Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Bastia, à titre principal, d'annuler la décision par laquelle le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a implicitement rejeté sa demande préalable indemnitaire et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 497 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis et, à titre subsidiaire, avant dire droit, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle. Par une ordonnance n° 2001296 du 14 août 2024, la présidente du tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 24MA02200 et autres du 4 novembre 2024, enregistrée le 5 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 20 août 2024 au greffe de cette cour. Par ce pourvoi, Mme A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Bastia du 14 août 2024 ;
2°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle aux fins de déterminer si la différence de traitement entre les professeurs des écoles issus du corps des instituteurs et les autres professeurs des écoles méconnaît le principe d'égalité garanti par la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ;
3°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire distinct, enregistré le 5 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 17 de la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation et des dispositions de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;
- le code de l'éducation ;
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 ;
- l'ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 ;
- le décret n° 90-680 du 1er août 1990 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Caron, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Soltner, avocat de Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., alors institutrice, a été intégrée dans le corps des professeurs des écoles après sa création par le décret du 1er août 1990 relatif au statut particulier des professeurs des écoles. Estimant, comme plusieurs autres professeurs des écoles anciens instituteurs regroupés au sein du " collectif des oubliés ", avoir fait l'objet d'un traitement moins favorable que celui réservé aux autres professeurs des écoles au motif qu'elle était issue du corps des instituteurs, elle a sollicité auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis de ce fait. Après le rejet implicite de sa demande préalable, elle a saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 497 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Par une ordonnance du 14 août 2024 contre laquelle Mme A... se pourvoit en cassation, la présidente du tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande. Par ailleurs, à l'appui de ce pourvoi, Mme A... soutient, par un mémoire distinct, que l'article 17 de la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation, les dispositions de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et celles de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. De première part, en tant qu'elle est dirigée contre les dispositions de la loi du 13 juillet 1983 et celles de la loi du 11 janvier 1984, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A..., qui se borne à soutenir que ces lois méconnaissent l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, sans mentionner les dispositions de ces lois à l'encontre desquelles ce grief est soulevé, est dépourvue des précisions permettant d'apprécier s'il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
4. De deuxième part, les dispositions de l'article 17 de la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation créant dans chaque académie, à compter du 1er septembre 1990, un institut universitaire de formation des maîtres, rattaché à une ou plusieurs universités de l'académie et chargé de conduire, dans le cadre des orientations définies par l'Etat, les actions de formation professionnelle initiale des personnels enseignants, n'ont ni pour objet ni pour effet d'instaurer une différence de traitement dans le déroulement de leur carrière entre les professeurs des écoles selon qu'ils appartenaient au corps des instituteurs avant leur intégration dans le corps des professeurs des écoles ou qu'ils ont été directement recrutés dans ce corps. Par suite, les dispositions de l'article 17 de la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation ne peuvent être regardées comme applicables, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, au litige par lequel Mme A... demande à l'Etat de l'indemniser en raison du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait d'une telle différence de traitement.
5. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Sur les autres moyens du pourvoi :
6. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux. "
7. Pour demander l'annulation de l'ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Bastia qu'elle attaque, Mme A... soutient, en outre, qu'elle est entachée :
- d'erreur de droit en ce qu'elle juge qu'il n'y a pas lieu, avant de statuer sur sa demande, de renvoyer une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
- d'erreur de droit, en ce qu'elle juge que le principe d'égalité ne peut utilement être invoqué pour contester la différence de traitement dont les instituteurs et les professeurs des écoles feraient l'objet dans le déroulement de leur carrière et leur rémunération à raison de l'appartenance de leur corps respectif à des catégories différentes, alors qu'ils exercent les mêmes missions ;
- d'erreur de droit en ce qu'elle ne retient pas l'illégalité des dispositions du décret du 1er août 1990 invoquée par la voie de l'exception, ni que l'adoption de ce décret constitue un détournement de pouvoir ;
- d'erreur de droit en ce qu'elle écarte le moyen tiré de la méconnaissance par les dispositions du décret du 1er août 1990 des articles 1er et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- d'erreur de droit en ce qu'elle méconnait la prohibition des discriminations au travail qui résulte de la directive 2000/78/CE du Conseil du 7 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.
8. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A....
Article 2 : Le pourvoi de Mme A... n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.