Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Elior services propreté et santé a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 30 juillet 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement pour faute de Mme A... ainsi que la décision du 21 décembre 2020 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 2101127 du 30 novembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces deux décisions, enjoint à l'administration de procéder à un réexamen de la demande d'autorisation de licencier Mme A... présentée par la société Elior services dans le délai de deux mois de sa notification, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à la société requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 janvier 2022, Mme B... A..., représentée par Me Cabaillot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 novembre 2021 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'elle avait des antécédents disciplinaires ;
- à titre principal, son licenciement pour faute grave ne pouvait pas être autorisé, dès lors que l'article L. 1226-9 du code du travail ne permet le licenciement d'un salarié en période de suspension de son contrat de travail qu'en cas de faute grave, laquelle ne peut correspondre, conformément à la jurisprudence de la cour de cassation, qu'à un manquement à l'obligation de loyauté ;
- à titre subsidiaire, les griefs qui lui sont reprochés, relatifs à son comportement à l'égard des résidents ou de ses collègues ainsi que le non-respect de la confidentialité et du secret médical, ne sont pas établis ; en tout état de cause, ils ne justifient pas la qualification de faute grave ; elle n'a jamais été formée sur la prise en charge des résidents souffrant de la maladie d'Alzheimer ni n'a eu connaissance d'un plan de prévention des risques ; il appartient à la société Elior services propreté et santé (ESPS) de justifier de la mise en place et de l'utilisation de caméras de vidéosurveillance ; la société ESPS ne justifie pas de la teneur des droits d'alerte de ses salariés et n'a mené aucune investigation aux fins de s'assurer de la réalité des dénonciations faites à l'occasion de ces droits d'alerte exercés par les salariés de l'association Sainte-Chrétienne ; les griefs qui lui sont reprochés reposent exclusivement sur la reproduction de témoignages de salariées qui travaillent avec elle mais ne sont pas embauchées par le même employeur ; c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que le procès-verbal de constat d'huissier du 17 février 2020 établissait que six des personnes interrogées avaient confirmé être les auteures des extraits anonymisés ; la société ESPS n'a pas mené d'enquête auprès des salariés intervenant auprès de l'association Sainte-Chrétienne ; les droits de la défense ont été méconnus dès lors qu'elle ignore le nom des salariés qui l'ont dénoncée ainsi que le poste qu'ils occupent alors qu'elle travaille seule de nuit ; en raison de la dégradation de ses conditions de travail, elle a adressé un courriel le 20 juillet 2019 à l'inspection du travail pour dénoncer le harcèlement moral qu'elle subissait de la part de la directrice de l'EHPAD Sainte-Chrétienne, laquelle a été partie prenante à chaque étape de l'enquête, alors qu'elle n'était plus sa supérieure hiérarchique depuis le transfert de son contrat de travail ; l'association Sainte-Chrétienne ne fait état d'aucune plainte de résidents ou de leurs familles pour étayer son comportement prétendument inadapté à l'égard des résidents ; il n'est pas justifié de ce qu'elle agissait en dehors de ses attributions ; les photographies qu'elle a prises avec l'aide d'une aide-soignante lors de son agression dans la nuit du 29 au 30 novembre 2019 sont justifiées par les seuls besoins de sa défense et n'ont pas été diffusées ; n'étant pas une professionnelle de la santé, elle n'est pas tenue au secret médical et n'a jamais été informée d'une interdiction de prendre des photographies sur son lieu de travail.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 3 avril 2023 et le 26 juillet 2024, la société Elior services propreté et santé, représentée par Me Roland, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Laurence Stenger, première conseillère,
- les conclusions de Mme Cyrielle Mosser rapporteure publique,
- les observations de Me Pleuvret pour la société Elior.
Considérant ce qui suit :
1. Le 12 février 2020, la société Elior services propreté et santé (ESPS), spécialisée dans la prestation de nettoyage et d'entretien de locaux, a sollicité l'autorisation de licencier pour faute Mme A... qui exerce une activité d'agent de service logistique, la nuit, au sein de l'unité Alzheimer de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Sainte Chrétienne à Metz et qui est salariée protégée au titre de ses mandats de membre du conseil social et économique et de déléguée syndicale. Par une décision du 30 juillet 2020, l'inspecteur du travail a refusé de faire droit à cette demande. Saisie d'un recours hiérarchique, la ministre du travail a, par une décision du 21 décembre 2020, confirmé la décision de l'inspecteur du travail. Mme A... relève appel du jugement du 30 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces deux décisions.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail que lorsqu'un doute subsiste au terme de l'instruction diligentée par le juge de l'excès de pouvoir sur l'exactitude matérielle des faits à la base des griefs formulés par l'employeur contre le salarié protégé, ce doute profite au salarié.
3. Il ressort des pièces du dossier que dans la nuit du 29 au 30 novembre 2019, Mme A... a été victime d'une agression par un résident de l'unité Alzheimer où elle travaillait. A la suite de cet incident, Mme A... a été placée en arrêt de travail et une enquête a été diligentée par la direction de l'EHPAD Sainte-Chrétienne postérieurement à un droit d'alerte formé le 2 décembre 2019 par les délégués du personnel sur ces faits. A l'occasion de cette enquête, une salariée de l'établissement s'est plainte du comportement de Mme A... à son égard, ce qui a donné lieu à une nouvelle enquête consécutive à un second droit d'alerte exercé le 9 décembre 2019. Dans ce cadre, six des sept salariés travaillant dans la même unité que Mme A... ont été auditionnés. Huit extraits anonymisés de leurs témoignages, faisant état d'un comportement agressif de Mme A... et du fait qu'elle agissait en dehors du cadre de ses attributions, ont été présentés aux membres du comité social et économique lors de sa réunion du 8 et 9 janvier 2020. Un avis défavorable au licenciement de Mme A... a été émis par les élus de cette instance au motif que les faits reprochés à l'intéressée n'étaient pas suffisamment établis et qu'elle n'avait aucun antécédent disciplinaire. Par la décision en litige du 30 juillet 2020, confirmée par la décision de la ministre du travail en date du 21 décembre 2020, l'inspecteur du travail a refusé la demande de licenciement pour faute formée le 12 février 2020 par la société EPSP après avoir considéré qu'un doute existait sur la matérialité des deux griefs reprochés à Mme A... tirés de son comportement agressif et inapproprié à l'égard des salariés de l'établissement Sainte Chrétienne et de son comportement inadapté auprès des résidents. L'inspecteur du travail retenait également que le seul grief établi, tiré du non-respect de la confidentialité du secret médical, et qui se résumait au fait que l'intéressée avait reconnu avoir photographié l'écran du logiciel de l'établissement, n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de Mme A....
4. Pour annuler les deux décisions en litige, les premiers juges ont considéré que c'est à tort que l'inspecteur du travail a estimé qu'il existait un doute sur la matérialité des faits justifiant le grief tiré d'un comportement inadapté de Mme A... à l'égard des résidents dès lors que les extraits anonymisés, cités au point précédent, avaient été confirmés par un procès-verbal de constat d'huissier du 17 février 2020, établissant que six des personnes interrogées avaient indiqué être les auteures de ces propos. D'autre part, le tribunal administratif a estimé que le fait, reconnu par Mme A..., d'avoir photographié l'écran du logiciel de soins des résidents " Arcadis ", à la suite de l'incident du 29 novembre 2019, revêtait également un caractère fautif. Les premiers juges ont considéré qu'eu égard à la gravité de ces fautes et compte-tenu de ce que Mme A... avait fait l'objet de deux lettres de rappel sur le champ de ses attributions, les 22 juin et 13 juillet 2018, d'une procédure disciplinaire durant l'année 2019 et d'une plainte en novembre 2017 émanant d'une salariée de l'association Sainte Chrétienne, l'inspecteur du travail avait commis une erreur d'appréciation en estimant que ces faits n'étaient pas de nature à justifier le licenciement de Mme A....
5. D'abord, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A..., qui exerce les fonctions d'agent de service logistique auprès de l'EHPAD Sainte-Chrétienne depuis 2009, ait fait l'objet d'une sanction disciplinaire antérieure. A cet égard, s'il ressort des pièces du dossier que, par un courrier de novembre 2017, Mme A... a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire au motif qu'elle aurait tenu des propos outranciers à l'égard d'autres salariées, il n'est pas démontré que, comme le soutient la société EPSP, l'absence de sanction infligée à l'intéressée résulte de sa volonté d'amender son comportement. Mme A... indique au contraire dans ses écritures, sans être utilement contestée, que c'est parce que la matérialité des faits reprochés n'a pas été établie qu'aucune sanction n'a été prononcée à son encontre. Par ailleurs, les deux lettres des 22 juin et 13 juillet 2018 ne sauraient être regardées comme des lettres de rappel à l'ordre adressées à Mme A... relatives au cadre de ses attributions dès lors qu'il ressort des termes mêmes de ces courriers qu'ils lui ont été transmis en réponse à ses demandes de clarification sur les contours de ses missions, notamment par un courrier du 19 avril 2018 produit aux débats. Il n'est d'ailleurs pas contesté que dans le courrier du 22 juin 2018, la société EPSP a procédé à une nouvelle qualification des missions exercées par Mme A... afin de tenir compte de la réalité de son activité professionnelle.
6. Ensuite, si la concordance entre les extraits anonymisés des propos des six salariés travaillant avec Mme A... et leurs témoignages non anonymisés a été confirmée par le procès-verbal de constat d'huissier du 17 février 2020, cette seule circonstance ne permet pas de savoir si ces extraits proviennent de l'ensemble des témoignages des salariés auditionnés ou seulement de quelques-uns ni de pallier le caractère imprécis et non suffisamment circonstancié des faits qui sont décrits dans ces extraits. A cet égard, la nécessité de l'anonymisation de ces extraits pour garantir la sécurité des auteurs de ces témoignages n'a pas été justifiée par la société EPSP. En outre, contrairement à ce que soutient la société EPSP, le comportement inadapté de la requérante à l'égard du résident qui l'a agressée dans la nuit du 29 novembre 2019 n'est pas établi dès lors que le compte-rendu de visionnage de la caméra n°1 du système de vidéosurveillance n'a pas été produit aux débats. Par ailleurs, comme le relevait l'inspecteur du travail dans le rapport d'enquête du 16 octobre 2020, le seul visionnage de la caméra face à la chambre du résident semble incomplet au regard des déclarations de Mme A.... L'inspecteur du travail relevait également des incohérences entre le compte-rendu de visionnage de la caméra n°1 et les auditions des salariés. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'inspecteur du travail a considéré qu'il existait un doute sur la matérialité des faits ayant justifié les deux griefs reprochés à Mme A... tirés d'une part, de son comportement agressif et inapproprié à l'égard des salariés de l'établissement Sainte Chrétienne et d'autre part, de son comportement inadapté auprès des résidents et que ce doute devait profiter à la salariée. Enfin, s'agissant du troisième grief tiré de la violation de la confidentialité du secret médical, il est constant que Mme A..., à la suite de l'agression dont elle a été victime le 29 novembre 2019, a, de manière fautive, pris une photographie de l'écran du logiciel " Arcadis " qui présentait le déroulement de l'incident tel que rédigé par l'aide-soignante afin, selon la requérante, de garder une preuve de l'agression. Cette photographie du logiciel " Arcadis ", dont il n'est pas prouvé qu'elle a été diffusée par la requérante, à l'exception de la réunion du comité social et économique des 8 et 9 janvier 2020, ne contenait aucune information confidentielle sur le dossier médical du résident. Par suite, cette seule faute ne présente pas un caractère de gravité suffisante justifiant le licenciement en litige. Dans ces conditions, l'inspecteur du travail pouvait, légalement et pour ces motifs, refuser d'autoriser le licenciement de Mme A....
7. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a, pour annuler les décisions du 30 juillet et du 21 décembre 2020, estimé que la décision de l'IT était entachée d'erreur d'appréciation en se fondant sur les motifs ci-dessus mentionnés au point 4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société EPSP à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de ces deux décisions.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par la société EPSP :
8. Aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre compétent peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. / (...) ". Lorsque le ministre rejette le recours hiérarchique qui lui est présenté contre la décision de l'inspecteur du travail statuant sur la demande d'autorisation de licenciement formée par l'employeur, sa décision ne se substitue pas à celle de l'inspecteur. Par suite, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, celle du ministre par voie de conséquence de l'annulation de celle de l'inspecteur, des moyens critiquant les vices propres dont serait entachée la décision du ministre ne peuvent être utilement invoqués, au soutien des conclusions dirigées contre cette décision.
9. Ainsi, les moyens tirés de ce que dans sa décision du 21 décembre 2020, la ministre du travail aurait à tort reproché à la société EPSP l'anonymisation des témoignages et un défaut d'investigation sur les faits reprochés à Mme A... doivent être écartés.
10. Enfin, si la société EPSP persiste à soutenir en appel que Mme A... présentait un " passif disciplinaire ", il ressort toutefois des pièces du dossier que, pour les mêmes raisons que celles indiquées au point 5 du présent arrêt, l'intéressée n'a fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire antérieure et que les courriers des 22 juin et 13 juillet 2018 ne peuvent pas être regardés comme des rappels à l'ordre concernant le cadre de ses attributions. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les deux décisions du 30 juillet 2020 et du 21 décembre 2020.
Sur les frais de l'instance :
12. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la société EPSP et non compris dans les dépens.
13. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société EPSP la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2101127 du tribunal administratif de Strasbourg du 30 novembre 2021 est annulé.
Article 2 : La demande de la société Elior Services Propreté et santé présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée
Article 3 : La société Elior Services Propreté et santé versera la somme de 2 000 euros à Mme A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Elior Services Propreté et santé tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la société Elior Services Propreté et santé et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience publique du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Stenger, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2024.
La rapporteure,
Signé : L. Stenger Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N°22NC00213 2