Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Aldi Ennery a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 15 novembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail lui a refusé l'autorisation de licencier M. B... ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux acquise le 30 juin 2022.
Par un jugement n° 2005330 du 30 novembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 février 2022, la SARL Aldi Ennery, représentée par Me Murgier et Me Rameau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions attaquées ;
3°) d'autoriser le licenciement de M. B... ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé en ce qu'il ne se prononce pas sur le chef de litige relatif au poste d'assistant responsable de préparation ;
- le poste d'assistant responsable de préparation, nécessitant un diplôme de niveau 5, ne correspond pas aux compétences de M. B... et ne répond pas aux préconisations du médecin du travail ; ce poste ne pouvait pas être transformé sauf à lui ôter une partie de ses missions, nécessitant le recrutement d'un assistant supplémentaire ;
- le poste d'employé principal ne répond pas aux préconisations du médecin du travail et ne correspond pas aux compétences de M. B... qui est dépourvu de toute formation ou expérience en matière commerciale ; ce poste ne pouvait pas être transformé sauf à lui ôter une partie de ses missions, contrairement au principe de polyvalence de cet emploi, nécessitant de les faire supporter par les autres salariés.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 avril 2022, M. A... B..., représenté par Me Dramé, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la SARL Aldi Ennery une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Paternatzky représentant la société Aldi Ennery.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Aldi Ennery a recruté M. B... en qualité d'employé de magasinage, de niveau 2B au sens de la convention collective, au sein de son entrepôt situé à Ennery (Moselle) par un contrat de travail à durée indéterminée du 16 février 2007. M. B... est élu depuis le 31 mars 2016 en qualité de membre du comité social et économique et bénéficie à ce titre de la protection contre les licenciements prévue par les articles L. 2411-1 et suivants du code du travail. Par un avis du médecin du travail du 1er avril 2019, M. B... a été déclaré inapte à son emploi de magasinier cariste, le reclassement de l'intéressé ne pouvant intervenir que sur un poste de travail sans conduite de chariot élévateur, ni port de charges de plus de cinq kilos. Le 25 septembre 2019, la SARL Aldi Ennery a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier pour inaptitude M. B.... Par décision du 15 novembre 2019 l'inspecteur du travail a refusé cette autorisation. La société Aldi Ennery a formé contre cette décision un recours gracieux lequel a donné lieu à une décision implicite de rejet. La SARL Aldi Ennery relève appel du jugement du 30 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur la régularité du jugement :
2. Le jugement attaqué a rejeté la demande d'annulation des décisions ci-dessus analysées, présentée par la société Aldi Ennery, sans viser le moyen, qui n'était pas inopérant, et sans y répondre, consistant à contester le motif retenu par l'inspecteur du travail d'une possibilité de reclassement de M. B... dans le poste d'assistant responsable préparation. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier et à en demander l'annulation.
3. Il y a lieu pour cette cour d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement sur la demande de la SARL Aldi Ennery présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg.
Sur la légalité des décisions attaquées :
En ce qui concerne la légalité externe :
4. Aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée ".
5. Si la société requérante soutient que la décision implicite de rejet de son recours gracieux est insuffisamment motivée, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier qu'elle en aurait, en tout état de cause, sollicité la communication des motifs.
6. Par ailleurs, il ressort des termes mêmes de la décision de refus d'autorisation de licenciement du 15 novembre 2019, que pour refuser de faire droit à la demande formulée par la SARL Aldi Ennery, l'inspecteur du travail a d'abord relevé que M. B..., employé en qualité de magasinage cariste, a été déclaré inapte à son poste mais apte à un poste de travail sans conduite de chariot et sans port de charges de plus de 5 kg. Il a ensuite indiqué qu'un poste d'assistant responsable préparation était disponible et qu'hormis la condition de diplôme qui peut être palliée par l'expérience acquise dans l'entreprise, la société ne justifiait pas des raisons pour lesquelles M. B... ne pouvait satisfaire à ce poste. L'inspecteur du travail a également mentionné qu'un poste d'employé principal était disponible et qu'il n'est pas établi que la principale restriction de ce poste qui est, s'agissant de M. B..., le port de charge, ne peut faire l'objet d'un aménagement. Enfin, l'inspecteur du travail en a déduit que la recherche de reclassement ne peut être considérée comme loyale et sérieuse. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
7. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel./ (...) Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ".
8. Dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions de l'article L. 1226-2 et des articles suivants du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Lorsqu'après son constat d'inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié, ses préconisations peuvent, s'il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l'employeur.
9. Il ressort des pièces du dossier que la société Aldi Ennery, exploitant cinquante-neuf points de ventes, disposait de plusieurs emplois vacants d'employés principaux au sein de ses magasins. Il ressort des pièces produites que l'employé principal occupe un poste de travail polyvalent au sein des magasins impliquant le travail en caisse, l'accueil des clients, la gestion des rayons, la cuisson des pains et viennoiseries, la réception et gestion des réserves et l'entretien et le nettoyage. Si la société requérante fait valoir que cet emploi implique une qualification en matière commerciale et de ventes, pour laquelle M. B... ne possède aucun diplôme, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce dernier, ayant au demeurant occupé au cours de sa vie professionnelle des emplois de ventes au détail, n'aurait pas pu suivre une formation dans ce domaine de nature à lui permettre une adaptation sur ce poste, conformément aux préconisations de l'avis d'inaptitude. S'il est vrai que l'interdiction de l'usage du chariot élévateur et de manipulation de charges de plus de cinq kilos, seuil très bas, paraît constituer un inconvénient majeur pour le poste d'employé principal, il ne ressort cependant pas des pièces du dossier que ce poste ne pouvait pas être transformé afin de respecter ces restrictions, dans le but de permettre le reclassement de M. B..., ne serait-ce qu'au sein des magasins comportant le plus de salariés, la polyvalence de cet emploi et la variété de ses tâches, mise en avant par la société requérante, étant justement de nature à le permettre. Par suite, la SARL Aldi Ennery n'est pas fondée à soutenir qu'il lui était impossible de proposer ce poste d'employé principal dans le cadre de son obligation de reclassement de M. B....
10. La SARL Aldi Ennery justifie en revanche que le poste d'assistant responsable préparation ne correspondait pas au niveau de compétences de M. B... et n'était pas approprié à ses capacités. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que l'administration aurait pris la même décision de refus d'autorisation de licenciement en se fondant seulement sur l'absence de proposition de reclassement sur le poste d'employé principal, motif propre à justifier à lui seul les décisions attaquées.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Aldi Ennery n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions attaquées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL Aldi Ennery le versement à M. B... de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui dans la présente instance. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle en revanche à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dès lors que la demande de la SARL Aldi Ennery est rejetée, verse à cette dernière une somme sur ce fondement.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 2005330 du 30 novembre 2021 est annulé.
Article 2 : La demande de la SARL Aldi Ennery présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.
Article 3 : La SARL Aldi Ennery versera à M. B... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Aldi Ennery est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Aldi Ennery, à M. A... B... et au ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Stenger, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : M. AgnelLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre du travail et de l'emploi en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 22NC00260
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