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06/10/2023 | FRANCE | N°464692

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 06 octobre 2023, 464692


Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière Villa Mitchou a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 décembre 2020 par lequel le maire de Villeneuve-Loubet a délivré à la société civile de construction vente Blue Archipel un permis de construire valant division parcellaire pour la construction d'un programme résidentiel d'habitations avec piscine sur des parcelles cadastrées section AR nos 229, 230, 231, 232, 233 et 234, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux. Par un jugement n° 210

2978 du 6 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a, sur le fonde...

Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière Villa Mitchou a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 décembre 2020 par lequel le maire de Villeneuve-Loubet a délivré à la société civile de construction vente Blue Archipel un permis de construire valant division parcellaire pour la construction d'un programme résidentiel d'habitations avec piscine sur des parcelles cadastrées section AR nos 229, 230, 231, 232, 233 et 234, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux. Par un jugement n° 2102978 du 6 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer sur cette demande et imparti à la société Blue Archipel un délai de trois mois afin de produire un permis de régularisation permettant d'assurer la conformité du projet aux dispositions de l'article UB 7 du règlement du plan local d'urbanisme de Villeneuve-Loubet.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juin et 5 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Villa Mitchou demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Villeneuve-Loubet et de la société Blue Archipel la somme globale de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Redondo, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Villa Mitchou, à la SCP Gury et Maître, avocat de la société Blue Archipel et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la commune de Villeneuve-Loubet ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 18 décembre 2020, le maire de Villeuneuve-Loubet a délivré à la société Blue Archipel un permis de construire valant division parcellaire pour la construction d'un programme résidentiel d'habitations avec piscine. La société Villa Mitchou se pourvoit en cassation contre le jugement du 6 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a, par application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer sur sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté ainsi que du rejet de son recours gracieux et enjoint à la société Blue Archipel de justifier dans un délai de trois mois de l'éventuelle délivrance d'un permis de régularisation permettant d'assurer la conformité du projet aux dispositions de l'article UB 7 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Villeneuve-Loubet.

Sur le jugement attaqué, en tant qu'il se prononce sur les moyens soulevés par la société Villa Mitchou à l'appui de ses conclusions d'annulation :

2. En premier lieu, il appartient au juge administratif, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, d'ordonner toutes les mesures d'instruction qu'il estime nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis et, notamment, de requérir des parties ainsi que, le cas échéant, de tiers, en particulier des administrations compétentes, la communication des documents qui lui permettent de vérifier les allégations des requérants et d'établir sa conviction. Il lui incombe, dans la mise en œuvre de ses pouvoirs d'instruction, de veiller au respect des droits des parties, d'assurer l'égalité des armes entre elles et de garantir, selon les modalités propres à chacun d'entre eux, les secrets protégés par la loi. Le caractère contradictoire de la procédure fait en principe obstacle à ce que le juge se fonde sur des pièces produites au cours de l'instance qui n'auraient pas été préalablement communiquées à chacune des parties.

3. En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif et des propres écritures de la société requérante devant ce tribunal que celle-ci a eu accès au dossier numérisé de la demande de permis de construire, qu'elle a ensuite elle-même produit à l'instance. Si des plans de coupe ont été versés à la demande du juge le 3 mars 2022 pour compléter ce dossier qui était incomplet, ces nouvelles pièces ont été immédiatement communiquées à la société requérante, qui ne conteste pas avoir été mise en mesure de faire valoir des moyens nouveaux sur le fondement de ces dernières pièces jusqu'à la clôture de l'instruction trois jours francs avant l'audience qui s'est tenue le 16 mars 2022. Il s'ensuit que le tribunal, qui n'a pas dénaturé les pièces de la procédure en mentionnant que le dossier de demande de permis de construire avait été versé à l'instance le 30 novembre 2021, n'a méconnu ni le principe du caractère contradictoire de la procédure ni les règles de dévolution de la charge de la preuve en s'abstenant d'ordonner une mesure supplémentaire d'instruction pour solliciter le versement à la procédure de l'entier dossier de demande de permis de construire.

4. En deuxième lieu, le permis de construire n'ayant d'autre objet que d'autoriser la construction conforme aux plans et indications fournis par le pétitionnaire, l'autorité administrative n'a à vérifier ni l'exactitude des déclarations du demandeur relatives à la consistance du projet à moins qu'elles ne soient contredites par les autres éléments du dossier joint à la demande tels que limitativement définis par les dispositions des articles R. 431-4 et suivants du code de l'urbanisme, ni l'intention du demandeur de les respecter, sauf en présence d'éléments établissant l'existence d'une fraude à la date à laquelle l'administration se prononce sur la demande d'autorisation.

5. Pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article UB 9 du règlement du plan local d'urbanisme de Villeneuve-Loubet, limitant à 30 % de la superficie du terrain l'emprise au sol des bâtiments de surface, le tribunal a relevé que le plan de masse faisait état d'une emprise au sol de 2 502 m², soit 29,99 % de la superficie du terrain d'assiette, et que la société requérante n'invoquait ni ne démontrait aucune fraude. En statuant ainsi, le tribunal, qui n'avait pas à rechercher si toutes les surfaces avaient bien été intégrées par la pétitionnaire dans le calcul de l'emprise mentionnée au plan de masse dès lors qu'il n'était ni établi ni même allégué que les mentions du plan de masse étaient contredites par d'autres éléments du dossier, n'a pas commis d'erreur de droit.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 14 " Modalités d'application des normes du stationnement " du titre I " Dispositions générales du règlement d'urbanisme " du règlement du plan local d'urbanisme : " 3/ Stationnements 2 roues / Pour le stationnement des deux roues sur le domaine privé, il sera exigé, pour toute construction nouvelle, la création d'un local pour deux roues (2 m² par 2 roues et une porte d'accès de 2 mètres de large minimum) avec au minimum 50 % des places réservées aux vélos et ayant les caractéristiques annoncées aux articles 12 des zones urbaines et à urbaniser. / L'espace destiné aux vélos devra être aisément accessible depuis les emprises publiques et les voies. Il est recommandé que chaque espace destiné aux 2 roues puisse disposer de dispositifs permettant d'attacher les 2 roues avec un système de sécurité. ". Les dispositions de l'article UB 12 du même règlement rappellent ces prescriptions, relatives aux exigences minimales de stationnement en dehors des voies publiques, et exigent, s'agissant du stationnement des deux roues au sein d'un habitat collectif, une place par logement.

7. En jugeant, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article UB 12 du règlement du plan local d'urbanisme s'agissant des emplacements destinés au stationnement des deux roues situés dans les garages souterrains des bâtiments projetés, que ces dispositions n'étaient applicables qu'au stationnement en surface, le tribunal, qui n'a pas restreint la portée des dispositions applicables, n'a pas commis d'erreur de droit.

Sur le jugement attaqué, en tant qu'il porte sur la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :

8. Aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ".

9. Lorsqu'une autorisation d'urbanisme est entachée d'incompétence, qu'elle a été délivrée en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l'utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance de l'autorisation, l'illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d'une autorisation modificative dès lors que celle-ci est compétemment accordée pour le projet en cause, qu'elle assure le respect des règles de fond applicables à ce projet, répond aux exigences de forme ou a été précédée de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. Elle peut, de même, être régularisée par une autorisation modificative si la règle relative à l'utilisation du sol qui était méconnue par l'autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l'effet d'un changement dans les circonstances de fait de l'espèce. Il en va de même dans le cas où le bénéficiaire de l'autorisation initiale notifie en temps utile au juge une décision individuelle de l'autorité administrative compétente valant mesure de régularisation à la suite d'un jugement décidant, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, de surseoir à statuer sur une demande tendant à l'annulation de l'autorisation initiale. Dès lors que cette nouvelle autorisation assure la régularisation de l'autorisation initiale, les conclusions tendant à l'annulation de l'autorisation initialement délivrée doivent être rejetées. En revanche, la seule circonstance que le vice dont est affectée l'autorisation initiale et qui a justifié le sursis à statuer résulte de la méconnaissance d'une règle d'urbanisme qui n'est plus applicable à la date à laquelle le juge statue à nouveau sur la demande d'annulation, après l'expiration du délai imparti aux intéressés pour notifier la mesure de régularisation, est insusceptible, par elle-même, d'entraîner une telle régularisation et de justifier le rejet de la demande.

10. Il ressort des énonciations du jugement attaqué qu'après avoir jugé que le permis de construire litigieux méconnaissait les dispositions de l'article UB 11 du règlement du plan local d'urbanisme relatives aux toitures, le tribunal a estimé ne pas avoir à se prononcer sur la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme au titre de ce vice au motif que les dispositions de cet article UB 11 du règlement du plan local d'urbanisme relatives aux toitures avaient été modifiées postérieurement à la délivrance du permis de construire en litige, ce dont il a déduit que ce permis ne présentait plus sur ce point le vice dont il était entaché à la date de son édiction et était déjà régularisé à la date du jugement. Toutefois, si cette circonstance devait être prise en considération pour apprécier le caractère régularisable de ce vice, elle n'avait pas pour effet de le faire disparaître et de dispenser le juge administratif de se prononcer sur la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme. Par suite, en statuant ainsi, le tribunal a commis une erreur de droit.

11. La société Villa Mitchou est en conséquence fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque en tant qu'il porte sur la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi s'y rapportant.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Villa Mitchou est seulement fondée à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement qu'elle attaque.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Blue Archipel et de la commune de Villeneuve-Loubet une somme de 750 euros à verser chacune à la société Villa Mitchou au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Villa Mitchou, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du 6 avril 2022 du tribunal administratif de Nice sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, au tribunal administratif de Nice.

Article 3 : La commune de Villeneuve-Loubet et la société Blue Archipel verseront chacune une somme de 750 euros à la société Villa Mitchou au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société Blue Archipel et de la commune de Villeneuve-Loubet présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Villa Mitchou, à la commune de Villeneuve-Loubet et à la société civile de construction vente Blue Archipel.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 464692
Date de la décision : 06/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 oct. 2023, n° 464692
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Anne Redondo
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : SCP GURY et MAITRE ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET ; SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:464692.20231006
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