CN° T 24-81.555 FS-B
N° 00416
SB4
29 AVRIL 2025
IRRECEVABILITE
DECHEANCE
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 29 AVRIL 2025
M. [I] [Z], les sociétés [4] et [5] et la société [3], partie intervenante, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 15 février 2024, qui, pour blessures involontaires et infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, a condamné, le premier, à six mois d'emprisonnement avec sursis et deux amendes, la deuxième, à deux amendes et l'affichage de la décision, a déclaré irrecevable l'appel par la troisième du jugement du tribunal correctionnel l'ayant condamnée à deux amendes et l'affichage de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la société [1], les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société [3], les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [G] [H], et les conclusions de M. Bigey, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, M. Coirre, Mme Hairon, M. Busché, Mme Carbonaro, conseillers, MM. Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Bigey, avocat général, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le tribunal correctionnel a déclaré plusieurs prévenus, dont M. [I] [Z], président de la société [2], représentante légale des sociétés [4] et [5], ainsi que ces deux sociétés, coupables d'infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs et de blessures involontaires avec incapacité totale de travail de plus de trois mois au préjudice de M. [G] [H], reçu en sa constitution de partie civile.
3. La caisse primaire d'assurance maladie et les sociétés [3] et [1] sont intervenues à la procédure en qualité, la première, d'assureur d'une société tierce, la seconde, d'assureur des deux sociétés condamnées.
4. La société [5] a fait l'objet d'une fusion-absorption par la société [4], devenue effective le 30 septembre 2021.
5. M. [Z], les sociétés [5] et [4], le procureur de la République, les parties civiles et la caisse primaire d'assurance maladie ont relevé appel du jugement.
Examen de la recevabilité du pourvoi de la société [5]
6. Le pourvoi de la société [5], postérieur au 30 septembre 2021, est irrecevable en ce qu'il a été formé par une personne morale qui n'avait plus d'existence juridique.
Déchéance du pourvoi formé par la société [3]
7. La société [3] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
8. Il ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a jugé qu'en conséquence des déclarations d'irrecevabilité de l'appel principal interjeté par la société [5] pour défaut de personnalité morale à l'encontre du jugement du tribunal correctionnel de Nantes en date du 23 septembre 2021 et, par voie de conséquence, de l'appel incident interjeté par le ministère public à l'encontre de la société [5], les dispositions du jugement du tribunal correctionnel de Nantes en date du 23 septembre 2021 sur la culpabilité et les peines principales et complémentaires prononcées à l'égard de la société [5] étaient définitives, alors « que la fusion-absorption opère la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante qui acquiert, de plein droit, à la date d'effet de la fusion-absorption, la qualité de partie aux instances engagées par ou contre la société absorbée ; qu'il en résulte, dans l'hypothèse où une société a fait l'objet d'une fusion-absorption par une autre dont la date d'effet est postérieure au prononcé du jugement de première instance, que l'appel interjeté par cette autre société à l'encontre des dispositions du jugement de première instance la concernant constitue un appel interjeté à l'encontre des dispositions du jugement de première instance concernant la société absorbée ; qu'en jugeant, dès lors, qu'en conséquence des déclarations d'irrecevabilité de l'appel principal interjeté par la société [5] pour défaut de personnalité morale à l'encontre du jugement du tribunal correctionnel de Nantes en date du 23 septembre 2021 et, par voie de conséquence, de l'appel incident interjeté par le ministère public à l'encontre de la société [5], les dispositions du jugement du tribunal correctionnel de Nantes en date du 23 septembre 2021 sur la culpabilité et les peines principales et complémentaires prononcées à l'égard de la société [5] étaient définitives, quand elle relevait que la société [5] avait fait l'objet d'une fusion-absorption par la société [4] dont la date d'effet était le 30 septembre 2021 et quand il en résultait que l'appel interjeté, le 1er octobre 2021, par la société [4] à l'encontre des dispositions du jugement du tribunal correctionnel de Nantes en date du 23 septembre 2021 la concernant constituait un appel interjeté à l'encontre des dispositions du jugement du tribunal correctionnel de Nantes en date du 23 septembre 2021 concernant tant la société [4] que la société [5] et que, par suite, les déclarations d'irrecevabilité de l'appel principal interjeté par la société [5] pour défaut de personnalité morale à l'encontre du jugement du tribunal correctionnel de Nantes en date du 23 septembre 2021 et, par voie de conséquence, de l'appel incident interjeté par le ministère public à l'encontre de la société [5], ne rendaient pas définitives les dispositions du jugement du tribunal correctionnel de Nantes en date du 23 septembre 2021 sur la culpabilité et les peines principales et complémentaires prononcées à l'égard de la société [5], la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 236-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Examen de la recevabilité du moyen, contestée en défense
10. M. [H] oppose, en défense, la nouveauté et partant l'irrecevabilité du moyen tirée de l'absence de caractère définitif des dispositions du jugement relatives à la culpabilité et aux peines principales et complémentaires prononcées à l'égard de la société absorbée [5] en raison de l'appel formé par la société absorbante [4].
11. Cependant, les dispositions relatives aux formes et délais d'appel, qui sont d'ordre public et dont l'inobservation entraîne une nullité qui peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation ou même suppléée d'office, sont impératives.
12. En outre, le moyen n'est pas nouveau dès lors que, par ses conclusions d'appel, la société [4] a demandé la relaxe de la société [5], aux droits de laquelle elle affirmait venir.
13. Ainsi, le moyen est recevable.
Sur le moyen en ce qu'il critique la déclaration d'irrecevabilité de l'appel de la société [5] et de l'appel incident du ministère public concernant cette société
14. Pour déclarer irrecevable l'appel de la société [5] et l'appel incident du ministère public la concernant, l'arrêt attaqué énonce que, conformément aux dispositions de l'article L. 236-3 du code de commerce, une société absorbée étant dissoute sans liquidation, elle disparaît à la date de la fusion-absorption, si bien qu'au moment auquel l'appel a été formé, soit le 1er octobre 2021, cette société, absorbée le 30 septembre 2021 par la société [4], était dépourvue de personnalité juridique.
15. Les juges ajoutent que, par voie de conséquence, l'appel incident du ministère public à l'encontre de la société [5] est irrecevable.
16. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
17. Le grief doit donc être écarté.
Mais sur le moyen en ce qu'il critique la déclaration du caractère définitif du jugement dont il était relevé appel
Vu l'article 509 du code de procédure pénale :
18. Il résulte de ce texte que l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et la qualité de l'appelant et qu'en cas de contestation sur l'étendue de sa saisine, c'est au seul vu de l'acte d'appel qu'il appartient à la juridiction du second degré, sous le contrôle de la Cour de cassation, de se déterminer. Les limitations et restrictions doivent ressortir nettement des termes mêmes de l'acte d'appel.
19. Pour déclarer le jugement définitif en ce qu'il a déclaré la société [5] coupable des faits et prononcé des peines à son encontre, l'arrêt attaqué énonce que ce constat découle de l'irrecevabilité de l'appel que cette dernière a formé postérieurement à la fusion-absorption dont elle a fait l'objet par la société [4].
20. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a constaté que la société [4] venait aux droits de la société [5] et qu'elle avait présenté des conclusions articulant des moyens de droit au soutien de l'appel concernant les dispositions du jugement relatives à la société absorbée, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
21. En effet, il ne résulte d'aucune mention de l'acte d'appel que la société absorbante ait entendu limiter l'objet et les effets de son appel à la seule déclaration de culpabilité la concernant personnellement, à l'exclusion de celle relative aux faits commis par la société absorbée avant la date de la fusion-absorption.
22. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
23. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de statuer sur l'appel de la société [4] relatif à la déclaration de culpabilité de la société [5], aux droits de laquelle elle vient, et sur l'appel incident du ministère public concernant les poursuites dirigées contre cette dernière société.
24. La cassation sera étendue à la peine prononcée à l'encontre de la société [4], société absorbante, même si la déclaration de culpabilité la concernant n'encourt pas la censure.
25. En effet, celle-ci venant aux droits de la société [5], société absorbée, il appartiendra à la juridiction saisie sur renvoi après cassation, dans l'éventualité d'une déclaration de culpabilité au titre des faits commis par la société absorbée, de statuer sur la peine à l'encontre de la seule société absorbante pour les faits commis personnellement par cette dernière et ceux commis par la société aux droits de laquelle elle vient.
26. Dans cette éventualité, la peine devra être motivée au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité, de la situation personnelle de chacune des deux sociétés au moment des faits et postérieurement, et si la juridiction prononce une ou des amendes, en tenant compte des ressources et des charges de la société absorbante au moment où la juridiction statue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par la société [5] :
Le DECLARE le pourvoi IRRECEVABLE ;
Sur le pourvoi formé par la société [3] :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur le pourvoi formé par la société [4] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 15 février 2024, mais en ses seules dispositions relatives au caractère définitif du jugement sur l'action publique concernant les faits objet de la poursuite dirigée contre la société [5] et à la peine prononcée à l'encontre de la société [4], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf avril deux mille vingt-cinq.