GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 48629C du rôle ECLI:LU:CADM:2023:48629 Inscrit le 2 mars 2023
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Audience publique du 23 mai 2023 Appel formé par Monsieur (T), …., contre un jugement du tribunal administratif du 31 janvier 2023 (n° 45857 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 48629C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 2 mars 2023 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (T), né le … à ….. (Libye), de nationalité libyenne, demeurant à L-… …, …, rue …, dirigée contre le jugement rendu le 31 janvier 2023 (n° 45857 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a rejeté son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 mars 2021 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 31 mars 2023 ;
Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 2 mai 2023.
Le 20 novembre 2019, Monsieur (T) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».
1Le même jour, Monsieur (T) fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche dans la base de données du système d’information sur les visas, que Monsieur (T) était titulaire d’un visa lui délivré par les autorités espagnoles valable du 31 janvier 2019 au 1er mars 2019.
Les 10 février, 2 mars, 5 et 14 octobre, ainsi que les 2 et 21 décembre 2020, Monsieur (T) fut entendu sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 16 mars 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », informa Monsieur (T) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 20 novembre 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée la « Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 20 novembre 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 10 février, 2 mars, 5 octobre, 14 octobre, 2 et 21 décembre 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous étiez en possession d’un visa émis par l’Ambassade d’Espagne à Tunis valable du 31 janvier 2019 au 1er mars 2019 et que vous auriez quitté la Libye vers l’Egypte le 23 novembre 2018, avec votre frère, vos sœurs et votre mère.
Vous auriez ensuite continué votre chemin vers la Tunisie. Vous seriez parti vers la République Tchèque en passant par l’Espagne, l’Allemagne et la Pologne. Vous auriez choisi cette destination pour y faire soigner votre mère qui aurait déjà subi une opération en Tunisie en 2015 et aurait eu du mal à marcher. Vous auriez quitté votre pays d’origine à cause de votre appartenance au clan Kadhafi. Vous expliquez aussi que vous auriez vécu pendant cinq ans en Tunisie et en Egypte et que vous auriez pris le temps avant d’introduire une demande de protection internationale car vous en aviez les moyens financiers.
Il ressort du rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes que vous seriez de nationalité libyenne, membre du clan Kadhafi et né à (…..) le … où vous auriez vécu jusqu’en 2011. Vous prétendez d’un côté avoir travaillé de 2008 à 2011 comme officier dans la communication pour la société « (A) » et de l’autre côté avoir travaillé jusqu’à la chute de Kadhafi comme officier pour la sûreté externe, voire, pour le service 2diplomatique dans l’accueil des présidents et des invités à l’aéroport de (…..), respectivement, que vous y auriez travaillé comme garde du corps, respectivement, comme organisateur des rendez-vous et des rencontres des invités avec le Président Kadhafi, respectivement, comme organisateur et contrôleur des déplacements des invités.
En 2011, vous auriez quitté la Libye pour vous installer pendant cinq années en Tunisie et en Egypte, tout en entreprenant des multiples voyages en Libye pour aider votre famille. En 2016, vous seriez retourné en Libye pour aider votre famille à se déplacer et pour intervenir dans les négociations suite à l’enlèvement de votre frère par des milices. Vous seriez resté dans la région de (….) sans y avoir d’adresse fixe et en changeant régulièrement de domicile à cause des pressions et menaces subies par les milices dû au fait de votre appartenance au clan Kadhafi.
Vous prétendez que votre famille serait ciblée à cause de son appartenance au clan Kadhafi et aussi à cause de la position clé que votre père aurait eu sous le régime de Kadhafi.
Vous justifiez la discordance entre votre nom et celui de Kadhafi par le fait que pendant la période de pouvoir de Kadhafi, il aurait été d’usage que le nom Kadhafi ne figure pas sur les documents d’identité des membres de sa famille pour les protéger et leur permettre de voyager librement.
Vous prétendez que vous auriez un lien familial avec Kadhafi et que votre père aurait fréquenté la même école que lui. En plus du soi-disant lien sanguin les liant, après ses études aux Etats-Unis, votre père serait devenu un proche de Kadhafi. Il aurait travaillé dans une (….) d’origine américaine et il n’y aurait, à cette époque, pas eu beaucoup de gens cultivés en Libye pour occuper de tels postes à responsabilité. Cela expliquerait la popularité de votre famille et les conséquences y relative. D’après vous, il serait actuellement impossible de mener une vie normale en Libye. Soit on ferait partie du groupe Al Wifaq de Sarraj ou des milices de Haftar ou comme dans votre cas du clan des Kadhafi. Au final, soit on se ferait assassiner, soit on deviendrait soi-même un assassin.
Vous expliquez qu’entre-temps des milices auraient pris possession de votre maison à (…..), de votre champ agricole et un autre champ agricole familial. Ils les auraient utilisés pour leurs propres besoins et vous n’auriez plus eu droit de vous en approcher.
De 2016 à 2018, vous seriez retourné vivre en Libye bien que vous ayez souvent été obligé à changer de domicile. Vous auriez aussi passé du temps en Tunisie et plusieurs mois au Tchad et au Niger pour échapper aux « chasses à l’homme » par les rebelles qui auraient été à votre recherche.
Fin 2018, vous auriez finalement pris la décision de quitter, ensemble avec votre famille, la Libye et vous vous seriez rendu en Tunisie où vous auriez obtenu un visa pour l’Espagne. Le 23 février 2019 vous seriez arrivé en Espagne et auriez traversé plusieurs pays pour finalement arriver en République Tchèque car on y trouverait les meilleurs médecins pour soigner les problèmes des os. Vous auriez ensuite choisi de continuer votre chemin vers le Luxembourg car ce serait un pays dans lequel il y aurait diverses nationalités, parce qu’on pourrait aussi facilement s’adapter pour y vivre et à cause de la qualité des soins offerts à votre mère.
Vous ajoutez que vous auriez fui votre pays parce que vous auriez été l’une des sources de la guerre entre les milices compte tenu de votre appartenance au clan Kadhafi. Chaque milice vous aurait accusé de collaborer avec une autre milice de sorte que vous auriez constamment été 3mêlé à cette guerre civile. Vous auriez constamment changé de domicile et n’auriez plus eu accès au marché de l’emploi. Vous n’auriez plus reçu de prestations sociales et n’auriez plus eu droit aux soins médicaux. Vous auriez quitté votre ville natale de (…..) pour vous rendre à (….) et votre vie en Libye serait devenue très difficile car les milices auraient pris le contrôle du pays et auraient ordonné des assassinats et des enlèvements. Par ailleurs, vous auriez été activement recherché par une milice qui serait une fois rentrée par force dans votre appartement de (….) selon l’une de vos voisines qui en aurait averti votre mère. Vous auriez également reçu, lorsque vous auriez été en Tunisie, un sms anonyme menaçant vous demandant de vous rendre. Vos déplacements à l’intérieur du pays seraient devenus très risqués cas ces milices auraient chassé toutes les personnes qui auraient de près ou de loin eu un lien avec le clan Kadhafi. Dans ce même contexte, vous prétendez que votre mère n’aurait pas non plus été acceptée dans les hôpitaux libyens et n’aurait pas eu les traitements dont elle aurait eu besoin parce qu’elle aurait été originaire de (…..) et à cause de son accent.
Il convient de noter que votre famille, c’est-à-dire votre mère, vos deux sœurs et votre frère ont aussi introduit des demandes de protection internationale au Luxembourg.
Vous présentez un passeport libyen établi le 12 décembre 2015 ainsi que divers documents transmis par votre avocat destinés à établir qu’il y aurait un lien familial entre vous et Kadhafi et que divers membres de la tribu Kadhafi auraient récemment été confrontés à de graves problèmes voire assassinés.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
Avant tout autre développement rappelons que comme prévu par l’article 10 paragraphe 5 de la Loi de 2015 : « A l’exception des documents d’identité, tout document remis au ministre rédigé dans une autre langue que l’allemand, le français ou l’anglais doit être accompagné d’une traduction dans une de ces langues, afin d’être pris en considération dans l’examen de la demande de protection internationale. ». Une partie des documents remis par votre avocat ne sera donc pas pris en compte dans le cadre de l’examen de votre demande de protection internationale.
Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons 4susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
Monsieur, vous déclarez avoir quitté la Libye en février 2019, en direction de l’Espagne, pays qui vous a délivré un visa, pour y résider pendant une période inconnue avant de notamment gagner l’Allemagne et la Pologne pour finalement vous installer en République Tchèque dans le but d’y faire soigner votre mère. Vous y auriez séjourné pendant huit mois avant de continuer votre chemin vers le Luxembourg. Vous affirmez qu’en République Tchèque vous auriez reçu une autorisation de séjour mais qu’on vous aurait refusé un titre de séjour. Etant donné que la prolongation de votre visa vous aurait également été refusée vous auriez décidé de quitter ce pays et de vous rendre au Luxembourg.
Or, il est évident que tel n’est pas le comportement d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée ou de devenir victime d’atteintes graves et qui serait réellement à la recherche d’une protection internationale. En effet, alors qu’on peut attendre d’une telle personne qu’elle introduise sa demande de protection dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, vous avez donc d’abord choisi de traverser l’Europe en passant notamment par l’Espagne, l’Allemagne et la Pologne et d’aller vous installer en République Tchèque pour y faire soigner votre mère. Ensuite, après avoir compris que vos chances d’obtention d’une protection internationale en République Tchèque seraient faibles, vous avez décidé de vous rendre au Luxembourg, notamment aussi parce que les frais liés au traitement de votre mère y seraient pris en charge. Force est de constater que vous n’avez pas recherché une forme quelconque de protection dans cette multitude de pays sûr rencontrés ; en effet, cette idée ne vous est venue qu’après votre arrivée au Luxembourg.
Un tel comportement ne correspond clairement pas à celui d’une personne qui aurait été forcée à quitter son pays d’origine à la recherche d’une protection internationale et qui aurait été reconnaissante de se voir offrir une protection dans les pays sûrs visités, mais votre façon de procéder traduit un exemple-type de forum shopping en soumettant votre demande dans l’Etat membre qui, selon ce que vous pensez, satisfera au mieux vos attentes. Vous confirmez d’ailleurs vous-même que « On a dû choisir l’endroit où on aura le plus de chance pour être accepté. En République Tchèque, c’est très difficile pour avoir l’asile… Pour demander l’asile il faut regarder de plusieurs points. Concernant la langue, le mode de vie et aussi les soins de ma mère. » (p.13 du rapport d’entretien). Monsieur, votre comportement est clairement celui d’une personne qui tente de s’installer en Europe dans le but d’avoir une meilleure vie et pour échapper à une vie plus précaire dans son pays d’origine. Il est en effet évident que vous et les autres membres de la famille se trouvant au Luxembourg, cherchez par tous moyens de vous installer dans un pays européen prospère qui vous permettrait de construire une nouvelle vie en mettant à profit vos études pour briguer de bons postes au Luxembourg. Votre argument selon lequel il serait compliqué d’obtenir une protection en République Tchèque ne saurait justifier le fait que vous ayez pris la décision de quitter ce pays après y avoir bénéficié de soins médicaux. Il convient en effet de souligner que les 5critères d’octroi de la protection internationale en République Tchèque sont strictement identiques à ceux appliqués au Luxembourg alors qu’ils découlent de la Convention de Genève ainsi que des directives européennes transposées dans ces deux pays.
Or, des motifs économiques, médicaux ou de convenance personnelle ne sauraient toutefois pas justifier l’octroi du statut de réfugié alors qu’ils ne sont nullement liés à un des cinq critères prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques et votre appartenance à un certain groupe social.
A cela s’ajoute qu’il découle de votre récit que vous tentez manifestement de masquer cet aspect de votre demande en tentant par tous moyens, même les plus absurdes, de donner connotation politique à votre récit notamment en essayant de faire croire que vous seriez un membre du clan Kadhafi, clan qui compte des centaines voire des milliers de membres en Libye.
Notons ensuite que vous déclarez qu’en cas de retour dans votre pays, vous risqueriez d’être tué en raison du fait de votre soi-disant appartenance au clan Kadhafi. Vous affirmez que les milices voudraient vous liquider, vous faire disparaître sans traces. Vous seriez particulièrement dans le viseur des milices du fait que votre père aurait occupé un poste de conseiller au sein du clan de Kadhafi et du fait de vos fonctions antérieures.
Avant tout autre développement en cause, je me dois de formuler les doutes les plus formels quant à la sincérité de vos dires au vu des contradictions et incohérences flagrantes ressortant de vos dires, de votre comportement adopté depuis la chute de Kadhafi et de l’absence de toute preuve à l’appui de vos dires.
Tout d’abord vous prétendez ne plus avoir eu de travail depuis 2011 alors que dans votre demande de visa pour l’Espagne introduite en 2019, vous prétendez être un « cadre d’entreprise ».
Dans ce même contexte, vous racontez avoir occupé de nombreux postes tels qu’officier pour la sûreté externe, voire, pour le service diplomatique dans l’accueil des présidents et des invités à l’aéroport de (…..), respectivement, garde du corps, respectivement, organisateur des rendez-vous et des rencontres des invités avec le Président Kadhafi, respectivement, organisateur et contrôleur des déplacements des invités et avoir occupé un poste au sein de la société (A). Il est manifestement invraisemblable qu’une personne ait pu occuper tous ces postes sans être en mesure de prouver ces activités par une quelconque preuve. Ensuite, vous insinuez que tous les membres du clan Kadhafi auraient été chassés de (…..) par d’autres milices. D’après nos recherches, ces affirmations ne correspondent pas à la réalité étant donné que les membres du clan Kadhafi y sont toujours présents et influents à ce jour. Aussi, concernant le fait que toutes les milices vous auraient considérés comme leur ennemi et qu’elles chasseraient les membres du clan Kadhafi, force est de constater que le clan Kadhafi semble s’être lié avec le clan de Haftar et aurait rejoint leurs troupes en 2020.
Un autre point clé de votre récit qui demeure sans preuve tangible est la discordance entre votre nom et celui de Kadhafi. Non seulement votre nom ne renvoie aucunement au clan Kadhafi, mais n’êtes aussi pas en mesure d’apporter une preuve quelconque du changement de votre nom qui aurait été, d’après vous, usuel sous le régime de Kadhafi. Les noms de vos deux cousins paternels que vous mentionnez dans entretien ne concordent également aucunement avec votre 6nom alors que vos cousins paternels devraient en toute logique porter le même nom que vous.
Votre affirmation selon laquelle les membres du clan Kadhafi auraient changé de nom sous son ère pour ne pas être en danger n’emporte pas conviction. Aucune recherche n’a permis de corroborer cette affirmation, affirmation somme toute surprenante alors qu’il paraît totalement illogique que le Président d’un pays décide que les membres de sa famille doivent changer de nom pour les protéger. Quant à la haute fonction qu’aurait occupée votre père sous le régime de Kadhafi, il est surprenant que malgré sa participation à de nombreuses soirées, dîners ou galas, vous ne soyez pas en possession d’une quelconque photo ou preuve tangible prouvant sa participation à au moins l’un de ces évènements. Une telle preuve serait néanmoins aisée à apporter.
Au vu de ce qui précède, votre sincérité ainsi [que] la gravité de votre situation sont formellement remises en doute d’autant plus au vu du comportement que vous avez adopté depuis la chute de Kadhafi en 2011.
Ainsi, vous craindriez pour votre vie, mais auriez attendu l’octroi d’un visa pour quitter le pays alors que vous avez effectué de nombreux voyages vers la Libye entre 2011 et 2016 alors que vous auriez séjourné en Tunisie. Ensuite, vous auriez même décidé de retourner volontairement vivre en Libye entre 2016 et 2018 tout en ayant de nouveau à plusieurs reprises entrepris des voyages à l’étranger suivis de retours volontaires. Finalement, vous auriez décidé de quitter votre pays dans le but de trouver les soins adaptés aux problèmes de santé de votre mère et auriez traversé plusieurs pays de l’Europe sans solliciter de protection internationale.
De plus, vous restez en total défaut de prouver, ne serait-ce qu’une infime partie de vos dires, par une preuve quelconque.
Or, ce constat concerne surtout un des éléments clé de votre récit à savoir votre prétendu lien familial avec le Président Kadhafi. Il peut d’ailleurs être réfuté que vous fassiez partie de son clan sur base de votre seul nom de famille, alors que des personnes libyennes faisant partie de son clan devraient selon toute logique porter le nom de Qadhadhfa, Kadhafa, respectivement, al-Kadhafi. Vous vous trompez d’ailleurs aussi lorsque vous tentez d’expliquer le lien familial qui vous unirait à l’ancien Président. D’abord vous expliquez qu’il serait le cousin de votre père pour ensuite changer de version et finalement en faire de la famille éloignée (p.26 du rapport d’entretien).
Ce constat vaut d’autant plus qu’il paraît inimaginable que les milices anti-Kadhafi qui auraient toujours su où vous vous trouviez n’en aient pas profité pour mettre fin à votre vie, au vu de vos supposés liens directs et familiaux avec leur ancien ennemi primaire, si vraiment celles-ci vous avaient dans leur collimateur à cause de vos liens privilégiés avec le Président Kadhafi ou de ceux de votre famille. De plus, vous racontez que vous auriez à maintes reprises quitté la Libye pour vous rendre en Tunisie, en Egypte, au Tchad ou encore au Niger et seriez à chaque fois revenu volontairement dans votre pays sans jamais rencontrer de souci majeur. Vous seriez même intervenu dans les négociations avec les milices suite à l’enlèvement de votre frère. Or, si vous aviez réellement été recherché par les milices comme vous le prétendez, elles auraient certainement profité de ces nombreuses occasions pour vous arrêter lors d’un de vos déplacements aussi bien internes qu’externes.
7 En effet, « …those who were, or are perceived to have been, high-ranking officials in the Kadhafi regime (including Ministers, Senior Bureaucrats, Military Personnel or Diplomats), or who had close associations with the Kadhafi family, or those associated with the Libyan security forces during the 2011 conflict, face a high risk of both societal and official discrimination throughout Libya. This may include being illegally detained, beaten or tortured; having death threats made against themselves or their families; or being killed. ».
Ainsi, aucun élément concret ne permet de conclure en l’existence d’une quelconque crainte fondée, dans votre chef, en cas de retour en Libye, en raison de prétendus liens avec le clan Kadhafi.
Quand bien même il serait établi que vous auriez par le passé de quelque façon que ce soit été à petite échelle lié au clan Kadhafi, ce qui reste à prouver, ces seuls faits ne sauraient pas non plus suffire pour justifier dans votre chef une crainte fondée de persécution au sens des prédits textes.
En effet, soulevons que « The Kadhafi regime was in power in Libya for 42 years, from 1969 to 2011. Over such a long period of time, the majority of the population would have either worked for, had some association with, or had a member of the family who worked for, or had an association with the regime. DFAT assesses it is unlikely that a Libyan with a low-level association with the regime would face discrimination as a result of this association. ».
Les conclusions tirées ci-dessus ne sauraient pas être ébranlées par une copie non-traduite d’une prétendue carte de sécurité sociale de votre soi-disant père qui démontrerait votre appartenance à la famille Kadhafi. A part le fait que l’authenticité d’une copie ne saurait de toute façon pas être établie (et que le nom indiqué dessus est Al Kadhafi), je rappelle qu’uniquement les documents versés, accompagnés d’une traduction française, allemande ou anglaise sauraient être pris en compte dans le cadre de l’examen de votre demande de protection internationale. Quand bien même cette carte serait prise en compte elle ne démontre en rien qui serait cette personne et encore moins quelle serait le lien entre vous et cette personne.
Il s’ensuit de tout ce qui précède, que vos prétendues craintes par rapport à vos soi-disant liens familiaux avec Kadhafi ou à cause de votre ancienne fonction dans le service de sécurité externe, à les supposer réelles, ce qui n’est pas le cas, sont à percevoir comme étant totalement hypothétiques et non fondées et non pas comme craintes fondées de persécutions au sens de la loi.
Ce constat est encore confirmé par le fait qu’en tant que prétendus membres du clan Kadhafi, vous n’avez après sa chute et son assassinat en 2011, entrepris aucune tentative de fuite réelle et définitive alors que vous auriez vécu pendant plusieurs années en dehors de la Libye. Or, notons qu’on peut évidemment s’attendre à ce qu’une personne qui craint vraiment d’être persécutée dans son pays d’origine cherche un moyen de quitter ce pays le plus rapidement possible et de ne plus y retourner volontairement à maintes reprises. Dans votre cas, certes vous avez souvent changé de pays d’habitation et de domiciles en interne, mais ceci uniquement pour échapper à la situation sécuritaire générale liée à la présence de milices et vous n’avez depuis 2011 effectué aucune démarche pour chercher une protection internationale dans un autre pays.
8Le seul fait qui vous a finalement amené à partir de chez vous, aurait consisté dans l’état de santé de votre mère après vous être vu octroyer des visas pour l’Espagne, huit ans après le début de vos prétendues craintes de mort liées à votre situation personnelle.
A cela s’ajoute qu’il ressort de vos dires que vous auriez donc pendant des années pu profiter d’une certaine liberté de circulation en Libye étant donné que vous auriez plusieurs fois pu changer de ville d’habitation. Or, comme soulevé, vous, en tant que prétendu membre du clan Kadhafi, ne vous seriez pendant toutes ces années pas servi de cette liberté pour tenter une fuite et rechercher une quelconque forme de protection. En tant que personne majeure depuis 1992, vous auriez très bien pu organiser votre vie en fonction de vos besoins personnels sans devoir vous soumettre aux décisions prises par votre mère ou vos frères et sœurs. Vous n’avez manifestement pas estimé votre situation suffisamment grave pour être encore resté pendant plusieurs années en Libye suite à ces prétendus incidents dramatiques, avant de finalement partir pour faire soigner votre mère en Europe. De plus il ressort de votre dossier que vous avez pendant toutes ces années été détenteur d’un passeport émis par les autorités de votre pays d’origine ce qui permet de conclure que ces dernières ne vous auraient aucunement empêché de voyager ni restreint vos droits en Libye.
Ainsi, je soulève en plus qu’il ne vous serait jamais rien arrivé de grave et que le degré de gravité de ces incidents n’équivaut donc pas à un acte de persécution tel que prévu par la loi.
Concernant l’enlèvement dont votre frère aurait été victime en 2015 par une milice qui aurait en fait été à votre recherche, je soulève tout d’abord que cet incident repose sur vos seules explications superficielles et vagues et de nouveau prouvées ou documentées par aucun élément.
Quand bien même cet enlèvement se serait réellement produit, ce qui laisse d’être prouvé, il s’agirait de constater qu’il n’est aucunement établi que ces membres de milice auraient effectivement été à votre recherche et, ne vous trouvant pas, se seraient contentés à enlever votre frère. Il n’est aucunement prouvé que ce problème serait relié à vous et encore moins qu’il serait relié à un des cinq critères susmentionnés. En effet, je soulève qu’il ressort des recherches ministérielles effectuées que ces enlèvements se produisent clairement dans un but lucratif nullement lié à la Convention de Genève. Vous expliquez d’ailleurs que votre frère aurait été libéré contre la cession d’une terre que votre famille aurait possédée.
Quant aux attaques qui auraient été perpétrés par les milices dans vos lieux d’habitation, il n’est tout d’abord nullement établi qu’elles auraient eues un rapport quelconque avec votre famille, alors qu’elles s’inscriraient dans le contexte de la situation sécuritaire générale régnant dans votre pays où s’opposent plusieurs milices.
De plus, il faudrait de nouveau soulever que vous n’avez donc pendant des années entrepris aucune démarche pour vous enfuir de cette situation violente. Cette idée ne vous est venue à l’esprit qu’en 2019, dans le but de faire soigner les problèmes de santé de votre mère en République Tchèque. La gravité de la situation à laquelle vous auriez été confrontée depuis 2011, doit donc forcément être relativisée.
9Au vu de tout ce qui précède, il paraît évident que vous tentez manifestement d’aggraver votre situation en Libye en ajoutant des éléments plus dramatiques pour masquer les réels motifs économiques qui semblent sous-tendre votre demande de protection internationale.
Ce constat vaut d’autant plus au vu de votre comportement après votre départ de votre pays d’origine, caractérisé par votre abstention de solliciter une protection internationale en Espagne, Allemagne, Pologne ou en République Tchèque et votre volonté que vous tentez surtout de vous établir dans un pays dans lequel vous pourriez mener une meilleure vie et bénéficier de prestations médicales et sociales efficaces.
En effet, ce n’est qu’après votre arrivée au Luxembourg, un pays qui pourrait vous garantir un style de vie plus élevé, respectivement qui propose des avantages sociaux ou des prestations sociales plus intéressantes, en apparence, par rapport aux autres pays visités, que vous avez choisi d’introduire une demande de protection internationale en Europe.
Or, un tel comportement ne correspond cependant pas à celui d’une personne qui aurait été forcée à quitter son pays à la recherche d’une protection internationale et qui aurait forcément été reconnaissante de pouvoir profiter de la protection d’un des nombreux pays visités, mais votre façon de procéder correspond à pratiquer du forum shopping en soumettant votre demande dans l’Etat membre qui, vous pensez, satisfera au mieux vos attentes.
Eu égard à ce tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.
L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
10 Alors qu’il est vrai que la situation sécuritaire en Libye reste précaire, vous ne risquez pas d’y subir des menaces et atteintes graves contre votre vie en raison de violences aveugles dans le contexte d’un conflit armé, tel que défini à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Le fait que, jusqu’à votre départ en 2018, vous soyez resté habiter dans la région de (….), pendant des années, après avoir auparavant plusieurs fois pu changer de ville ou de domicile et être à de nombreuses reprises volontairement retourné en Libye, démontre que la seule présence de votre personne sur le territoire libyen n’entraîne pas un risque réel de subir des menaces graves et individuelles. Un constat soutenu par le fait que vous-même n’auriez finalement pris la décision de quitter la Libye que pour faire soigner votre mère en Europe.
D’ailleurs, tel qu’il ressort d’un jugement de la Cour administrative du Luxembourg du 4 octobre 2018, « il n’appert pas que la simple présence d’un individu en Libye, l’expose ipso facto, avec un certain degré de probabilité, à des menaces individuelles graves », jurisprudence qui reste d’actualité.
Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Libye, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2021, Monsieur (T) fit déposer un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 16 mars 2021 tant en ce qu’elle porte refus de sa demande en obtention d’une protection internationale qu’en ce qu’elle lui ordonne de quitter le territoire luxembourgeois.
Par jugement du 31 janvier 2023, le tribunal administratif reçut le recours en réformation en la forme, au fond, le déclara non justifié en ses deux volets et en débouta le demandeur, tout en le condamnant aux frais de l’instance.
Pour ce faire, le tribunal retint en substance que faute d’un récit crédible, Monsieur (T) était resté en défaut de rapporter la preuve qu’il risquerait des persécutions en Libye, relevant plus particulièrement que celui-ci était resté en défaut de rapporter la preuve du prétendu lien familial avec le clan « KADHAFI » et qu’il était également resté très vague dans ses explications quant aux prétendues persécutions subies en raison de ses activités de l’époque pour le régime KADHAFI.
11Le tribunal releva encore dans ce contexte que le demandeur ne fournissait aucune explication de nature à renverser le reproche du ministre relatif au fait d’avoir pu quitter la Libye à plusieurs reprises depuis la chute de Mouammar KADHAFI, et d’y être retourné, sans avoir rencontré un quelconque problème avec les autorités libyennes à ces occasions, étant relevé que durant toutes ces années avant son départ fin 2018, il a été en possession d’un passeport émis par les autorités de son pays d’origine.
De même, à l’instar du ministre, les premiers juges soulevèrent le fait que le demandeur et sa famille n’avaient pas déposé de demande de protection internationale auprès des autorités respectives dans les différents pays traversés après leur arrivée en Europe, à savoir l’Espagne, l’Allemagne, la Pologne et la République tchèque avant de venir au Luxembourg, attitude jugée comme ne correspondant pas au comportement d’une personne réellement persécutée dans son pays d’origine et qui est à la recherche d’une protection internationale.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 2 mars 2023, Monsieur (T) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 31 janvier 2023.
A l’appui de son appel, il renvoie tout d’abord à l’exposé des faits, tel que figurant dans sa requête introductive de première instance. L’appelant fait valoir en substance qu’il serait de nationalité libyenne, originaire de la ville de (…..), et qu’il aurait quitté son pays d’origine du fait des violences exercées à partir de 2011 par les milices et membres de la société environnante en raison de l’appartenance de sa famille au clan dont faisait partie l’ancien dictateur Mouammar KADHAFI.
Il expose dans ce contexte que son arrière-grand-père et l’arrière-grand-père de Mouammar KADHAFI auraient été frères et que lui-même aurait travaillé en qualité d’officier au sein du service de sécurité externe depuis 1993 jusqu’à la chute du régime KADHAFI en octobre 2011, de même qu’il aurait fait partie de la branche de protection de Mouammar KADHAFI et qu’il aurait participé à l’organisation de rencontres diplomatiques avec l’ancien président. Suite à la prise du pouvoir par les milices à partir du mois d’août 2011, il aurait été licencié de son poste et serait devenu la cible directe des milices rebelles. Après un séjour d’une année à (….)s, il aurait été contraint de quitter la Libye pour se réfugier en Tunisie, puis en Egypte, jusqu’en 2016, avant de revenir en Libye où il aurait continué à vivre en cachette jusqu’à son départ de Libye fin 2018 en raison de l’état de santé de sa mère et de l’enlèvement de son frère (K) en 2015.
Concernant le reproche du manque de crédibilité de son récit, tel que retenu par le ministre et les premiers juges, Monsieur (T) estime que son récit serait cohérent et ne serait pas contredit par les informations générales disponibles sur la Libye, de sorte qu’il conviendrait de lui accorder le bénéfice du doute. Il renvoie notamment à la carte de membre de son père à la « … » renseignant le nom patronymique de ce dernier qui serait (X), tout en expliquant que son propre nom patronymique ne renverrait pas au clan KADHAFI en raison de considérations de sécurité décidées depuis les années 70 et 80.
L’appelant soutient ensuite que les faits à la base de sa demande de protection internationale seraient suffisamment graves pour entrer dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Il insiste sur le constat qu’il ferait partie d’un groupe social spécifique, à savoir le clan KADHAFI, ayant une identité propre et étant perçu différemment par les membres de la société libyenne environnante. Ainsi, tant le gouvernement 12d’Union nationale que les forces armées du maréchal HAFTAR, et les milices y rattachées, auraient pour ennemi l’ancien régime et les personnes y affiliées.
Il donne à considérer que toutes les milices commettraient actuellement de graves exactions sans que les autorités en place ne soient capables d’y remédier, de sorte qu’il ne bénéficierait pas d’une protection suffisante de la part de l’Etat libyen contre les agissements desdites milices.
Monsieur (T) estime encore devoir bénéficier des dispositions visées par l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, soutenant qu’il n’existerait aucune « bonne raison » de penser que les faits subis par lui ne se reproduiront pas en cas de retour en Libye au motif que depuis son départ la situation n’aurait pas évolué de manière suffisamment favorable. L’appelant relève encore que toute fuite interne serait impossible dans son chef, étant donné qu’il serait établi à suffisance que sa réinstallation sur une autre partie du territoire libyen serait impossible en termes de sécurité, ce d’autant plus qu’il lui serait difficile de cacher ses origines, et notamment qu’il est natif de la ville de (…..).
Concernant l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, Monsieur (T) estime que les premiers juges auraient conclu à tort que son récit ne contenait pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il encourt un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, la situation actuelle en Libye demeurant particulièrement chaotique pour se caractériser par un effondrement des autorités officielles et la poursuite des combats menés par des milices d’horizons divers. Il renvoie dans ce contexte à un rapport du service de recherche du Parlement européen du mois de novembre 2022, à un rapport de l’organisation « Human Rights Watch », intitulé « Libya- Events of 2020 », ou encore à la position du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sur les retours en Libye (mise à jour II), publiée en septembre 2018, à un article intitulé « l’ONU veut enquêter sur les exactions commises en Libye », à un article intitulé, « Dix ans après la chute de Khadafi, la Libye est devenue une zone de non-droit », publié par l’organisation « Amnesty International France », à un article de presse publié le 9 avril 2019, intitulé « Libye : cinq choses à savoir sur le maréchal Haftar », dans le journal Le Figaro, à la « Country Policy and Information Note » du « Home Office » britannique, publiée en mars 2017, intitulée « Libya : Actual or perceived supporters of former President Gaddafi », ou encore à un article de presse publié le 31 mai 2018 par le média 15-38 Méditerranée, intitulé « A (…..), on avait une position de capitale, maintenant c’est une ville mise à l’écart ».
Enfin et en conséquence des considérations qui précèdent, l’appelant sollicite encore la réformation de l’ordre de quitter le territoire libellé à son encontre, estimant dans ce contexte que ledit ordre serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
L’Etat conclut en substance à la confirmation du jugement dont appel en relevant que Monsieur (T) n’apporterait aucun élément sérieux susceptible de venir infirmer le contenu de la décision ministérielle. Le représentant étatique relève que les développements sommaires et généraux de l’appelant seraient insuffisants pour revenir sur le défaut de crédibilité retenu en l’espèce par les premiers juges.
13Concernant le statut de réfugié, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Il se dégage par ailleurs de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Quant à l’octroi de la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 sub g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, dans le cadre du recours en réformation dans lequel il est amené à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, le juge administratif doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile en ne se limitant pas à la pertinence des faits allégués, mais il se doit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile.
14 Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en l’absence d’éléments de preuve tangibles, le demandeur de protection internationale doit effectivement bénéficier, dans ses déclarations, du doute en application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, si et à condition que son récit puisse être généralement considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible.
Ceci étant dit, la Cour rejoint et fait sienne l’analyse détaillée et pertinente des premiers juges qui les a amenés à retenir que Monsieur (T) est resté en défaut de rapporter la preuve qu’il existerait des raisons sérieuses de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, une crainte fondée de subir des persécutions des persécutions au sens de l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015 ou un risque réel et avéré d’atteintes graves au sens de l’article 48 de ladite loi en relation avec son vécu personnel, au vu des incohérences et contradictions qui affectent son récit dans sa globalité.
A l’instar des premiers juges, la Cour relève que l’appelant ne démontre toujours pas la réalité des liens avec le clan KADHAFI, le simple fait de renvoyer à ce sujet à des photos de mauvaise qualité montrant des personnes non autrement reconnaissables ensemble avec l’ancien dictateur n’établissant pas à suffisance des liens familiaux à la base d’un prétendu risque réel et sérieux de subir des persécutions ou atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015.
C’est encore à bon escient que le ministre, dans sa décision du 16 mars 2021, a relevé que Monsieur (T) est restée en défaut de verser la moindre pièce objective ou preuve tangible permettant de prouver les différents postes occupés par celui-ci sous le régime KADHAFI, à savoir respectivement officier pour la sûreté externe, membre du service diplomatique dans l’accueil des présidents et invités à l’aéroport de (…..), organisateur et contrôleur des déplacements des invités ou encore officier dans la communication pour la société (A), la Cour estimant à son tour qu’il est manifestement invraisemblable qu’une personne ne peut pas rapporter la moindre preuve en relation avec cette multitude de postes à responsabilité occupés.
A l’instar du ministre, la Cour se doit également de noter que depuis la chute du régime KADHAFI en 2011, Monsieur (T), d’après ses dires, s’est installé pendant 5 années en Tunisie, tout en entreprenant de multiples voyages en Libye pour soutenir sa famille avant de s’installer à nouveau dans son pays d’origine en 2016. Par la suite, il a encore entrepris à maintes reprises des voyages en Tunisie, en Egypte, au Tchad ou encore au Niger, sans jamais rencontrer le moindre problème avec une des milices au pouvoir, situation qui n’est pas celle d’une personne recherchée pour ses liens avec l’ancien dictateur. Ce constat se trouve encore confirmé par le fait qu’entre 2016 et fin 2018, l’appelant a bénéficié d’une liberté de circulation certaine en Libye, puisque d’après ses propres déclarations il a souvent changé de domicile et il n’a jamais été arrêté par les autorités en place ni subi le moindre acte de persécution concret avant son départ de Libye le 23 novembre 2018, départ qui s’est passé sans le moindre problème par avion avec son passeport muni d’un visa pour l’Espagne.
Le manque de crédibilité du récit de Monsieur (T) se trouve encore conforté par l’attitude adoptée par celui-ci suite à son arrivée en Europe. Ainsi, il est plus que singulier de noter que l’appelant, 15ensemble avec sa famille, n’a pas recherché la moindre protection auprès des autorités des différents pays traversés après leur arrivée en Europe, à savoir l’Espagne, l’Allemagne, la Pologne et finalement la République tchèque, où l’appelant a séjourné pendant plus de 8 mois avant de venir au Luxembourg. Cette attitude constitue un indice supplémentaire que l'intéressé n'a pas réellement senti de besoin d'une protection internationale et que ses déclarations sont à apprécier avec précaution, une personne ayant réellement un besoin de protection ne manquant a priori pas de la solliciter dès qu’elle le peut et non seulement au bout d’un long périple lorsqu’elle est arrivée dans le pays de son choix. En tout état de cause, la Cour tient à rappeler que les demandeurs de protection internationale ne sont ni censés, ni autorisés à opérer un choix par rapport au pays d’introduction de leurs demandes pour s’installer là où les meilleurs soins médicaux, les prestations sociales les plus avantageuses et les meilleures conditions matérielles sont garantis.
Finalement, loin de clarifier en instance d’appel la conclusion de l’autorité ministérielle et des premiers juges en relation avec le manque de crédibilité de son récit, Monsieur (T) ne fournit que des explications générales guère convaincantes sans clarifier les doutes sérieux que ce constat génère logiquement à propos des faits de persécution ou atteintes graves actuellement allégués.
Ainsi, le récit de l’appelant, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre, l’intéressé apparaissant au contraire tenter sciemment d’induire en erreur au sujet de son vécu, de sorte qu’il a lieu de retenir l’absence de raisons crédibles de croire que l’appelant encourrait ou encourt, en cas de retour en Libye, un risque réel et avéré de subir des actes de persécution ou atteintes graves, les craintes mises en avant étant à percevoir comme étant purement hypothétiques.
Il découle de ce qui précède que l’appelant n’a pas fait état de manière crédible qu’il a des raisons fondées de craindre d’être persécuté en cas de retour dans son pays ou qu’il y encourt un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b), de la loi du 18 décembre 2015, par rapport aux faits allégués.
Quant à l’existence en Libye d’une situation de conflit armé interne au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, avec des menaces concrètes graves et individuelles contre la vie ou la personne des civils y vivant, il convient de rappeler que l’existence d’un conflit armé est une condition nécessaire à l’application de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, mais en soi ne suffit pas pour octroyer ce statut de protection subsidiaire. Il faut en plus que la situation dans le pays en question corresponde à un contexte de violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne ou international. En revanche, lorsque la violence prévalant dans le pays ou la région concernés n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait, du seul fait de sa présence, dans le pays ou la région en question, un risque réel de subir une telle menace, il appartient au demandeur de démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle.
Or, si les éléments d’information produits en cause mettent certes en exergue l’existence d’un conflit armé interne en Libye, il ne ressort pas des éléments d’appréciation soumis que la simple présence d’un civil serait suffisante pour établir un risque réel d’y subir des atteintes graves en relation avec une situation devant être qualifiée de conflit armé interne au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015. La Cour relève dans ce contexte que Monsieur (T) est resté en défaut, également en instance d’appel, d’apporter des éléments suffisants desquels se 16dégagerait qu’il serait susceptible de risquer sa vie en raison de sa seule présence sur le territoire libyen, conclusion qui se recoupe avec la constat de la Cour que l’appelant a bénéficié d’une liberté de circulation certaine en Libye, celui-ci n’ayant jamais été inquiété par les autorités en place ni subi la moindre atteinte grave concrète avant son départ de Libye fin 2018.
Comme l’appelant n’a pas non plus rapporté la preuve, tel que retenu ci-avant, qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, la Cour ne saurait déceler aucune indication de l’existence de sérieux motifs de croire qu’il serait exposé, en cas de retour en Libye à un risque réel d’y subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et des éléments à sa disposition, la Cour est amenée à conclure à son tour que les craintes dont l’appelant fait état ne sont pas de nature à justifier dans son chef l’octroi de l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée sa demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.
Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.
En effet, comme il a été retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder à l’appelant l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité, ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.
De surcroît, le moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008 est à rejeter comme inopérant, étant donné qu’aux termes de l’article 2, paragraphe 1er, de cette loi, les dispositions de ladite loi ne sont pas applicables aux demandeurs de protection internationale.
L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
reçoit l’appel du 2 mars 2023 en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant ;
partant, confirme le jugement entrepris du 31 janvier 2023 ;
17 donne acte à l’appelant qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour ….
s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 mai 2023 Le greffier de la Cour administrative 18