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14/05/2024 | FRANCE | N°471258

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 14 mai 2024, 471258


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le n° 471258, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 10 février et 2 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le grand port maritime de la Guyane demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur sa demande du 31 octobre 2022 tendant à l'abrogation de l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation prof

essionnelle et du dialogue social du 21 mars 2017 portant extension de l'avenant territo...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 471258, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 10 février et 2 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le grand port maritime de la Guyane demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur sa demande du 31 octobre 2022 tendant à l'abrogation de l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 21 mars 2017 portant extension de l'avenant territorial n° 2 " Guyane " du 28 mai 2014, modifiant des dispositions applicables à la Guyane, à la convention collective nationale unifiée " Ports et Manutention " (IDCC n° 3017) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 471259, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 10 février et 2 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le grand port maritime de la Guyane demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur sa demande du 31 octobre 2022 tendant à l'abrogation de l'arrêté de la ministre du travail du 26 juin 2017 portant extension de l'avenant territorial n° 3 " Guyane " du 28 mai 2014, relatif aux conventions de forfaits, à la convention collective nationale unifiée " Ports et Manutention " (IDCC n° 3017) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code du travail ;

- le décret n° 2012-1105 du 1er octobre 2012 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers que la convention collective nationale unifiée " Ports et Manutention " (IDCC n° 3017), signée le 15 avril 2011 et étendue par arrêté du 6 août 2012 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, a fait l'objet d'un avenant territorial n° 2 modifiant des dispositions applicables à la Guyane et d'un avenant territorial n° 3 relatif aux conventions de forfaits en Guyane, conclus le 28 mai 2014 par la CDTG (Centrale démocratique des travailleurs de Guyane) CFDT, l'UTG (Union des travailleurs guyanais) et la CGT-FO, organisations syndicales de salariés, et par l'AGEM (Association guyanaise des entreprises de manutention), organisation professionnelle d'employeurs. Les avenants ont été étendus respectivement par un arrêté du 21 mars 2017 de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et par un arrêté du 26 juin 2017 de la ministre du travail. Le grand port maritime de la Guyane, établissement public à caractère industriel et commercial, créé par le décret du 1er octobre 2012 instituant le grand port maritime de la Guyane pour administrer le port de commerce de la Guyane et qui regroupe différents sites portuaires, a demandé au ministre chargé du travail par des courriers en date du 31 octobre 2022 d'abroger les arrêtés du 21 mars 2017 et du 26 juin 2017. Il demande, par deux requêtes, l'annulation pour excès de pouvoir des décisions implicites ayant rejeté ses demandes. Les deux requêtes du grand port maritime de la Guyane présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la légalité externe des arrêtés litigieux :

2. Le grand port maritime de la Guyane ne peut utilement invoquer, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du refus du ministre chargé du travail d'abroger les arrêtés du 21 mars 2017 et du 26 juin 2017, des moyens tirés de l'irrégularité de la procédure suivie pour l'adoption de ces arrêtés. Ne peut ainsi qu'être écarté le moyen tiré de ce que ces arrêtés auraient été adoptés en méconnaissance des dispositions de l'article D. 2261-3 du code du travail à défaut de publication de l'avis invitant les organisations et personnes intéressées à faire connaître leurs observations.

Sur la légalité interne des arrêtés litigieux :

En ce qui concerne les moyens tirés de ce que les avenants étendus n'auraient pas été signés par une organisation professionnelle d'employeurs représentative dans leur champ d'application :

3. De première part, la convention collective nationale unifiée " Ports et Manutention " du 15 avril 2011 est applicable, en vertu de son article 1er, en particulier aux " entreprises, établissements ou toute autre structure situés dans les départements d'outre-mer, dont l'activité est l'administration et/ou l'exploitation de ports maritimes de commerce et/ou de pêche " ainsi qu'aux " entreprises, établissements ou toute autre structure situés dans les départements de La Réunion, de la Guadeloupe et de la Guyane, dont l'activité est la manutention portuaire dans les ports maritimes de commerce ". Cette convention a été étendue par arrêté du 6 août 2012 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

4. De deuxième part, en vertu des articles L. 2261-15 et L. 2261-19 du code du travail, les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, à condition, notamment, qu'ils aient été négociés et conclus en commission paritaire. Il en résulte qu'un avenant qui n'a pas été signé par au moins une organisation d'employeurs et une organisation de salariés représentatives dans le champ d'application du texte en cause ne peut être légalement étendu.

5. De troisième part, il y a lieu d'apprécier la représentativité des signataires des avenants en cause, y compris s'agissant de l'organisation professionnelle d'employeurs signataire, en l'espèce, l'AGEM, selon les critères prévus, à la date de signature de ces avenants, par les dispositions de l'article L. 2121-1 du code du travail applicables à la représentativité des organisations syndicales de salariés, selon lesquelles la représentativité est déterminée d'après plusieurs critères cumulatifs, au nombre desquels figure l'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience. Les avenants litigieux ayant été conclus le 28 mai 2014, antérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions intervenues en matière de représentativité patronale, de négociation collective dans les départements d'outre-mer et de représentativité des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs ultramarines notamment au niveau du territoire de la Guyane et introduites respectivement par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels et la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, la circonstance que les signataires des deux avenants en cause ne satisferaient pas aux critères de représentativité qu'elles fixent demeure sans incidence sur la légalité des arrêtés procédant à leur extension.

6. Il ressort des pièces des dossiers que les avenants étendus par les arrêtés litigieux sont applicables géographiquement aux ports et appontements de la région Guyane, professionnellement aux entreprises de manutention portuaire relevant des codes NAF 52.24A et 52.22Z ainsi qu'aux entreprises dont l'activité principale relève de ces codes NAF qui y exercent leurs activités, " catégoriellement, à toutes les catégories de personnel de ces entreprises travaillant dans les métiers de la manutention portuaire ".

7. Il ressort en outre des pièces des dossiers que l'AGEM, qui a pour objet d'étudier et de défendre les droits et les intérêts matériels et moraux tant collectifs qu'individuels des personnes physiques ou morales, employeurs, en exercice au sein du secteur de la manutention portuaire en Guyane, est la seule organisation professionnelle d'employeurs à avoir signé les avenants en cause, la Centrale démocratique des travailleurs de Guyane (CDTG) CFDT et l'Union des travailleurs guyanais (UTG), dont il n'est pas contesté qu'elles étaient représentatives dans les champs d'application de ces avenants, figurant parmi leurs signataires comme organisations syndicales de salariés. L'AGEM compte parmi ses adhérents les principales entreprises portuaires de la Guyane. Elle a par ailleurs signé l'accord professionnel du 18 mai 1999 demandant le rattachement du département de la Guyane à la convention collective nationale de la manutention portuaire du 31 décembre 1993, étendue par arrêté du 29 septembre 1994. Il s'ensuit que le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'AGEM, implantée comme organisation patronale dans le secteur de la manutention portuaire en Guyane, n'était pas représentative dans le champ d'application des deux avenants territoriaux, bien que non affiliée à une organisation représentative au plan national, peu important qu'elle n'intervienne pas directement dans le secteur de l'administration et de l'exploitation des ports maritimes ou de pêche en Guyane. Les moyens tirés de ce que les avenants litigieux n'auraient pas été signés par une organisation professionnelle d'employeurs représentative dans leurs champs d'application ne peuvent, dès lors, qu'être écartés.

En ce qui concerne les autres moyens de légalité interne :

8. Si le requérant soutient que les arrêtés d'extension seraient entachés d'erreur de droit en ce qu'ils le contraindraient à appliquer des stipulations dérogatoires aux dispositions légales en matière de temps de travail, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé et ne peut, ainsi, qu'être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes du grand port maritime de la Guyane doivent être rejetées, y compris leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes du grand port maritime de la Guyane sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au grand port maritime de la Guyane, à l'Association guyanaise des entreprises de manutention, à la Centrale démocratique des travailleurs de la Guyane, à l'Union des travailleurs guyanais, à la Confédération Force ouvrière et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, Mme Célia Verot, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 14 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Fradel

Le secrétaire :

Signé : M. Christophe Bouba


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 471258
Date de la décision : 14/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - MOTIFS - POUVOIRS ET OBLIGATIONS DE L'ADMINISTRATION - REFUS D’ABROGER UN ARRÊTÉ D’EXTENSION D’UN AVENANT À UNE CONVENTION COLLECTIVE – LÉGALITÉ – APPRÉCIATION DE LA REPRÉSENTATIVITÉ DES SIGNATAIRES – DATE DE LA SIGNATURE DE L’AVENANT [RJ1].

01-05-01 Saisi d’un moyen tiré de ce que l’avenant étendu n’aurait pas été signé par une organisation professionnelle d’employeurs représentative dans leur champ d’application, il y a lieu pour le juge de l’excès de pouvoir d’apprécier la représentativité des signataires des avenants en cause selon les critères prévus à la date de signature de cet avenant.

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - MOYENS - MOYENS INOPÉRANTS - CONTESTATION DU REFUS D’ABROGER UN ARRÊTÉ D’EXTENSION D’UN AVENANT À UNE CONVENTION COLLECTIVE – MOYENS DE LÉGALITÉ EXTERNE [RJ2].

54-07-01-04-03 Un requérant ne peut utilement invoquer, à l’appui de conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du refus du ministre chargé du travail d’abroger l’arrêté portant extension d’un avenant à une convention collective, des moyens tirés de l’irrégularité de la procédure suivie pour l’adoption de cet arrêté.

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - DEVOIRS DU JUGE - REFUS D’ABROGER UN ARRÊTÉ D’EXTENSION D’UN AVENANT À UNE CONVENTION COLLECTIVE – LÉGALITÉ – APPRÉCIATION DE LA REPRÉSENTATIVITÉ DES SIGNATAIRES – DATE DE LA SIGNATURE DE L’AVENANT [RJ1].

54-07-01-07 Saisi d’un moyen tiré de ce que l’avenant étendu n’aurait pas été signé par une organisation professionnelle d’employeurs représentative dans leur champ d’application, il y a lieu pour le juge de l’excès de pouvoir d’apprécier la représentativité des signataires des avenants en cause selon les critères prévus à la date de signature de cet avenant.

TRAVAIL ET EMPLOI - CONVENTIONS COLLECTIVES - EXTENSION DES CONVENTIONS COLLECTIVES - EXTENSION D'AVENANTS À UNE CONVENTION COLLECTIVE - CONTESTATION DU REFUS D’ABROGER UN ARRÊTÉ D’EXTENSION – MOYENS – 1) LÉGALITÉ EXTERNE – OPÉRANCE – ABSENCE [RJ2] – 2) DÉFAUT DE REPRÉSENTATIVITÉ DES SIGNATAIRES DE L’AVENANT ÉTENDU – OPÉRANCE – EXISTENCE – APPRÉCIATION – DATE DE LA SIGNATURE DE L’AVENANT [RJ1].

66-02-02-04 Conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du refus du ministre chargé du travail d’abroger l’arrêté portant extension d’un avenant à une convention collective....1) Un requérant ne peut utilement invoquer, à l’appui de ces conclusions, des moyens tirés de l’irrégularité de la procédure suivie pour l’adoption de cet arrêté....2) Saisi d’un moyen tiré de ce que l’avenant étendu n’aurait pas été signé par une organisation professionnelle d’employeurs représentative dans leur champ d’application, qui est opérant, il y a lieu pour le juge de l’excès de pouvoir d’apprécier la représentativité des signataires des avenants en cause selon les critères prévus à la date de signature de cet avenant.


Publications
Proposition de citation : CE, 14 mai. 2024, n° 471258
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Fradel
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:471258.20240514
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