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25/05/2023 | LUXEMBOURG | N°55/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 25 mai 2023, 55/23


N° 55 /2023 du 25.05.2023 Numéro CAS-2023-00006 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq mai deux mille vingt-trois.

Composition:

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président , Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Thierry HOSCHEIT, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Viviane PROBST, greffier en chef de la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur e

n cassation, comparant par Maître Robert KAYSER, avocat à la Cour, en l’étude...

N° 55 /2023 du 25.05.2023 Numéro CAS-2023-00006 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq mai deux mille vingt-trois.

Composition:

Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, président , Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Thierry HOSCHEIT, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Viviane PROBST, greffier en chef de la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Robert KAYSER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et 1. PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE2.), 2. PERSONNE3.), demeurant à L-ADRESSE2.), défendeurs en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée Etude d’avocats Weiler, Wiltzius, Biltgen, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Diekirch, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Christian BILTGEN, avocat à la Cour.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 197/22 - I - CIV, rendu le 19 octobre 2022 sous le numéro CAL-2022-00524 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié par PERSONNE1.) le 16 décembre 2022 à PERSONNE2.) et à PERSONNE3.) et le 19 décembre 2022 au procureur général d’Etat, déposé le 9 janvier 2023 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié par PERSONNE2.) et PERSONNE3.) le 23 décembre 2022 à PERSONNE1.) et le 5 janvier 2023 au procureur général d’Etat, déposé le 11 janvier 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière civile, avait reçu en la forme la demande de PERSONNE1.) en contestation de reconnaissance de paternité, dit non fondée la demande en relevé de déchéance encourue en application de l’article 339, alinéa 4, du Code civil et déclaré irrecevable la demande pour le surplus. La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

Sur la recevabilité du pourvoi Les défendeurs en cassation soulèvent l’irrecevabilité du pourvoi au motif que le demandeur en cassation aurait acquiescé à l’arrêt attaqué en réglant, sans réserve, le décompte des frais et émoluments.

L’article 342-4 du Code civil dispose « Les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet d’une renonciation, d’une transaction, ou d’un acquiescement. ».

Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité n’est pas fondé.

Le pourvoi, introduit dans les forme et délai de la loi, est recevable.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la fausse interprétation de l’article 339 alinéa 3 du code civil.

en ce que, pour déclarer non fondé le recours du demandeur au pourvoi, les juges du fond ont établi que :

PERSONNE1.) est, dès lors, sans incidence sur le bien-fondé de l’action intentée par celui-ci sur base de l’article 339 du Code civil. » Alors, que l’article 339 alinéa 3 du code civil dispose que l'enfant de contester la reconnaissance est imprescriptible ».

La volonté de l’enfant PERSONNE2.) de contester la reconnaissance de paternité, a clairement été exprimée par celui-ci dans les conclusions produites devant la Cour d’appel, et rédigées en ces termes :

que les parties concluantes reconnaissent que Monsieur PERSONNE1.) se trouvait dans une impossibilité morale à agir judiciairement en contestation de paternité, pendant la durée où il était uni dans les liens du mariage à Mme PERSONNE3.) et ce jusqu'au jour du jugement de divorce prononcé en date du 8 mars 2017 », Au vu de ce qui précède, il apparait clairement que Monsieur PERSONNE2.) se rallie à la demande en contestation de paternité du demandeur au pourvoi et entend soutenir encore l’argumentation de Monsieur PERSONNE1.) en indiquant que ce dernier était bel et bien dans l’impossibilité morale de contester sa paternité.

Le soutien apporté par Monsieur PERSONNE3.) à l’argumentaire de Monsieur PERSONNE1.) est réalisé précisément afin que soit prononcée la déchéance de paternité de ce dernier ; pour qu’enfin, Monsieur PERSONNE3.) puisse voir établi un lien de filiation conforme à sa réalité biologique et que disparaisse ce lien de filiation artificiel, artificiellement maintenu par les juridictions du fond, l’obligeant à rester lié ad vitam aeternam à un homme qu’il ne considère pas comme son père, qu’il n’a jamais considéré comme son père et qu’il ne considérera jamais comme son père.

Ainsi, la déchéance de paternité est une solution qui est souhaitée par Monsieur PERSONNE2.) comme étant dans son intérêt.

Dès lors, aucune raison ne justifie le maintien d’une filiation artificielle qu’aucune des parties ne souhaite voir perdurer plus longtemps.

En dépit de ce qui précède, les juges du fond ont fait l’économie de constater que l’enfant PERSONNE2.) contestait également la reconnaissance de paternité du demandeur au pourvoi.

En statuant ainsi, la première chambre civile de la Cour d’appel a violé, sinon fait une mauvaise application, sinon eu une interprétation erronée de l’article 339 alinéa 3 du code civil d’après lequel .

L’arrêt encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé, sinon fait une mauvaise application, sinon fait une fausse interprétation de l’article 339, alinéa 3, du Code civil en ne constatant pas que l’enfant PERSONNE2.) contestait également la reconnaissance de paternité du demandeur en cassation.

La demande de PERSONNE1.), auteur de la reconnaissance, ayant été introduite sur base de l’article 339, alinéa 4, du Code civil, la disposition visée au moyen n’avait pas vocation à s’appliquer.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la dénaturation, des conclusions en appel de la partie défenderesse au pourvoi.

en ce que, pour déclarer non fondé le recours du demandeur au pourvoi, les juges du fond ont établi que :

en contestation de reconnaissance de paternité, soulevant une question d'état, sont d'ordre public et échappent à l'emprise des volontés particulières. Le fait que les parties intimées ne s'opposent pas à la demande de PERSONNE1.) est, dès lors, sans incidence sur le bien-fondé de l'action intentée par celui-ci sur base de l'article 339 du Code civil. ».

Or, la censure pour dénaturation constitue une exception à la règle selon laquelle la Cour de cassation est juge en droit et non en fait. Le grief de dénaturation doit être accueilli dans les seuls cas où le juge du fond a, pour se prononcer, donné à un document une signification contraire à son sens clair et précis (Droit et pratique de la cassation en matière civile, Jurisclasseur, Litec, n°241).

D’ailleurs dans un arrêt du 31 octobre 2019 n°138/2019, la Cour de cassation a retenu la dénaturation d’un acte juridique et a prononcé la cassation de l’arrêt entrepris au motif que :

moyen en méconnaissant la convention des parties en ce qu’elle stipulait en des termes non équivoques que la détermination des causes du sinistre et des responsabilités ferait l’objet d’une expertise distincte de celle convenue entre partie le 3 janvier 2000 qui avait eu pour seul objet la détermination des mesures conservatoires à prendre dans l’espace public suite au glissement du terrain du demandeur en cassation.

Il en suit que l’arrêt encourt la cassation. ».

Aussi, il convient de rappeler que de volonté dont l’objet est de produire des effets de droit, relatifs soit à des obligations, soit à d’autres situations juridiques » (Droit civil, Les obligations, Gérard Légier, édition Dalloz p.8).

En l’espèce, les conclusions en appel de la partie défenderesse manifestaient clairement la volonté de l’enfant PERSONNE2.) de contester la reconnaissance de paternité du demandeur au pourvoi.

Partant les conclusions devaient être qualifiées et considérées comme un acte juridique à part entière manifestant la volonté de l’enfant PERSONNE2.) de voir produire des effets juridiques se concrétisant par l’établissement d’une filiation conforme à la réalité biologique.

Or, le raisonnement des juges du fond consistant à retenir que l’action en contestation de paternité échappait à la volonté des parties, démontre que les juges ont traité l’acte juridique constitué par les conclusions en appel comme une simple convention entre parties alors qu’il s’agissait d’une véritable contestation de la reconnaissance de paternité faite par Monsieur PERSONNE3.).

Les juges ne pouvaient pas simplement ignorer la volonté de l’enfant PERSONNE2.) et dénaturer à ce point l’acte juridique contenu dans les conclusions d’appel exprimant une volonté manifeste de contester la reconnaissance de paternité.

En dépit de ce qui précède, les juges ont dénaturé les termes clairs et précis contenus dans les conclusions d’appel de la parti défenderesse au pourvoi.

L’arrêt encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour En retenant « Le fait que les parties intimées ne s’opposent pas à la demande de PERSONNE1.) est, dès lors, sans incidence sur le bien-fondé de l’action intentée par celui-ci sur base de l’article 339 du Code civil. » , les juges d’appel, qui n’étaient pas saisis par l’enfant PERSONNE2.) d’une demande en contestation de la reconnaissance de paternité du demandeur en cassation, ont statué conformément aux conclusions des parties.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré du défaut de réponse à conclusion par la Cour d’appel.

en ce que, les juges du fond ont relevé sans y répondre que :

décembre 2006, époque à laquelle PERSONNE2.) aurait déjà été âgé de sept ans, de sorte qu'il serait impossible qu'il soit le père biologique de celui-ci. La reconnaissance de paternité en août 2011 aurait été, d'une part, un acte de complaisance envers PERSONNE3.) et, d'autre part, un acte lui permettant d'avoir le statut de représentant légal de PERSONNE2.), facilitant l'accomplissement de tâches quotidiennes pour le compte de celui-ci et ce même en l'absence de PERSONNE3.) ».

Les juges du fond se sont contentés de paraphraser le moyen du demandeur au pourvoi tiré de la réalité biologique sans y apporter une réponse juridique.

La Cour d’appel a préféré éluder la question, embarrassante, de la réalité biologique car elle ne sait par quel raisonnement juridique justifier son refus de relever de la déchéance Monsieur PERSONNE1.) alors qu’il est clair que Monsieur PERSONNE1.) n’est pas le père de l’enfant et qu’aucune partie ne souhaite voir ce mensonge perdurer.

Or, la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 15 mai 2009 (n°00050 du registre), a rappelé que . Elle a en outre ajouté que .

En dépit de ce qui précède, les juges du fond n’ont pas répondu au moyen exposé par le demandeur au pourvoi et ont préféré maintenir une paternité fictive.

Or, les juges du fond sont censés faire prédominer la réalité biologique comme cela est prescrit par le législateur de 1979, alors même qu’il est dans l’intérêt de Monsieur PERSONNE2.) de voir établie une filiation conforme à la réalité biologique.

En refusant de se prononcer sur le moyen tiré de la réalité biologique, la première chambre civile de la Cour d’appel est en défaut de réponse à moyen.

Dès lors, l’arrêt encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour Le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

En rappelant que les dispositions de l’article 339, alinéa 4, du Code civil sont d’ordre public et échappent à l’emprise des volontés particulières et en retenant que « Le fait que les parties intimées ne s’opposent pas à la demande de PERSONNE1.) est, dès lors, sans incidence sur le bien-fondé de l’action intentée par celui-ci sur base de l’article 339 du Code civil », les juges d’appel, après avoir constaté que les délais prévus à l’article 339, alinéa 4, du Code civil étaient expirés et que le demandeur en cassation n’avait pas établi qu’il y a eu, dans son chef, impossibilité morale d’agir, ont répondu aux conclusions du demandeur en cassation.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la fausse interprétation de l’article 339 alinéa 6 du code civil.

en ce que, pour déclarer non fondé le recours du demandeur au pourvoi, les juges du fond ont établi que :

vie commune qu'il menait avec cette dernière et PERSONNE2.), sans apporter au soutien de sa demande en relevé de déchéance d'autres arguments spécifiques démontrant qu'il y a eu impossibilité morale d'agir. Or, un tel raisonnement général ne saurait suffire pour justifier sa demande » Alors que le mariage constitue une contrainte morale à part entière, justifiant une impossibilité d’agir dans le chef de l’époux demandant le relevé de déchéance.

En effet, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a retenu que concernant l’action en recherche de paternité exercée par l’enfant son père rendait moralement impossible à M.H. d’agir en justice contre M.W.. La demande de M. PERSONNE4.) à être relevé de la déchéance du délai est dès lors justifiée ». (Tal 9/06/2006 ; n° de rôle : 97817/ n°judoc 99862171) Ainsi, les juridictions du fond ont retenu que le souci de ne pas troubler un mariage constituait une impossibilité morale justifiant le relevé de déchéance de l’enfant.

Or, aucune raison ne saurait justifier un raisonnement différent concernant le père qui invoque de la même manière que par souci de ne pas troubler son propre mariage il était moralement impossible d’entreprendre une action en contestation de paternité durant la durée du mariage.

En l’espèce, Monsieur PERSONNE1.) ne pouvait durant son mariage introduire une action en contestation de paternité, le cas échéant il aurait tout aussi bien fait de préparer les papiers du divorce avec sa femme.

Aucun mariage ne peut survivre à une action en contestation de paternité introduite par l’époux, autant divorcer directement.

En dépit de ce qui précède, les juges du fond n’ont pas retenu que le fait de ne pas vouloir troubler son mariage était une impossibilité morale d’agir dans le chef de Monsieur PERSONNE1.) justifiant un relevé de déchéance, d’autant plus que cette impossibilité morale a été confirmée par la partie défenderesse au pourvoi dans ses conclusions d’appel.

En statuant ainsi, la première chambre civile de la Cour d’appel a violé, sinon fait une mauvaise application, sinon eu une interprétation erronée de l’article 339 alinéa 6 du Code civil d’après lequel .

L’arrêt encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour Sous le couvert de la violation de la disposition invoquée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des éléments de fait invoqués par le demandeur en cassation pour justifier d’une impossibilité morale d’agir dans le délai imparti, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

Sur la demande en allocation d’indemnités de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge des défendeurs en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de leur allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne le demandeur en cassation à payer aux défendeurs en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

le condamne aux dépens de l’instance en cassation.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Théa HARLES-WALCH en présence de l’avocat général Bob PIRON et du greffier en chef Viviane PROBST.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre PERSONNE2.) et PERSONNE3.) en présence du Ministère public (CAS-2023-00006) Le pourvoi en cassation, introduit par PERSONNE1.) par un mémoire en cassation signifié les 16 et 19 décembre 2022 aux parties défenderesses en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 9 janvier 2023, est dirigé contre un arrêt n° 197/22 rendu par la Cour d’appel, première chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 19 octobre 2022 (n° CAL-2022-00524 du rôle). Cet arrêt a été signifié au demandeur en cassation en date du 31 octobre 2022.

Les parties défenderesses en cassation PERSONNE2.) et PERSONNE3.) ont signifié un mémoire en réponse le 23 décembre 2022 et le 5 janvier 2023 et elles l’ont déposé au greffe de la Cour le 11 janvier 2023.

Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer comme recevable.

Sur les faits et antécédents :

En date du 10 août 2011, le demandeur en cassation PERSONNE1.) a signé un acte de reconnaissance établissant sa paternité vis-à-vis de PERSONNE2.), fils de PERSONNE3.).

En date du 19 août 2011. PERSONNE1.) et PERSONNE3.) ont contracté mariage, légitimant ainsi la filiation de PERSONNE2.).

Par jugement rendu en date du 8 mars 2017, le tribunal d’arrondissement de Diekirch a prononcé le divorce entre PERSONNE1.) et PERSONNE3.).

Par assignation du 20 mars 2018, le demandeur en cassation a exercé une action en contestation de la reconnaissance de PERSONNE2.) devant le tribunal d’arrondissement de Diekirch.

Un jugement contradictoire du 22 mars 2022 rendu par le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière civile, a reçu la demande de PERSONNE1.) en la pure forme, s’est déclaré compétent pour en connaître, a dit la demande de PERSONNE1.) de le relever de la déchéance encourue en application de l’article 339, alinéa 4, du Code civil non fondée, a dit la demande irrecevable pour le surplus et a condamné PERSONNE1.) aux frais et dépens de l’instance.

Le demandeur en cassation a relevé appel de ce jugement par exploit d’huissier de justice du 16 mai 2022, en demandant, par réformation, d’entendre dire, principalement, qu’il est en droit de contester sa paternité de PERSONNE2.) et de révoquer sa reconnaissance de paternité, sinon, subsidiairement, de le relever de la déchéance prévue par l’article 339, alinéa 4, du Code civil et, plus subsidiairement, d’ordonner une expertise médicale pour déterminer avec certitude l’existence ou l’absence de lien biologique de paternité entre lui-

même et PERSONNE2.).

Par arrêt du 19 octobre 2022, la Cour d’appel :

«reçoit l’appel en la forme, le déclare non fondé, confirme le jugement entrepris, condamne PERSONNE1.) aux frais et dépens de l’instance d’appel.. » Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur le premier moyen de cassation :

Le premier moyen est tiré de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de la loi, en l’occurrence de l’article 339, alinéa 3, du Code civil.

L’article 339, alinéa 3, du Code civil dispose :

« Le droit de l’enfant de contester la reconnaissance est imprescriptible. » Le moyen fait grief à l’arrêt entrepris d’avoir omis de constater que l’enfant PERSONNE2.) contestait également la reconnaissance de paternité. La volonté de l’enfant de contester la reconnaissance serait clairement exprimée par celui-ci dans les conclusions produites devant la Cour d’appel :

«Attendu que les parties défenderesses ne s’opposent pas à la demande du sieur PERSONNE1.) en contestation de reconnaissance de paternité ;

que les parties concluantes reconnaissent que Monsieur PERSONNE1.) se trouvait dans une impossibilité morale à agir judiciairement en contestation de paternité, pendant la durée où il était uni dans les liens du mariage avec Mme PERSONNE3.) et ce jusqu’au jour du jugement de divorce prononcé en date du 8 mars 2017 ».

La Cour d’appel a déclaré non fondé le recours du demandeur en cassation en retenant que seul PERSONNE1.), l’auteur de la reconnaissance, avait contesté celle-ci et ils ont statué sur la base de l’article 339, alinéa 4, du Code civil :

« L’action en contestation de la paternité de l’enfant PERSONNE2.), dont les parents n’étaient pas mariés au moment de la naissance, constitue une contestation de la reconnaissance d’un enfant né hors mariage et est régie par l’article 339 du Code civil, dont l’alinéa 1er dispose que « tout intéressé peut, par tous moyens, contester la filiation naturelle résultant d’un acte de naissance, d’une reconnaissance ou de la possession continue de l’état d’enfant naturel ».

L’alinéa 4, de l’article 339 du Code civil dispose que « l’auteur de la reconnaissance ne peut plus la contester, si l’enfant a une possession d’état continue et conforme de plus de trois ans, depuis l’acte de reconnaissance, ni si l’enfant a atteint l’âge de six ans accomplis ».

A titre liminaire, il convient de relever que les règles gouvernant l’action en contestation de reconnaissance de paternité, soulevant une question d’état, sont d’ordre public et échappent à l’emprise des volontés particulières. Le fait que les parties intimées ne s’opposent pas à la demande de PERSONNE1.) est, dès lors, sans incidence sur le bien-fondé de l’action intentée par celui-ci sur base de l’article 339 du Code civil.

PERSONNE1.) a introduit sa demande le 20 mars 2018. A l’instar des juges de première instance, la Cour constate que les délais prévus à l’article 339, alinéa 4 du Code civil sont expirés, l’appelant ne soutenant pas qu’il n’y ait pas eu possession d’état continue et conforme de plus de trois ans depuis l’acte de reconnaissance de paternité et PERSONNE2.), né en 1999, ayant été âgé de 17 ans au moment de l’introduction de la demande.

Quant aux délais en question, il résulte des documents parlementaires de la loi du13 avril 1979 portant réforme du droit de la filiation, ayant modifié, entre-autres, l’article 339 du Code civil, que l’exercice de l’action en contestation d’une reconnaissance d’un lien de filiation illégitime doit être limité dans le temps, pour « éviter que l’enfant ne soit l’enjeu des inclinaisons ou dissentiments de ses auteurs (…) le projet de loi interdit cette action après que l’enfant a atteint l’âge de six ans ». Il résulte de l’analyse des travaux parlementaires que le législateur a entendu faire prévaloir l’intérêt de l’enfant, dont le droit de contester la reconnaissance est, par ailleurs, imprescriptible conformément à l’alinéa 3 de l’article 339 du Code Civil.

Au vu des termes précis de l’article 339, alinéa 4, du Code civil et de l’intention du législateur, le moyen de l’appelant tiré de la rupture d’égalité entre les parents en fonction de l’âge de l’enfant n’est pas fondé.» En constatant que l’action en contestation de paternité avait été intentée par l’auteur de la reconnaissance, les juges d’appel n’ont pas appliqué et n’avaient pas à appliquer la disposition légale visée au moyen.

Le moyen n’est pas fondé.

Subsidiairement :

L’arrêt dont pourvoi a constaté que PERSONNE1.) a introduit sa demande le 20 mars 2018 et que les parties intimées ne se sont pas opposées à sa demande.

Sur la base des faits et éléments qu’ils ont constatés et de l’appréciation qu’ils en ont faite, les juges du fond ont pu statuer comme ils l’ont fait sans violer la disposition légale visée au moyen.

Le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation :

Le deuxième moyen de cassation est tiré de la dénaturation des conclusions en appel de la partie défenderesse au pourvoi.

Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, le cas d’ouverture invoqué.

A défaut d’indication de la disposition légale qui aurait été violée, le moyen ne répond pas aux conditions de précision requises par la loi et il doit être déclaré irrecevable.

Subsidiairement :

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué de ne pas avoir tenu compte des conclusions en appel de la partie défenderesse, qui auraient clairement manifesté la volonté de l’enfant PERSONNE2.) de contester la reconnaissance de paternité du demandeur au pourvoi.

Ces conclusions devraient être qualifiées et considérées comme un acte juridique à part entière manifestant la volonté de l’enfant PERSONNE2.) de voir produire des effets juridiques se concrétisant par l’établissement d’une filiation conforme à la réalité biologique.

Le demandeur en cassation n’invoque donc pas une dénaturation de ses propres conclusions, mais de celles d’une autre partie. En matière de défaut de réponse à conclusions, il est admis que « sous réserve de ce qui a été dit du droit du garant d’invoquer les conclusions du garanti contre le demandeur principal, le demandeur au pourvoi n’est recevable qu’à invoquer un défaut de réponse à ses propres conclusions et non aux conclusions d’une autre partie, celle-ci eut-elle avec lui des intérêts communs. » 1 Par analogie, le demandeur au pourvoi n’est recevable qu’à invoquer une dénaturation de ses propres conclusions et non pas une dénaturation des conclusions d’une autre partie, même lorsqu’il a avec cette partie des intérêts communs.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Sur le troisième moyen de cassation :

Le troisième moyen de cassation est tiré du défaut de réponse à conclusion.

Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, le cas d’ouverture invoqué.

A défaut d’indication de la disposition légale qui aurait été violée, le moyen ne répond pas aux conditions de précision requises par la loi et il doit être déclaré irrecevable.

Sur le quatrième moyen de cassation :

Le quatrième moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la fausse interprétation de l’article 339, alinéa 6, du Code civil.

L‘article 339, alinéa 4, du Code civil prévoit que « L'auteur de la reconnaissance ne peut plus la contester, si l'enfant a une possession d'état continue et conforme de plus de trois ans, depuis l'acte de reconnaissance, ni si l'enfant a atteint l'âge de six ans accomplis. » Conformément à l’article 339, alinéa 6, du Code civil, « toutefois, le tribunal peut relever l'intéressé de la déchéance encourue lorsqu'il y a eu impossibilité matérielle ou morale d'agir dans le délai imparti. » L’arrêt dont pourvoi a statué sur la demande de relevé de déchéance par les motifs suivants :

« Le relevé de la déchéance prévu à l’alinéa 6 de l’article 339 du Code civil constitue une simple faculté dont l’application se fait au cas par cas.

1 Jacques et Louis Boré, La cassation en matière civile, Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°77.162 et jurisprudences y citées : Cass. 1e civ., 4 janvier 1965, Bull.civ. I, n°10- Cass. 1e civ. 10 janvier 1995, n°92-21.730, Bull. civ. I, n°24 Les notions d’impossibilité morale et matérielle, dans la mesure où elles constituent des exceptions au principe posé par l’article 339, alinéa 4, du Code civil commandent une appréciation circonspecte in concreto par le juge.

PERSONNE1.) se borne à invoquer le mariage avec PERSONNE3.) et la vie commune qu’il menait avec cette dernière et PERSONNE2.), sans apporter au soutien de sa demande en relevé de déchéance d’autres arguments spécifiques démontrant qu’il y a eu impossibilité morale d’agir.

Or, un tel raisonnement général ne saurait suffire pour justifier sa demande, ceci d’autant moins qu’il résulte des propres déclarations de PERSONNE1.) que sa volonté d’introduire une action en contestation de paternité n’a apparu que suite à la séparation de PERSONNE3.), et donc après l’écoulement des délais prévus à l’alinéa 4 de l’article 339 du Code civil, de sorte que la Cour constate, à l’instar des juges de première instance, que l’impossibilité morale invoquée n’est pas réelle, en ce que l’impossibilité morale d’exercer l’action en contestation présuppose l’existence d’une volonté de ce faire.

De même qu’en première instance, une impossibilité matérielle n’est pas invoquée.

Le jugement déféré est, dès lors, à confirmer en ce que les juges de première instance ont retenu qu’il n’y a pas lieu de relever PERSONNE1.) de la déchéance encourue par application de l’article 339, alinéa 4, du Code civil et que sa demande est à déclarer irrecevable pour le surplus. » Sous le couvert de la violation de la disposition invoquée au moyen, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation par les juges du fond, dans l’exercice de leur pouvoir souverain, des éléments invoqués par le demandeur en cassation pour justifier d’une impossibilité matérielle ou morale d’agir dans le délai imparti.

Cette appréciation échappe au contrôle de votre Cour et le moyen ne saurait être accueilli.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général Marie-Jeanne Kappweiler 15



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 25/05/2023
Date de l'import : 26/05/2023

Numérotation
Numéro d'arrêt : 55/23
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-05-25;55.23 ?

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