COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 26 JUIN 2023
N° RG 22/05438 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-NAC6
Monsieur [G] [U]
c/
S.E.L.A.R.L. FIRMA
Nature de la décision : AU FOND
Notifié aux parties par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 novembre 2022 (R.G. 2022P538) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 01 décembre 2022
APPELANT :
Monsieur [G] [U], de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représenté par Maître Emilie HIBERT, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.E.L.A.R.L. FIRMA, ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation de M. [G] [U] et en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. [G] [U], domiciliée en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]
représentée par Maître Benjamin BLANC de l'AARPI ROUSSEAU-BLANC, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 24 avril 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
[G] [U], entrepreneur individuel, qui exerce une activité de travaux de charpente et de couverture, a été placé en redressement judiciaire par décision du tribunal de commerce de Bordeaux du 27 février 2019. Un plan de redressement a été adopté par jugement du 8 avril 2020. La société Laurent Mayon, devenue la société Firma, a été désignée en qualité de mandataire judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan.
Par requête du 12 juillet 2022, la société Laurent Mayon, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation de M. [U], a saisi le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de voir prononcer la résolution du plan de redressement de M. [U] et l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement contradictoire du 09 novembre 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- constaté l'état de cessation des paiements de M. [U],
- prononcé la résolution du plan de redressement de M. [U] arrêté par jugement en date du 08 avril 2020,
- dit que la distinction des deux patrimoines n'apparaît pas comme strictement respectée,
- ouvert à l'égard de M. [U], conformément au chapitre 1 du titre IV du livre VI du code de commerce et en conséquence de la réunion cumulative des conditions d'ouverture mentionnées aux 1° et 2° de l'article L. 681-1 du code de commerce, une procédure de liquidation judiciaire, prévue par les dispositions de la loi précitée, sans préjudice des dispositions de l'article 19-1 de la loi n°2022-172 du 14 février 2022, et dit que cette ouverture dessaisirait la commission de surendettement s'il était satisfait aux conditions d'application des dispositions de l'article L. 681-3 alinéa 2 du même code,
- fixé provisoirement à ce jour la date de cessation des paiements,
- nommé [O] [W], en qualité de juge-commissaire, et [E] [I], en qualité de juge-commissaire suppléant,
- nommé la société Firma en qualité de liquidateur,
- désigné, en application de l'article L. 641-4 alinéa 5 du code de commerce, la SELARL Gérard Sahuquet, commissaire-priseur, afin de réaliser l'inventaire et la prisée du patrimoine du débiteur,
- imparti aux créanciers, conformément à l'article R. 622-24 du code de commerce, pour la déclaration de leur créance, un délai de deux mois à compter de la publication au BODACC du présent jugement,
- dit que les créanciers soumis au plan sont dispensés, conformément à l'article L. 626-27 du code de commerce, de déclarer leurs créances et sûretés et que les créances inscrites au plan sont admises de plein droit, déduction faite des sommes déjà perçues,
- fixé à un an à compter du terme du délai imparti aux créanciers pour déclarer leur créance, le délai pour l'établissement de la liste des créances déclarées, conformément à l'article L. 624-1 et L. 624-2 du code de commerce,
- invité le comité d'entreprise, les délégués du personnel, ou, à défaut de ceux-ci, les salariés à désigner au sein de l'entreprise un représentant des salariés conformément aux articles L. 641-1, L. 621-4, L. 621-5, L. 621-6 combinés et R. 621-14 du code de commerce,
- ordonné que dans les dix jours du prononcé du présent jugement, le représentant légal de la personne morale débitrice ou le débiteur personne physique réunisse le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel ou, à défaut, les salariés de l'entreprise pour désigner un représentant des salariés dans les conditions prévues à l'article R. 621-14 du code de commerce,
- ordonné au chef d'entreprise de déposer immédiatement au greffe du tribunal de commerce conformément à l'article R. 621-14 du code du commerce, le procès verbal de désignation de ce représentant des salariés ou le procès verbal de carence,
- fixé à deux ans à compter de ce jour, le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée,
- dit que le présent jugement sera signifie par acte extrajudiciaire au débiteur avec convocation de celui-ci d'avoir à comparaître à l'audience du 05 novembre 2024 à 14 heures 00 au tribunal de commerce de Bordeaux pour que soit examinée la clôture de la procédure conformément aux dispositions de l'article L. 643-9 du code de commerce,
- dit que les notifications, mentions, avis et publicités du présent jugement seront effectuées sans délai, nonobstant toutes voies de recours,
- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Par déclaration du 1er janvier 2023, M. [U] a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la société Laurent Mayon, ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [U].
Par ordonnance du 03 janvier 2023, le président de la chambre commerciale de la cour d'appel de Bordeaux a fixé l'affaire à bref délai à l'audience du 22 mars 2023.
L'audience a ensuite été fixée au 24 avril 2023, date à laquelle elle a été plaidée et mise en délibéré au 6 juin 2023. Le délibéré a été prorogé au 26 juin 2023.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 17 mars 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [U], demande à la cour de :
- vu les articles L. 681-1 et suivants du code de commerce,
- vu l'article L. 123-10 du code de commerce,
- réformer le jugement entrepris des chefs dont appel,
- statuant à nouveau,
- ouvrir à son égard, une procédure de liquidation judiciaire limitée à son patrimoine professionnel,
- débouter la société Firma de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Firma ès qualités aux entiers dépens et dire qu'ils seront employés en frais privilégiés de procédure.
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 27 mars 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Firma, ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [U], demande à la cour de :
- vu les articles L. 526-22 et L. 681-1 et suivants du code de commerce,
- vu l'article R. 526-26 du code de commerce,
- déclarer M. [U] recevable en son appel,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 09 novembre 2022, rôle n°2022P538, dont appel, en ce qu'il a « dit que la distinction des deux patrimoines n'apparaît pas comme strictement respecté »,
- en conséquence,
- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes et prétentions,
- en tout état de cause,
- dire et juger que la distinction entre patrimoine personnel et patrimoine professionnel ne s'applique pas au cas d'espèce,
- prononcer la liquidation judiciaire de M. [U] sur l'ensemble de son patrimoine, tant personnel que professionnel,
- condamner M. [U] à lui payer, ès qualités, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par avis du 09 mars 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, le ministère public, demande à la cour de :
- sur la recevabilité de l'appel : appel recevable,
- sur le fond,
- en l'absence de pièces jointes et de motivation précise du tribunal de commerce notamment sur les extraits du compte bancaire professionnel, le ministère public ne peut donc se prononcer sur ce point et s'en rapporte,
- s'agissant du droit de gage général des créanciers antérieurs à la réforme précitée, s'en rapporte également.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
L'affaire a été plaidée le 24 avril 2023 et mise en délibéré au 5 juin 2023. A cette date, le délibéré a été prorogé au 26 juin 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
1- Aux termes des dispositions de l'article L 526-22 du code de commerce, telles qu'issues de l'article 1 de la loi n°202-172 du 14 février 2022, l'entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes.
Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel. Sous réserve du livre VI du présent code, ce patrimoine ne peut être scindé. Les éléments du patrimoine de l'entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel.
La distinction des patrimoines personnel et professionnel de l'entrepreneur individuel ne l'autorise pas à se porter caution en garantie d'une dette dont il est débiteur principal.
Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l'insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l'article L. 526-7 du présent code, l'entrepreneur individuel n'est tenu de remplir son engagement à l'égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l'occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l'article L. 526-25.
Les dettes dont l'entrepreneur individuel est redevable envers les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales sont nées à l'occasion de son exercice professionnel.
Seul le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l'occasion de son exercice professionnel. Toutefois, si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s'exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. En outre, les sûretés réelles consenties par l'entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que soit leur assiette.
La charge de la preuve incombe à l'entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d'exécution forcée ou de mesures conservatoires qu'il élève concernant l'inclusion ou non de certains éléments d'actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier. Sans préjudice de l'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution, la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu'il a procédé à une mesure d'exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d'actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général.
Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis. Il en est de même en cas de décès de l'entrepreneur individuel, sous réserve des articles L. 631-3 et L. 640-3 du présent code.
Les conditions d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat.
2- Aux termes de l'article 19 de la loi du n°202-172 du 14 février 2022, les articles 1er à 5 entrent en vigueur à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi. Les articles L. 526-22 à L. 526-31 du code de commerce s'appliquent aux créances nées après l'entrée en vigueur des articles 1er à 5 de la présente loi.[ c'est la cour qui souligne ]
3- M. [U] soutient que le tribunal de commerce aurait dû ouvrir une liquidation judiciaire limitée à son seul patrimoine professionnel et que ce dernier a jugé à tort que la distinction des deux patrimoines n'apparaissait pas strictement respectée. Il fait valoir à cet effet que la loi du 14 février 2022 doit s'appliquer en l'espèce car la procédure de liquidation judiciaire dont il fait l'objet a été ouverte postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi. Il soutient que son patrimoine personnel et son patrimoine professionnel ont toujours été strictement distingués, que le simple fait d'avoir domicilié son activité professionnelle à l'adresse de sa résidence principale ne s'analyse pas en une confusion de patrimoine, qu'il n'y a eu aucune relation financière anormale entre les deux patrimoines et qu'il n'est pas justifié de l'existence d'un gage d'un créancier professionnel relevant du patrimoine personnel susceptible de justifier la réunion des deux patrimoines au sein de la procédure collective. Il affirme enfin que quelle que soit la date de naissance des créances déclarées par ses créanciers, celles-ci se verront appliquer la nouvelle loi en vertu de laquelle le droit de gage général est limité au seul patrimoine professionnel.
4- L'intimé soutient que le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de M. [U] ne sont pas distincts, notamment parce que ce dernier a utilisé son compte professionnel et sa résidence principale à des fins personnelles. Il ajoute qu'une grande partie des créances sont des créances nées avant le 15 mai 2022 de sorte que les créanciers ont un droit de gage sur l'ensemble du patrimoine de M. [U].
5- La loi du 14 février 2022 est entrée en vigueur le 15 mai 2022. Elle est applicable à toutes les procédures ouvertes à compter de cette date. Elle est donc applicable à la liquidation de M. [U].
6- L'article 19 de cette loi dispose cependant très clairement que l'article L. 526-22 dont il est demandé l'application ne s'applique qu'aux créances nées après l'entrée en vigueur des articles 1er à 5 de la présente loi, c'est-à-dire après le 15 mai 2022.
7- En l'espèce, de nombreuses créances sont nées avant l'entrée en vigueur le 15 mai 2022 de la loi du 14 février 2022 ( pièces 2, 8 et 9 de l'intimé). Contrairement à ce que soutient l'appelant, ces créanciers bénéficient bien d'un gage sur l'ensemble de son patrimoine et ne peuvent se voir opposer la distinction entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel issue de la loi susvisée. Dès lors, l'appelant ne peut prétendre à l'ouverture d'une procédure collective sur son seul patrimoine professionnel.
8- La décision de première instance sera confirmée.
9- [G][U], représenté par son liquidateur la société Firma, sera condamné à verser la somme de 1500 euros à la Selarl Firma en sa qualité de liquidateur de [G] [U] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
10- Les dépens seront pris en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.
PAR CES MOTIFS
La cour
statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions la décision rendue par le tribunal de commerce de Bordeaux le 9 novembre 2022,
y ajoutant
Condamne [G][U] à verser la somme de 1500 euros à la Selarl Firma en sa qualité de liquidateur de [G] [U], au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens seront pris en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.
Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.