La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/04/2024 | FRANCE | N°23-80.962

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle - formation de section, 30 avril 2024, 23-80.962


N° C 23-80.962 FS-B

N° 00406


RB5
30 AVRIL 2024


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 30 AVRIL 2024



M. [M] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 27 janvier 2023, qui, pour collecte de donn

ées à caractère personnel et complicité, complicité de détournement de la finalité d'un fichier, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, 20 000 eur...

N° C 23-80.962 FS-B

N° 00406


RB5
30 AVRIL 2024


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 30 AVRIL 2024



M. [M] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 27 janvier 2023, qui, pour collecte de données à caractère personnel et complicité, complicité de détournement de la finalité d'un fichier, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [M] [U], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Cavalerie, Maziau, Seys, Dary, Mme Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Lemoine, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. À la suite de la plainte d'un syndicat, une enquête préliminaire, puis une information ont été ouvertes sur les pratiques de la société [2], susceptible de faire procéder à des enquêtes sur ses salariés, candidats à l'embauche, clients ou prestataires.

3. Renvoyé devant le tribunal correctionnel notamment des chefs susvisés, faits commis « courant 2009, 2010, 2011 et jusqu'au 11 juillet 2012, en tout cas [...] depuis temps non couvert par la prescription », M. [M] [U] a été condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d'amende.

4. Il a relevé appel de cette décision et le ministère public appel incident.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [U] coupable du délit de collecte de données à caractère personnel suivant un moyen déloyal depuis temps non prescrit au 11 juillet 2012, et l'a condamné en répression à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à une peine d'amende délictuelle de 20 000 euros, alors :

« 1°/ que ne constitue pas un traitement déloyal de données à caractère personnel le fait, pour un enquêteur privé, de recenser des informations rendues publiques par voie de presse ou des informations diffusées publiquement par une personne sur un réseau social (données en open source) ; qu'en déclarant cependant Monsieur [M] [U] coupable de collecte de données à caractère personnel par un moyen déloyal au motif qu'en « effectuant des recherches sur internet recoupées ensuite avec des recherches effectuées sur les réseaux sociaux ainsi que des interrogations de la presse régionale, [il] a utilisé un moyen de collecte déloyal », la cour d'appel a violé l'article 226-18 du code pénal ;

2°/ en toute hypothèse que devant les juges du fond, Monsieur [U] avait entrepris de démontrer, notamment pour ce qui concerne la collecte alléguée d'informations sur le passé pénal de collaborateurs d'[1] auquel il aurait personnellement procédé, que, dans la très grande majorité des cas, aucune pièce n'était versée au dossier pour démontrer qu'il aurait fait un retour à des demandes d'information qui lui auraient été adressées en ce sens par Monsieur [P], et que l'ampleur des faits qui lui étaient reprochés à titre personnel devait ainsi être grandement relativisée, seuls des retours épars ayant finalement été établis par l'instruction (conclusions, p.7s) ; qu'en se bornant à énoncer que Monsieur [U] avait utilisé un moyen de collecte déloyal « en effectuant des recherches sur internet recoupées ensuite avec des recherches effectuées sur les réseaux sociaux ainsi que des interrogations de la presse régionale », sans préciser les recherches qu'elle estimait établies et déloyales, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs qui ne permettent pas de s'assurer que les faits effectivement retenus à la charge de Monsieur [U] étaient établis et déloyaux ; qu'elle a donc, en toute hypothèse, privé sa décision de base légale au regard de l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ enfin qu'en application de l'article 388 du code de procédure pénale, les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés par la prévention ; qu'il en résulte que lorsque la prévention vise une période précise de temps au cours de laquelle les faits délictueux auraient été commis, le prévenu ne saurait être jugé pour des faits qui auraient été commis en dehors de cette période de temps, peu important l'emploi, par l'acte ayant saisi le juge, de la formulation « et en tout cas sur le territoire national et depuis un temps non couvert par la prescription », formulation générique dont l'objet est uniquement de préciser que les faits visés ne sont pas couverts par la prescription ; qu'en l'espèce, l'ordonnance de renvoi notifiée à Monsieur [M] [U] précisait que les faits qui lui étaient reprochés au titre de la collecte déloyale de données à caractère personnel auraient été commis à « [Localité 3] courant 2009, 2010, 2011, et jusque juillet 2012, en tout cas sur le territoire national et depuis un temps non couvert par la prescription » ; qu'en jugeant (arrêt, p.85,§1 et 2) que par l'effet de cette formule, elle pouvait être saisie de tous les faits, même ceux commis avant la période 2009-juillet 2012 expressément visée par la prévention, et qu'il suffisait en l'état de cette mention que les prévenus aient été interrogés sur les faits figurant dans la période retenue, que ces faits apparaissent précisément dans la procédure, et que les prévenus n'ont eu aucun doute sur la nature des faits reprochés et sur la période, sans qu'il n'y ait lieu de recueillir l'acceptation préalable du prévenu pour être jugé sur ces faits, la cour d'appel a violé l'article 6§3 de la convention européenne des droits de l'Homme. »


Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

7. Pour déclarer le prévenu coupable du délit de collecte de données à caractère personnel par un moyen déloyal, l'arrêt attaqué énonce que celui-ci a répondu aux sollicitations du directeur de la sécurité de la société commanditaire en effectuant des recherches sur des personnes portant sur des données à caractère personnel telles qu'antécédents judiciaires, renseignements bancaires et téléphoniques, véhicules, propriétés, qualité de locataire ou de propriétaire, situation matrimoniale, santé, déplacements à l'étranger.

8. Les juges estiment que le moyen de collecte de ces données est considéré comme déloyal dans les rapports employeur/employé dès lors que, issues de la capture et du recoupement d'informations diffusées sur des sites publics tels que sites web, annuaires, forums de discussion, réseaux sociaux, sites de presse régionale, comme le prévenu l'a lui-même exposé lors de ses interrogatoires, de telles données ont fait l'objet d'une utilisation sans rapport avec l'objet de leur mise en ligne et ont été recueillies à l'insu des personnes concernées, ainsi privées du droit d'opposition institué par la loi informatique et libertés.

9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

10. En effet, d'une part, le fait que les données à caractère personnel collectées par le prévenu aient été pour partie en accès libre sur internet ne retire rien au caractère déloyal de cette collecte, dès lors qu'une telle collecte, de surcroît réalisée à des fins dévoyées de profilage des personnes concernées et d'investigation dans leur vie privée, à l'insu de celles-ci, ne pouvait s'effectuer sans qu'elles en soient informées.

11. D'autre part, le moyen, pris en sa seconde branche, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Vu l'article 388 du code de procédure pénale :

12. Il résulte de ce texte que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis par la citation ou par l'ordonnance de renvoi, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention.


13. Pour dire la cour d'appel saisie de faits commis antérieurement à l'année 2009, l'arrêt attaqué énonce que la mention « depuis temps non couvert par la prescription » permet d'étendre la période de prévention dès lors que les prévenus ont été interrogés sur les faits de l'ensemble de la période qu'elle retient, que ces faits apparaissent précisément dans la procédure et que les prévenus n'ont eu aucun doute sur la nature et la période des faits reprochés.

14. Les juges ajoutent que l'élargissement de la période de prévention à celle antérieure à l'année 2009 a été mise dans les débats en première instance et devant eux.

15. Ils en concluent qu'ils sont saisis de l'ensemble des faits ressortant des pièces de la procédure depuis au moins l'année 2003, ces faits n'étant pas atteints par la prescription de l'action publique comme ayant été occultes ou dissimulés, de sorte que le point de départ de la prescription se situe à la date de leur révélation, le 29 février 2012.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

17. En effet, l'ordonnance du juge d'instruction ne renvoyant le prévenu devant le tribunal correctionnel que pour les faits commis de courant 2009 jusqu'au 11 juillet 2012, la cour d'appel ne pouvait, sauf à ce que l'intéressé accepte expressément d'être jugé sur les faits antérieurs, ce qui n'a pas été le cas, considérer qu'elle était saisie des faits commis avant l'année 2009.

18. L'adjonction, à la circonstance de temps indiquée dans la prévention, de la mention « depuis temps non couvert par la prescription » n'ayant d'autre signification que celle d'affirmer que les faits de la poursuite ne sont pas prescrits, la cour d'appel ne pouvait en tirer aucune conséquence sur l'étendue de sa saisine dans le temps.

19. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

20. La cassation à intervenir ne concerne que la déclaration de culpabilité de M. [U] du chef de collecte de données à caractère personnel et les peines prononcées contre lui.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 27 janvier 2023, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [U] du chef de collecte de données à caractère personnel et aux peines prononcées contre lui, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trente avril deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle - formation de section
Numéro d'arrêt : 23-80.962
Date de la décision : 30/04/2024
Sens de l'arrêt : Cassation

Analyses

Il résulte de l'article 388 du code de procédure pénale que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis par la citation ou l'ordonnance de renvoi, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention. Viole l'article 388 précité du code de procédure pénale, la cour d'appel qui, statuant sur une poursuite visant des faits commis "courant 2009, 2010, 2011 et jusqu'au 11 juillet 2012, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription", considère qu'elle est saisie de faits commis antérieurement à l'année 2009 alors que le prévenu n'a pas accepté d'être jugé sur ceux-ci et que l'adjonction de la mention "depuis temps non couvert par la prescription", dénuée de toute conséquence sur l'étendue de la saisine dans le temps de la juridiction, n'a d'autre signification que celle d'affirmer que les faits poursuivis ne sont pas prescrits

juridictions correctionnelles.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim. - formation de section, 30 avr. 2024, pourvoi n°23-80.962, Bull. civ.Publié au
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Publié au

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:23.80.962
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award