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09/04/2024 | FRANCE | N°21/01357

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 09 avril 2024, 21/01357


COUR D'APPEL D'ORLÉANS



C H A M B R E C I V I L E



GROSSES + EXPÉDITIONS : le 09/04//2024

la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS

la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES





ARRÊT du : 9 AVRIL 2024



N° : - 24



N° RG 21/01357 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GLQS







DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOURS en date du 04 Mars 2021



PARTIES EN CAUSE



APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 126527112

8457872



Madame [O] [L] née le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 17] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son enfant mineur :

- [B] [L] n...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 09/04//2024

la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS

la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES

ARRÊT du : 9 AVRIL 2024

N° : - 24

N° RG 21/01357 - N° Portalis DBVN-V-B7F-GLQS

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOURS en date du 04 Mars 2021

PARTIES EN CAUSE

APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265271128457872

Madame [O] [L] née le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 17] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son enfant mineur :

- [B] [L] née le [Date naissance 7] 2011 à [Localité 16]

[Adresse 12]

[Localité 11]

représentée par Me Stéphanie BAUDRY de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

Monsieur [X] [L] né le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 15] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légale de son enfant mineur:

- [B] [L] née le [Date naissance 7] 2011 à [Localité 16]

[Adresse 12]

[Localité 11]

représenté par Me Stéphanie BAUDRY de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

Monsieur [S] [L]

né le [Date naissance 6] 2003 à [Localité 17]

[Adresse 12]

[Localité 11]

représenté par Me Stéphanie BAUDRY de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

Madame [Z] [L]

née le [Date naissance 1] 2004 à [Localité 17]

[Adresse 12]

[Localité 11]

représentée par Me Stéphanie BAUDRY de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

D'UNE PART

INTIMÉES : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265265851005256

Madame le Docteur [M] [D], médecin échographiste retraitée,

née le [Date naissance 5] 1957 à [Localité 18]

[Adresse 14]

[Localité 9]

ayant pour avocat postulant Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL - FIRKOWSKI - DEVAUCHELLE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS,

ayant pour avocat plaidant Me Marie-Christine CHASTANT MORAND de la SCP CHASTANT-MORAND, avocat au barreau de PARIS

la CPAM d'INDRE ET LOIRE venant aux droits de la Caisse SÉCURITÉ SOCIALE DES INDEPENDANTS prise en la personne de son représentant légal domiciliée au siège

[Adresse 4]

[Localité 9]

non représentée, n'ayant pas constitué avocat

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE prise en la personne de son représentant légal domicilié es-qualité au siège

[Adresse 8]

[Localité 10]

non représentée, n'ayant pas constitué avocat

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 07 mai 2021.

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 4 décembre 2023

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l'audience publique du 19 Février 2024 à 14h00, l'affaire a été plaidée devant Madame Anne-Lise COLLOMP, présidente de chambre et Monsieur Laurent SOUSA, conseiller en charge du rapport, en l'absence d'opposition des parties ou de leurs représentants.

Lors du délibéré, au cours duquel Madame Anne-Lise COLLOMP, présidente de chambre et Monsieur Laurent SOUSA, conseiller, ont rendu compte des débats à la collégialité, la Cour était composée de:

Madame Anne-Lise COLLOMP, Présidente de chambre,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,

Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

GREFFIER :

Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.

ARRÊT :

Prononcé publiquement le 9 avril 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Le 25 juin 2009, Mme [O] [L] a donné naissance à son enfant [A] [L], lequel a été diagnostiqué comme atteint de la trisomie 21, qui n'avait pas été détectée pendant la grossesse.

Mme [O] [L] et son époux M. [X] [L] ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux du Centre (la CCI) qui a confié une expertise au docteur [H], spécialisé en diagnostic prénatal et au professeur [R], pédiatre, qui ont déposé leur rapport le 9 septembre 2016.

Dans son avis du 17 novembre 2016, la CCI a indiqué que la première échographie réalisée par le docteur [D], ne répondant pas aux critères de dépistage, il y avait eu existait une perte de chance de diagnostic de trisomie 21, affection d'une particulière gravité, reconnue comme incurable au moment du diagnostic, qu'elle a évaluée à 10 %.

En juillet 2018, M. et Mme [L] agissant tant en leur nom personnel qu'ès qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs [S] (né le [Date naissance 6] 2003), [Z] (née le [Date naissance 13] 2004) et [B] (née le [Date naissance 7] 2011) ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Tours, le docteur [D], échographiste, la caisse primaire d'assurance-maladie d'Indre-et-Loire et la Sécurité sociale des indépendants, aux fins d'indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de diagnostic prénatal de la trisomie 21 de [A] [L].

Par jugement en date du 4 mars 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Tours a :

- dit que le docteur [D] a, en l'absence de diagnostic anténatal, commis une faute ayant fait perdre aux époux [L] la chance de demander une interruption médicale de grossesse et ce à hauteur de 10 % ;

- condamné en conséquence le docteur [D] à verser à chacun des époux [L] la somme de 10 000 € au titre du préjudice moral ;

- dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- débouté les époux [L] agissant ès qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs [S], [Z] et [B] de leurs demandes au titre du préjudice moral ;

- débouté les époux [L] de leurs demandes d'indemnisation du préjudice patrimonial ;

- déclaré le jugement commun à la caisse primaire d'assurance-maladie d'Indre-et-Loire et à la Sécurité sociale des indépendants ;

- condamné le docteur [D] à verser aux époux [L] une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 7 mai 2021, M. et Mme [L] à titre personnel et ès qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs ont interjeté appel du jugement en ce qu'il a :

- fixé à 10 % la perte de chance de demander une interruption de grossesse à la suite de la faute commise par le docteur [D] en l'absence de diagnostic anténatal ;

- condamné en conséquence le docteur [D] à verser à chacun des époux [L] la somme de 10 000 € au titre du préjudice moral ;

- débouté les époux [L] agissant ès qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs [S], [Z] et [B] de leurs demandes au titre du préjudice moral ;

- débouté les époux [L] de leurs demandes d'indemnisation du préjudice patrimonial.

Par acte d'huissier de justice du 2 août 2021, les appelants ont fait signifier la déclaration d'appel à la caisse primaire d'assurance-maladie d'Indre-et-Loire à titre personnel et en ce qu'elle vient aux droits de la Sécurité sociale des indépendants, par acte délivré à personne morale. La caisse n'a pas constitué avocat.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 15 juin 2023, M. et Mme [L] agissant à titre personnel et ès qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs [S], [Z] et [B], demandent à la cour de :

- réformer le jugement du tribunal judiciaire du 4 mars 2021 en ce qu'il a :

fixé à 10 % la perte de chance de demander une interruption de grossesse à la suite de la faute commise par le docteur [M] [D] en l'absence de diagnostic anténatal ;

condamné en conséquence le docteur [M] [D] à verser à chacun des époux [L] la somme de 10 000 € au titre du préjudice moral ;

débouté les époux [L] agissant ès qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs [S], [Z] et [B] de leurs demandes au titre du préjudice moral ;

débouté les époux [L] de leurs demandes d'indemnisation du préjudice patrimonial ;

- le confirmer pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

- fixer la perte de chance de demander une interruption de grossesse à la suite de la faute commise par le docteur [M] [D] ou tout du moins de disposer d'un diagnostic correct à 90 % ;

- condamner le docteur [M] [D] à verser :

à Mme [O] [L] la somme de 135 000 € au titre du préjudice moral ;

à Mme [O] [L] la somme de 80 757,90 € au titre du préjudice patrimonial ;

à M. [X] [L] la somme de 135 000 € au titre du préjudice moral ;

à M. [X] [L] la somme de 548 178,30 € au titre du préjudice patrimonial ;

à Mme et M. [L] en qualité de représentants légaux de [S], [Z] et [B] [L], la somme de 135 000 € au titre du préjudice moral des enfants (45 000 € chacun) ;

- dire que l'arrêt sera opposable aux organismes de sécurité sociale ;

- condamner le docteur [M] [D] à verser à Mme et M. [L] la somme de 17 000 € au titre des frais irrépétibles ;

- condamner le docteur [M] [D] aux entiers dépens.

[S] et [Z] [L] étant devenus majeurs, des conclusions de reprise d'instance ont été notifiées le 12 février 2024, par lesquels ils reprenaient l'ensemble des prétentions et des moyens précédemment formulés par leurs représentants légaux.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 6 juin 2023, Mme [D] demande à la cour de :

- confirmer purement et simplement le jugement entrepris dans l'ensemble de ses éléments ;

En conséquence,

- lui donner acte de ce qu'elle ne conteste pas le principe de sa responsabilité, dans les termes du rapport d'expertise ;

- retenir la perte de chance à hauteur de 10 %;

- confirmer le préjudice moral évalué par le tribunal de chacun des parents ;

- rejeter toutes autres demandes des appelants au titre du préjudice patrimonial ;

- rejeter toutes demandes faites au titre des frères et s'urs ;

Subsidiairement,

- réduire dans de notables proportions les demandes présentées ;

- réduire à de plus justes proportions la demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

L'instance a été interrompue par la majorité de [S] et [Z] [L] en application de l'article 369 du code de procédure civile. Ces derniers ayant déposé des conclusions aux fins de reprise d'instance reprenant les demandes à leur compte, il convient de constater la reprise d'instance.

I- Sur l'indemnisation du préjudice des parents

A- Sur la perte de chance

Moyens des parties

M. et Mme [L] critiquent le taux de perte de chance fixé par le tribunal en ce qu'il a été fixé à 10 % tel que retenu dans le rapport d'expertise sur la base d'explications données par le docteur [T] dans une note en date du 20 juin 2020, versée aux débats par Mme [D] en première instance ; que le tribunal a ainsi fait sienne l'analyse du docteur [T] qui cherchait à donner une justification au taux de 10 % arbitrairement fixé dans le rapport d'expertise en comparant ce taux aux chiffres de l'agence de biomédecine entre 2010 et 2016, selon lesquels la valeur prédictive positive de la clarté nucale isolée et des autres signes échographiques du premier trimestre pour la trisomie 21 était de 15,6 % en 2010, et au fait que selon lui, en 2009, on proposait de réaliser un prélèvement invasif en cas de clarté nucale supérieure à 3 mm, sans tenir compte de la longueur crânio-caudale et que selon les statistiques, 5 à 10 % des f'tus ont une clarté supérieure à 3 mm ; que ce faisant, le tribunal a commis une erreur d'appréciation non seulement de la notion de perte de chance et des critères qui permettent de la caractériser, mais encore de la portée de la note du docteur [T] ; qu'afin d'évaluer la perte de chance, il convient donc de se placer dans l'hypothèse dans laquelle le médecin aurait correctement pratiqué l'acte médical ; que Mme [D] n'a pas seulement mal réalisé la première échographie et donc la mesure de clarté nucale, qui est l'un des principaux indicateurs de risque de trisomie 21, mais également les échographies suivantes qui auraient pu permettre de déceler un autre facteur de risque ; que Mme [D] ne saurait se prévaloir pour tenter d'atténuer les conséquences de sa faute, de ce que l'épaisseur de la nuque ne pourrait plus être évaluée en l'état des éléments

du dossier, puisque cette impossibilité résulte uniquement de sa faute ; que l'impossibilité de connaître l'épaisseur exacte de la nuque au jour de l'échographie est indifférente à la caractérisation de la perte de chance, dans la mesure où il est établi que [A] est né trisomique de sorte qu'en cas de mesure correcte de clarté nucale le risque aurait pu être décelé ; que la chambre disciplinaire nationale des médecins rappelle que Mme [D] ne pouvait se contenter de se référer aux arrêtés publiés au jour des échographies de Mme [L], mais devait se référer aux recommandations du comité national technique ; qu'au regard de ces connaissances et compétences particulières, il convient de retenir que les chances de diagnostic de la trisomie 21 auraient dû être particulièrement élevées, si Mme [D] avait correctement réalisé les échographies et consacré un temps suffisant à sa patiente ; que le taux de 10 % retenu par le tribunal doit encore être mis en perspective avec le taux de détection de la trisomie 21 de 60 % rappelé par le réseau Périnat Centre, sous l'empire des règles antérieures à celles fixées par l'arrêté du 23 juin 2009, déjà préconisées au moment des faits ; que la faute du docteur [D] est intervenue dans l'appréciation d'un des signes les plus importants de détection de la trisomie 21, ce qui est de nature à renforcer la chance perdue d'obtenir un diagnostic correct ; que la valeur prédictive positive de 15,6 % retenue dans le bilan de l'agence de biomédecine concerne la clarté nucale augmentée de façon isolée, sans tenir compte des autres signes permettant de calculer le risque de trisomie 21 ; que le tribunal s'est en outre fondé sur le fait que, selon le docteur [T], 5 à 10 % des f'tus auraient une clarté nucale supérieure à 3 mm alors que ces chiffres ne sont pas justifiés et sont sans aucun lien avec l'appréciation de la perte de chance, dès lors qu'il n'est pas dit quel pourcentage des f'tus ayant une clarté nucale supérieure à 3 mm sont diagnostiqués comme atteints de trisomie 21 ; que le tribunal a omis de tenir compte du fait que le docteur [I] [G] a confirmé la mauvaise qualité des échographies, de sorte que tous les autres signes qui pourraient potentiellement indiquer un risque de trisomie 21 n'auraient pas pu être vus par le docteur [D] ; qu'ainsi, la mauvaise qualité des clichés n'a pas non plus permis de détecter d'autres signes, et notamment l'absence des os propres du nez, qui permet de diagnostiquer une problématique génétique dans 95,5 % des cas ; que le docteur [D] admet d'ailleurs dans ses écritures que les os propres du nez sont absents dans 50 % des cas de trisomie 21, sans en tirer les conséquences quant à la perte de chance subie ; que la mauvaise qualité des clichés n'a pas permis une mesure correcte de la clarté nucale, ni un constat d'autres signes de risques de problématiques génétiques ; que lorsque le moindre risque est identifié, l'amniocentèse est systématiquement proposée et le taux de perte de chance doit donc être mis en perspective avec le pourcentage de détection de la trisomie 21 lorsqu'une amniocentèse est pratiquée, qui permet de détecter de façon quasi systématique la trisomie 21 ; qu'il convient également de rappeler que le risque a été évalué à 1/312, soit très proche de la zone de risque de 1/250 conduisant à la réalisation de l'amniocentèse ; que le tribunal n'a pas tenu compte du fait que lorsque la trisomie 21 est diagnostiquée,

96 % des parents font le choix de l'interruption médicale de grossesse ; que la jurisprudence retient habituellement des taux bien plus élevés que le taux de 10 % retenu à tort par le tribunal, et notamment des taux oscillants entre 70 % et 95 %.

Mme [D] réplique qu'il convient de confirmer le jugement quant au taux de perte de chance retenu, car il n'est pas certain que le f'tus, bien que porteur d'une trisomie 21, avait une clarté nucale épaisse, alors que l'examen à l''il nu n'a révélé aucune anomalie nucale, et aucun signe inquiétant n'était présent ; que le rapport d'expertise n'a fait qu'indiquer que, si la mesure de la nuque n'est pas ré-interprétable à partir des clichés pris, cela était « peut-être » constitutif d'une perte de chance, de sorte que ce rapport ne constitue pas un élément qui lui serait entièrement défavorable ; que s'agissant d'une expertise diligentée dans le cadre de la CCI, il n'a pas été possible de prendre connaissance du pré-rapport, ce qui lui aurait permis de faire valoir ses observations techniques ; qu'à supposer même qu'ait pu exister une erreur de mesure de la clarté nucale et de la longueur crânio-caudale, ce qui n'est nullement démontré et qui est contesté, cette erreur ne pourrait être déclarée fautive, que pour autant que soient démontrés des manquements dans la technique utilisée, ce qui n'est pas le cas ; qu'il n'y a eu ni désinvolture, ni incompétence fautive de sa part dans le suivi échographique ; que même si le cliché avait été meilleur, une mesure plus importante de la nuque n'aurait pas nécessairement été retrouvée et un examen dynamique pouvait d'ailleurs suffire à permettre à un praticien de relever à l''il nu d'éventuelles anomalies, et ce d'ailleurs mieux qu'au vu d'un cliché qui n'est qu'un instantané ponctuel ; qu'il n'y avait de plus pas d'erreur de calcul, puisque le gynécologue obstétricien a estimé à la naissance que les mensurations correspondaient au terme établi ; que la clarté nucale n'a jamais dépassé la valeur de 2 mm tout au long de l'examen, et ce même si la qualité des clichés ne permet pas d'en justifier ; que c'est de manière tout à fait conforme aux éléments présents dans le dossier, que les experts ont pu conclure à l'existence d'une seule perte de chance de poser le diagnostic de trisomie 21 évalué à 10 % ; que l'absence des os propres du nez ne constitue pas un signe pathognomonique de l'anomalie, dans la mesure où les os du nez ne sont absents que dans 50 % des cas, et peuvent l'être également chez des enfants sans anomalie chromosomique ; que cet élément ne s'évalue pas systématiquement au cours d'un examen de dépistage de type I sans anomalie associée ; que s'agissant ensuite du fémur et de l'humérus « courts », ce signe isolé est peu évocateur de la trisomie 21 et [A] n'était pas concerné par cette pathologie ; que le c'ur ne présentait pas d'anomalie, et avant juin 2009, seule la coupe des 4 cavités était recommandée ; que le docteur [T] souligne également que les signes mis en avant par les consorts [L], sur le fondement de cet avis du docteur [I] [G], ne font pas partie des recommandations du CNTE ; que contrairement à ce qu'avancent les consorts [L], aucun élément n'était donc de nature à alerter sur un risque de trisomie 21, et à justifier un second avis d'un échographe ; que les appelants ne

communiquent pas de rapport critique pour tenter de remettre en question le pourcentage du taux de perte de chance retenu par les deux experts, dont l'un d'eux était le professeur [R], chef de service du département des urgences pédiatriques au groupe hospitalier Necker ; que les experts ont parfaitement motivé l'existence de la perte de chance, en relevant que si la nuque avait été mesurée un peu plus épaisse, à hauteur de 3 mm, un test diagnostic aurait pu être proposé, mais que cette mesure n'est pas connue ; que le chiffrage de cette perte de chance ressort nécessairement de l'appréciation des experts, qui l'ont justifié, et l'on voit mal comment il pourrait leur être reproché de ne l'avoir pas justifié davantage ; que comme l'explique le docteur [T], la clarté nucale à hauteur de 3 mm se situe au 90e percentile des mesures et la mesure de 3,5 mm au 95e percentile, ce qui explique donc le taux de perte de chance à hauteur de 10 % ; que comme en 2009, on ne proposait de réaliser un prélèvement invasif qu'en cas de clarté nucale supérieure à 3 mm sans tenir compte de la LCC, le chiffre de 10 % de perte de chance des experts se justifie ; que de même, le bilan de l'agence de bio-médecine entre 2010 et 2016 note une valeur prédictive positive de la clarté nucale isolée en 2010 de 15,6 %, et si on retire de ce chiffre, toute malformation du 1er trimestre ([A] n'ayant aucune malformation à la naissance), on retrouve le taux de perte de chance de 10 % indiqué par les experts ; que l'évaluation par le tribunal à hauteur de 10 % apparaît totalement justifiée et devra être purement et simplement confirmée par la cour.

Réponse de la cour

L'article L.1142-1 I du code de la santé publique dispose :

« I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. »

L'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et des familles dispose :

« Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. »

Il convient de rappeler que la cour n'étant pas saisie d'un appel principal ou incident portant sur le chef du jugement ayant retenu une faute de Mme [D] au préjudice des consorts [L], les moyens portant sur l'existence ou la gravité de la faute retenue sont sans objet et ne peuvent être examinés. Le tribunal a ainsi jugé de manière irrévocable que Mme [D] avait commis une faute caractérisée au sens de l'article L.114-5 du code de

l'action sociale et des familles engageant son entière responsabilité à l'égard des consorts [L].

En revanche, il convient d'apprécier le lien entre la nature de la faute commise par le médecin et le dommage pour déterminer la perte de chance subie par les parents de pratiquer une interruption volontaire de grossesse, étant précisé que la cour n'est nullement liée par l'avis de la CCI sur le taux de perte de chance ni par l'appréciation de celle-ci faite par les experts désignés par la CCI.

Mme [D] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu un taux de perte de chance appliqué à un préjudice moral évalué à 100 000 euros, alors que les appelants demandent de fixer le taux de perte de chance à 90 % et d'indemniser leurs préjudices au vu de ce taux.

Il est établi et non contesté que la mesure de la clarté nucale est, au stade de la première échographie, l'un des deux indicateurs essentiels, avec les marqueurs sériques, pour décider d'approfondir ou non l'évaluation du risque de trisomie 21 en proposant de pratiquer une amniocentèse.

Le médecin échographiste doit donc procéder, lors de la première échographie, à la mesure de la clarté nucale, et à la prise d'un cliché correspondant à celle-ci, étant précisé que la mesure d'une clarté nucale supérieure à 3 mm témoigne d'un risque élevé d'anomalie chromosomique chez le f'tus dont la trisomie 21.

Mme [D] a mesuré la clarté nucale du f'tus à 2 mm ainsi qu'il est mentionné dans le dossier médical de la patiente. Cependant, les experts désignés par la CCI ont conclu que « le cliché de mesure de mesure de la clarté nucale n'est pas conforme aux recommandations, avec un score de Herman à 1/9 ». Il convient de relever que les experts ont indiqué qu'aucune faute ne pouvait être reprochée au médecin quant aux deux autres échographies réalisées, l'enfant n'était pas atteint à la naissance de malformations décelables au dépistage échographique. Ils n'ont pas plus fait état d'une erreur quant à l'analyse des os propres du nez.

La CCI, suivant en cela les conclusions des experts, a indiqué :

« Il ressort des éléments du dossier et du rapport d'expertise que le suivi échographique réalisé par le Docteur [D] n'a pas été fait conformément aux recommandations en vigueur.

En effet, l'analyse des clichés de la première échographie et leur confrontation aux critères du score de Herman concluent à un résultat de 1/9, ce qui correspond à un résultat inacceptable.

Ces clichés ne satisfaisant pas aux critères de dépistage la mesure de la nuque n'est pas réinterprétable. Or, si la nuque avait été mesurée un peu plus épaisse (3 mm), un test diagnostic aurait pu être proposé aux parents. »

Ainsi que le tribunal l'a relevé, le score de Herman permet d'évaluer la qualité de la mesure de la clarté nucale lors de la première échographie. Ce score est particulièrement important pour réaliser un cliché en échographie prénatale. Il convient en ce sens de relever que la chambre disciplinaire

nationale de l'ordre des médecins qui a prononcé une sanction à l'encontre de Mme [D], par décision du 2 juillet 2021, a rappelé que parmi les pratiques qui étaient alors très généralement acceptées au sein de la profession, figuraient « les critères de qualité pour la mesure de la clarté nucale selon score d'Herman admis, et préconisée par le Collège d'échographie F'tale en 2008, le score devant être au moins de 7 pour une mesure valide. »

Mme [D] n'allègue ni ne justifie que le cliché de la clarté nucale avait un score Herman supérieur à celui mentionné par la CCI et les experts désignés par elle, et en toute hypothèse un score supérieur à 7. Elle prétend que la qualité du cliché importe peu, puisque l'examen dynamique à l''il nu lui a permis de mesurer une clarté nucale de 2 mm.

Or, cette position est contraire aux pratiques professionnelles puisque la validité de la mesure de la clarté nucale est nécessairement conditionnée par la qualité du cliché de celle-ci, à défaut de quoi le score de Herman sur la qualité de la mesure de la clarté nucale n'aurait pas de sens et d'utilité. C'est ce qu'indique la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins en rappelant l'exigence d'un score de Herman « pour une mesure valide ». De même, les experts désignés par la CCI ont qualifié la mesure de la clarté nucale de non-valide au regard de la qualité du cliché. L'avis du Dr [I] [G] du 20 janvier 2019 produit aux débats par les appelants précise d'ailleurs : « la mesure de la-clarté nucale (CN) est non valide car faite en coupe coronale et la mesure de la longueur crânio-caudale (LCG est faite sur une coupe sagittale non stricte », démontrant que la position du f'tus ne permettait pas un cliché de bonne qualité et donc une mesure correcte de la clarté nucale. »

La chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, en outre, répondu à l'argument de Mme [D] sur l'examen dynamique en des termes excluant toute équivoque quant aux manquements professionnels du médecin :

« Ces fautes grossières, qui semblent d'ailleurs indiquer que le Dr [D] n'a pas consacré à l'examen un temps suffisant, et que ne pouvait en aucun cas pallier, contrairement à ce qui est allégué en défense, un examen dynamique, auraient dû conduire le praticien à refaire les clichés jusqu'à obtention d'un résultat convenable. Faute de l'avoir fait, le Dr [D] a manqué aux obligations résultant pour elle des dispositions citées au point 3. »

Il résulte de ces éléments que Mme [D] n'a pas réalisé une mesure de la clarté nucale dans des conditions conformes aux pratiques professionnelles, de sorte que l'affirmation selon laquelle la clarté nucale était

de 2 mm ne peut être retenue, ainsi que les experts l'ont indiqué, le cliché n'étant pas réinterprétable compte tenu de sa faible qualité.

En ne réalisant pas d'autres clichés de la clarté nucale avec le f'tus dans la position exigée pour une mesure valide, de manière à obtenir un cliché présentant un score de Herman supérieur à 7, Mme [D] n'a pas permis

à M. et Mme [L] de disposer d'une information réelle et précise sur la clarté nucale du f'tus décelable lors de la première échographie.

Le tribunal a retenu un taux de perte de chance de 10 % en se fondant sur les explications données par le Docteur [T] selon lesquelles, la valeur prédictive positive de la clarté nucale isolée et des autres signes échographiques du premier trimestre pour la trisomie 21 était de 15,6 % en 2010 selon les chiffres du bilan de l'agence de biomédecine entre 2010 et 2016, « ce qui permet de comprendre que les experts ont retenu un taux de perte de chance de 10 % si on retire les autres malformations du premier trimestre des 15,6 % (ce que l'agence de biomédecine ne fait pas) puisse qu'en l'espèce, l'enfant [A] n'avait aucune malformation à la naissance ». Le tribunal a également considéré que le chiffre de 10 % de perte de chance s'expliquait par le fait qu'en 2009, on proposait de réaliser un prélèvement invasif en cas de clarté nucale supérieure à 3 mm, sans tenir compte de la longueur crânio-caudale et que 5 à 10 % des f'tus ont une clarté supérieure à 3 mm.

Cependant, le fait que le docteur [T], qui a établi une note pour le compte de Mme [D], a indiqué que « 3 mm de clarté nucale se situe au 90e percentile des mesures et 3,5 mm au 95e percentile » ne présente aucune pertinence pour la détermination de la perte de chance subie par les parents en l'absence de diagnostic prénatal de la trisomie 21. En effet, ces données n'informent que sur la fréquence statistique d'une clarté nucale du f'tus de 3 mm. Ainsi, sur l'ensemble des mesures réalisées par les échographistes, 10 % d'entre elles portent sur une clarté nucale de 3 mm. Or, la possibilité pour un échographiste de déceler une clarté nucale supérieure à 3 mm, lorsqu'elle existe effectivement, ne dépend pas de sa fréquence statistique, mais de la réalisation de l'échographie conformément aux pratiques professionnelles communément admises et en particulier, la réalisation d'un cliché de qualité présentant un score de Herman au moins égal à 7. Ou pour le dire autrement, le fait qu'une clarté nucale de 3 mm se retrouve sur 10, 20, ou 30 % des f'tus examinés, ne change pas la perte de chance subie par les parents lorsque, par la faute du médecin échographiste, une clarté nucale supérieure à 3 mm n'a pas pu être decelée.

S'agissant des données de l'Agence de la Biomédecine, il est établi que la valeur prédictive positive de la clarté nucale isolée et autres signes échographique du 1er trimestre, était de 15,6 % en 2010 pour la trisomie 21. La valeur prédictive positive est la probabilité que la condition soit présente lorsque le test est positif. Ainsi, en 2010, il existait une probabilité que le f'tus soit atteint de trisomie 21 de 15,6 % lorsqu'une clarté nucale de 3 mm

a été détectée. La valeur prédictive positive de 15,6 % évoquée par le docteur [T] signifie donc que, dans l'hypothèse où le docteur [D] n'aurait pas commis de faute et aurait mesuré une clarté nucale de 3 mm, il y aurait eu 15,6 % de chance qu'un diagnostic de trisomie 21 soit émis. Or, cette probabilité d'existence de la trisomie 21 n'est pas pertinente pour déterminer la perte de chance subie par les parents, car en l'espèce d'une part la clarté nucale n'a pas pu être valablement mesurée compte-tenu de la faute commise par le médecin échographiste, et d'autre part, l'enfant est né atteint de la trisomie 21, la probabilité ne présentant aucune utilité lorsque l'évènement est survenu. En tout état de cause, lorsqu'une clarté nucale de 3 mm est détectée, de nouvelles investigations sont réalisées, dont M. et Mme [L] ont été privés au regard de la faute du médecin échographiste.

La valeur prédictive positive de 15,6 % permet de considérer qu'une clarté nucale de 3 mm engendre un nombre conséquent de « faux-positif », mais ne dit rien du nombre de faux négatif. Les autorités de santé ayant édicté ce seuil de 3 mm pour déclencher des nouvelles investigations pour déceler une trisomie 21, il est établi qu'une mesure de la clarté nucale de 3 mm constitue un indicateur de risque élevé d'existence d'une trisomie 21.

Le taux de 10 % de perte de chance retenu par les premiers juges ne s'appuie donc sur aucune donnée pertinente. En revanche, il est certain que la faute commise par le médecin échographiste a privé M. et Mme [L] de la possibilité de déceler une clarté nucale de 3 mm, et donc d'un indicateur essentiel d'existence de la trisomie 21 et de réaliser des tests supplémentaires à même de contribuer au diagnostic de trisomie 21 dont le f'tus était atteint. Toutefois, il ne peut être établi avec certitude que si la première échographie avait été réalisée conformément aux normes professionnelles, une clarté nucale de 3 mm aurait été détectée, ni même que le diagnostic de trisomie 21 aurait été immanquablement posé. Ces éléments doivent être mis en lien avec la chance que les parents, dans l'hypothèse où la trisomie 21 aurait été diagnostiquée, décident de procéder à une intervention volontaire de grossesse, laquelle est très élevée, compte tenu du handicap que constitue la trisomie 21 et de son caractère incurable.

Les appelants soutiennent que la mesure nucale permet de détecter près de 60 % des f'tus porteurs de trisomie 21. La pièce qu'ils produisent à ce titre concerne la stratégie globale de dépistage prénatal de la trisomie 21 en France en 2011, et non spécifiquement la mesure de la clarté nucale. Toutefois, cette pièce révèle que le taux de dépistage de la trisomie 21 par les mesures préconisées par les autorités sanitaires est largement supérieur à 10 %.

Au regard de l'importance de la première échographie dans la stratégie de dépistage de la trisomie 21, la mesure de la clarté nucale qui ne consiste pas en de simples indices biologiques mais dans une anomalie visible sur le f'tus, cette mesure permet de mesurer un risque majeur de trisomie 21.

Il convient donc de fixer la perte de chance de procéder à une intervention volontaire de grossesse à 80 %. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fixé à 10 % la perte de chance de demander une interruption de grossesse à la suite de la faute commise par le docteur [D] en l'absence de diagnostic anténatal.

B- Sur le préjudice

Moyens des parties

Les appelants indiquent que le tribunal a parfaitement retenu l'existence d'un préjudice moral résultant non seulement de la découverte du handicap de leur enfant à la naissance, mais également des souffrances morales ressenties par chacun des parents confrontés aux bouleversements liés à l'accompagnement, sa vie durant, de leur enfant handicapé ; que le choc psychologique a ainsi été brutal au moment de la naissance, et la souffrance perdure compte tenu des propres souffrances et difficultés de l'enfant, ainsi que compte tenu des craintes légitimes quant à son avenir ; que le tribunal a toutefois limité l'évaluation de ce préjudice moral à la somme de 100 000 € alors que la réparation intégrale de ce préjudice justifie qu'il soit fixé à la somme de 150 000 € ; que les dispositions de l'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et de la famille ne font pas obstacle à la réparation de leur préjudice économique ; que ces dispositions légales constituent une restriction au principe essentiel de la réparation intégrale du préjudice qui doit donc être interprétée strictement ; que le texte ne visait qu'à exclure de toute demande indemnitaire les charges spécifiquement induites par le handicap, et non à limiter l'indemnisation au préjudice moral des parents ; qu'ils sont donc recevables à solliciter l'indemnisation du préjudice patrimonial qui présente un lien de causalité avec le défaut de diagnostic imputable au médecin ; que Mme [L] était chargée d'étude auprès d'une banque avec un revenu moyen de 15 350,50 € ; qu'elle a pris un congé parental longue durée, de la naissance de [A] jusqu'en décembre 2013 ; qu'à compter de 2014, elle est parvenue à stabiliser son activité, qui demeure toutefois à temps partiel ; que la perte subie par Mme [L] s'élève donc à la somme totale de 39 731 € à laquelle il convient d'ajouter la perte de chance d'une évolution de carrière favorable évaluée à la somme de 50 000 € ; que la perte de revenus de M. [L] qui exerce la profession de kinésithérapeute a été évaluée par un expert-comptable, M. [W], à la somme de 559 087 € ; qu'en effet, il n'a pas pu consacrer le temps qu'il consacrait habituellement à son activité pour pouvoir s'occuper de son fils, mais également par le choc psychologique important subi, l'ayant

conduit à ne plus pouvoir se consacrer aussi efficacement aux autres ; que la croissance de son activité depuis l'exercice 2008 a donc été brutalement stoppée à la naissance de [A] ; que l'évolution mensuelle des recettes en 2009 est particulièrement révélatrice du lien de causalité entre la faute du docteur [D] et la perte de revenus ; qu'il convient également de tenir compte de l'incidence sur les années à venir, évaluée à 50 000 €.

L'intimée réplique qu'en application de l'article L.114-5 du code de l'action sociale et des familles, il n'est plus question d'indemniser l'ensemble des préjudices occasionnés par le handicap de l'enfant à quelque titre que ce soit ; que la prise en charge de son handicap, autrefois assumée par le responsable et son assureur est désormais transférée à la solidarité nationale, sous forme du versement de la prestation de compensation du handicap instaurée de manière effective par la loi du 11 février 2005 ; que des décisions de justice ont ainsi refusé d'indemniser des préjudices de carrière de parents consécutifs au handicap de leur enfant ; que c'est d'ailleurs la raison pour laquelle la CCI n'avait pas donné suite à la demande d'indemnisation des parents quant aux dépenses de santé non intégralement prises en charge par la CPAM, aux besoins en tierce personne, pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle ; que le seul préjudice réparable résulte du fait de ne pas avoir disposé du choix de recourir à une interruption médicale de grossesse, en raison d'un défaut de diagnostic de la trisomie dont l'enfant est atteint ; que si quelques arrêts de jurisprudence ont pu admettre la réparation d'un préjudice économique des parents, il ne s'agit pas d'une jurisprudence constante.

Réponse de la cour

S'agissant du préjudice moral subi par chacun des parents, le tribunal a justement considéré qu'il résulte non seulement de la découverte du handicap de leur enfant [A] au moment de la naissance mais également des souffrances morales ressenties par chacun des deux parents confrontés en permanence aux malformations, aux limites et aux propres souffrances de leur enfant et des craintes qu'ils peuvent nourrir quant à son avenir, et que ce préjudice moral n'a rien de commun ni de comparable avec le préjudice d'affection en cas de décès d'un enfant, compte tenu notamment de son intensité qui perdure la vie durant et de la nécessité de faire face au handicap de l'enfant au quotidien. Ces souffrances justifient la fixation du préjudice moral à la somme de 100 000 retenue par le tribunal avant application du taux de perte de chance.

Il s'ensuit que Mme [D] sera condamnée à verser la somme de 80 000 euros (80 % x 100 000 €) à chacun des parents, en réparation du préjudice moral subi. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné le docteur [D] à verser à chacun des époux [L] la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral.

S'agissant de l'indemnisation du préjudice patrimonial sollicitée par les appelants, il y a lieu de relever que l'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et des familles prévoit que dans le cas où la responsabilité d'un professionnel est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur préjudice, sans exclure la réparation du préjudice patrimonial ou économique subi.

Le législateur a apporté une seule restriction à l'indemnisation du préjudice subi par les parents en précisant que « ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap », dès lors que la compensation de ce handicap relève de la solidarité nationale.

La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, invoquée par l'intimée, a effectivement consacré un droit de toute personne handicapée à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale, ainsi qu'il résulte de l'article L.114-1 du code de l'action sociale et des familles.

S'agissant de la prestation de compensation du handicap instaurée par cette loi, l'article L.114-1-1 du code de l'action sociale et des familles dispose :

« La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie.
Cette compensation consiste à répondre à ses besoins, qu'il s'agisse de l'accueil de la petite enfance, de la scolarité, de l'enseignement, de l'éducation, de l'insertion professionnelle, des aménagements du domicile ou du cadre de travail nécessaires au plein exercice de sa citoyenneté et de sa capacité d'autonomie, du développement ou de l'aménagement de l'offre de service, permettant notamment à l'entourage de la personne handicapée de bénéficier de temps de répit, du développement de groupes d'entraide ou de places en établissements spécialisés, des aides de toute nature à la personne ou aux institutions pour vivre en milieu ordinaire ou adapté, ou encore en matière d'accès aux procédures et aux institutions spécifiques au handicap ou aux moyens et prestations accompagnant la mise en 'uvre de la protection juridique régie par le titre XI du livre Ier du code civil. Ces réponses adaptées prennent en compte l'accueil et l'accompagnement nécessaires aux personnes handicapées qui ne peuvent exprimer seules leurs besoins. »

La prestation de compensation du handicap, concrétisant l'objectif de solidarité nationale, est donc un droit de la personne handicapée afin de lui garantir ses droits et son autonomie, et ne constitue pas une indemnisation des préjudices subis par les parents de la personne handicapée du fait de l'absence de diagnostic de la maladie handicapante avant la naissance.

Mme [D] est donc mal fondée à soutenir que les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de son handicap, prises en charges par la solidarité nationale par le biais de la prestation de compensation du handicap, incluent également les autres préjudices subis par les parents tels que les préjudices économiques distincts du handicap de l'enfant.

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité concernant notamment l'exclusion de certains préjudices dans l'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et des familles, le Conseil constitutionnel (décision 2010-2-QPC du 11 juin 2010) n'a pas retenu d'atteinte au principe de responsabilité garanti par la Constitution en considérant notamment que « les professionnels et établissements de santé demeurent tenus d'indemniser les parents des préjudices autres que ceux incluant les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de son handicap ; que, dès lors, le troisième alinéa de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles n'exonère pas les professionnels et établissements de santé de toute responsabilité ».

Il résulte de ces éléments que l'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et des familles ne limite pas l'indemnisation des parents d'un enfant handicapé au seul préjudice moral subi, lesquels peuvent solliciter l'indemnisation de tout autre préjudice distinct des charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de son handicap, tel que le préjudice économique.

Mme [L] justifie qu'elle exerçait un emploi dans une banque lui procurant un revenu annuel moyen de 15 350,50 euros à la naissance de son enfant [A]. Elle indique avoir pris un congé parental longue durée, de la naissance de [A] jusqu'en décembre 2013. Elle justifie avoir subi une perte de revenu de 7 957,50 euros en 2010, 14 910,50 euros sur l'année 2012 et une perte de revenu de 13 229,50 euros sur l'année 2013.

Elle produit une attestation du responsable des ressources humaines de l'entreprise dans laquelle elle est employée, en date du 14 décembre 2017, mentionnant : « Mme [O] [L] travaille au sein de nos locaux à hauteur de 60 % d'un temps plein, demande formulée par ses soins, afin de s'occuper de son enfant en situation de handicap. Ce rythme de travail n'étant pas compatible avec son ancien poste de chargée d'étude, Mme [L] a été réaffectée en tant que rédactrice crédits ». Elle justifie d'une perte de revenu de 1 187,50 euros en 2014, de 1 107,50 euros en 2015 et de 1 338,50 euros en 2016.

Le rapport des experts désignés par la CCI mentionne que l'enfant [A] [L] a été suivi en psychomotricité en 2010 et 2011, avec des bilans orthophoniques chaque année, et des séances de kinésithérapie assurée par son père. Examiné à l'âge de 6 ans, les experts ont indiqué :

« Son développement psychomoteur est celui d'un enfant trisomique 21. Il a marché après l'âge de 3 ans, il a commencé à parler et à faire des phrases depuis six mois. Il n'a pas acquis la propreté. Il est gaucher et tient le crayon dans une pince pouce index. Il mange seul, reste à la cantine, sait utiliser une cuillère mais préfère souvent manger avec les doigts. Il ne coupe pas ses aliments. Il boit au verre et il n'a quasiment plus de trouble de déglutition.

Il dort de 21h30 à 06h30, puis se lève, réveille la maisonnée, ou va manger dans la cuisine.

Il a été pris en charge au CAMSP jusqu'en 2015 puis au SESSAD (psychologue 1/semaine, psychomotricité 1/semaine, orthophonie 2/semaine, éducatrice spécialisée 1/semaine, kinésithérapie avec son papa tous les jours). Il était scolarisé avec une AVS 12 h / semaine au cours de l'année 2015-2016. En septembre 2016 il sera dans une classe ULIS avec un suivi SESSAD.

Scolarisé au cours de l'année 2015-2016, il était récupéré à 16h30 et rentrait au domicile. Sa maman a repris un travail à 60 % Il est gardé 10 h par semaine par une personne à domicile.

Il a une prise en charge SS à 100 % Un dossier MDPH est en cours. Il a une carte d'invalidité ; le taux n'est pas précisé par ses parents en réunion. Les parents de [A] font état de frais de santé à charge correspondant aux couches, à des suppositoires de glycérine, à une seconde paire de lunettes.

Les parents de [A] ont évoqué les difficultés sur la fratrie du comportement de [A] au domicile et celles attenantes à l'acceptation du handicap et de la différence. »

Il est donc établi qu'en raison de la trisomie 21 dont il est atteint, [A] a demandé de la part de ses parents une attention accrue, des soins réguliers, un accompagnement de tous les instants qui a nécessité de lui consacrer beaucoup de temps. Il s'ensuit que le congé parental de longue durée pris par Mme [L], ainsi que la nécessité de travailler à temps partiel sont en lien direct avec la faute commise par le médecin échographiste qui est donc tenu de réparer la perte de revenu subie.

En conséquence, après application du coefficient de perte de chance, Mme [D] sera condamnée à payer à Mme [L] la somme totale de 31 784,80 euros ((7 957,50 + 14 910,50 + 13 229,50 + 1 187,50 + 1 107,50 + 1 338,50) x 80 %). Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande d'indemnisation du préjudice patrimonial.

Mme [L] sollicite également une indemnité de 50 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier d'une évolution de carrière. Elle justifie de cette demande en alléguant le fait qu'elle occupait un poste à plein temps de chargée d'étude avant d'être contrainte d'accepter un poste à temps partiel, de rédactrice crédits. Cependant, ce changement de poste induit par son passage à temps partiel a déjà été indemnisé par la perte de revenu précédemment fixée. Mme [L] ne justifie pas qu'elle ne peut pas revenir à son poste antérieur, à temps plein, ni même que son évolution professionnelle est compromise au regard de la période passée dans le poste

de rédactrice crédits à temps partiel. En conséquence, la demande indemnitaire formée à ce titre sera rejetée.

M. [L] exerce quant à lui la profession de kinésithérapeute et indique qu'il a intégré un cabinet avec deux associés dont il a progressivement acquis les parts pour exercer seul à compter de 2008.

Aux fins d'établir l'existence d'une perte de revenus depuis la naissance de son enfant [A], il produit aux débats une note établie par le cabinet d'expertise-comptable Bakertilly Strego, en date du 28 mai 2019, au vu des synthèses de l'association de gestion agrée ayant contrôlé les comptes et de la répartition des recettes pour l'année 2009. Or, ces documents ne sont pas produits aux débats, la cour ne disposant d'aucun bilan comptable de M. [L] permettant d'établir l'existence d'une perte de gains.

En outre, l'expert-comptable a calculé une perte de gains sur la base de la méthode de la droite de régression linéaire, en considérant que la progression annuelle de recettes a été de 25 807 euros entre 2006 et 2008, et que le pic de recettes a été atteint au cours de l'exercice 2018 avec 273 502 euros. L'expert-comptable a ensuite appliqué la progression linéaire de 25 807 euros par an à compter de 2009 de sorte que le seuil de recettes maximum était quasi-atteint en 2010, puis a fait la différence entre les chiffres de recettes résultant de cette progression linéaire et les recettes réellement réalisées pour en déduire une perte de recettes de 638 592 euros par rapport à la tendance statistique. En prenant en compte le poids relatif moyen des charges, l'expert-comptable a calculé une perte de marge sur coût variable sur la période de 2009 à 2017 d'un montant de 559 087 euros.

Cette méthode de calcul ne peut toutefois être retenue dans le cadre de l'évaluation d'une perte de gains professionnels en lien avec la faute du médecin. En effet, elle ne tient pas compte de la réalité économique et de l'évolution moyenne des cabinets de kinésithérapie de taille identique sur la même période. Le postulat de départ concernant la progression annuelle de recettes de 25 807 euros ne tient pas compte du fait que de 2006 à 2008, le cabinet comportait deux associés en plus de M. [L] alors que celui-ci a exercé seul son activité à partir de 2008, à une date qui n'est pas précisée.

La méthode appliquée purement linéaire aboutit d'ailleurs à considérer que de 2010 à 2017, M. [L] aurait nécessairement réalisé des recettes annuelles d'un montant strictement identique de 271 708 euros, proche du montant maximum de recettes atteint en 2018, ce qui ne peut correspondre à la réalité de ce qui se serait produit en l'absence du fait dommageable. Le modèle statistique purement abstrait établi par l'expert-comptable n'est donc pas de nature à démontrer la perte de gains subie par M. [L] du fait de la faute du médecin.

Les déclarations d'impôts sur le revenu versées aux débats font apparaître les bénéfices non commerciaux déclarés par M. [L], soit 141 175 euros en 2007, et 120 094 euros en 2008. Ses bénéfices moyens étaient donc, sur les deux années précédant la naissance de [A], de 130 634 euros. En comparant de revenu moyen avec les revenus déclarés figurant sur les avis d'imposition sur les revenus de 2009 à 2016, il en ressort les pertes de gains suivantes

- en 2009 : 130 634 - 96 550 = 34 084 €

- en 2010 : 130 634 - 111 083 = 19 551 €

- en 2011 : revenu de 133 747 € : aucune perte

- en 2012 : 130 634 - 109 782 = 20 852 €

- en 2013 : 130 634 - 109 671 = 20 963 €

- en 2014 : 130 634 - 123 521 = 7 113 €

- en 2015 : 130 634 - 123 521 = 7 113 €

- en 2016 : revenu de 150 330 € : aucune perte

Soit une perte totale de gains de 109 676 euros

La forte chute de revenus constatée en 2009, année de naissance de [A], démontre que la baisse des revenus est en lien avec le temps consacré par M. [L] à son enfant, à raison de sa maladie, et cette perte de revenus a perduré jusqu'en 2015. Mme [D] dont la faute a fait perdre aux parents une chance de voir diagnostiquer la trisomie 21 pendant la grossesse et de pratiquer une interruption volontaire de celle-ci, doit donc indemniser la perte de gains subie par M. [L] à hauteur de la chance perdue.

En conséquence, après application du coefficient de perte de chance, Mme [D] sera condamnée à payer à M. [L] la somme totale de 87 740,80 euros (109 676 x 80 %). Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [L] de sa demande d'indemnisation du préjudice patrimonial.

M. [L] sollicite également une somme de 50 000 euros pour tenir compte de l'incidence sur les années à venir. Or, il n'est démontré aucune perte de revenus postérieure à 2015, car seuls avis d'imposition sur les revenus de 2007 à 2016 sont produits, et aucun document comptable n'a été communiqué. L'incidence du fait dommageables sur les années à venir n'est donc établie et M. [L] sera donc déboutée de sa demande formée à ce titre.

II- Sur l'indemnisation du préjudice des frère et s'urs

Moyens des parties

Les consorts [L] expliquent que le tribunal a considéré à tort que les dispositions de l'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et des familles interdisaient toute demande de réparation du préjudice subi par les

frères et s'urs de l'enfant né handicapé ; que ces dispositions constituent toutefois une restriction au principe essentiel de la réparation intégrale du préjudice et doivent donc être interprétées strictement ; que la jurisprudence a ainsi pu considérer que la loi du 4 mars 2002 n'a pas exclu l'indemnisation des préjudices par ricochet des frères et s'urs de l'enfant ; que la référence exclusive aux parents au sein des dispositions de l'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et des familles n'a vocation qu'à délimiter la restriction au principe de réparation intégrale du préjudice des parents pour ce qui concerne le préjudice lié aux charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, du handicap ; qu'il ne peut être nié que [S], [Z] et [B] [L] ont personnellement subi un préjudice moral et les experts ont relevé les difficultés sur la fratrie du comportement de [A] au domicile et celles attenantes à l'acceptation du handicap et de la différence ; qu'il ne peut être nié que la naissance d'un frère lourdement handicapé a un impact important sur ses frères et s'urs qui se trouvent brutalement confrontés à la souffrance de leurs parents et à la nécessité d'accepter la différence de leur frère ; qu'ils doivent faire face au fait que leurs parents doivent particulièrement se consacrer à [A], étant de fait sans doute moins disponibles qu'ils auraient pu l'être ; qu'ils sont encore confrontés au regard des autres, qui peut être particulièrement méchant ou culpabilisant ; que le jugement sera réformé en ce qu'il a rejeté l'indemnisation du préjudice moral des frère et s'urs et leur allouera une somme de 50 000 euros en réparation de leur préjudice.

Mme [D] réplique que le choix d'une interruption médicale de grossesse n'appartenant qu'aux parents de l'enfant, seul ce préjudice moral subi peut donner lieu à indemnisation ; qu'il résulte, par ailleurs, des termes exprès de l'article L.114-5 du code de l'action sociale et des familles que le préjudice moral des frères et s'urs ne répond pas aux critères permettant sa réparation ; que la jurisprudence récente opte ainsi pour une interprétation stricte de l'article L.114-5 du code de l'action sociale et des familles, lequel a entendu limiter la réparation au préjudice des seuls parents, entendus comme les père et mère de l'enfant né handicapé ; que subsidiairement, si la cour décidait néanmoins de faire droit à la réparation du préjudice moral invoqué pour les frères et s'urs de [A] [L], les montants sollicités pour ces derniers devraient être réduits dans de larges proportions.

Réponse de la cour

L'article L.1142-1 I du code de la santé publique a instauré un régime légal de responsabilité des professionnels de santé pour faute, les obligeant à répondre des conséquences de celles-ci à l'égard des victimes subissant un dommage causé par cette faute.

Les dispositions de l'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et des familles, a introduit une restriction au droit à réparation intégrale des parents

concernant exclusivement les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap, dont la compensation de relève de la solidarité nationale.

Les débats parlementaires préalables à l'adoption de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, ayant modifié l'article L.114-5 du code de l'action sociale et des familles, ne concernent que la situation des parents entendus comme la mère et le père de l'enfant né handicapé par suite d'un défaut fautif de diagnostic au cours de la grossesse, et ne pouvaient concerner que les parents qui sont les seuls à même de décider de recourir à une interruption volontaire de grossesse en cas de maladie incurable de l'enfant à naître.

Il convient en ce sens de souligner que l'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et des familles rappelle le droit des parents de solliciter réparation de leur préjudice, avant d'énoncer qu'il ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap, qui ne peut concerner que le père et la mère de l'enfant handicapé.

En outre, si l'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et des familles évoque le fait que les parents peuvent demander une indemnité « au titre de leur seul préjudice », cela n'emporte pas pour autant l'impossibilité de solliciter une indemnisation du dommage subi par leur enfant mineur dont ils sont les représentants légaux. En effet, l'alinéa 3 doit être lu au regard des deux premiers alinéas qui disposent :

« Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance.

La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. »

La disposition selon laquelle les parents peuvent demander l'indemnisation de « leur seul préjudice » n'est donc que la réaffirmation du principe selon lequel l'enfant né handicapé, représenté pendant sa minorité par ses parents, ne peut être indemnisé du seul fait de sa naissance avec un handicap.

Il résulte de l'ensemble de ces considérations que les dispositions de l'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et des familles ont seulement pour objet de délimiter le droit à réparation des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée d'un professionnel de santé, et ne visent pas à prohiber l'indemnisation des préjudices subis par les frères et s'urs de l'enfant né handicapé.

Au surplus, il convient de rappeler que le principe selon lequel tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer a valeur constitutionnelle, ainsi que l'a

décidé le Conseil constitutionnel rappelant « que le droit français ne comporte, en aucune matière, de régime soustrayant à toute réparation les dommages résultant de fautes civiles imputables à des personnes physiques ou morales de droit privé, quelle que soit la gravité de ces fautes » (Décision n° 82-144 DC du 22 octobre 1982). Il s'ensuit que seule une disposition spéciale prévue par loi pourrait restreindre, et non pas exclure, l'indemnisation du préjudice subi par la fratrie de l'enfant né handicapé, ce que n'a pas fait le législateur lors de l'adoption de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002.

Le tribunal a donc considéré, à tort, que les dispositions de l'article L.114-5 alinéa 3 du code de l'action sociale et des familles excluaient, par principe, l'indemnisation des frères et s'urs de l'enfant né handicapé, alors que celle-ci est admise lorsque sont prouvés la faute caractérisée du professionnel de santé et le dommage causé par celle-ci.

Il est établi que [B] [L], [S] [L] et [Z] [L] étaient mineurs et vivaient au foyer parental lors de la naissance de [A] [L]. La maladie dont celui-ci est atteint a eu des répercussions sur la vie familiale. Ainsi, M. et Mme [L] ont été accaparés dès la naissance de [A] par la prise en charge de son handicap, en consacrant plus de temps à son développement et aux soins nécessités par sa maladie, au détriment du temps qu'ils auraient pu consacrer aux autres enfants si [A] n'avait pas été atteint de la trisomie 21.

Par ailleurs, la fratrie de [A] [L] a été témoin des souffrances endurées par leurs parents, liées au handicap dont celui-ci était atteint.

Il est donc indéniable que la vie familiale a été déstabilisée par la maladie dont [A] [L] est atteint, ce qui justifie l'indemnisation du préjudice moral subi par chaque frère et s'ur à hauteur de 10 000 euros.

Mme [D] sera donc condamnée au paiement de ces indemnités réparant le préjudice moral des frère et s'urs de [A] [L], sur lequel aucun coefficient de perte de chance n'est applicable s'agissant d'un préjudice certain dépourvu d'aléa.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté les époux [L] agissant ès qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs [S], [Z] et [B] de leurs demandes au titre du préjudice moral.

III- Sur les dispositions accessoires

Le présent arrêt sera déclaré opposable à la caisse primaire d'assurance-maladie d'Indre-et-Loire.

Compte tenu de la solution donnée au litige, il convient de condamner Mme [D] aux dépens d'appel et à payer à M. et Mme [L] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

CONSTATE la reprise de l'instance interrompue par la majorité de M. [S] [L] et de Mme [Z] [L] ;

INFIRME le jugement en ce qu'il a :

- fixé à 10 % la perte de chance de demander une interruption de grossesse à la suite de la faute commise par le docteur [D] en l'absence de diagnostic anténatal ;

- condamné en conséquence le docteur [D] à verser à chacun des époux [L] la somme de 10 000 € au titre du préjudice moral ;

- débouté les époux [L] de leurs demandes d'indemnisation du préjudice patrimonial ;

CONFIRME le jugement en ses autres dispositions critiquées ;

STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT :

FIXE à 80 % la perte de chance de M. et Mme [L] de demander une interruption de grossesse à la suite de la faute commise par le docteur [D] ;

CONDAMNE Mme [D] à payer à Mme [O] [L] les sommes de :

- 80 000 euros en réparation du préjudice moral ;

- 31 784,80 euros en réparation du préjudice patrimonial ;

CONDAMNE Mme [D] à payer à M. [X] [L] les sommes de :

- 80 000 euros en réparation du préjudice moral ;

- 87 740,80 euros en réparation du préjudice patrimonial ;

CONDAMNE Mme [D] à payer à M. et Mme [L] ès qualités de représentants légaux de leur enfant [B] [L] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

CONDAMNE Mme [D] à payer à M. [S] [L] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

CONDAMNE Mme [D] à payer à Mme [Z] [L] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

DÉCLARE le présent arrêt opposable à la caisse primaire d'assurance-maladie d'Indre-et-Loire ;

CONDAMNE Mme [D] à payer à M. [X] [L] et Mme [O] [L] la somme complémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [D] aux entiers dépens d'appel.

Arrêt signé par Mme Anne-Lise COLLOMP, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/01357
Date de la décision : 09/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-09;21.01357 ?
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