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17/05/2024 | FRANCE | N°475486

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 17 mai 2024, 475486


Vu la procédure suivante :



La société civile immobilière SPAN a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 171 314,43 euros avec intérêts au taux légal en réparation du préjudice résultant pour elle du refus du préfet de Seine-et-Marne de lui apporter le concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice ordonnant l'expulsion de la locataire d'un ensemble immobilier lui appartenant. Par un jugement n° 2002561 du 30 décembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribu

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Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière SPAN a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 171 314,43 euros avec intérêts au taux légal en réparation du préjudice résultant pour elle du refus du préfet de Seine-et-Marne de lui apporter le concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice ordonnant l'expulsion de la locataire d'un ensemble immobilier lui appartenant. Par un jugement n° 2002561 du 30 décembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser la somme de 165 068 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2019.

Par un pourvoi, enregistré le 28 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande présentée par la société SPAN devant le tribunal administratif de Melun.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des principes gouvernant la responsabilité des personnes publiques, repris par les dispositions de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution, que le représentant de l'Etat, saisi d'une demande en ce sens, doit prêter le concours de la force publique en vue de l'exécution d'une décision de justice ayant force exécutoire, la responsabilité de l'Etat étant susceptible d'être engagée en cas de refus pour faute ou même sans faute lorsque le refus est notamment fondé sur des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société SPAN a conclu deux baux avec Mme A... B... épouse C... en 2005 et en 2007 portant respectivement sur un bâtiment à usage d'hôtel-restaurant et sur un bâtiment à usage commercial situés à Pontault-Combault (Seine-et-Marne). Par une ordonnance du 17 octobre 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Melun a constaté l'acquisition de la clause résolutoire de ces baux, ordonné, à défaut de libération volontaire des lieux, l'expulsion de Mme C... et fixé le montant de l'indemnité d'occupation des lieux. Un commandement de quitter les lieux a été émis le 10 novembre 2014. Le concours de la force publique a été sollicité le 25 novembre 2014. Après que le sous-préfet de Torcy a d'abord, par un courrier du 5 février 2015, sursis à statuer sur cette demande en raison de l'exercice d'un recours contre l'ordonnance ordonnant l'expulsion, puis que la cour d'appel de Paris a, par un arrêt du 1er octobre 2015, confirmé cette ordonnance, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a suspendu la décision de sursis à statuer du 5 février 2015 et enjoint au préfet de Seine-et-Marne de procéder à un nouvel examen de la demande de la société SPAN. Le concours de la force publique a été apporté le 17 juin 2016, date de libération des lieux. Par un arrêt du 30 mars 2017, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a ensuite cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 1er octobre 2015 et lui a renvoyé l'affaire. Par un second arrêt du 20 septembre 2018, la cour d'appel de Paris a infirmé l'ordonnance du 17 octobre 2014 en toutes ses dispositions.

3. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun s'est, pour faire droit à la demande d'indemnisation du fait du retard mis par l'Etat à prêter le concours de la force publique à l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Melun du 17 octobre 2014 qui a ordonné l'expulsion des occupants, fondé sur le motif suivant lequel l'exécution provisoire de cette ordonnance n'avait pas été remise en cause par le recours dont elle a fait l'objet. En statuant ainsi, alors que le retard de l'Etat à prêter son concours à l'exécution de l'ordonnance qui avait ordonné l'expulsion des occupants, n'a pu, dès lors que celle-ci a été ensuite infirmée en toutes ses dispositions par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 septembre 2018 mis au dossier du juge du fond, porter atteinte à un droit définitivement acquis de la requérante, et que, dans ces conditions, celle-ci ne justifie pas d'un préjudice susceptible de lui ouvrir droit à indemnité, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer est, par suite, fondé à en demander l'annulation.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la société SPAN ne pouvait prétendre à être indemnisée du préjudice dont elle demandait réparation. Sa demande doit, dès lors, être rejetée y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1 : Le jugement n° 2002561 du tribunal administratif de Melun du 30 décembre 2022 est annulé.

Article 2 : Le demande de la société SPAN est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la société civile immobilière SPAN.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 avril 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat, M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 17 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Coralie Albumazard

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 475486
Date de la décision : 17/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - EXÉCUTION DES JUGEMENTS - CONCOURS DE LA FORCE PUBLIQUE - RETARD POUR EXÉCUTER UN JUGEMENT D’EXPULSION – JUGEMENT INFIRMÉ POSTÉRIEUREMENT AU CONCOURS DE LA FORCE PUBLIQUE – EXISTENCE D’UN DROIT À INDEMNITÉ – ABSENCE [RJ1].

37-05-01 Jugement ayant ordonné l’expulsion des occupants d’un bien. Représentant de l’Etat ayant sursis à statuer sur la demande de concours de la force publique, en raison de l’exercice d’un recours contre ce jugement. Cour d’appel ayant confirmé ce jugement. Concours de la force publique ayant été apporté plus d’un an après la demande. Cour de cassation ayant ultérieurement cassé l’arrêt de la cour d’appel qui, ressaisie du litige, a infirmé l’ordonnance. Propriétaire du bien demandant l’indemnisation des préjudices causés par le retard mis par l’Etat à prêter le concours de la force publique....Le retard de l’Etat à prêter son concours à l’exécution de l’ordonnance qui avait ordonné l’expulsion des occupants, n’a pu, dès lors que celle-ci a été ensuite infirmée en toutes ses dispositions par une cour d’appel, porter atteinte à un droit définitivement acquis de la propriétaire du bien. Dans ces conditions, celle-ci ne justifie pas d’un préjudice susceptible de lui ouvrir droit à indemnité.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITÉ EN RAISON DES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS DES SERVICES PUBLICS - SERVICES DE POLICE - SERVICES DE L'ETAT - EXÉCUTION DES DÉCISIONS DE JUSTICE - RETARD DANS LE CONCOURS DE LA FORCE PUBLIQUE POUR EXÉCUTER UN JUGEMENT D’EXPULSION – JUGEMENT INFIRMÉ POSTÉRIEUREMENT AU CONCOURS DE LA FORCE PUBLIQUE – EXISTENCE D’UN DROIT À INDEMNITÉ – ABSENCE [RJ1].

60-02-03-01-03 Jugement ayant ordonné l’expulsion des occupants d’un bien. Représentant de l’Etat ayant sursis à statuer sur la demande de concours de la force publique, en raison de l’exercice d’un recours contre ce jugement. Cour d’appel ayant confirmé ce jugement. Concours de la force publique ayant été apporté plus d’un an après la demande. Cour de cassation ayant ultérieurement cassé l’arrêt de la cour d’appel qui, ressaisie du litige, a infirmé l’ordonnance. Propriétaire du bien demandant l’indemnisation des préjudices causés par le retard mis par l’Etat à prêter le concours de la force publique....Le retard de l’Etat à prêter son concours à l’exécution de l’ordonnance qui avait ordonné l’expulsion des occupants, n’a pu, dès lors que celle-ci a été ensuite infirmée en toutes ses dispositions par une cour d’appel, porter atteinte à un droit définitivement acquis de la propriétaire du bien. Dans ces conditions, celle-ci ne justifie pas d’un préjudice susceptible de lui ouvrir droit à indemnité.


Publications
Proposition de citation : CE, 17 mai. 2024, n° 475486
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Coralie Albumazard
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:475486.20240517
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