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14/04/2023 | FRANCE | N°448445

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 14 avril 2023, 448445


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 448445, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 janvier et 6 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Betclic entreprises limited demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler le décret n° 2020-1349 du 4 novembre 2020 relatif aux modalités de régulation de l'Autorité nationale des jeux ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

3°) de mettre à la charge de

l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrati...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 448445, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 janvier et 6 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Betclic entreprises limited demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler le décret n° 2020-1349 du 4 novembre 2020 relatif aux modalités de régulation de l'Autorité nationale des jeux ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 452182, par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 3 mai 2021 et les 24 juin, 1er août et 22 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SPS betting France limited demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1349 du 4 novembre 2020 relatif aux modalités de régulation de l'Autorité nationale des jeux, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

2°) à titre subsidiaire, d'abroger ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2015/1535/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 ;

- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 ;

- la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 ;

- l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Joachim Bendavid, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Betclic entreprises limited et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 mars 2023, présentée par la société SPS betting France limited.

Considérant ce qui suit :

1. L'article 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société La Française des jeux (LFDJ) et lui a confié le monopole de l'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution. Le IV du même article a autorisé le Gouvernement, dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi, à prendre par ordonnance, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, les mesures relevant du domaine de la loi afin, d'une part, de préciser le périmètre des droits exclusifs et les contreparties dues par la société LFDJ au titre de leur octroi, de définir les conditions d'exercice, d'organisation et d'exploitation de ces droits exclusifs ainsi que les modalités du contrôle étroit exercé par l'Etat sur leur titulaire, et d'autre part, de redéfinir les modalités de régulation de l'ensemble du secteur des jeux d'argent et de hasard. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a, par l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, modifié plusieurs dispositions de la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, du code de la sécurité intérieure et du code des sports.

2. D'une part, l'article L. 320-12 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 2 octobre 2019, prévoit que toute communication commerciale en faveur d'un opérateur de jeux d'argent et de hasard doit être assortie d'un message de mise en garde contre le jeu excessif ou pathologique et interdit une telle communication dans les publications, les services de communication audiovisuelle et électronique à destination des mineurs ainsi que dans les salles de spectacles cinématographiques lors de la diffusion d'œuvres accessibles à ceux-ci.

3. D'autre part, le IV de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 2 octobre 2019, prévoit que les opérateurs titulaires de droits exclusifs et les opérateurs de jeux ou de paris en ligne doivent soumettre chaque année " à l'approbation de l'Autorité nationale des jeux, dans des conditions fixées par décret, un document présentant leur stratégie promotionnelle sur tout support ". Il prévoit également que, par décision motivée, l'Autorité nationale des jeux (ANJ) peut " limiter les offres commerciales comportant une gratification financière des joueurs " et " prescrire à un opérateur le retrait de toute communication commerciale incitant, directement ou indirectement au jeu des mineurs ou des personnes interdites de jeu ou comportant une incitation excessive à la pratique du jeu ".

4. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, les sociétés Betclic enterprises limited et SPS betting France limited demandent, à titre principal, l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 4 novembre 2020 relatif aux modalités de régulation de l'Autorité nationale des jeux, qui a été pris pour l'application des dispositions ainsi modifiées et, à titre subsidiaire, son abrogation. Ce décret prévoit notamment que la stratégie promotionnelle que les opérateurs concernés doivent soumettre à l'approbation de l'ANJ, avant le 30 octobre de chaque année, doit comporter une description de la politique de communication qu'ils entendent mettre en œuvre dans l'année à venir, s'agissant des vecteurs de publicité utilisés, du contenu des messages publicitaires projetés, des publics visés, des budgets consacrés et de l'évaluation de leur impact au regard de l'objectif de prévenir le jeu excessif ou pathologique et de protéger les mineurs. L'ANJ examine la stratégie promotionnelle des opérateurs au regard des objectifs de la politique de l'Etat en matière de jeux d'argent et de hasard mentionnés à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure. Elle approuve, en formulant le cas échéant des réserves, la stratégie promotionnelle qui lui est soumise, par une décision motivée. Le 2° de l'article 50 du décret attaqué a prévu qu'au titre de l'année 2021, les opérateurs devraient soumettre leur stratégie promotionnelle à l'ANJ avant le 1er décembre 2020. Le décret attaqué précise également le contenu et les modalités de diffusion du message de mise en garde contre les risques liés à la pratique du jeu ainsi que les communications commerciales en faveur des opérateurs de jeux d'argent et de hasard dont la teneur est interdite.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation du décret attaqué :

5. En premier lieu, aux termes du I de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, l'ANJ " rend un avis sur les projets de texte relatifs au secteur des jeux dont elle est saisie et peut proposer les modifications législatives et réglementaires qui lui paraissent nécessaires à la poursuite des objectifs de la politique des jeux d'argent et de hasard ". Il résulte de ces dispositions que la consultation par le Gouvernement de l'ANJ sur un projet de texte est facultative. Dès lors, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute d'avis préalable de cette autorité, ne peut qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, si la société requérante soutient que les dispositions du décret attaqué diffèrent de celles qui ont été notifiées à la Commission européenne en application de l'article 5 de la directive 2015/1535/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, elle n'apporte pas, à l'appui de ses allégations, d'éléments suffisants permettant d'en apprécier le bien-fondé.

7. En troisième lieu, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale.

8. D'une part, aux termes de l'article L. 322-10 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction issue de l'article 7 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 : " I. - L'espérance mathématique de gain de chaque jeu, gamme de jeux ou catégorie de jeux de loterie fait l'objet d'un encadrement défini par décret, qui peut porter sur sa valeur minimale, sa valeur maximale, une valeur maximale moyenne sur une période donnée ". Pris pour l'application de ces dispositions, l'article D. 322-10 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue du décret attaqué, dispose que : " En moyenne pour l'ensemble des jeux de loterie ainsi que pour chacun individuellement, l'espérance mathématique de gain doit être, pour les joueurs, comprise entre 45 % et 75 % du total des mises. / Les parts des sommes misées sur les jeux de loterie affectées aux gains, sont les suivantes : / 1° Pour les jeux de tirage, la part affectée aux gagnants est comprise entre 50 % et 60 % pour chaque jeu de tirage traditionnel, entre 59 % et 70 % pour chaque jeu de tirage additionnel et entre 65 % et 72 % pour chaque jeu à tirages successifs ; / 2° Pour les jeux instantanés, la part affectée aux gagnants est comprise entre 62 % et 75 % pour chaque jeu de grattage, entre 65 % à 75 % pour chaque jeu à aléa immédiat et entre 60 % et 70 % pour chaque jeu instantané additionnel ; / 3° Pour l'ensemble des jeux de grattage, en ligne et en réseau physique de distribution, et sur un nombre significatif d'émissions, la part moyenne affectée aux gagnants est au minimum de 50 % et au maximum de 70,5 % de la valeur nominale des émissions ". Contrairement à ce que soutient la requérante, l'article L. 322-10 du code de la sécurité intérieure, qui n'avait pas à fixer l'espérance mathématique de gain de chaque jeu de loterie commercialisé par l'opérateur titulaire des droits exclusifs, a pu renvoyer au décret attaqué, sans méconnaître en tout état de cause le droit à la santé protégé par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, le soin de déterminer les fourchettes dans lesquelles la part des sommes misées affectées aux gains peut être arrêtée. La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que l'article L. 322-10 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 2 octobre 2019, aurait, à la date de la signature de cette ordonnance, été entaché d'incompétence négative ou méconnu, faute d'encadrer suffisamment la part des sommes misées affectées aux gains, la libre prestation de service garantie par l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

9. D'autre part, il ressort des pièces des dossiers que les autres dispositions du décret attaqué ont été prises pour l'application des articles 12 et 23 et des IV et IX de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010, des articles L. 320-12 et L. 322-16 du code de la sécurité intérieure ainsi que des articles L. 333-1-2 et L. 333-1-3 du code du sport, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard. Dès lors que les moyens que les sociétés requérantes soulèvent ne sont dirigés qu'à l'encontre d'autres dispositions de l'ordonnance, qui instituent un monopole au profit de la société La Française des jeux et qui fixent la composition de l'Autorité nationale des jeux, et qu'aucune de ces autres dispositions du décret attaqué n'y trouve sa base légale ou n'a été prise pour leur application, le moyen tiré de l'illégalité par voie d'exception de l'ordonnance du 2 octobre 2019 ne peut qu'être écarté.

10. En quatrième lieu, une réglementation nouvelle a, en principe, vocation à s'appliquer immédiatement, sous réserve, d'une part, du respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs, d'autre part, de l'obligation qui incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s'imposent à elle, d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, cette réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l'application immédiate des règles nouvelles, de fond ou de procédure, entraînerait, au regard de leur objet et de leurs effets, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.

11. Compte tenu de l'intérêt de santé publique qui s'attache à ce que l'Autorité nationale des jeux puisse contrôler les campagnes publicitaires envisagées par les opérateurs concernés afin de s'assurer du respect des objectifs de la politique de l'Etat en matière de jeux d'argent et de hasard fixés à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure, et eu égard, d'une part, à la date à laquelle le principe de l'approbation par cette Autorité des stratégies promotionnelles de ces opérateurs a été adopté, et, d'autre part, au fait que les opérateurs pouvaient être regardés comme ayant été informés de l'étendue des obligations mises à leur charge, l'Autorité leur ayant précisé, dès le mois de mai 2020, ce que recouvrait la notion de stratégie promotionnelle, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le principe de sécurité juridique, faute de mesures transitoires supplémentaires et faute d'avoir prévu un délai supplémentaire pour permettre aux opérateurs de s'acquitter de cette obligation, ne peut qu'être écarté.

12. En cinquième lieu, les dispositions de l'article 7 du décret attaqué, qui définit le contenu de la stratégie promotionnelle que les opérateurs concernés doivent soumettre à l'approbation de l'Autorité nationale des jeux, et celles des articles D. 320-9 et D. 320-10 du code de la sécurité intérieure, introduits par l'article 45 de ce décret, qui énumèrent les communications commerciales en faveur des opérateurs de jeux d'argent et de hasard dont la teneur est interdite, ne présentent aucune difficulté particulière d'interprétation, qui serait source d'insécurité juridique. Le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la norme doit donc être écarté.

13. En sixième lieu, aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. (...) ". Une législation nationale autorisant les jeux d'argent de façon limitée ou dans le cadre de droits spéciaux ou exclusifs accordés ou concédés à certains organismes, en ce qu'elle restreint l'exercice d'une activité économique, porte atteinte à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services. Toutefois, une telle atteinte peut être admise au titre des mesures dérogatoires prévues par le traité ou si elle est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que les conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l'individu et la société susceptibles de résulter de la pratique des jeux de hasard. Même justifiée, l'entrave ne peut, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, être acceptée que si les mesures restrictives sont proportionnées à la réalisation des objectifs invoqués, c'est-à-dire si elles sont propres à garantir ces objectifs et si elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre. Ainsi que l'a relevé la Cour dans ses arrêts n° C-42/07 du 8 septembre 2009 et n° C-212/08 du 30 juin 2011, un État membre cherchant à assurer un niveau de protection particulièrement élevé des consommateurs de jeux de hasard peut être fondé à considérer que seul l'octroi de droits exclusifs à un organisme unique soumis à un contrôle étroit des pouvoirs publics est de nature à permettre de maîtriser les risques propres à cette activité et de poursuivre une politique efficace de lutte contre le jeu excessif. Dans ce cas, il incombe au juge national de rechercher si les contrôles auxquels l'organisme bénéficiant d'un droit exclusif est soumis sont effectivement mis en œuvre de manière cohérente et systématique pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés et si la politique menée par celui-ci, si elle peut impliquer l'offre d'une gamme de jeux étendue, une publicité d'une certaine envergure et le recours à de nouvelles techniques de distribution, n'est pas pour autant expansionniste.

14. Dès lors, d'une part, que les obligations et interdictions en matière de publicité commerciale résultant des dispositions mentionnées aux points 2 à 4 s'appliquent à tous les opérateurs de jeux d'argent et de hasard et ont pour objet la protection de l'ordre public, la prévention des phénomènes de dépendance et du jeu des mineurs, et, d'autre part, que le second alinéa de l'article 7 du décret attaqué impose aux seuls opérateurs titulaires de droits exclusifs, parmi lesquels figurent la société la Française des jeux, de présenter, dans leur stratégie promotionnelle, les actions d'information et de prévention à destination du public et des joueurs de leur réseau physique de distribution, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, faute de comporter des obligations renforcées en matière de publicité à l'égard de la société La Française des jeux.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'abrogation du décret attaqué :

15. En premier lieu, aux termes de l'article 38 de la Constitution : " Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. / Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. / A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par une loi dans les matières qui sont du domaine législatif ". Le IV de l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 a fixé à trois mois le délai de dépôt devant le Parlement du projet de loi de ratification de l'ordonnance prise sur son fondement. Il ressort des pièces des dossiers et n'est d'ailleurs pas contesté que le Gouvernement a déposé un projet de loi de ratification de l'ordonnance du 2 octobre 2019 devant l'Assemblée nationale le 30 octobre 2019, soit avant l'expiration du délai fixé par la loi d'habilitation en application de l'article 38 de la Constitution. Dès lors, la circonstance que, postérieurement à l'expiration de ce délai, le Gouvernement ait retiré le projet de loi de ratification de l'Assemblée nationale et l'ait déposé au Sénat n'est pas de nature à avoir rendu caduque l'ordonnance du 2 octobre 2019. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué devrait être abrogé en raison de la caducité de cette ordonnance ne peut donc qu'être écarté.

16. En second lieu, il ne ressort pas des pièces des dossiers qu'un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à la signature de l'ordonnance du 2 octobre 2019 et du décret attaqué devrait conduire à porter une appréciation différente sur ces conclusions de celle portée sur les conclusions à fin d'annulation.

17. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir à titre préjudiciel la Cour de justice de l'Union européenne, que les requêtes de la société Betclic enterprises limited et de la société SPS Betting France limited doivent être rejetées y compris, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Betclic enterprises limited et de la société SPS betting France limited une somme de 3 000 euros chacune à verser à l'Etat, au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de la société Betclic enterprises limited et de la société SPS betting France limited sont rejetées.

Article 2 : La société Betclic enterprises limited versera à l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La société SPS betting France limited versera à l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Betclic enterprises limited, à la société SPS betting France limited, à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 mars 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat et M. Joachim Bendavid, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 14 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Joachim Bendavid

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 448445
Date de la décision : 14/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 avr. 2023, n° 448445
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Joachim Bendavid
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:448445.20230414
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