N° K 23-84.994 F-B
N° 00028
ODVS
14 JANVIER 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 JANVIER 2025
M. [F] [Y], partie civile, et le [2], partie intervenante, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 29 juin 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [J] [T] des chefs de blessures involontaires et contravention au code de la route, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [F] [Y], les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du [2], et les conclusions de M. Bigey, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [F] [Y] a été gravement blessé lors d'un accident de la circulation survenu alors qu'il était le passager d'un véhicule conduit par M. [J] [T].
3. Par jugement devenu définitif, le tribunal correctionnel a déclaré M. [T] coupable des chefs de blessures involontaires et défaut de maîtrise et l'a dit entièrement responsable du préjudice subi par M. [Y].
4. Le prévenu n'étant pas assuré pour la conduite du véhicule au moment des faits, le [2] ([2]) a été attrait à l'instance.
5. Par jugement ultérieur sur les intérêts civils, le tribunal a notamment condamné M. [T] à payer une somme totale de 2 902 426,76 euros à M. [Y] en réparation de ses préjudices.
6. M. [Y] et le [2] ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et troisième moyens proposés pour M. [Y]
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur les premier, deuxième et troisième moyens proposés pour le [2]
Enoncé des moyens
8. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [T] à verser à M. [Y] de 388 504,89 euros au titre des aides techniques, alors :
« 1°/ d'une part, que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'il en résulte que la capitalisation d'une rente indemnitaire portant sur des équipements renouvelables périodiquement doit s'opérer, pour l'avenir, au regard de l'âge de la victime à la date du premier renouvellement de chacun de ces équipements; qu'en se fondant toutefois, pour indemniser le poste de dépenses de santé future, sur « l'âge de la victime au jour de la décision » et non sur l'âge de celle-ci au jour du renouvellement de chacun des équipements rendus nécessaires par son état, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles 1382 devenu 1240 du code civil et 2 et 3 du code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part et subsidiairement, que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'il doit être évalué au jour où le juge statue ou, le cas échéant, à la date retenue par celui-ci pour la liquidation du préjudice ; qu'il en résulte que la capitalisation d'une rente indemnitaire doit, elle-même, être calculée au regard de l'âge de la victime au jour où le juge statue ou à la date de la liquidation ; qu'en statuant, s'agissant de la capitalisation de la rente allouée au titre des dépenses de santé futures, par adoption des motifs des premiers juges, sans actualiser cette capitalisation au regard de I'euro de rente correspondant à l'âge de la victime au jour de sa décision ou à celui choisi pour la liquidation du préjudice, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles 1382 devenu 1240 du code civil et 2 et 3 du code de procédure pénale. »
9. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [T] à verser à M. [Y] la somme de 2 091 410,88 euros au titre de la tierce personne future, alors :
« 2°/ ensuite, que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties; qu'il doit être évalué au jour où le juge statue ou, le cas échéant, à la date retenue par celui-ci pour la liquidation du préjudice ; qu'il en résulte que la capitalisation d'une rente indemnitaire doit être calculée au regard de I'âge de la victime au jour où le juge statue ou à la date de la liquidation ; qu'en l'espèce, pour évaluer l'indemnité capitalisée due au titre de l'assistance par tierce personne, la cour d'appel, dans sa décision du 29 juin 2023, a retenu une date de liquidation au 28 février 2023 ; que la victime, née le [Date naissance 1] 1983, était, à ces dates-là, âgée respectivement de 40 et 39 ans; qu'en prenant toutefois en compte un euro de rente d'une valeur de 41,942 euros, correspondant, dans le barème retenu, à une victime âgée de 38 ans, sans se fonder sur I'âge de celle-ci au jour de sa décision ou à la date retenue pour la liquidation du préjudice, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles 1382 devenu 1240 du code civil et 2 et 3 du code de procédure pénale ; »
10. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [T] à verser à M. [Y] la somme de 376 319,96 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, alors « que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'il doit être évalué au jour où le juge statue ou, le cas échéant, à la date retenue par celui-ci pour la liquidation du préjudice ; qu'il en résulte que la capitalisation d'une rente indemnitaire doit, elle-même, être calculée au regard de I'âge de la victime au jour où le juge statue ou à la date de la liquidation ; qu'en se bornant à confirmer le jugement entrepris s'agissant des sommes allouées à la victime au titre de la perte de gains professionnels futurs, sans actualiser cette évaluation au regard de l'euro de rente correspondant à I'âge de la victime au jour de sa décision ou à celui choisi pour la liquidation du préjudice, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles 1382 devenu 1240 du code civil et 2 et 3 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Les moyens sont réunis.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
12. Pour évaluer les sommes dues à M. [Y] au titre des dépenses de santé futures pour le renouvellement périodique de divers matériels médicaux, l'arrêt attaqué prend en compte, pour la capitalisation des arrérages à échoir, l'âge de la victime au jour de la décision plutôt que son âge à la date du premier renouvellement.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié les modalités de capitalisation les mieux à même d'assurer une réparation intégrale du dommage sans perte ni profit, n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
14. Ainsi, le grief doit être écarté.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, et les deuxième et troisième moyens
Vu les articles 1240 du code civil et 593 du code de procédure pénale :
15. Il résulte du premier de ces textes que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
16. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
17. Pour allouer à M. [Y] la somme de 388 504,89 euros au titre des frais liés à diverses aides techniques, la somme de 376 319,96 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs et la somme de 2 091 410,88 euros au titre de l'assistance future par une tierce personne, l'arrêt attaqué énonce notamment, par motifs propres et adoptés, après avoir évalué la somme annuelle correspondant à la réparation de chacun de ces chefs de préjudice, que les rentes viagères ainsi déterminées doivent être capitalisées pour l'avenir en application du barème publié en 2020 par la Gazette du Palais, en tenant compte du sexe de la victime et de son âge au jour de la décision.
18. Pour le poste de l'assistance future par une tierce personne, le juge opère, sous réserve d'une erreur matérielle, une liquidation du préjudice à la date du 1er mars 2023.
19. Il retient, par application du barème précité, un prix de l'euro de rente viagère fixé à 41,942 euros, correspondant au taux retenu en première instance pour un homme âgé de trente-huit ans.
20. En se déterminant ainsi, alors que M. [Y] était âgé de
trente-neuf ans à la date fixée pour la liquidation du préjudice correspondant à l'assistance par une tierce personne et de quarante ans à la date du prononcé de l'arrêt attaqué, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
21. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
22. La cassation à intervenir ne concerne que, en premier lieu, les dispositions ayant condamné M. [T] à payer à M. [Y] 36 811,71 euros au titre des coussins anti-escarres et confirmé le premier jugement en ses autres dispositions relatives aux dépenses d'aides techniques, en deuxième lieu, les dispositions ayant condamné M. [T] à payer à M. [Y] la somme de 2 091 410,88 euros au titre de l'assistance future par tierce personne, en troisième lieu, les dispositions ayant confirmé le premier jugement en ce qu'il a condamné M. [T] à payer à M. [Y] la somme de 376 319,96 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs, en quatrième lieu, les dispositions relatives à la sanction prévues aux articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances, qui se rattachent aux précédentes par un lien de dépendance nécessaire. Les autres dispositions seront donc maintenues.
23. En raison de la cassation prononcée, il n'y a pas lieu d'examiner le quatrième moyen de cassation proposé pour M. [Y].
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 29 juin 2023, mais en ses seules dispositions, en premier lieu, ayant condamné M. [T] à payer à M. [Y] 36 811,71 euros au titre des coussins anti-escarres et confirmé le premier jugement en ses autres dispositions relatives aux dépenses d'aides techniques, en deuxième lieu, ayant condamné M. [T] à payer à M. [Y] la somme de 2 091 410,88 euros au titre de l'assistance future par tierce personne, en troisième lieu, ayant confirmé le premier jugement en ce qu'il a condamné M. [T] à payer à M. [Y] la somme de 376 319,96 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs, en quatrième lieu, relatives à la sanction prévue aux articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille vingt-cinq.