23 AVRIL 2024
Arrêt n°
KV/NB/NS
Dossier N° RG 22/01702 - N° Portalis DBVU-V-B7G-F3ZY
[C] [P]
/
Etablissement Public FRANCE TRAVAIL AUVERGNE RHONE-ALPES anciennement POLE EMPLOI AUVERGNE RHONE-ALPES
jugement au fond, origine pole social du tj de moulins, décision attaquée en date du 18 juillet 2022, enregistrée sous le n° 20/389
Arrêt rendu ce VINGT-TROIS AVRIL DEUX MILLE VINGT-QUATRE par la CINQUIEME CHAMBRE CIVILE CHARGEE DU DROIT DE LA SECURITE SOCIALE ET DE L'AIDE SOCIALE de la cour d'appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
Monsieur Christophe VIVET, président
Mme Karine VALLEE, conseillère
Mme Sophie NOIR, conseillère
En présence de Mme Nadia BELAROUI, greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
M. [C] [P]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Antoine JAUVAT de la SCP D'AVOCATS W. HILLAIRAUD - A. JAUVAT, avocat au barreau de MOULINS
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale n°2023/001528 du 03/03/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CLERMONT-FERRAND)
APPELANT
ET :
Etablissement Public FRANCE TRAVAIL AUVERGNE RHONE-ALPES anciennement POLE EMPLOI AUVERGNE RHONE-ALPES
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Xavier BARGE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIME
Après avoir entendu Mme VALLEE, conseillère, en son rapport, et les représentants des parties, à l'audience publique du 12 février 2024, la cour a mis l'affaire en délibéré, le président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE
Du 12 mars 2013 au premier mai 2019 l'établissement public Pôle Emploi a versé l'allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE) à M.[C] [P].
Par courrier du 12 juin 2019, Pôle Emploi a notifié à M.[P] un indu d'un montant de 46.791,54 euros, considérant que des investigations de son service de prévention et de lutte contre la fraude avaient établi qu'il n'était pas en droit de percevoir l'ARE au cours de la période de versement en question, au cours de laquelle il ne possédait pas la qualité de salarié indemnisable.
Par courrier du 09 juillet 2019, Pôle Emploi a adressé une relance à l'intéressé afin qu'il procède au règlement du solde restant dû, d'un montant de 44.645,16 euros.
M.[P] a formé un recours gracieux auprès l'instance paritaire régionale.
Le 12 août 2019, Pôle Emploi aurait notifié à M.[P] la décision de rejet de son recours gracieux, ce point étant un des objets du litige.
Par courrier du 03 octobre 2019, Pôle Emploi a mis en demeure M.[P] de régler dans le délai d'un mois la somme de 44.411,82 euros au titre de l'indu.
Le 04 décembre 2019, cette mise en demeure étant demeurée vaine, Pôle Emploi a notifié à M.[P] une contrainte du 26 novembre 2019 aux fins de recouvrement de la somme de 44.416,53 euros au titre de l'indu d'ARE sur la période comprise entre le 12 mars 2013 et le 31 mai 2019.
Par courrier du 11 décembre 2019, M.[P] a formé opposition à la contrainte devant le tribunal de grande instance de Cusset, devenu à compter du premier janvier 2020 le tribunal judiciaire de Cusset.
Par ordonnance du juge de la mise en état du 11 mars 2020, le tribunal judiciaire de Cusset s'est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Moulins.
Par jugement contradictoire du 18 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Moulins a statué comme suit:
- constate que la décision définitive rendue le 11 mars 2020 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Cusset désignant le pôle social de Moulins comme juridiction compétente s'impose au tribunal judiciaire de Moulins et rejette en conséquence l'exception d'incompétence,
- déclare recevable l'opposition formée par M.[C] [P],
- valide la contrainte émise le 26 novembre 2019 par Pôle Emploi à l'encontre de M.[C] [P], signifiée par voie d'huissier le 2 décembre 2019, pour un montant de 44.416,53 euros, concernant un indu d'allocation d'aide au retour à l'emploi pour la période du 12 mars 2013 au 31 mai 2019, et condamne M.[C] [P] au paiement de cette somme,
- déboute M.[C] [P] de l'ensemble de ses demandes,
- déboute M.[C] [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne M.[C] [P] à verser à Pôle Emploi la somme de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne M.[C] [P] aux dépens de l'instance qui comprendront les frais de signification.
Le jugement a été notifié le 21 juillet 2022 à M.[P] qui en a relevé appel partiel par déclaration reçue au greffe de la cour le 16 août 2022.
Les parties ont été convoquées à l'audience de la cour du 12 février 2024, à laquelle elles ont été représentées par leurs conseils.
DEMANDES DES PARTIES
Par ses dernières conclusions, visées par le greffe le 12 février 2024, M.[C] [P] présente les demandes suivantes à la cour:
- déclarer recevable et bien fondé son appel,
- réformer le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence,
- à titre principal, annuler la contrainte délivrée par Pôle Emploi le 26 novembre 2019 et notifiée le 03 décembre 2019,
- à titre subsidiaire, constater la prescription de l'action en remboursement exercée par Pôle Emploi et constater l'absence de preuve du caractère indu des versements d'allocations,
- en tout état de cause, débouter Pôle Emploi de ses demandes, condamner Pôle Emploi, désormais France Travail, à payer à la SCP Hillairaud-Jauvat, son avocat, une somme de 1.500 euros par application de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991, outre les entiers dépens, en ce compris les frais de signification de la contrainte.
Par ses dernières conclusions, visées par le greffe le 12 février 2024, l'établissement public France Travail Auvergne-Rhône-Alpes (France Travail), anciennement Pôle Emploi, présente les demandes suivantes à la cour :
- infirmer le jugement en ce qu'il a constaté que la décision définitive rendue le 11 mars 2020 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Cusset désignant le pôle social de Moulins comme juridiction compétente s'imposait à lui, et a rejeté en conséquence l'exception d'incompétence,
- renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire de Cusset,
- à titre subsidiaire, confirmer le jugement sur le surplus,
Y ajoutant :
- débouter M.[C] [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M.[C] [P] au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de la procédure d'appel recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées des parties, soutenues oralement à l'audience, pour l'exposé de leurs moyens.
MOTIFS
Sur la compétence du pôle social du tribunal judiciaire de Moulins
Dans sa version applicable au 11 décembre 2019, date de l'opposition à contrainte ayant saisi le juge judiciaire, l'article L.211-16 du code l'organisation judiciaire dispose que des tribunaux de grande instance spécialement désignés connaissent :
1° Des litiges relevant du contentieux général de la sécurité sociale défini à l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale ;
2° Des litiges relevant du contentieux technique de la sécurité sociale défini à l'article L. 142-2 du même code, à l'exception de ceux mentionnés au 4° du même article ;
3° Des litiges relevant de l'admission à l'aide sociale mentionnés à l'article L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles et des litiges relatifs aux décisions mentionnées aux articles L. 861-5 et L. 863-3 du code de la sécurité sociale ;
4° Des litiges relevant de l'application de l'article L.4162-13 du code du travail.
L'article 81 du code de procédure civile dispose que, lorsque le juge estime que l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir et que, dans tous les autres cas, le juge qui se déclare incompétent désigne la juridiction qu'il estime compétente, ette désignation s'imposant aux parties et au juge de renvoi.
L'article 84 du code de procédure civile porte les dispositions suivantes:
'Le délai d'appel est de quinze jours à compter de la notification du jugement. Le greffe procède à cette notification adressée aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Il notifie également le jugement à leur avocat, dans le cas d'une procédure avec représentation obligatoire.
En cas d'appel, l'appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir, dans le délai d'appel, le premier président en vue, selon le cas, d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire.'
L'article 90 du code de procédure civile dispose en particulier que, lorsque le juge s'est déclaré compétent et a statué sur le fond du litige dans un même jugement rendu en premier ressort, celui-ci peut être frappé d'appel dans l'ensemble de ses dispositions et que, lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente.
Il résulte de ces dispositions que les litiges nés de la notification d'un indu d'allocations chômage ne sont pas compris dans le périmètre de compétence matérielle des tribunaux de grande instance spécialement désignés pour connaître des litiges visés à l'article L.211-16 du code de l'organisation judiciaire.
Contrairement au tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Cusset, saisi par l'opposition à contrainte, le tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Moulins compte parmi les tribunaux spécialement désignés pour connaître des litiges énumérés par l'article L.211-16 du code de l'organisation judiciaire.
Devant le premier juge, France Travail, anciennement dénommé Pôle Emploi, a fait valoir que le litige l'opposant à M.[P], en ce qu'il était relatif à un indu d'allocations chômage, ne pouvait pas donner lieu à l'application des législations et réglementations de la sécurité sociale et que dès lors, il ne relevait pas de la compétence d'un tribunal de grande instance spécialement désigné pour connaître de ces matières, mais de celle du juge civil de droit commun.
Le pôle social du tribunal judiciaire de Moulins a rejeté ce moyen tiré de son incompétence matérielle au motif que l'ordonnance du juge de la mise en état du 11 mars 2020 du tribunal judiciaire de Cusset, non frappée d'appel, s'imposait à lui en vertu des dispositions de l'article 81 du code de procédure civile.
Comme en première instance, France Travail, au visa des dispositions de l'article L.211-16 du code de l'organisation judiciaire, excipe de l'incompétence du pôle social du tribunal judiciaire de Moulins pour connaître du litige, qui n'est pas selon lui au nombre de ceux pour lesquels la loi a conféré compétence à un tribunal spécialement désigné. Il en conclut que le dossier doit être renvoyé devant la chambre civile du tribunal judiciaire de Cusset.
M.[P] s'oppose à cette demande de renvoi devant le tribunal judiciaire en s'appuyant sur les dispositions des articles 81 et 90 du code de procédure civile. Il fait valoir que ces textes imposaient au tribunal judiciaire de Moulins d'admettre sa compétence matérielle, et qu'ils doivent, d'autre part, conduire la cour à statuer sur le fond du litige, quand bien même elle infirmerait du chef de la compétence, dès lors qu'elle est juridiction d'appel par rapport à la juridiction qu'elle estime compétente.
SUR CE
Comme le soutient à juste titre France Travail, il se déduit des dispositions de l'article L.211-16 du code de l'organisation judiciaire que le juge judiciaire de droit commun est compétent pour connaître des litiges relatifs aux indus d'allocation chômage, qui ne relèvent pas de l'application des législations et réglementations de sécurité sociale définies par ce texte.
Néanmoins cette argumentation est inopérante au regard des dispositions de l'article 81 du code de procédure civile, selon lequel s'impose aux parties et au juge de renvoi la désignation de la juridiction qu'il estime compétente
par le juge qui se déclare incompétent.
En conséquence, c'est à bon droit que le tribunal judiciaire de Moulins, après avoir constaté qu'aucun recours n'avait été formé à l'encontre de l'ordonnance du 11 mars 2020 dans le délai de 15 jours suivant sa notification, s'est déclaré compétent pour connaître du litige né de la notification d'indu d'ARE à M.[P]. Il n'y a pas lieu, dès lors, d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par France Travail.
Sur la contrainte
L'article L.5426-8-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige, dispose que «pour le remboursement des allocations, aides, ainsi que de toute autre prestation indûment versées par Pôle Emploi, le directeur général de Pôle Emploi ou la personne qu'il désigne en son sein peut, dans les délais et selon les conditions fixés par voie réglementaire, et après mise en demeure , délivrer une contrainte qui, à défaut d'opposition du débiteur devant la juridiction compétente, comporte tous les effets d'un jugement et confère le bénéfice de l'hypothèque judiciaire.»
L'article R.5426-20 du code du travail dispose, dans sa version applicable au litige, que 'la contrainte prévue à l'article L.5426-8-2 est délivrée après que le débiteur a été mis en demeure de rembourser l'allocation, l'aide ou toute autre prestation indue mentionnée à l'article L.5426-8-1 ou de s'acquitter de la pénalité administrative mentionnée à l'article L.5426-6.
Le directeur général de Pôle Emploi lui adresse, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une mise en demeure qui comporte le motif, la nature et le montant des sommes demeurant réclamées, la date du ou des versements indus donnant lieu à recouvrement ou la date de la pénalité administrative ainsi que, le cas échéant, le motif ayant conduit à rejeter totalement ou partiellement le recours formé par le débiteur.
Si la mise en demeure reste sans effet au terme du délai d'un mois à compter de sa notification, le directeur général de Pôle Emploi peut décerner la contrainte prévue à l'article L.5426-8-2."
L'article R.5426-21 du même code, dans sa version applicable au litige, prévoit notamment que 'la contrainte est notifiée au débiteur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou lui est signifiée par acte d'huissier de justice. A peine de nullité, l'acte d'huissier ou la lettre recommandée mentionne le montant des sommes réclamées et la nature des allocations, aides et autres prestations en cause ou la date de la pénalité administrative.'
En l'espèce, au soutien de la demande d'annulation de la contrainte qui lui a été décernée, M.[P] invoque plusieurs irrégularités, dont celles affectant la mise en demeure qui l'a précédée, qui seront examinées en premier lieu.
Pour rejeter les critiques développées par M.[P] quant à la régularité de la mise en demeure, le tribunal a d'abord considéré que la mise en demeure datée du 03 octobre 2019 avait été valablement notifiée à l'intéressé, la lettre recommandée portant notification ayant été distribuée le 09 octobre 2019 selon les mentions de l'avis de réception qui a été signé. Sur ce point, le tribunal a écarté la contestation de M.[P], qui prétendait que la signature apposée sur l'avis de réception n'était pas la sienne, en considérant que cette signature était la même que celle, non contestée, portée sur la notification de la contrainte. Le tribunal a, par ailleurs, estimé que les mentions portées à la mise en demeure avaient permis à M.[P] de connaître, conformément aux prévisions légales, le motif, la nature et le montant des sommes réclamées. Il a également jugé que le défaut d'indication du motif ayant conduit à rejeter totalement ou partiellement le recours formé par le débiteur était sans incidence sur la validité de la mise en demeure, dès lors que les explications relatives au rejet du recours formé par M.[P] lui avaient été données aux termes d'un précédent courrier daté du 12 août 2019.
A l'appui de sa critique du jugement, M.[P] ne soutient plus ne pas avoir reçu personnellement la mise en demeure, mais maintient que celle-ci ne satisfait pas aux exigences de l'article R.5426-20 du code du travail, en ce que ne sont mentionnés ni la date du ou des versements, seule une période de plus de six ans étant mentionnée, et d'autre part, ni le motif ayant conduit à rejeter le recours préalablement formé. Sur ce second point, M.[P] soutient que l'article R.5426-20 du code du travail ne prévoit pas de dispense de reproduction des motifs ayant justifié le rejet du recours. Il ajoute qu'il n'a, au demeurant, aucun souvenir du courrier du 12 août 2019 dont se prévaut France Travail, qui d'ailleurs ne rapporte pas la preuve de la réalité de son envoi. M.[P] estime que les imprécisions affectant la mise en demeure lui causent un grief.
A l'appui de sa demande de confirmation du jugement, France Travail expose que M.[P], préalablement à la mise en demeure, a reçu plusieurs courriers l'informant de sa situation, de sorte qu'il ne peut valablement prétendre ignorer la raison de l'indu qui lui est opposé. France Travail soutient d'une part que la mise en demeure critiquée comporte les mentions exigées par l'article R.5426-20 du code du travail, lequel au demeurant ne prévoit pas de sanction à l'absence de ces mentions, et d'autre part que l'intéressé ne justifie en tout état de cause d'aucun grief.
SUR CE
Il résulte des textes susvisés que la mise en demeure, qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d'avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti et la contrainte délivrée à la suite de la mise en demeure restée sans effet, doit permettre à l'intéressé d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation.
En l'occurrence, la mise en demeure du 03 octobre 2019 notifiée à M.[P] est rédigée en ces termes:
'Par lettre du 12 juin 2019, nous vous avions informé que, durant la période du 12 mars 2013 au 31 mai 219, 46.791,54 euros au titre de votre allocation d'aide au retour à l'emploi vous ont été versés à tort.
Pour le motif suivant : de nouveaux justificatifs nous ont conduits à réviser votre droit aux allocations de chômage.
Ce courrier vous invitait, au cas où vous vous seriez trouvé dans l'impossibilité de nous rembourser, à saisir l'instance paritaire, en vue d'obtenir un effacement de votre dette.
Vous n'avez pas demandé un effacement de votre dette ou cette demande a été rejetée, et vous n'avez pas remboursé la totalité de votre dette, dont le solde s'élève à 44.411,82 euros.
En conséquence, nous vous mettons en demeure de rembourser cette somme avant le 03 novembre 2019.
A défaut, nous disposerions de la faculté d'émettre à votre encontre une contrainte, ce qui peut entraîner de frais à votre charge.'
Il ressort de la formulation de la mise en demeure que le détail des dates de chacun des versements indus opérés entre le 12 mars 2013 et le 31 mai 2019 n'est pas précisé. Tout au plus, les indications portées permettent-elles de connaître la période à laquelle se rapportent les divers indus d'allocation d'aide au retour à l'emploi, ce qui n'est pas exactement conforme aux prévisions de l'article R.5426-20 du code du travail qui exige la mention de la date 'du ou des versements indus', et non seulement d'une période globale dans laquelle seraient intervenus les différents versements indus.
En outre, l'indication du motif ayant conduit à rejeter totalement ou partiellement le recours formé par M.[P] contre la notification d'indu ne figure pas à la mise en demeure.
Certes, France Travail produit aux débats un courrier daté du 12 août 2019, destiné à M.[P], aux termes duquel sont exposés les motifs pris en considération pour rejeter le recours gracieux qu'il a introduit pour contester l'indu préalablement notifié. Toutefois, ce courrier, dont il n'est pas établi qu'il aurait été effectivement adressé à M.[P], ce qu'il conteste, ne peut suppléer à l'absence d'indication, dans la mise en demeure elle-même, du motif du rejet du recours préalable.
La contrainte émise le 26 novembre 2019 est quant à elle libellée comme suit:
'agissant par application des articles L.5426-8-2, R.5426-20, R.5426-21et R.5426-22 du code du travail pour le recouvrement de l'allocation retour emploi indûment versée, après mise en demeure en date du 03 octobre 2019 restée sans effet, Pôle Emploi fixe le montant total de la somme au paiement de laquelle débiteur est contraint de s'acquitter à : 44.416,53 euros', la rubrique 'motif indu et période' étant renseignée par la mention 'révision du droit du 12.03.2013 au 31.05.2019"
La cour déduit de ces éléments que la contrainte décernée à la suite de l'échec de la mise à demeure ne comporte pas plus d'informations que celle-ci sur les dates de versements indus et les motifs ayant conduit au rejet du recours gracieux.
La cour considère, au vu de ces éléments, qu'en méconnaissance des dispositions des articles R.5426-20 et R.5426-21 du code du travail, les mentions figurant dans la mise en demeure à laquelle la contrainte se réfère, non plus d'ailleurs que celles figurant dans la contrainte elle-même, ne permettent pas au débiteur de connaître la cause ou le motif de l'indu réclamé, ce qui lui cause un grief.
Cette conclusion suffit à justifier l'annulation de la contrainte décernée le 26 novembre 2019 à l'encontre de M.[P], la circonstance que la mise en demeure préalable à la contrainte ait été précédée de courriers explicatifs n'étant pas de nature à pallier le défaut de motivation de la mise en demeure elle-même, étant de surcroît observé que les courriers préalables dont fait état France Travail ne sont pas plus explicites puisqu'ils se bornent à indiquer, au titre du motif de l'indu, que 'de nouveaux justificatifs nous ont conduits à réviser votre droit aux allocations chômage', une telle mention, laconique et imprécise quant à la nature, au contenu et à la date des justificatifs évoqués, n'étant pas de nature à faire connaître à M.[P] l'ensemble des éléments d'information nécessaires sur la cause et le motif de la dette qui lui est opposée.
Le moyen tiré de l'irrégularité de la mise en demeure préalable à la contrainte étant fondé, il y a lieu, par infirmation du jugement, d'annuler la contrainte émise le 26 novembre 2019 par Pôle Emploi à l'encontre de M.[P], notifiée à celui-ci le 04 décembre 2019, et de débouter France Travail de sa demande en paiement à ce titre.
Les frais de signification de la contrainte resteront donc à la charge de France Travail, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, dont le jugement sera également infirmé sur ce point.
Sur les dépens
En application de l'article 696 du code de procédure civile, le tribunal a condamné M.[P] aux dépens de l'instance. Le jugement étant infirmé, cette disposition sera également infirmée.
L'établissement France Travail, partie perdante au litige, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
Sur les demandes présentées en application de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique
L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer:
1° à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;
2° et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
L'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique prévoit que 'Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat pouvant être rétribué, totalement ou partiellement, au titre de l'aide juridictionnelle, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.'
L'établissement France Travail, partie perdante condamnée aux dépens, sera débouté de sa demande en paiement fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. La disposition contraire du jugement sera infirmée.
Pour des raisons tenant à l'équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique au profit de la SCP Hillairaud-Jauvat, avocat de M.[P] bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale selon décision du 03 mars 2023. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M.[P] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Déclare recevable l'appel relevé le 16 août 2022 par M.[C] [P] à l'encontre du jugement prononcé le 18 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Moulins dans l'affaire l'opposant à l'établissement Pôle Emploi, devenu France Travail,
- Infirme le jugement en ce qu'il a validé la contrainte émise le 26 novembre 2019 par Pôle Emploi à l'encontre de M.[C] [P] et condamné celui-ci au paiement de la somme de 44.416,53 euros,
- Infirme le jugement en ce qu'il a condamné M.[C] [P] à verser la somme de 600 euros à Pôle Emploi au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Infirme le jugement en ce qu'il a condamné M.[C] [P] aux dépens de l'instance et aux frais de signification de la contrainte,
Statuant à nouveau:
- Annule la contrainte émise le 26 novembre 2019 par Pôle Emploi à l'encontre de M.[C] [P], notifiée à celui-ci le 04 décembre 2019,
- Déboute l'établissement public France Travail, anciennement Pôle Emploi, de sa demande en paiement au titre de la contrainte émise le 26 novembre 2019 à l'encontre de M.[C] [P],
-Condamne l'établissement public France Travail, anciennement Pôle Emploi, aux dépens de première instance,
-Condamne l'établissement public France Travail, anciennement Pôle Emploi, aux frais de signification de la contrainte,
- Déboute France Travail, anciennement Pôle Emploi, de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Confirme le jugement pour le surplus des dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant:
- Condamne l'établissement public France Travail aux dépens d'appel,
- Déboute l'établissement France Travail de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Déboute M.[C] [P] de sa demande présentée sur le fondement de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Ainsi fait et prononcé le 23 avril 2024 à Riom.
Le greffier, Le président,
N. BELAROUI C.VIVET