CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 avril 2025
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 352 F-B
Pourvoi n° B 23-11.731
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 AVRIL 2025
La société [5], société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la Selas [7], a formé le pourvoi n° B 23-11.731 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2022 par la cour d'appel d'Orléans (chambre des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Nièvre, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à Mme [C] [K], domiciliée [Adresse 3],
3°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lerbret-Féréol, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société [5], de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [K], et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Lerbret-Féréol, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 6 décembre 2022), Mme [K] (la victime), salariée de la société [5], venant aux droits de la Selas [7] (l'employeur), a, le 2 avril 2013, souscrit une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, accompagnée d'un certificat médical initial faisant état d'un état dépressif, d'insomnies et de cauchemars.
2. Après instruction du dossier et avis favorable d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, la caisse primaire d'assurance maladie de la Nièvre (la caisse) a pris en charge la pathologie au titre de la législation professionnelle.
3. La victime a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter sa contestation relative au taux d'incapacité permanente prévisible de la victime, alors :
« 1°/ que la faute inexcusable de l'employeur ne peut être retenue que pour autant que l'affection dont souffre la victime revêt le caractère d'une maladie professionnelle ; qu'en défense à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, l'employeur peut donc contester l'origine professionnelle de la maladie ; que, dans le cadre d'une faute inexcusable afférente à une maladie hors tableau, l'employeur est fondé à contester le taux d'incapacité permanente prévisible reconnu à la victime qui a entraîné la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles dont l'avis, s'imposant à la caisse, a abouti à la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie ; que, pour estimer « qu'il n'y avait pas lieu de remettre en cause le taux prévisible fixé par le médecin conseil », la cour d'appel a retenu que « la maladie déclarée par la salariée est une maladie hors tableau relevant de l'article L. 461-1 alinéa 4 et qu'il s'avère que le colloque décisionnel du 9 septembre 2013 établi par le médecin conseil de la caisse fait état d'une incapacité permanente partielle supérieure à 25 % justifiant la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 6] et que le rapport du contrôle médical de l'organisme gestionnaire figure parmi les éléments dont ce comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles a pris connaissance », puis la cour d'appel a ajouté « que l'employeur ne saurait se prévaloir de l'absence d'information médicale de la part de la caisse pour la détermination du taux d'incapacité permanente partielle prévisible dont l'évaluation est distincte de celle du taux d'incapacité permanente partielle définitif » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 461-1 alinéa 4, R. 461-8, D. 461-29 et D. 461-30 du code de la sécurité sociale ;
2°/ subsidiairement que si l'avis du médecin conseil s'impose à la caisse, il ne s'impose pas à la juridiction de sécurité sociale qui est un organe juridictionnel de pleine juridiction ayant le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision prise par l'organisme social ainsi que celle prise par le médecin conseil ; que, dans un moyen entier de ses écritures, l'employeur offrait de prouver que les certificats médicaux initiaux avaient été obtenus frauduleusement et que, même en se fondant sur ceux-ci, l'incapacité permanente prévisible ne pouvait atteindre le seuil de 25 % ; qu'en retenant « qu'il n'y avait pas lieu de remettre en cause le taux prévisible fixé par le médecin conseil », sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si l'incapacité permanente prévisible était réellement supérieure à 25 %, la cour d'appel a méconnu ses prérogatives juridictionnelles, en violation des articles L. 461-1 alinéa 4, R. 461-8, D. 461-29 et D. 461-30 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 461-1, alinéa 4, du code de la sécurité sociale, peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau des maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage fixé à 25 % par l'article R. 461-8.
6. Selon l'article D. 461-30 du même code, la caisse primaire d'assurance maladie saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles après avoir recueilli, notamment, le rapport du service du contrôle médical qui, aux termes de l'article D. 461-29, comprend, le cas échéant, le rapport d'évaluation du taux d'incapacité permanente de la victime.
7. Pour l'application de ces dispositions, le taux d'incapacité permanente à retenir pour l'instruction d'une demande de prise en charge d'une maladie non désignée dans un tableau des maladies professionnelles est celui évalué par le service du contrôle médical dans le dossier constitué pour la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, dit « taux prévisible », et non le taux d'incapacité permanente fixé après consolidation de l'état de la victime pour l'indemnisation des conséquences de la maladie. En raison de son caractère provisoire, le taux prévisible n'est pas notifié aux parties. Il ne peut, dès lors, être contesté par l'employeur pour défendre à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable.
8. L'arrêt relève que la maladie déclarée par la victime est une maladie hors tableau et constate que le colloque établi par le médecin conseil de la caisse fait état d'une incapacité permanente supérieure à 25 %, justifiant la saisine d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Il énonce que l'évaluation du taux d'incapacité permanente prévisible est distincte de celle du taux d'incapacité permanente définitif et ne relève pas du contentieux technique.
9. De ces énonciations et constatations, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, en a exactement déduit que le taux prévisible fixé par le médecin conseil ne pouvait être remis en cause par l'employeur, de sorte que la contestation de ce taux, formée par ce dernier, devait être rejetée.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [5], venant aux droits de la Selas [7], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [5], venant aux droits de la Selas [7], et la condamne à payer à Mme [K] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix avril deux mille vingt-cinq.