandeur faisant valoir que même s’il ne devait pas se voir accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale, il devrait néanmoins pouvoir bénéficier de la protection contre l’expulsion vers un pays dans lequel il risquerait de subir des atteintes contre sa vie et son intégrité physique et morale, le demandeur s’appuyant, à cet égard, sur un arrêt de la CJUE du 18 décembre 2014, dans une affaire Abdida, C-562/13 ainsi que sur un arrêt de la CourEDH du 15 novembre 2011, dans une affaire Al Hanchi c. Bosnie-Herzégovine, n° 48205/09.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné que le tribunal vient de retenir ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’invocation d’une violation, par la décision déférée, du principe de non-refoulement, de même que des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

En effet, il y a lieu de rappeler, en ce qui concerne précisément les risques encourus par le demandeur en cas de retour au Venezuela, respectivement au Pérou, que le tribunal a conclu ci-avant que l’intéressé n’a pas fait état d’une crainte fondée de subir des persécutions ou d’être exposé à des atteintes graves au sens de la loi, respectivement que ses déclarations faites auprès du ministère ne sont pas crédibles, de sorte qu’il ne saurait prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale. Le tribunal ne saurait dès lors actuellement se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

21 Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH14, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur au Venezuela, voire au Pérou, soit dans ces circonstances incompatible avec les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, voire avec le principe de non-refoulement.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 4 octobre 2022 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 4 octobre 2022 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 mai 2024 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 14 CourEDH, arrêt du 4 février 2004, Lorsé et autres c/ Pays-Bas.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 48147
Date de la décision : 13/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-05-13;48147 ?

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