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06/12/2023 | FRANCE | N°469094

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 06 décembre 2023, 469094


Vu les procédures suivantes :



I. Sous le n° 469094, par une requête, enregistrée le 22 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 22 septembre 2022 relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics de distribution d'électricité ;



2°) à titre subsidiaire, d'abroger cet arrêté ;



3°) d'enjoindre à la Première ministre de réévaluer la situation

énergétique et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notificat...

Vu les procédures suivantes :

I. Sous le n° 469094, par une requête, enregistrée le 22 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 22 septembre 2022 relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics de distribution d'électricité ;

2°) à titre subsidiaire, d'abroger cet arrêté ;

3°) d'enjoindre à la Première ministre de réévaluer la situation énergétique et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Les deux requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même arrêté. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier qu'afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement en électricité et de réduire les risques de délestage sur le réseau d'électricité dans un contexte de tension sur le marché de l'énergie, la ministre de la transition énergétique a, par un arrêté du 22 septembre 2022, prescrit aux gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité de désactiver " la fermeture du contact pilotable (...) entre 11 heures et 15 h 30 " pour les " dispositifs de comptage mis à la disposition des utilisateurs des réseaux publics de distribution en métropole continentale ayant souscrit une offre de fourniture assurant une gestion quotidienne du contact pilotable ". Le même arrêté prévoit que cette désactivation quotidienne, " qui ne peut être supérieure à deux heures, commence avant 14 heures ", qu'elle doit être effective " au plus tôt le 1er octobre et au plus tard le 1er novembre 2022 " et qu'elle prend fin " au plus tôt au 15 avril 2023 et au plus tard au 15 mai 2023 ". Mme B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

Sur la légalité externe :

3. En premier lieu, l'article L. 143-4 du code de l'énergie dispose qu'en " cas de crise grave sur le marché de l'énergie, de menace pour la sécurité ou la sûreté des réseaux et installations électriques, ou de risque pour la sécurité des personnes, des mesures temporaires de sauvegarde peuvent être prises par le ministre chargé de l'énergie (...) sans que ces mesures puissent faire l'objet d'une indemnisation ". Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué, qui a pour objet de limiter les pics de consommation afin de prévenir les risques de coupure sur le réseau électrique, a été pris en application de l'article L. 143-4 du code de l'énergie, dans un contexte de crise grave sur le marché de l'énergie liée notamment aux incidences significatives de la guerre en Ukraine sur les conditions d'approvisionnement en énergie. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient la requérante, la ministre de la transition énergétique était compétente pour prendre un tel arrêté.

4. En second lieu, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire, et pas davantage de la nature, la composition et les attributions du Conseil supérieur de l'énergie que cet organisme consultatif serait tenu de motiver les avis qu'il rend. Le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute pour l'avis rendu par le Conseil supérieur de l'énergie sur le projet d'arrêté d'être motivé, ne peut donc qu'être écarté.

Sur la légalité interne :

5. En premier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Par ailleurs, le principe d'égalité n'implique pas que des personnes se trouvant dans des situations différentes soient soumises à des régimes différents.

6. La requérante soutient que l'arrêté attaqué méconnaît le principe d'égalité en ce qu'il prévoit des coupures à heures fixes de certains appareils électriques qui n'affectent que les souscripteurs d'un contrat de fourniture d'électricité comportant une différenciation tarifaire entre heures pleines et heures creuses, sans prendre en compte la situation personnelle et professionnelle des intéressés, et notamment de ceux d'entre eux qui travaillent à leur domicile. Cependant, d'une part, il résulte de ce qui vient d'être dit au point précédent que le principe d'égalité n'imposait pas au pouvoir réglementaire de soumettre les souscripteurs de contrats de fourniture d'électricité concernés par la mesure qu'il a prévue à des régimes différents adaptés en fonction de leur situation personnelle ou professionnelle. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 2 que l'arrêté attaqué, qui n'a ni pour objet, ni pour effet, d'organiser des coupures d'électricité, se borne à empêcher le déclenchement automatique, durant une partie des heures méridiennes, des appareils électriques reliés à un dispositif de comptage comprenant un contact pilotable. Elles ne privent pas les souscripteurs d'un contrat avec heures creuses, et notamment ceux qui travaillent à leur domicile, de la faculté de déclencher manuellement les appareils concernés. Dans ces conditions, en prévoyant une désactivation quotidienne du déclenchement automatique de ces appareils de deux heures maximum, prenant fin le

15 mai 2023 au plus tard, ces dispositions créent une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de l'arrêté, qui est de limiter les pics de consommation durant les heures méridiennes. En outre, cette différence de traitement ne saurait être regardée comme manifestement disproportionnée au regard des motifs, parmi lesquels la prévention des risques de délestage sur le réseau électrique, qui sont susceptibles de la justifier.

7. En deuxième lieu, compte tenu de l'objet et des effets de l'arrêté attaqué, tels qu'ils ont été décrits au point précédent, celui-ci ne peut être regardé comme une ingérence dans l'exercice du droit au respect du domicile et de la vie privée et familiale protégé par les stipulations l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales .

8. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les dispositions de l'arrêté attaqué qui, ainsi qu'il a été dit plus haut, n'a ni pour objet, ni pour effet, d'organiser des coupures d'électricité, porteraient atteinte à la liberté de l'industrie et du commerce.

9. En quatrième et dernier lieu, la ministre de la transition énergétique fait valoir sans être contredite que la mesure prévue par l'arrêté attaqué concerne près de 4,3 millions de souscripteurs d'un contrat de fourniture d'électricité comportant une différenciation tarifaire entre heures pleines et heures creuses qui disposent d'un compteur doté d'un contact pilotable et que sa mise en œuvre a permis de réaliser des économies d'énergie de l'ordre de 2,5 gigawatts en appel de puissance sur la période méridienne, sans pour autant priver ces souscripteurs de la tarification favorable dont ils bénéficient sur les heures creuses ni non plus, ainsi qu'il a été dit, de la faculté de déclencher manuellement les appareils pilotés par leur compteur. Dans ces conditions, en édictant l'arrêté attaqué, la ministre de la transition énergétique n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation ni, en tout état de cause, entaché sa décision d'un défaut de proportionnalité.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre de la transition énergétique à la requête enregistrée sous le n° 473990, que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque. Les conclusions de ses requêtes doivent dès lors être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de Mme B... sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Madame A... B... et à la ministre de la transition énergétique.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 novembre 2023 où siégeaient :

Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 6 décembre 2023.

La présidente :

Signé : Mme Anne Egerszegi

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne à la ministre de la transition énergétique en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 469094
Date de la décision : 06/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 déc. 2023, n° 469094
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Saby
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:469094.20231206
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