N° Z 24-80.572 F-B
N° 00282
RB5
11 MARS 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 MARS 2025
M. [W] [C] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 21 décembre 2023, qui, pour injure publique à raison du sexe et refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire personnel et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 février 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par courrier du 5 décembre 2018, Mme [U] [B] a déposé plainte auprès du procureur de la République pour harcèlement moral au moyen d'un service de communication au public et menaces de mort en raison du genre. Elle expliquait qu'après avoir publié, le 25 juillet 2018, pour dénoncer le harcèlement et les violences faites aux femmes dans l'espace public, la vidéo de l'agression qu'elle avait subie dans la rue la veille, faits pour lesquels son agresseur avait été condamné, vidéo visionnée plus de huit millions de fois et ayant donné lieu à la création d'une plateforme « NousToutesHarcèlement », elle avait fait l'objet, entre août et octobre ou novembre 2018, de nombreux messages de haine sur les réseaux sociaux. Elle produisait la copie écran, non datée, de deux messages de l'utilisateur « [S] [P] » qui avait notamment écrit : « [U], tu as insulté et injurié d'un doigt d'honneur un mec, si j'avais été à sa place j'taurai sûrement massacré, sale merde! P.S: t'es trop moche pour te faire draguer ».
3. Une enquête préliminaire a été ouverte par soit-transmis du procureur de la République de Paris du 28 janvier 2019.
4. Entendue le 31 mai suivant par les services de police, Mme [B] a confirmé les termes de sa plainte.
5. A la suite de réquisitions adressées, entre mai et septembre 2019, le compte utilisateur « [S] [P] » a été identifié comme susceptible d'être attribué à M. [W] [C].
6. Par soit-transmis du 25 septembre 2020, le procureur de la République de Paris s'est dessaisi au profit du procureur de la République de Nancy compte tenu de la domiciliation de M. [C].
7. Par soit-transmis du 16 décembre suivant, ce dernier magistrat a demandé aux enquêteurs de poursuivre l'enquête.
8. M. [C] a été entendu le 9 mars 2021. Il a refusé de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques. Il a été entendu sur ces faits le 28 avril 2022, sur procédure incidente.
9. Le même jour, M. [C] a fait l'objet d'une convocation par officier de police judiciaire pour comparaître devant le tribunal correctionnel des chefs d'injure publique à raison du sexe, faits commis entre le 25 juillet 2018 et le 30 novembre 2018, et refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, faits commis le 9 mars 2021.
10. Le tribunal correctionnel a déclaré M. [C] coupable des chefs susvisés et l'a notamment condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 800 euros d'amende.
11. M. [C], puis le ministère public, ont interjeté appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les deuxième et quatrième moyens
12. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi selon les termes de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen est pris de la violation de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupable et condamné M. [C] du chef d'injure en raison du sexe, alors que la publication litigieuse, estimée aléatoirement entre le 25 juillet et le 30 novembre 2018, a fait courir le délai de prescription de trois mois lequel n'a pas été interrompu par des réquisitions articulant et qualifiant les faits ; qu'il appartenait à la cour d'appel de relever une telle exception péremptoire et d'ordre public.
Réponse de la Cour
15. Pour condamner le prévenu du chef d'injure publique à raison du sexe et rejeter l'exception de prescription de l'action publique, l'arrêt attaqué énonce que des actes interruptifs sont intervenus tout au long de la procédure, avant l'expiration du délai d'un an, prévu par l'article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
16. En statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application du texte visé au moyen pour les motifs qui suivent.
17. D'une part, si l'enquête préliminaire a été ouverte et conduite sur le fondement d'infractions relevant du droit commun, dès lors que les poursuites ont été engagées du chef d'une infraction relevant de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les règles spécifiques prévues par ce texte sont seules applicables, le délai de prescription pour le délit d'injure publique à raison du sexe étant d'un an, en application de l'article 65-3 de cette loi.
18. D'autre part, il résulte de ce même texte que, pour ce délit, le deuxième alinéa de l'article 65 n'est pas applicable, de sorte que la prescription de l'action publique est valablement interrompue, avant l'engagement des poursuites, conformément à l'article 9-2, 2°, du code de procédure pénale, notamment par tout acte d'enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction.
19. En l'espèce, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que les propos litigieux, publiés à une date comprise entre le 25 juillet et le 20 novembre 2018, ont fait courir la prescription d'un an, laquelle a été interrompue par le soit-transmis du procureur de la République du 29 janvier 2019, par l'audition de la victime par les enquêteurs le 31 mai 2019 et par les réquisitions adressées par les enquêteurs entre le 12 juin et le 9 décembre 2019 et leur exploitation le 26 mai 2020, actes qui constituent des actes d'exécution des réquisitions aux fins d'enquête précitées. Puis, en exécution d'un second soit-transmis du procureur de la République du 16 décembre 2020, M. [C] a été entendu le 9 mars 2021 avant que le 24 février 2022, à l'issue du compte-rendu d'enquête, le procureur de la République donne pour instructions de le convoquer devant le tribunal correctionnel, ladite convocation lui ayant été délivrée le 28 avril suivant, de sorte que la prescription de l'action publique n'est pas acquise.
20. Dès lors, le moyen doit être rejeté.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
21. Le moyen est pris de la violation des articles 33, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, 591 et 593 du code de procédure pénale.
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupable et condamné M. [C] du chef d'injure publique à raison du sexe, alors que la cour d'appel n'a pas suffisamment caractérisé l'identification, comme auteur de la publication litigieuse, de M. [C], qui contestait que le numéro de téléphone attribué au profil [1] ainsi que l'adresse électronique n'étaient pas les siens au moment des faits, et, ne répondant pas aux conclusions du demandeur, qu'elle n'a pas recherché si la responsabilité pénale de ce dernier pouvait être engagée en une autre qualité que celle d'auteur des propos.
Réponse de la Cour
23. Pour condamner le prévenu du chef d'injure publique à raison du sexe, l'arrêt attaqué énonce notamment que son identification comme auteur du message incriminé résulte des vérifications techniques effectuées par le service enquêteur, les lignes téléphoniques et l'adresse électronique utilisée pour créer le profil « [S] [P] » correspondant à l'adresse électronique de M. [C] et au numéro de téléphone de sa mère.
24. En l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus devant elle, la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, justifié sa décision.
25. Ainsi, le moyen, inopérant en ce qu'il reproche à la cour d'appel de ne pas avoir recherché s'il pouvait être condamné en une autre qualité que celle retenue, doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
26. Le moyen est pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 55-1, 585, 706-54, 706-55, 706-56, 593 du code de procédure pénale et 132-1 du code pénal.
27. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupable et condamné M. [C] du chef de refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, alors :
1°/ que la cour d'appel aurait dû rechercher, comme elle y était invitée, si l'incrimination en elle-même, et non uniquement la sanction pénale, n'entraînait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect à la vie privée du prévenu dès lors que l'injure à raison du sexe qui lui est reprochée s'inscrivait dans l'exercice de sa liberté d'expression sur un sujet d'intérêt général ;
2°/ qu'en prononçant une peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis, la cour d'appel n'a pas motivé sa décision sur le caractère proportionné de la peine prononcée pour le refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques par rapport à celle encourue pour les infractions à l'occasion desquelles ces prélèvements ont été demandés ;
3°/ que l'arrêt, qui condamne M. [C] à quatre mois d'emprisonnement avec sursis en retenant dans ses motifs qu'il a commis des faits graves relevant du mépris de la dignité d'autrui ainsi que la volonté de nuire à la partie civile, comporte une contradiction de motifs.
Réponse de la Cour
28. Pour écarter le moyen pris de l'atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de la condamnation pour refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, l'arrêt attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, que le prévenu a commis des faits graves révélant un mépris de la dignité d'autrui ainsi que la volonté de nuire à la partie civile qui a voulu dénoncer le harcèlement et les violences faites aux femmes dans l'espace public, en s'associant à une opération de dénigrement susceptible de l'affecter sur le plan psychologique.
29. Les juges ajoutent que, malgré les éléments de preuve réunis, M. [C] a continué à nier les faits, ne démontrant pas ainsi une véritable prise de conscience de cette gravité.
30. En l'état de ces énonciations, relevant de son appréciation souveraine, la cour d'appel, qui a répondu, par des motifs exempts de contradiction, aux conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.
31. Ainsi, le moyen, nouveau et mélangé de fait en sa première branche et comme tel irrecevable, doit être écarté.
32. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille vingt-cinq.