CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 janvier 2025
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 20 F-B
Pourvoi n° C 22-21.043
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JANVIER 2025
M. [V] [C], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 22-21.043 contre l'arrêt rendu le 5 juillet 2022 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Bourgogne Franche-Comté, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [C], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Bourgogne Franche-Comté, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 novembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 5 juillet 2022), bénéficiaire d'une pension de retraite personnelle assortie de l'allocation supplémentaire qui lui était versée par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Bourgogne Franche-Comté (la CARSAT), [D] [L] (l'assuré) est décédé le 3 janvier 2003.
2. La CARSAT ayant continué à verser sur le compte bancaire de l'assuré les arrérages de la pension du 1er février 2003 au 31 août 2012, elle a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 décembre 2019, mis en demeure M. [C] de lui rembourser l'indu correspondant à ces sommes.
3. M. [C] a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale. La CARSAT a formé à l'encontre de ce dernier une demande reconventionnelle en paiement de ces sommes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [C] fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription et de le condamner au paiement des sommes réclamées par la CARSAT au titre de l'indu, alors :
« 1°/ que l'action en remboursement de prestations indûment versées sur la base de fausses déclarations de l'assuré dirigée contre un tiers se prescrit par cinq ans ; qu'en raison de la nature périodique de la créance, la caisse ne peut pas obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la demande en répétition présentée à M. [C] par la CARSAT correspondait aux pensions de retraite indûment versées entre le 1er février 2003 et le 31 août 2012 et que la CARSAT avait adressé une mise en demeure à M. [C] le 18 décembre 2019 ; qu'en retenant néanmoins, pour condamner M. [C] à payer à la CARSAT la somme de 64.706,78 euros au titre de la répétition de l'indû, que « dès lors que la CARSAT agit dans les cinq ans de la découverte de la fraude, elle est légitime à réclamer la totalité des sommes indues et ce, quelles que soient leurs dates de paiement », quand cette prescription quinquennale portait sur le délai pour exercer l'action comme sur la détermination de l'assiette de la créance elle-même, la cour d'appel a violé les articles, 2219, 2224 et 2232 du code civil ;
2°/ que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que l'action en répétition d'arrérages de rente indument versés se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle la caisse a connu ou aurait dû connaître les faits justifiant que la pension de retraite ne soit plus versée ; que la cour d'appel a retenu que, dès le 1er septembre 2012, la CARSAT avait suspendu le versement de la pension de retraite et du supplément de retraite en raison de l'insuffisance d'éléments sur la situation de l'assuré ; qu'en refusant de fixer le point de départ de la prescription de son action à la date du 1er septembre 2012 pour juger que l'action engagée plus de sept ans plus tard, le 18 décembre 2019, n'était pas irrecevable comme prescrite, sans mieux s'expliquer sur la question de savoir si dès le 1er septembre 2012, la décision de la CARSAT de suspendre le paiement de la rente n'impliquait pas qu'elle avait eu une conscience suffisante du caractère injustifié du maintien de la rente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil ;
3°/ qu'en se fondant, pour refuser de fixer le point de départ de la prescription de l'action en répétition de l'indu à la date à laquelle la caisse avait une conscience suffisante du caractère injustifié du versement de la prestation pour la suspendre, sur la circonstance qu'à cette date la caisse « n'avait pas encore rencontré M. [C], chez lequel était domicilié [l'assuré], et n'avait ainsi pu procéder aux opérations de contrôle de la situation de son pensionné, comme en témoignent les compte-rendus de mission des 26 juillet 2012 et 20 septembre 2012 » après avoir relevé que dès le 1er septembre 2012, la caisse avait cessé les versements de la rente, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision de différer le point de départ du délai de prescription quinquennal et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil ;
4°/ qu'en retenant, pour fixer le point de départ de la prescription à la date du 12 mars 2015, que M. [C] ne contestait pas le caractère frauduleux des sommes ainsi réclamées par la CARSAT, quand ce dernier avait systématiquement contesté avoir commis des actes positifs de nature à entraîner la remise des fonds par la CARSAT, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, applicable au litige, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
6. L'action en répétition des arrérages d'une pension de vieillesse perçus par un tiers postérieurement au décès de l'assuré revêt le caractère d'une action personnelle ou mobilière au sens de ce texte.
7. Le délai de la prescription quinquennale de l'action en répétition des arrérages d'une pension de vieillesse, en cas de versement de celle-ci postérieurement au décès de l'assuré, court à compter du jour où la caisse était en mesure de déceler le caractère indu du paiement et d'en demander restitution.
8. Ce délai d'action n'a pas d'incidence sur la période de l'indu recouvrable, laquelle, à défaut de disposition particulière, est régie par l'article 2232 du code civil, qui dispose que le délai de la prescription extinctive ne peut être porté au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, soit la date de paiement des prestations indues (Ass. plén., 17 mai 2023, pourvoi n° 20-20.559, publié).
9. Il s'en déduit qu'en cas de versement d'une pension de vieillesse postérieurement au décès de l'assuré, toute action en restitution de l'indu d'arrérages de cette pension, engagée dans le délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la caisse était en mesure de déceler le caractère indu du paiement et d'en demander restitution, permet à celle-ci de recouvrer la totalité de l'indu se rapportant à des prestations payées au cours des vingt ans ayant précédé l'action.
10. L'arrêt constate que l'acte de décès de l'assuré a été reçu des autorités algériennes par la CARSAT le 10 février 2015.
11. Il en résulte que lorsque la CARSAT a mis M. [C] en demeure de lui restituer les arrérages de pension de vieillesse versés sur le compte bancaire de l'assuré du 1er février 2003 au 31 août 2012, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 décembre 2019, la prescription quinquennale de l'action en répétition de l'indu n'était pas acquise et la CARSAT pouvait recouvrer l'intégralité de l'indu se rapportant à des prestations versées moins de vingt ans avant l'exercice de son action.
12. Par ces motifs de pur droit, substitués d'office à ceux critiqués par le moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt, qui rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription, se trouve légalement justifié.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
13. M. [C] fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement des sommes réclamées par la CARSAT au titre de l'indu, alors :
« 1°/ que l'action en répétition de l'indu ne peut être dirigée qu'à l'encontre de celui qui a reçu le paiement ou de celui pour le compte duquel il a été reçu ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que les sommes avaient été versées, sur le compte bancaire ouvert au nom de l'assuré, ce dont il résultait que les sommes ayant été perçues sur le compte de l'assuré, seul ce dernier ou ses ayant droit pouvaient être redevables de l'indu ; qu'en jugeant toutefois que M. [C], qui n'avait pas la qualité d'ayant droit, en était redevable, la cour d'appel a violé l'article 1376, devenu 1302-1 du code civil ;
2°/ qu'en retenant, pour condamner M. [C] à rembourser à la CARSAT la somme de 64 706,78 euros, qu'il aurait, de fait, bénéficié des versements effectués sur le compte de l'assuré dès lors qu'il aurait été en possession des moyens de paiement par le biais desquels les retraits auraient été effectués, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants à justifier l'exercice, à son encontre de l'action en répétition de l'indu, privant sa décision de base légale au regard de l'article 1302-1 du code civil ;
3°/ que la cour d'appel a retenu, pour condamner M. [C] à rembourser à la CARSAT la somme de 64 706,78 euros, que « les éléments recueillis par la CARSAT auprès de [4] témoignent (
) qu'il a modifié et fixé à son propre domicile l'adresse du détenteur du compte à compter du 16 février 2004, alors que [l'assuré] était décédé depuis plus d'un an et n'a évidemment pu donner son accord en ce sens ou effectuer lui-même une telle démarche », et en a déduit que « M. [C] a en conséquence manifestement été destinataire à compter du 16 février 2004 des relevés bancaires comme des effets de paiement dont était assorti le compte » pour juger qu'il aurait été le bénéficiaire des pensions de retraite indûment perçues ; qu'en statuant ainsi, quand aucun des éléments recueillis par la CARSAT auprès de [5], versés aux débats, ne permettait de démontrer l'existence d'un changement d'adresse effectué auprès de cet établissement à la date du 16 février 2004, le seul document afférent à un changement d'adresse à cette date étant la pièce 15 de la CARSAT intitulée « changement d'adresse effectué le 16 février 2004 à la [3] », la cour d'appel a dénaturé cette pièce ainsi que le courrier de [5] du 18 février 2014 et les relevés de compte annexés, violant ainsi l'interdiction faite au juge de ne pas dénaturer les éléments de la cause ;
4°/ qu'en retenant, pour condamner M. [C] à rembourser à la CARSAT la somme de 64 706,78 euros correspondant aux pensions de retraite et allocation supplémentaire de retraite versées entre le 1er février 2003 et le 31 août 2012, que « les éléments recueillis par la CARSAT auprès de [4] témoignent (
) » que « M. [C] a en conséquence manifestement été destinataire à compter du 16 février 2004 des relevés bancaires comme des effets de paiement dont était assorti le compte », quand le courrier de [5] en date du 18 février 2014 et les relevés de compte annexés énonçaient clairement qu'ils ne couvraient que la période comprise entre le 1er janvier 2011 et le 4 février 2014, la cour d'appel a dénaturé le courrier de [5] en date du 18 février 2014, les relevés de compte annexés et la pièce d'appel n° 15 de la CARSAT, violant ainsi l'interdiction faite au juge de ne pas dénaturer les éléments de la cause ;
5°/ qu'en retenant, pour condamner M. [C] à rembourser à la CARSAT la somme de 64 706,78 euros, que « les éléments recueillis par la CARSAT auprès de [4] témoignent (
) » que « M. [C] a en conséquence manifestement été destinataire à compter du 16 février 2004 des relevés bancaires comme des effets de paiement dont était assorti le compte » quand la somme de 64.706,78 euros correspondait aux pensions de retraite et allocation supplémentaire de retraite versées entre le 1er février 2003 et le 31 août 2012, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier que M. [C] puisse être redevable de l'intégralité des sommes demandées et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1302-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
14. Il résulte de l'article 1376, devenu 1302-1 du code civil, que l'action en répétition de l'indu peut être engagée contre celui qui a reçu le paiement ou pour le compte duquel le paiement a été reçu.
15. Il s'en déduit que le paiement d'arrérages d'une pension de vieillesse fait postérieurement au décès de l'assuré sur le compte bancaire ouvert au nom de ce dernier constitue un paiement indu dont la restitution peut être demandée à la personne qui a perçu ces sommes indues.
16. L'arrêt relève que M. [C] bénéficie depuis 2002 de la seule procuration donnée sur le compte bancaire de l'assuré sur lequel ont été versés les arrérages indus de pension de vieillesse, qu'aucun élément ne permet d'établir qu'une personne, autre que lui, aurait procédé aux retraits effectués mensuellement sur ce compte et aurait bénéficié des pensions de retraite indûment perçues, la régularité de ces retraits établissant qu'il était le seul à faire fonctionner ce compte.
17. De ces constatations et énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, la cour d'appel a exactement déduit que, M. [C] ayant perçu les arrérages indus de la pension de vieillesse versés sur le compte bancaire de l'assuré postérieurement à son décès, la CARSAT était fondée à lui demander la restitution de ces sommes indûment perçues.
18. Le moyen, inopérant en ses trois dernières branches en ce qu'il critique des motifs surabondants, n'est, dès lors, pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [C] et le condamne à payer à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Bourgogne Franche-Comté la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf janvier deux mille vingt-cinq.