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03/11/2022 | FRANCE | N°21/00453

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 03 novembre 2022, 21/00453


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 56C



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 03 NOVEMBRE 2022



N° RG 21/00453 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UIZW







AFFAIRE :



S.A. ENEDIS



C/



S.A.R.L. IKEM

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Décembre 2020 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE

N° Chambre : 2

N° RG : 2018F00860



Expéd

itions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.11.2022

à :



Me Armelle DE CARNE DE CARNAVALET



Me Yann-Charles CORRE



Me Oriane DONTOT



TC PONTOISE









RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TROIS NOVEMBRE DEUX MILLE VIN...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 56C

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 03 NOVEMBRE 2022

N° RG 21/00453 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UIZW

AFFAIRE :

S.A. ENEDIS

C/

S.A.R.L. IKEM

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Décembre 2020 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE

N° Chambre : 2

N° RG : 2018F00860

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.11.2022

à :

Me Armelle DE CARNE DE CARNAVALET

Me Yann-Charles CORRE

Me Oriane DONTOT

TC PONTOISE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TROIS NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. ENEDIS anciennement dénommée ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE

RCS Nanterre n° 444 608 442

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Armelle DE CARNE DE CARNAVALET, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 415

Représentant : Me POIDEVIN substituant à l'audience Me Gilles ROUMENS de la SCP COURTEAUD PELLISSIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0023

APPELANTE

****************

S.A.R.L. IKEM

RCS Pontoise n° 821 918 141

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentant : Me Yann-Charles CORRE, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 4

S.A. ELECTRICITE DE FRANCE - EDF

RCS Paris n° 552 081 317

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617

Représentants : Me Philippe-Gildas BERNARD et Me Fanny AUDEBERT de l'AARPI NGO JUNG & PARTNERS, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : R013

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 Juin 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Véronique MULLER, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

Le 12 octobre 2016, la société Ikem exerce une activité de restauration dans un local qu'elle loue sur la commune de [Localité 7]. Elle a conclu un contrat avec la société Électricité de France (ci-après la société EDF), portant sur la fourniture d'électricité tarif bleu pour clients non résidentiels et pour une option base 12kVA.

La société EDF assure la fourniture d'électricité. La société Enedis (ex ERDF) gère le réseau réseau de distribution électrique.

Le 15 novembre 2017, la société Enedis (ex ERDF) est intervenue dans les locaux de la société Ikem afin de procéder au remplacement du compteur existant par un compteur Linky 12kVA.

Ce nouveau compteur a disjoncté le même jour dès la mise en route des appareils électriques utilisés par la société Ikem du fait de la puissance insuffisante de celui-ci.

La société Ikem a alors sollicité une intervention fixée par la société Enedis au 4 décembre 2017 en vue d'augmenter la puissance du compteur récemment installé.

Dans ce contexte, la société Ikem a décidé de fermer son restaurant du 17 novembre 2107 au 4 décembre 2017.

Le 4 décembre 2017, la société Enedis est intervenue dans les locaux de la société Ikem afin d'augmenter la puissance du nouveau compteur sans que depuis un nouvelle disjonction du compteur ne soit rapportée.

Par courriers recommandés du 1er juin 2018, la société Ikem a mis en demeure vainement la société EDF de réparer l'ensemble des préjudices qu'elle a subis du fait de la fermeture de son établissement. Elle a également adressé à la société Enedis une mise en demeure tout aussi vaine aux mêmes fins.

Par actes des 31 octobre et 5 novembre 2018, la société Ikem a assigné les sociétés EDF et Enedis devant le tribunal de commerce de Pontoise aux fins de les voir condamnées in solidum à réparer l'ensemble des préjudices subis du fait de leurs manquements à leurs obligations.

Par jugement du 11 décembre 2020, le tribunal de commerce de Pontoise a :

- Déclaré la société Ikem partiellement fondée en ses demandes ;

- Déclaré la société Enedis responsable au titre des manquements commis envers la société Ikem à l'occasion du changement de son compteur intervenu le 15 novembre 2017 ;

- Condamné la société Enedis à verser à titre de dommages et intérêts à la société Ikem les sommes suivantes :

- 15.000 euros en réparation de sa perte de marge brute,

- 1.491,34 euros en réparation de la perte des denrées périssables,

- 250,01 euros en remboursement du coût du procès-verbal d'huissier,

- 2.000 euros en réparation du préjudice d'atteinte à son image de marque,

- Débouté la société Ikem de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la société EDF ;

- Condamné la société Enedis à payer à la société Ikem la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Déclaré la société EDF mal fondée en sa demande en paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'en a déboutée ;

- Condamné la société Enedis aux dépens de l'instance ;

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 22 janvier 2021, la société Enedis a interjeté appel du jugement à l'encontre de la société Ikem et de la société EDF.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 5 octobre 2021, la société Enedis demande à la cour de :

A titre principal,

- Déclarer la société Enedis recevable et bien fondée en son appel ;

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 11 décembre 2020 en ce qu'il a:

- déclaré la société Enedis responsable au titre des manquements commis envers la société Ikem à l'occasion du changement de son compteur intervenu le 15 novembre 2017 ;

- condamné la société Enedis à verser à titre de dommages et intérêts à la société Ikem les sommes suivantes :

- 15.000 euros en réparation de sa perte de marge brute ;

- 1.491,34 euros en réparation de la perte des denrées périssables ;

- 250,01 euros en remboursement du coût de procès-verbal d'Huissier ;

- 2.000 euros en réparation du préjudice d'atteinte à l'image de marque ;

- débouté la société Ikem de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la société EDF ;

- condamné la société Enedis à payer à la société Ikem la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté toutes les demandes de la société Enedis ;

- condamné la société Enedis aux entiers dépens ;

Et statuant à nouveau,

- Débouter la société Ikem de son appel incident et de l'ensemble de ses demandes à l'égard de la société Enedis ;

A titre subsidiaire,

- Juger que la société Ikem ne justifie pas de la réalité et de l'étendue de ses  préjudices ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Ikem de :

- 4.122,82 euros au titre du règlement des salaires ;

- 956,75 euros au titre des charges sociales ;

- 1.900,16 euros au titre du paiement des loyers ;

- 2.000 euros au titre de la perte de clientèle ;

- 1.000 euros au titre du préjudice moral ;

En tout état de cause,

- Condamner in solidum toute partie succombante à payer à la société Enedis la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Ikem aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel et, concernant ces derniers, autoriser Me de Carne, avocat, à se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 14 septembre 2021, la société Ikem demande à la cour de :

- Déclarer recevable et bien fondée la société Ikem en son appel incident et en ses demandes, et y faisant droit ;

- Déclarer la société Enedis mal fondée en son appel principal, l'en débouter ;

- Déclarer la société EDF mal fondée en son appel incident, l'en débouter ;

- Déclarer la société Enedis et la société EDF mal fondées en leurs moyens de défense et demandes reconventionnelles, les en débouter ;

- Déclarer que la responsabilité de la société EDF est engagée du fait des manquements qu'elle a commis ;

- Déclarer que la responsabilité de la société Enedis est engagée du fait des manquements qu'elle a commis ;

- Déclarer les sociétés EDF et Enedis entièrement et solidairement responsables des préjudices subis par la société Ikem ;

En conséquence,

- Confirmer le jugement rendu le 11 décembre 2020 par le tribunal de commerce de Pontoise en ce qu'il a :

- Déclaré la société Enedis responsable au titre des manquements commis envers la société Ikem à l'occasion du changement de son compteur intervenu le 15 novembre 2017;

- Condamné la société Enedis à verser à titre de dommages et intérêts à la société Ikem les sommes suivantes :

- 15.000 euros en réparation de sa perte de marge brute,

- 1.491,34 euros en réparation de la perte des denrées périssables,

- 250,01 euros en remboursement du coût du procès-verbal d'huissier,

- 2.000 euros en réparation du préjudice d'atteinte à son image de marque,

- Condamné la société Enedis à payer à la société Ikem la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Déclaré la société EDF mal fondée en sa demande en paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'en déboute ;

- Condamné la société Enedis aux dépens de l'instance, liquidés à la somme de 98,79 euros, ainsi qu'aux frais d'acte et de procédure d'exécution, s'il y a lieu;

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- Infirmer le jugement rendu le 11 décembre 2020 par le tribunal de commerce de Pontoise en ce qu'il a :

- Déclaré la société Ikem partiellement fondée en ses demandes ;

- Débouté la société Ikem de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la société EDF ;

- Implicitement rejeté les demandes indemnitaires de la société Ikem tendant à voir condamner in solidum les sociétés Enedis et EDF à réparer l'ensemble des préjudices subis par la société Ikem et, à cet effet, à voir condamner in solidum les sociétés Enedis et EDF à lui verser les sommes suivantes :

- 4.122,82 euros en remboursement des salaires versés inutilement par la société Ikem à ses salariés durant la période de fermeture forcée ;

- 956,75 euros en remboursement des charges sociales réglées inutilement par la société Ikem durant la période de fermeture forcée ;

- 1.900,16 euros en remboursement du loyer commercial réglé inutilement par la société Ikem compte tenu de l'impossibilité d'exercer l'activité de restauration dans les locaux loués ;

- 2.000 euros en réparation du préjudice de perte de clientèle lié aux annulations de réservation et de la fermeture inopinée du restaurant ;

- 1.000 euros en réparation du préjudice moral ;

Et statuant à nouveau,

- Déclarer que la responsabilité de la société EDF est engagée du fait des manquements qu'elle a commis et qu'elle doit réparer, in solidum avec la société Enedis, l'ensemble des préjudices subis par la société Ikem ;

- Condamner in solidum la société EDF et la société Enedis à réparer l'ensemble des préjudices subis par la société Ikem ;

- Condamner la société EDF, in solidum avec la société Enedis, à verser à la société Ikem les sommes suivantes :

- 15.000 euros en réparation de sa perte de marge brute ;

- 1.491,34 euros en réparation de la perte des denrées périssables ;

- 250,01 euros en remboursement du coût du procès-verbal d'huissier ;

- 2.000 euros en réparation du préjudice d'atteinte à son image de marque ;

- Condamner in solidum la société Enedis et la société EDF à verser à la société Ikem les sommes suivantes :

- 4.122,82 euros en remboursement des salaires versés inutilement par la société Ikem à ses salariés durant la période fermeture forcée ;

- 956,75 euros en remboursement des charges sociales réglées inutilement par la société Ikem durant la période de fermeture forcée ;

- 1.900,16 euros en remboursement du loyer commercial réglé inutilement par la société Ikem compte tenu de l'impossibilité d'exercer l'activité de restauration dans les locaux loués ;

- 2.000 euros en réparation du préjudice de perte de clientèle lié aux annulations de réservation et de la fermeture inopinée du restaurant ;

- 1.000 euros en réparation du préjudice moral ;

Et y ajoutant,

- Débouter la société Enedis et la société EDF de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires ;

- Condamner in solidum la société Enedis et la société EDF à verser à la société Ikem une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner in solidum la société Enedis et la société EDF aux entiers dépens d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 13 septembre 2021, la société Électricité de France demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Ikem de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la société EDF ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a alloué à la société Ikem la somme de 18.741,35 euros au titre de ses préjudices ;

En conséquence et statuant à nouveau,

A titre principal,

- Juger que la société EDF n'a commis aucun manquement contractuel de nature à engager sa responsabilité, tant en ce qui concerne le choix de la puissance d'électricité fournie à la société Ikem, qu'en ce qui concerne la gestion de l'incident du 15 novembre 2017 ;

En conséquence,

- Débouter la société Ikem de son appel incident et de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la société EDF ;

A titre subsidiaire,

- Juger que la société Ikem ne justifie pas de la réalité et de l'étendue de ses  préjudices ;

En conséquence,

- Débouter la société Ikem de son appel incident et de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la société EDF ;

- A défaut, juger que le montant des préjudices alloués à la société Ikem seront limités à la somme de 16.741,35 euros ;

En tout état de cause,

- Condamner la société Ikem à verser à la société EDF la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Oriane Dontot, JRF & associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 avril 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'constater', de 'dire et juger' ou 'déclarer' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.

Sur la responsabilité des sociétés Enedis et EDF

La société Enedis critique le jugement qui a retenu à son encontre un manquement à son obligation de conseil alors qu'il appartenait à la société Ikem seule de souscrire une puissance suffisante. Elle ajoute que la société Ikem, ne peut lui reprocher une intervention prétendument tardive pour rétablir une puissance suffisante.

La société EDF sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu son absence de faute sur le choix de la puissance du compteur, les dispositions contractuelles la liant à son client prévoyant que cette puissance est déterminée à l'origine sur la base des éléments d'information recueillis auprès du client, le client devant en cours d'exécution du contrat s'assurer de l'adéquation de la puissance avec ses besoins. La société EDF fait également valoir que son rôle se limite à fournir de l'électricité et qu'elle ne peut être tenue responsable des dysfonctionnements du réseau de distribution notamment du délai d'intervention de la société Enedis et de ses conséquences.

La société Ikem sollicite la confirmation du jugement qui a retenu la responsabilité de la société Enedis pour avoir manqué à son obligation d'information et de conseil à propos de la puissance du compteur Linky nouvellement installé. Elle critique, en revanche, le jugement qui retenant la responsabilité de la société Enedis a cependant écarté celle de la société EDF alors que cette dernière a manqué à son devoir de conseil à propos de la puissance du compteur litigieux, les deux sociétés EDF et Enedis ayant en outre exposé leur responsabilité au titre de la gestion tardive de l'incident.

*

Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.

Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

*

Sur la puissance du compteur Linky

Les conditions générales (les Conditions Générales) de vente d'électricité dans leur version du 1er novembre 2015 (pièce 1 EDF) s'appliquent, sans que cela soit contesté, aux relations entre, d'une part, la société EDF qui assure la fourniture d'électricité et la société Enedis (ex ERDF) qui en assure l'acheminement et, d'autre part, le client, en l'espèce la société Ikem (article 1).

Ce même article 1 prévoit qu'en souscrivant le contrat avec la société EDF, le client (ici la société Ikem), conserve une relation contractuelle directe avec la société Enedis (ex ERDF) pour les prestations relevant de l'acheminement de l'électricité sur le réseau public de distribution d'électricité (RPD).

L'article 4 de ces mêmes Conditions Générales dispose que le 'Client choisit une option tarifaire en fonction de ses besoins et du conseil tarifaire d'EDF...'. Les caractéristiques de cette option figurent sur chaque facture destinée au client.

En application de l'article 3.1 de ces conditions générales, le contrat de fourniture d'électricité a pris effet à la date du 12 octobre 2016 (pièce 15 - Ikem) avec la fourniture d'une puissance de 12kVA.

L'article 10 des Conditions Générales précise que 'EDF est responsable des dommages directs et certains causés au Client en cas de non-respect d'une ou plusieurs obligations mises à sa charge au titre de la fourniture d'électricité, sauf les cas de force majeure.' et ajoute que 'ERDF [Enedis] est responsable des dommages directs et certains causés au Client en cas de non-respect d'une ou plusieurs obligations mises à sa charge au titre de l'acheminement sauf les cas de force majeure.'.

Il n'est soutenu ni par la société EDF ni par la société Enedis que la société Ikem a rencontré des difficultés liées à une puissance insuffisante entraînant la disjonction du compteur avant le 15 novembre 2017 date du changement de compteur de sorte que la puissance initiale de 12kVA s'avérait alors suffisante. Etant relevé que les surconsommations ponctuellement constatées avant le 15 novembre 2017 n'ont pas entraîné la disjonction du compteur.

Il n'est pas contesté que la société Ikem n'est pas à l'origine du changement de l'ancien compteur par un compteur Linky intervenu le 15 novembre 2017. La société Enedis explique à cet égard que le déploiement des compteurs Linky résulte de sa politique d'amélioration du réseau de distribution. Elle établit avoir le 31 octobre 2017 informé par téléphone la société Ikem de son passage le 15 novembre 2017.

La société Ikem justifie, depuis la pose de ce nouveau compteur Linky le 15 novembre 2017, de difficultés d'alimentation électrique au point de devoir fermer son activité du 17 novembre - et non au 15 comme elle le prétend- au 4 décembre 2017 (attestations de MM. [W] [S], [K] -témoignant de la disjonction immédiate du compteur Linky dès le branchement du matériel nécessaire au bon fonctionnement du restaurant-, de [Z], constat d'huissier du 1er décembre 2017 lequel relate que la mise en service des appareils électriques a entraîné immédiatement une disjonction du compteur).

Il s'en déduit que la mise en service du compteur Linky est à l'origine des dysfonctionnements subis par la société Ikem ainsi d'ailleurs que la société EDF le reconnaît dans son courriel du 24 novembre 2017 de 12h13 (pièce 4 - Ikem) : 'Les nouveaux compteurs appelés Linky rencontre (sic) des soucis. Ils ne sont pas aussi puissants de ce fait celui-ci n'arrête pas de disjoncter, la solution est d'augmenter la puissance...'. La société EDF poursuit en déplorant que la société Enedis ne puisse proposer une date d'intervention à cette fin qu'au 4 décembre 2017. Elle regrette de ne pouvoir intervenir dans le calendrier d'intervention de la société Enedis.

Ce même 24 novembre 2017à 15h59, la société Enedis, actant de la disjonction du compteur par manque de puissance survenue à la suite du remplacement du compteur le 15 novembre 2017, informe par courriel la société Ikem (pièce 5 - Ikem), que sa demande du 17 novembre 2017 d'augmentation de puissance auprès de la société EDF de 12kVA à 24 kVA sera satisfaite le 4 décembre 2017.

La société Enedis affirme dans ses écritures (p10) que : 'les caractéristiques du compteur 'Linky', et notamment la plus grande précision de ses organes de sécurité dont l'objet est d'interrompre l'alimentation en cas de surconsommation, sont connues de tous les professionnels et bien entendu des fournisseurs.'. Or, dans sa brochure d'information sous forme de question-réponse (pièce 8 - Ikem), la société Enedis à la question 'Est-ce que le compteur Linky disjoncte plus que les anciens compteur'' répond : 'Non. La marge de tolérance aux dépassements de puissance est la même que celle des anciens compteurs. L'organe de commande de la tension intégré au compteur Linky assure la correspondance entre la puissance 'technique' et la puissance souscrite par le client. Lors de la pose du compteur, en cas de décalage entre la puissance contractuelle et le réglage du disjoncteur, le technicien remet l'installation à la bonne puissance.'.

Le compteur Linky, malgré l'affirmation contraire rappelée ci-dessus, se révèle, en l'espèce, plus sensible que le compteur précédent, et disjoncte immédiatement en cas de surconsommation ce qui ne se produisait pas auparavant. La déclaration de la société EDF (son courriel du 24 novembre 2017) corrobore ce constat, établi aussi par les pièces précitées de la société Ikem (attestations et constat d'huissier du 1er décembre 2017).

Ainsi, la puissance de 12 kVA suffisante jusqu'alors ne l'a plus été dès la mise en service du compteur Linky ce qui a conduit à l'impossibilité brutale d'exploiter les appareils électriques de la société Ikem ce dont celle-ci ne pouvait se douter quand bien même elle aurait surveillé le suivi régulier de sa consommation.

La société Enedis qui ne peut ignorer cette particularité du compteur Linky puisqu'elle en assure la promotion et la distribution ne rapporte pas la preuve d'en avoir informé la société Ikem avant le changement de compteur alors qu'elle disposait du temps nécessaire pour ce faire ayant pris rendez-vous avec la société Ikem 15 jours avant la pose de celui-ci. Ce délai aurait pu être mis à profit par la société Ikem qui, si elle avait été informée de la sensibilité du nouveau compteur, aurait pu interroger la société EDF sur l'adéquation de sa consommation au regard des particularités du compteur Linky.

La société Enedis a donc manqué à son obligation d'information et de conseil auprès de la société Ikem. Elle en doit réparation.

Il ne peut, en revanche, être reproché à la société EDF un défaut de conseil ou d'information puisque la puissance du compteur avant la mise en service du compteur Linky était suffisante au besoin de son client, la société Ikem.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le délai de modification de puissance

L'article 5.1 des conditions générales intitulé 'Continuité et qualité de fourniture d'électricité' précise que la société Enedis (ex ERDF) s'engage notamment à livrer 'une électricité d'une qualité régulière, définie et compatible avec les utilisations usuelles de l'énergie électrique' et à 'mettre en oeuvre tous les moyens pour assurer une fourniture continue d'électricité dans les limites des techniques existantes au moment de l'incident, concernant le réseau et le système électrique' sauf dans les cas de force majeure (laquelle n'est pas invoquée au cas d'espèce). Cet article 5.1 stipule également que la société Enedis 'assure les interventions nécessaires au dépannage. Le numéro d'appel dépannage 24h/24 d'ERDF (désormais Enedis) est indiqué sur les factures d'EDF.'.

Les factures versées aux débats font apparaître une rubrique ' Dépannage électricité 24/24 : 09 72 67 50 95 (service gratuit + prix d'appel' ( pièces 15 et 16 - Ikem). La facture correspondant à la période du 5 octobre 2017 au 5 décembre 2017 intégrant la phase litigieuse du 15 novembre 2017 au 4 décembre 2017- mentionne une 'Assistance dépannage 2H' facturée mensuellement 9 € HT.

La société EDF a été informée dès le 17 novembre 2017 d'une demande de la société Ikem d'augmentation de puissance (12kVA à 24kVA) (pièce 2 - Enedis).

La société Enedis informée de la nécessité de modifier, dès le 15 novembre 2017, la puissance du compteur (12kVA à 24 kVA) n'est intervenue que le 4 décembre 2017.

De ce qui précède il résulte qu'il appartenait à la société Enedis, gestionnaire du réseau, d'apporter une réponse aux dysfonctionnements rencontrés par la société Ikem afin d'assurer une fourniture continue d'électricité et non à la société EDF.

La société Enedis n'excipe pas d'un fait de force majeure ou de limites techniques qui auraient pu faire obstacle à son intervention. Pour justifier de son délai d'intervention, elle oppose son 'Catalogue des prestations descriptifs et tarifs'. Elle en produit des extraits (page 36) qui visent le cas d'une 'Modification de formule tarifaire d'acheminement ou de puissance souscrite'.La rubrique 'Option 1" de cet extrait - il existe deux autres options non portées à la connaissance de la cour- propose trois cas de figure correspondant à des prestations facturables offrant chacun un délai standard d'intervention de 5 ou 10 jours ouvrés sans qu'il soit précisé les modalités de choix entre ces deux délais.

La société Enedis ne rapporte pas la preuve que son catalogue a été porté à la connaissance de la société Ikem alors que les factures adressées à cette dernière mentionnent un 'Dépannage électricité 24/24" et une 'Assistance dépannage' payante de 2 heures de sorte que la société Ikem pouvait croire que l'intervention de la société Enedis s'effectuerait rapidement puisque cette dernière s'était contractuellement engagée à ce dépannage à bref délai. A supposer que ce catalogue ait été porté à la connaissance de la société Ikem, il n'apparaît pas du dossier que la société Enedis ait proposé à la société Ikem une intervention dans les 5 ou 10 jours ouvrés. La société Enedis en n'intervenant que le lundi 4 décembre 2017 pour une panne identifiée le mercredi 15 novembre 2017 portée à sa connaissance, dit-elle, le vendredi 17 novembre, a excédé, en tout état de cause, ses propres délais d'intervention.

La société Enedis, gestionnaire du réseau, a manqué à son obligation prévue par les conditions générales d'assurer les interventions nécessaires au dépannage en l'espèce l'augmentation de puissance du compteur, dans le délai mentionné aux factures.

La responsabilité de la société EDF qui a pour obligation de fournir l'électricité ne peut être mise en cause du fait du retard de la société Enedis, seule chargée d'assurer le dépannage de sa cliente, à porter remède aux difficultés rencontrées par la société Ikem.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le préjudice

La société Ikem sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Enedis aux sommes suivantes :15.000 € en réparation de sa perte de marge brute, 1.491,34 € en réparation de la perte des denrées périssables, 250,01 € en remboursement du coût du procès-verbal d'huissier, 2.000 € en réparation du préjudice d'atteinte à son image de marque. En revanche, elle critique les premiers juges de n'avoir pas condamné la société EDF à ces sommes, in solidum avec la société Enedis. Elle sollicite, en outre, la condamnation des sociétés EDF et Enedis aux sommes suivantes dont elle avait été déboutée : 4.122,82 € en remboursement des salaires versés inutilement par la société IKEM à ses salariés durant la période fermeture forcée, 956,75 € en remboursement des charges sociales réglées inutilement, 1.900,16 € en remboursement du loyer commercial qu'elle a réglé en vain alors qu'elle était dans l'impossibilité d'exercer son activité dans les locaux loués, 2.000 € en réparation du préjudice de perte de clientèle lié aux annulations de réservation et de la fermeture inopinée du restaurant,1.000 € en réparation du préjudice moral.

La société Enedis sollicite le rejet de l'ensemble des demandes d'indemnités de la société Ikem. Elle critique la méthode de calcul de la perte de marge brute suivie par le tribunal. Elle expose que la société Ikem ne justifie pas des pertes de denrées. Elle fait valoir que la société Ikem demande la réparation d'un préjudice (remboursement de salaires, charges sociales, pertes de loyers, perte de clientèle) déjà pris en compte dans la perte de marge brute. Elle soutient que la société Ikem ne justifie pas de son préjudice lié à l'atteinte à son image de marque ni de son préjudice moral.

La société EDF fait valoir que la société Ikem réclame un préjudice excessif dont elle ne justifie pas, en particulier liée à la fermeture du restaurant qui serait prétendument établie par trois attestations non conformes et au demeurant mentionnent une cessation d'activité au 17 novembre 2017 et non au 15 novembre. Elle fait siens les arguments développés par la société Enedis.

*

La responsabilité de la société EDF n'a pas été engagée de sorte que cette dernière ne peut être condamnée à réparer le préjudice subi par la société Ikem.

Sur la perte de marge brute

La cour confirmera les premiers juges qui ont retenu comme pertinente la méthode de calcul de perte de marge brute proposée par l'expert comptable de la société Ikem (différence entre le chiffre d'affaires espéré sur la période litigieuse et le chiffre d'affaires réel sur cette même période).

Toutefois, le montant de 15.000 € au titre de la perte de marge se fonde sur une baisse du chiffre d'affaires des mois complets de novembre et décembre 2017 or l'incident est survenu le 15 novembre 2017 et a été réglé le 4 décembre 2017. En tenant compte d'une période d'inertie consécutive à la réouverture du restaurant, induite par ce type d'incident, la cour retiendra la somme de 10.000 €.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les autres préjudices reconnus par le tribunal

Les premiers juges ont retenu à raison comme étant justifiés les postes de préjudice suivants : 1.491,34 € en réparation de la perte de denrées périssables, 250,01 € en remboursement du coût du procès-verbal d'huissier, 2.000 € en réparation du préjudice d'atteinte à son image de marque, la société Ikem n'ayant débuté son activité que depuis un an de sorte qu'elle restait vulnérable au moindre incident d'exploitation.

La cour confirmera le jugement sur ce point.

Sur les préjudices rejetés par le tribunal

La perte de marge brute reconnue à hauteur de 10.000 € prend déjà en compte les salaires inutilement versés et les charges afférentes, le loyer, la perte de clientèle ainsi que l'ont relevé les premiers juges, de sorte que la société Ikem ne peut en réclamer le paiement (4.122,82 € de salaires et 956,75 € de charges sociales, 1.900,16 € au titre du loyer, 2.000 € pour perte de clientèle).

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La société Enedis sera condamnée aux dépens d'appel.

Il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 11 décembre en ce qu'il a condamné la société Enedis à la somme de 15.000 euros au titre de la perte de marge brute,

Confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Condamne la société Enedis à verser à la société Ikem la somme de 10.000 € au titre de la perte de marge brute,

Rejette toutes autres demandes,

Y ajoutant,

Condamne la société Enedis aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Dontot.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 21/00453
Date de la décision : 03/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-03;21.00453 ?
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