LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC. / ELECT
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 juillet 2021
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 889 F-D
Pourvoi n° V 20-16.497
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 JUILLET 2021
1°/ M. [R] [E], domicilié [Adresse 1],
2°/ le syndicat CFE CGC chimie Méditerranée, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° V 20-16.497 contre le jugement rendu le 5 juin 2020 par le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant à la société Lesieur, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [E] et du syndicat CFE CGC chimie Méditerranée, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Lesieur, après débats en l'audience publique du 27 mai 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ott, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence, 05 juin 2020), la société Lesieur (la société) a saisi le tribunal d'instance par requête déposée au greffe le 11 décembre 2019 aux fins d'annuler la désignation de M. [E] en qualité de délégué syndical notifiée le 26 novembre 2019 par le syndicat CFE CGC chimie Méditerranée (le syndicat).
2. Par requête reçue au greffe le 3 mars 2020, la société a saisi le tribunal judiciaire aux fins d'annuler la nouvelle désignation le 11 février 2020 du même salarié, en la même qualité, par le même syndicat.
3. Les instances ont été jointes.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le syndicat et le salarié font grief au jugement d'annuler les désignations du salarié par lettres des 26 novembre 2019 et 6 février 2020 en tant que délégué syndical au sein de l'établissement de [Localité 1], alors « qu'aux termes de l'article L. 2143-3, alinéa 4, du code du travail, la désignation d'un délégué syndical peut intervenir au sein de l'établissement regroupant des salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques ; que dès lors qu'un accord a reconnu qu'un établissement de moins de 50 salariés constituait un établissement distinct, ce qui impliquait nécessairement la présence d'un représentant de l'employeur doté de pouvoirs de direction et une communauté de travail ayant des intérêts propres susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques, un délégué syndical peut y être désigné ; qu'en décidant la contraire, le tribunal a violé l'article L. 2143-3, alinéa 4, du code du travail, ensemble l'article 5-1 du protocole d'accord préélectoral du 23 octobre 2019. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau, mélangé de droit et de fait, le syndicat et le salarié s'étant dans leurs conclusions devant le tribunal contentés d'opposer l'existence du protocole d'accord préélectoral sans faire valoir que l'établissement de [Localité 1] constituait une communauté de travail ayant des intérêts propres susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques, placée sous la direction d'un représentant de l'employeur.
6. Cependant il ressort de leurs conclusions soutenues devant le tribunal que le syndicat et le salarié ont fait valoir que la désignation d'un délégué syndical dans l'établissement de [Localité 1] répondait aux critères exigés par l'article L. 2143-3, alinéa 4, du code du travail et que la mise en place d'un comité social et économique d'établissement pour l'établissement de [Localité 1] par le protocole d'accord préélectoral impliquait nécessairement la présence d'un représentant de l'employeur doté du pouvoir de direction et d'une communauté de travail ayant des intérêts propres susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques.
7. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 2141-10 et L. 2143-3 du code du travail et l'article 5-1 du protocole d'accord préélectoral du 23 octobre 2019 :
8. Aux termes de l'article L. 2143-3 du code du travail, la désignation d'un délégué syndical peut intervenir lorsque l'effectif d'au moins cinquante salariés a été atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes, au sein de l'établissement regroupant des salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques. Aux termes de l'article L. 2141-10 du même code, une convention ou un accord collectif peut prévoir un périmètre pour la désignation du délégué syndical distinct de celui défini par les dispositions du code du travail.
9. Pour annuler les deux désignations du salarié en qualité de délégué syndical, le jugement retient que, s'il est possible de déroger par voie conventionnelle, ce n'est qu'en vertu d'une convention ou d'un accord collectif exprès, que le fait que le protocole d'accord préélectoral du 23 octobre 2019 ait prévu la mise en place d'un comité social et économique d'établissement de [Localité 1], alors même que celui-ci compte moins de cinquante salariés, ne signifie pas qu'un accord dérogatoire est intervenu pour la désignation d'un délégué syndical au niveau de cet établissement.
10. En statuant ainsi, alors qu'il avait constaté que, par un protocole d'accord préélectoral conclu le 23 octobre 2019 entre la société et les organisations syndicales représentatives relatif à la mise en place des comités sociaux et économiques d'établissement et de leur périmètre au sein de l'entreprise, l'employeur et les partenaires sociaux avaient prévu la mise en place de quatre établissements distincts, parmi lesquels l'établissement de [Localité 1] dont il était précisé que l'effectif était de 41,66 salariés, ce qui impliquait nécessairement la présence d'un représentant de l'employeur doté de pouvoirs de direction et une communauté de travail ayant des intérêts propres susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques, le tribunal d'instance a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il reçoit la société Lesieur en son action, le jugement rendu le 05 juin 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Marseille ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lesieur et la condamne à payer au syndicat CFE CGC chimie Méditerranée et à M. [E] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [E] et le syndicat CFE CGC chimie Méditerranée
Le moyen fait grief au jugement attaqué d'AVOIR annulé les désignations de M. [E] par courriers des 26 novembre 2019 et 6 février 2020 en tant que délégué syndical au sein de l'établissement de [Localité 1] de la société Lesieur.
AUX MOTIFS QUE selon l'article L. 2143-3 du code du travail, la désignation d'un délégué syndical n'est possible que dans les entreprises ou les établissements comportant au moins 50 salaries ; par ailleurs, selon l'article R. 2143-3, dans les entreprises comportant des établissements distincts de cinquante salariés ou plus, le nombre des délégués syndicaux est fixé par établissement conformément à l'article R. 2143-2 ; s'il est possible de déroger par voie conventionnelle à ces dispositions, ce n'est qu'en vertu d'une convention ou d'un accord collectif exprès ; en l'espèce, il est constant que l'établissement de [Localité 1] compte 41.66 salariés, soit moins de 50 ; par ailleurs et contrairement à ce que soutiennent M. [R] [E] et le syndicat CFECGC Chimie Méditerranée, le fait que le protocole d'accord préélectoral du 23 octobre 2019 ait prévu la mise en place d'un comité social et économique d'établissement pour l'établissement de [Localité 1], alors même que celui-ci compte moins de 50 salariés, ne signifie pas qu'un accord dérogatoire est intervenu pour la désignation d'un délégué syndical au niveau de cet établissement
1° ALORS QU'aux termes de l'article L. 2143-3 alinéa 4 du code du travail, la désignation d'un délégué syndical peut intervenir au sein de l'établissement regroupant des salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques ; que dès lors qu'un accord a reconnu qu'un établissement de moins de 50 salariés constituait un établissement distinct, ce qui impliquait nécessairement la présence d'un représentant de l'employeur doté de pouvoirs de direction et une communauté de travail ayant des intérêts propres susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques, un délégué syndical peut y être désigné ; qu'en décidant la contraire, le tribunal a violé l'article L. 2143-3 alinéa 4 du code du travail, ensemble l'article 5-1 du protocole d'accord préélectoral du 23 octobre 2019
2° ALORS QUE les exposants ont soutenu, d'une part, que les principes d'égalité de traitement et de participation imposaient que les salariés de l'établissement de [Localité 1] puissent bénéficier d'une représentation syndicale au même titre que les salariés des autres établissements et que, d'autre part, Monsieur [E] avait déjà exercé plusieurs mandats en qualité de délégué syndical au sein de l'établissement de [Localité 1] depuis 2003, lesquelles n'avaient jamais fait l'objet d'une quelconque contestation de la part de l'employeur alors pourtant que l'effectif était toujours resté inférieur à 50 salariés ; que le tribunal n'a pas répondu à ces moyens déterminants, méconnaissant ainsi les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.