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27/03/2025 | FRANCE | N°502617

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 27 mars 2025, 502617


Vu la procédure suivante :



M. F... D... et Mme C... E... épouse D..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leur fils A... D..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de toute décision d'exclusion de leur fils de l'école Gaspard Monge et /ou d'enjoindre à l'école Gaspard Monge et au recteur d'accueillir leur fils A... au sein de cette école ou de tout autre établissement scolaire de p

roximité, dans un délai de vingt-quatre heures et sous astreinte de 500 eur...

Vu la procédure suivante :

M. F... D... et Mme C... E... épouse D..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leur fils A... D..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de toute décision d'exclusion de leur fils de l'école Gaspard Monge et /ou d'enjoindre à l'école Gaspard Monge et au recteur d'accueillir leur fils A... au sein de cette école ou de tout autre établissement scolaire de proximité, dans un délai de vingt-quatre heures et sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2501671 du 17 février 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a enjoint au recteur de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes de mettre en œuvre toutes diligences, sans délai, afin de mettre en place une solution permettant d'assurer effectivement le droit à l'instruction A..., cette solution devant en tout état de cause être effective au plus tard au 10 mars 2025, date de reprise des cours après la période de vacances scolaires.

M. et Mme D... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'enjoindre au recteur de l'académie de Lyon d'exécuter l'ordonnance du 17 février 2025, sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2501671 du 19 mars 2025, le juges des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme D... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2501671 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon du 19 mars 2025 ;

2°) de déclarer recevable et bien fondé leur référé liberté à l'encontre de la décision d'exclure A... de l'école Gaspard Monge sans garantir la continuité de son accueil dans un établissement scolaire ;

3°) de suspendre l'exécution de toute décision d'exclusion de l'école Gaspard Monge et/ou d'enjoindre à l'école Gaspard Monge et au rectorat de Lyon d'accueillir A... sous 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir au sein de l'école Gaspard Monge ou de tout autre établissement scolaire de proximité, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que leur fils ne bénéficie plus d'aucune scolarisation depuis le 24 janvier 2025 ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à l'égal accès à l'instruction, à son droit à l'instruction, à l'intérêt supérieur de l'enfant et au principe de non-discrimination ;

- la décision d'exclusion ne leur est pas opposable dès lors qu'elle ne leur a pas été notifiée ;

- la décision d'exclusion méconnaît les dispositions de l'article R. 411-11-1 du code de l'éducation dès lors que, d'une part, le dispositif qu'il prévoit ne permet pas d'exclure un élève inscrit dans un établissement d'enseignement du premier degré mais seulement de le déplacer dans un autre établissement et, d'autre part, il ne peut pas être mis en œuvre par l'administration scolaire ;

- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a estimé que le recteur de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes avait entièrement exécuté l'injonction prononcée par l'ordonnance du 17 février 2025 alors qu'il se contentait de proposer une prise en charge de 7 heures par semaine.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article, la circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale serait avérée n'étant pas de nature, par elle-même, à caractériser l'existence d'une situation d'urgence.

Sur le cadre juridique du litige :

3. L'égal accès à l'instruction est garanti par le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958. Ce droit, confirmé par l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est en outre rappelé à l'article L. 111-1 du code de l'éducation qui énonce que : " le droit à l'éducation est garanti à chacun ". L'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction est mise en œuvre par les dispositions de l'article L. 131-1 du même code, aux termes desquelles : " L'instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l'âge de trois ans et jusqu'à l'âge de seize ans " ainsi que par celles de l'article L. 112-1 qui prévoient : " Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant (...) ". L'article L. 112-2 de ce code prévoit qu'afin que lui soit assuré un parcours de formation adapté, chaque enfant handicapé se voit proposer un projet personnalisé de formation. L'article L. 351-1 du code désigne les établissements dans lesquels sont scolarisés les enfants présentant un handicap, et l'article L. 351-2 prévoit que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) désigne les établissements correspondant aux besoins de l'enfant en mesure de l'accueillir, sa décision s'imposant aux établissements. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que le droit à l'éducation est garanti à chacun, quelles que soient les différences de situation et, d'autre part, que l'obligation scolaire s'appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants en situation de handicap ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation. Ainsi il incombe à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires afin que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif.

4. La privation pour un enfant, y compris s'il souffre d'un handicap tel qu'un syndrome autistique, de toute possibilité de bénéficier d'une scolarisation ou d'une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d'assurer le respect de l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, pouvant justifier l'intervention du juge des référés sur le fondement de cet article, sous réserve qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention d'une mesure de sauvegarde dans les quarante-huit heures. En outre, le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie dans les circonstances propres à l'espèce en tenant compte, d'une part, de l'âge et de l'état de l'enfant et, d'autre part, des diligences accomplies par l'autorité administrative compétente ainsi que des moyens dont elle dispose.

5. Il résulte de l'instruction que le jeune A... D..., fils B... et Mme D... né en 2014, est atteint d'un trouble du spectre autistique de type TOP (trouble oppositionnel avec provocation). Il a été scolarisé à compter du début de l'année scolaire 2023-2024 au sein de l'école élémentaire Gaspard Monge à Saint-Etienne, au sein d'une dispositif d'auto-régulation (DAR). Par décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du 28 mai 2024, l'enfant a été orienté vers le dispositif des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (DITEP). Toutefois, dans l'attente d'une place disponible, il a été décidé de le maintenir à l'école Gaspard Monge au sein du dispositif d'auto-régulation qui est destiné à faciliter l'accueil des élèves manifestant un trouble du spectre autistique. A la suite de divers incidents violents impliquant le jeune A..., celui-ci a fait l'objet d'une suspension de son accueil à l'école Gaspard Monge, du 13 au 16 janvier 2025. Un nouvel incident intervenu dès son retour a conduit l'administration scolaire à suspendre sine die, à compter du 24 janvier 2025, l'accueil de l'enfant dans cette école. L'administration a également invité M. et Mme D... à poursuivre leurs démarches en vue de l'admission de leur enfant au DITEP, et leur a fait des propositions pour assurer dans cette attente l'instruction de l'enfant à domicile.

6. M. et Mme D... ont saisi le 10 février 2025 le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il suspende la décision dont leur fils faisait l'objet et à ce qu'il ordonne sa réintégration immédiate au sein de l'école Gaspard Monge ou de tout autre établissement scolaire de proximité. Par une ordonnance du 17 février 2025, le juge des référés a enjoint au recteur de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes de faire toutes diligences pour que soit mise en place une solution permettant d'assurer effectivement le droit à l'instruction du jeune A..., au plus tard le 10 mars 2025 soit au terme des vacances scolaires d'hiver. Le 11 mars 2025, M. et Mme D... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à ce qu'il fasse application des dispositions de l'article L. 521-4 du code de justice administrative en enjoignant au recteur d'exécuter sous astreinte l'ordonnance du 17 février 2025 mentionnée ci-dessus. Par une ordonnance du 19 mars 2025, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté la demande d'exécution formée par M. et Mme D.... Ceux-ci relèvent appel de cette seconde ordonnance.

Sur le bien-fondé de l'appel formé par M. et Mme D... :

7. Il résulte de l'instruction conduite devant le juge des référés du tribunal administratif que la scolarité suivie par A... D... au sein de l'école élémentaire Gaspard Monge, à compter de septembre 2023 en CM 1 puis de septembre 2024 en CM 2, a été émaillée de nombreux faits de détérioration de matériel, de violence verbale ou physique et de menaces, commis de manière inopinée par l'enfant à l'égard d'autres élèves ou de membres du personnel de l'école. Ainsi, les 5 octobre et 16 décembre 2024 puis à nouveau les 10 et 24 janvier 2025, il a violemment insulté et agressé physiquement d'autres jeunes élèves de sa classe, ainsi que des adultes tentant de le maîtriser. Le renouvellement, selon une périodicité croissante, l'imprévisibilité et l'aggravation des faits de violence commis par cet enfant en situation de handicap étaient de nature à faire peser un risque sérieux sur l'intégrité physique, la sécurité et la santé des autres élèves, des personnels d'encadrement et du jeune A... lui-même. C'est dans ce contexte qu'a été suspendue à titre conservatoire la scolarisation de l'enfant au sein de l'école élémentaire Gaspard Monge.

8. En exécution de l'injonction prononcée par le juge des référés du tribunal administratif de Lyon du 17 février 2025, le recteur de la région académique a fait savoir aux parents le 21 février 2025 que le jeune A... était admis au DITEP et qu'à titre transitoire, jusqu'à ce qu'il puisse être scolarisé au sein du DITEP avec d'autres enfants, un enseignant spécialisé interviendrait 7 heures par semaine au domicile de l'enfant afin de lui faire suivre, au moyen de cours individuels, les enseignements normaux du CM 2 tout en rattrapant les cours dispensés à l'école Gaspard Monge qu'il avait manqués depuis janvier. Le recteur a également décidé que l'enfant serait constamment suivi par un éducateur référent, et qu'il bénéficierait d'un accompagnement thérapeutique et éducatif par le DITEP, en vue de pouvoir être à nouveau scolarisé dans un collège spécialement adapté à ses besoins, lorsque son état de santé le permettrait. Compte tenu de la situation particulière de l'enfant, de son état de santé et des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente, celle-ci doit être regardée comme ayant pris ainsi les mesures susceptibles d'être décidées à très bref délai et permettant de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée au droit à l'instruction du jeune A... D..., prescrites par l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon du 17 février 2025. Il suit de là que c'est à bon droit que, par son ordonnance du 19 mars 2025, le juge des référés du même tribunal a rejeté la demande d'exécution dont M. et Mme D... l'avait saisi sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative.

9. Il résulte de ce qui précède qu'il est manifeste que l'appel B... et Mme D... ne peut être accueilli. Par suite, leur requête doit être rejetée en application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris leurs conclusions formées au titre de l'article L. 761-1 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête B... et Mme D... est rejetée.

Article 2 : : La présente ordonnance sera notifiée à M. F... D... et Mme C... E... épouse D... et à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Copie en sera adressée au recteur de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes.

Fait à Paris, le 27 mars 2025

Signée : Terry Olson


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 502617
Date de la décision : 27/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mar. 2025, n° 502617
Origine de la décision
Date de l'import : 11/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:502617.20250327
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