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26/04/2024 | FRANCE | N°467728

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 26 avril 2024, 467728


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 septembre 2022 et le 16 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des apiculteurs d'Occitanie demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision fixant la liste des cultures qui ne sont pas considérées comme attractives pour les abeilles ou d'autres insectes pollinisateurs, telles que mentionnées à l'article 1er de l'arrêté du 20 novembre 2021 relatif à la protection des abeille

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 septembre 2022 et le 16 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des apiculteurs d'Occitanie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision fixant la liste des cultures qui ne sont pas considérées comme attractives pour les abeilles ou d'autres insectes pollinisateurs, telles que mentionnées à l'article 1er de l'arrêté du 20 novembre 2021 relatif à la protection des abeilles et des insectes pollinisateurs et à la préservation des services de pollinisation lors de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, publiée au bulletin officiel du ministère de l'agriculture le 24 mars 2022, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment la Charte de l'environnement à laquelle renvoie son Préambule ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du 20 novembre 2021 relatif à la protection des abeilles et des autres insectes pollinisateurs et à la préservation des services de pollinisation lors de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Levasseur, auditeur,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Le I de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime dispose que " l'autorité administrative peut, dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits (...) ". L'article L. 253-1 du même code mentionne les " produits phytopharmaceutiques et des adjuvants vendus seuls ou en mélange ". Sur le fondement de ces dispositions, l'arrêté du 20 novembre 2021 relatif à la protection des abeilles et des autres insectes pollinisateurs et à la préservation des services de pollinisation lors de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques encadre l'utilisation de produits phytosanitaires sur les cultures agricoles attractives pour les abeilles et les insectes pollinisateurs en période de floraison. Aux termes du quatrième alinéa de son article 1er : " (...) une culture attractive est une culture qui, par sa nature, présente un attrait pour les abeilles ou d'autres insectes pollinisateurs. Ne sont pas considérées comme attractives au sens du présent arrêté les cultures qui figurent sur une liste publiée au Bulletin officiel du ministère chargé de l'agriculture ". En application de cet arrêté, le directeur général de l'alimentation, le directeur général de la prévention des risques, le directeur général de la santé et la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont fixé la liste des cultures qui ne sont pas considérées comme attractives pour les abeilles ou les autres insectes pollinisateurs, publiée au bulletin officiel du ministère de l'agriculture du 24 mars 2022. Le syndicat des apiculteurs d'Occitanie demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir cette décision ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux qu'elle avait formé contre celle-ci.

Sur la légalité externe :

2. L'article R. 253-45 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable au litige, dispose que " l'autorité administrative mentionnée à l'article L. 253-7 est le ministre chargé de l'agriculture. / Toutefois, lorsque les mesures visées au premier alinéa de l'article L. 253-7 concernent l'utilisation et la détention de produits visés à l'article L. 253-1, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation ".

3. L'arrêté du 20 novembre 2021, pour l'application duquel la liste attaquée a été fixée, établit des mesures de restriction et de prescription particulière concernant l'utilisation de produits phytopharmaceutiques. Dès lors, la décision attaquée par le syndicat requérant devait être prise conjointement par les ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation. Il s'ensuit que ne peut qu'être écarté le moyen tiré de ce que la détermination de la liste des cultures non attractives pour les abeilles et les autres insectes pollinisateurs relevait de la seule compétence du ministre chargé de l'agriculture, lequel est en tout état de cause au nombre des signataires de la décision attaquée.

Sur la légalité interne :

4. Le syndicat requérant soutient que la liste des cultures non attractives pour les abeilles et les autres insectes pollinisateurs est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît le principe de précaution en tant qu'elle inclut les cultures des céréales à paille, du ray-grass, du houblon, de la lentille, du pois, de la pomme de terre, du soja et de la vigne.

5. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que le document d'orientation de l'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), publié dans sa version révisée le 4 juillet 2014, indique, s'agissant des cultures des céréales à paille (avoine, blé, épeautre, orge, riz, seigle, triticale), du ray-grass, du houblon et de la pomme de terre, qu'aucune de ces cultures n'est visitée par les abeilles, les bourdons et les abeilles solitaires pour le nectar. Elle relève qu'en revanche, l'attrait de ces espèces animales pour le pollen des espèces végétales en question ne peut être complètement exclu au regard des données et études disponibles. D'autre part, l'étude " Attractiveness of Agricultural Crops to Pollinating Bees for the Collection of Nectar and/or Pollen ", publié en 2017 par le ministère de l'agriculture des Etats-Unis (USDA), classe ces mêmes espèces végétales parmi les cultures qui ne sont pas attractives, en général, pour les insectes pollinisateurs. Si elle précise que, par exception, la culture du houblon peut être attractive pour les abeilles et celle de la pomme de terre peut être attractive pour les bourdons et certaines abeilles solitaires (espèce Andrena), elle indique que tel n'est le cas, au vu des informations disponibles, que dans des conditions peu fréquentes (par exemple, lorsque les autres sources de nourriture sont peu nombreuses) ou que cela ne concerne qu'un faible nombre d'abeilles butinant une culture donnée. Au regard de l'ensemble des données scientifiques ainsi disponibles à la date à laquelle ils ont pris la décision contestée, c'est sans erreur manifeste d'appréciation et, en tout état de cause, sans méconnaître le principe de précaution que les ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation ont mentionné les céréales à paille, le ray-grass, le houblon et la pomme de terre dans la liste des cultures non attractives pour les abeilles et les autres insectes pollinisateurs. Si des études scientifiques postérieures à la décision attaquée sont susceptibles de modifier l'appréciation du caractère attractif de certaines de ces cultures, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de cette décision et serait seulement susceptible d'imposer aux autorités compétentes, si ce caractère était établi, de modifier en conséquence la liste ainsi arrêtée, dont la décision attaquée précise au demeurant qu'elle " est une liste évolutive pour tenir compte des dernières données et connaissances scientifiques ".

6. En revanche, il ressort également des pièces du dossier que le document de l'EFSA, cité au point 5, indique, d'une part, que la culture de la lentille est attractive pour les abeilles à miel, d'autre part, que celles du pois et du soja sont attractives pour les abeilles à miel ainsi que pour les bourdons et les abeilles solitaires, enfin, que celle de la vigne est attractive pour les abeilles à miel et les abeilles solitaires. L'étude de l'USDA, mentionnée au même point, confirme, d'une part, que la culture de la lentille est attractive sous certaines conditions pour les abeilles à miel ainsi que pour certaines abeilles solitaires (espèce Megachile), d'autre part, que celles du pois et du soja sont attractives sous certaines conditions pour les abeilles à miel ainsi que pour les bourdons et certaines abeilles solitaires (espèces Eucera et Xylocopa), enfin, que celle de la vigne est attractive sous certaines conditions pour les abeilles à miel. Les études dont le ministre de l'agriculture se prévaut en défense pour contester l'attractivité des cultures de pois et de soja n'apportent pas d'éléments suffisants pour remettre en cause les conclusions des études de l'EFSA et de l'USDA. Il résulte de l'ensemble des données scientifiques ainsi disponibles à la date à laquelle ils ont pris la décision contestée qu'en intégrant la lentille, le pois (Pisum sativum), le soja et la vigne parmi les cultures non attractives pour les abeilles et les autres insectes pollinisateurs, les ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation ont entaché leur décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat requérant est seulement fondé à demander l'annulation de la liste qu'il attaque en tant qu'elle mentionne parmi les cultures non attractives pour les abeilles et les autres insectes pollinisateurs celles de la lentille, du pois (Pisum sativum), du soja et de la vigne.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser au syndicat des apiculteurs d'Occitanie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La liste des cultures qui ne sont pas considérées comme attractives pour les abeilles ou d'autres insectes pollinisateurs, telles que mentionnées à l'article 1er de l'arrêté du 20 novembre 2021 relatif à la protection des abeilles et des insectes pollinisateurs et à la préservation des services de pollinisation lors de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, publiée au bulletin officiel du ministère de l'agriculture le 24 mars 2022 est annulée en tant qu'elle mentionne la lentille, le pois (Pisum sativum), le soja et la vigne.

Article 2 : L'Etat versera au syndicat des apiculteurs d'Occitanie une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du syndicat des apiculteurs d'Occitanie est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au syndicat des apiculteurs d'Occitanie, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Copie en sera adressée à l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 mars 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat ; M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Paul Levasseur, auditeur-rapporteur.

Rendu le 26 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Paul Levasseur

La secrétaire :

Signé : Mme Elisabeth Ravanne


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 467728
Date de la décision : 26/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2024, n° 467728
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Paul Levasseur
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne

Origine de la décision
Date de l'import : 03/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:467728.20240426
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