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14/05/2024 | FRANCE | N°21NC00276

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 14 mai 2024, 21NC00276


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral subi par son fils mineur B..., la somme de 10 000 euros au titre de son propre préjudice moral et la somme de 50 000 euros en réparation de l'aggravation de l'état de santé de l'enfant.



Par un jugement n° 1906223 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.


> Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral subi par son fils mineur B..., la somme de 10 000 euros au titre de son propre préjudice moral et la somme de 50 000 euros en réparation de l'aggravation de l'état de santé de l'enfant.

Par un jugement n° 1906223 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 26 janvier 2021 et le 8 novembre 2023, Mme C..., représentée par Me Ponseele, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er octobre 2020 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral subi par son fils mineur B..., la somme de 10 000 euros au titre de son propre préjudice moral et la somme de 50 000 euros en réparation de l'aggravation de l'état de santé de l'enfant ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation ; il ressort du projet d'accueil individualisé établi au regard de son dossier médical que les activités physiques et sportives étaient envisageables selon les possibilités de son fils en 2014 et 2015 ; c'est à tort que le tribunal a considéré qu'il avait été remédié au problème de place de l'enfant dans la classe par rapport au tableau avant la production du certificat de l'ophtalmologue le 26 mai 2016 ; son fils n'a pas bénéficié de l'accompagnement d'une auxiliaire de vie scolaire à temps plein comme l'exigeait son état de santé et a pu, par moment, être sans surveillance de cette dernière ; il a été victime d'un traitement discriminatoire lié à son handicap ; il a en outre reçu des punitions disproportionnées eu égard à ses pathologies ;

- ces carences constituent une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration dès lors qu'en méconnaissance de l'article L. 111-2 du code de l'éducation, la formation dispensée à son fils n'a pas été garante de son épanouissement mais au contraire de brimades et de souffrances ;

- il a subi, au cours de ces années scolaires, un préjudice moral important, son état de santé s'est dégradé et sa scolarité en a pâti, ainsi qu'en attestent les certificats médicaux ; cette situation est également à l'origine d'une grande détresse pour elle, toujours très attentive au développement et aux progrès de son fils autant qu'à son suivi médical ; elle est ainsi fondée à solliciter la somme de 20 000 euros au titre des préjudices moraux subis par son fils, 10 000 euros pour son propre préjudice moral et enfin une somme de 50 000 euros pour le préjudice résultant de l'aggravation de l'état de santé de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 avril 2021, le recteur de l'académie de Nancy-Metz conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- aucune faute n'a été commise dans la prise en charge de l'enfant ; il n'apparaît à aucun moment que ce dernier ne se serait pas épanoui pendant les cours ou qu'il aurait subi des brimades et des souffrances ; les différents enseignants de la classe ont toujours pris en compte avec la plus grande des attentions les pathologies de l'élève ; l'enfant n'a jamais été destinataire de punitions, a fortiori disproportionnées ;

- les certificats médicaux, rédigés d'après les seules déclarations de Mme C... et en contradiction avec les comptes-rendus de scolarisation ne permettent pas d'établir la réalité des préjudices invoqués.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bauer,

- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public,

- et les observations de Me Ambrosi, substituant Me Ponseele, pour Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Le fils de Mme C..., B..., né le 30 juin 2008, atteint de cardiopathie et souffrant également des séquelles d'une malformation, présente un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80 % et nécessite une assistance pour les gestes de la vie quotidienne et un accompagnement humain pendant le temps scolaire. Au cours des années 2014 à 2019, il a été scolarisé en milieu ordinaire à l'école primaire Pierre et Marie Curie de Woippy. Estimant que son fils a été victime d'un traitement discriminatoire du fait de son handicap, Mme C... a sollicité la réparation de ses préjudices et de ceux de son fils auprès du recteur de l'académie de Nancy-Metz par un courrier du 5 mars 2019. Cette demande a été rejetée par un courrier du 13 mai 2019. Par un jugement du 1er octobre 2020, dont l'intéressée relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 80 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises dans la prise en compte du handicap de l'enfant.

2. Aux termes de l'article L. 111-1 du code de l'éducation : " Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants (...) Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. (...) Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté (...) ". L'article L. 112-1 du même code dispose que : " Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L .111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés ". Enfin, aux termes de l'article L. 112-2 du code de l'éducation : " Afin que lui soit assuré un parcours de formation adapté, chaque enfant, adolescent ou adulte en situation de handicap a droit à une évaluation de ses compétences, de ses besoins et des mesures mises en œuvre dans le cadre de ce parcours, selon une périodicité adaptée à sa situation. Cette évaluation est réalisée par l'équipe pluridisciplinaire mentionnée à l'article L. 146-8 du code de l'action sociale et des familles. Les parents ou le représentant légal de l'enfant sont obligatoirement invités à s'exprimer à cette occasion. En fonction des résultats de l'évaluation, il est proposé à chaque enfant, adolescent ou adulte en situation de handicap, ainsi qu'à sa famille, un parcours de formation qui fait l'objet d'un projet personnalisé de scolarisation assorti des ajustements nécessaires en favorisant, chaque fois que possible, la formation en milieu scolaire ordinaire (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que le droit à l'éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation, les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet de les priver de ce droit. Il incombe à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit ait, pour les enfants handicapés, un caractère effectif. La carence de l'Etat est constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité.

4. En premier lieu, Mme C... soutient que son fils a été privé d'activités physiques et sportives, ainsi que d'activités culturelles pendant les années 2014 à 2016 sans motif valable. Conformément aux dispositions précitées, l'enfant a fait l'objet d'un projet d'accueil individualisé le 6 octobre 2014 à son entrée à l'école primaire, lequel précisait qu'il pouvait être scolarisé normalement et pratiquer toutes les activités sportives scolaires selon ses possibilités à l'exception de la piscine, sous surveillance de son auxiliaire de vie scolaire. Cependant, un certificat médical du médecin spécialiste en cardiologie fœtale et pédiatrique suivant l'enfant, en date du 15 octobre 2014, indiquait que son état de santé cardiologique contre-indiquait la pratique des activités physiques et sportives scolaires. L'équipe enseignante ne peut donc être regardée comme ayant commis un manquement en dispensant l'enfant de ces activités, jusqu'à réception d'un nouveau certificat du même praticien du 26 août 2016 indiquant cette fois que l'état de santé de B... lui permettait de pratiquer les activités physiques et sportives scolaires, selon ses propres possibilités. Il en va de même de l'absence de participation au spectacle de l'école le 31 mars 2014, les enseignants ayant pu, à juste titre, considérer que les danses rapides prévues à ce spectacle impliquaient un effort incompatible avec les pathologies de l'enfant. Si Mme C... produit pour la première fois en appel un certificat médical du 15 septembre 2015 du praticien susmentionné autorisant dès cette date la pratique d'activités physiques et sportives scolaires selon les possibilités de l'enfant, il ne résulte pas de l'instruction qu'il ait été porté à la connaissance de l'école ou du rectorat. Aucun manquement fautif ne peut donc être retenu à ce titre.

5. En deuxième lieu, s'il ressort du compte-rendu de suivi de scolarisation concernant l'année 2014/2015 établi à l'issue de la réunion du 18 mai 2015 que Mme C... s'est alors plainte du positionnement éloigné du tableau de son enfant dont la vision n'était pas très bonne, ce placement s'explique, avant que l'équipe enseignante ne soit alertée sur ce point, par la présence constante à ses côtés de l'auxiliaire de vie scolaire qui risquait de perturber la vue du tableau pour les élèves placés derrière elle du fait de leur petite taille. Le compte-rendu de suivi de scolarisation Geva-Sco de l'année 2015/2016 rédigé après la réunion du 14 mars 2016 ne fait plus état de difficultés de placement ni d'observations à ce sujet de la famille, non plus que celui relatif à l'année 2016/2017 résultant de la réunion du 4 novembre 2016, alors que le recteur indique que cette organisation a été révisée à la suite de la demande de la famille et que l'élève et l'auxiliaire de vie scolaire ont alors été placés au premier rang. S'il résulte d'une photographie produite par la requérante qui porte la mention manuscrite du 3 novembre 2016 que son fils a pu être positionné de sorte que le tableau central était à sa gauche et non à sa droite, il ressort du compte-rendu d'entretien du 17 novembre 2016 que l'inspecteur de l'éducation nationale a conclu l'entretien en notant, notamment, que l'enfant devra être installé face au tableau. Il n'est pas allégué que cette décision n'aurait pas été appliquée et

les comptes-rendus de suivi de scolarisation ultérieurs ne mentionnent pas de remarques de la famille à ce sujet. Dans ces conditions et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le certificat médical du 26 mai 2016 de l'ophtalmologiste suivant l'enfant et demandant que le tableau soit à sa droite ait été transmis à l'équipe éducative avant cet entretien, aucune faute concernant le placement de l'enfant dans la salle de classe n'est caractérisée.

6. En troisième lieu, s'il résulte de l'instruction que B... n'a pu bénéficier, lors de la rentrée 2016, que d'une auxiliaire de vie scolaire mutualisée, il est constant, comme l'a relevé le tribunal, qu'il ne s'agissait pas d'une décision de l'école mais de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la Moselle du 4 juillet 2016, qui prévoyait une telle mutualisation de l'aide. L'école n'a donc pas commis de faute à cet égard. Il résulte au demeurant de l'instruction qu'à la suite d'un nouvel examen de la situation de l'enfant, une auxiliaire de vie scolaire individuelle lui a été de nouveau attribuée par notification de la CDAPH du 28 novembre 2016.

7. En quatrième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'enfant ait, à aucun moment, été laissé sans surveillance ou livré à lui-même. Le seul fait qu'il ait été, un jour donné, accompagné jusqu'aux grilles de l'école par un camarade de classe, alors que l'enseignante s'était assurée de la présence de Mme C... à la sortie de l'école, ne saurait être regardé comme constitutif d'une défaillance de l'institution à cet égard. Par ailleurs, si la requérante allègue que son fils s'est vu infliger des punitions disproportionnées compte tenu de son état de santé, il ne résulte pas de l'instruction que l'enfant aurait fait l'objet de sanctions. S'agissant enfin de privations alléguées de récréation, s'il ressort des comptes-rendus de suivi de scolarisation que l'enfant a pu, par temps froid ou en période de fortes chaleurs, être maintenu à l'intérieur, il n'est pas contesté que ces décisions ont été prises pour le préserver compte tenu de ses pathologies, l'activité de récréation étant remplacée par une activité de détente dans la classe sous la surveillance de l'auxiliaire de vie scolaire. Il n'apparaît nullement, compte tenu notamment des termes des comptes-rendus des réunions de suivi de scolarisation, auxquelles assistait Mme C... et qui ne mentionnent aucune plainte à ce sujet, que son enfant ne se serait pas épanoui pendant les cours ou qu'il aurait subi des brimades ou des souffrances, ces documents révélant au contraire la bienveillance et l'attention dont a fait preuve l'équipe enseignante pour adapter la pédagogie et intégrer au mieux son fils. C'est dès lors à bon droit que le tribunal a considéré qu'aucune faute des services de l'Etat dans la prise en charge et la scolarisation de l'enfant au cours de la période considérée ne pouvait être retenue.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions indemnitaires. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Bauer, présidente-assesseure,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mai 2024.

La rapporteure,

Signé : S. BAUER Le président,

Signé : Ch. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

F. LORRAIN

N° 21NC00276 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00276
Date de la décision : 14/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sandra BAUER
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : PONSEELE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-14;21nc00276 ?
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