Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 6 octobre 2021 et le 13 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale du bois demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 5 août 2021 portant fusion de champs conventionnels en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés (IDCC 1947) à la convention collective nationale des salariés du négoce des matériaux de construction (IDCC 3216) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;
- la décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 mars 2023, présentée par la Fédération nationale du bois ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel : " I.- Le ministre chargé du travail peut, eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, engager une procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives d'une branche avec celui d'une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues : (...) / 2° Lorsque la branche a une activité conventionnelle caractérisée par la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociations couverts ; (...) / Un avis publié au Journal officiel invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître, dans un délai déterminé par décret, leurs observations sur ce projet de fusion. / Le ministre chargé du travail procède à la fusion après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective. (...) ".
2. Sur le fondement de ces dispositions, la ministre du travail a, par un arrêté du 5 août 2021 portant fusion de champs conventionnels, prononcé la fusion du champ d'application de la convention collective nationale du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés du 17 décembre 1996, convention rattachée, avec celui de la convention collective nationale des salariés du négoce des matériaux de construction du 8 décembre 2015, convention de rattachement, en raison de la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociation couverts au sein de la branche du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés. La Fédération nationale du bois demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté en tant qu'il prononce la fusion de ces deux branches.
Sur la légalité externe de l'arrêté :
3. Aux termes de l'article R. 2272-10 du code du travail : " Les missions dévolues à la Commission nationale [de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle] peuvent être exercées par (...) la sous-commission de la restructuration des branches professionnelles en ce qui concerne le 1° de l'article L. 2271-1. / La sous-commission de la restructuration des branches professionnelles analyse la situation des branches en vue de susciter une réduction du nombre des branches par voie conventionnelle et, en tant que de besoin, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2261-32. / Elle peut donner au nom de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle les avis prévus au second alinéa du I et au III de l'article L. 2261-32 [qui prévoient notamment que ces avis doivent être motivés]. (...) ". L'article D. 2261-14 du même code dispose que : " Le délai mentionné au huitième alinéa du I (...) de l'article L. 2261-32 est de quinze jours ".
4. Il ne résulte ni des dispositions citées au point 1, ni de celles citées au point précédent que les observations des organisations et personnes intéressées produites sur un projet de fusion de branches à la suite de l'avis publié au Journal officiel doivent être communiquées à la sous-commission de la restructuration des branches professionnelles, ni que cette dernière ne puisse émettre d'avis tant que le délai de quinze jours imparti à ces personnes pour présenter des observations n'est pas expiré.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, par un avis publié au Journal officiel le 10 juin 2021, les organisations et personnes intéressées ont été appelées à faire connaître leurs observations sur le projet de fusion en cause. Par un courrier du 18 juin 2021, la Fédération nationale du bois a d'ailleurs exprimé son opposition à la fusion. La sous-commission de la restructuration des branches professionnelles, qui, ainsi qu'il a été dit au point précédent, n'était pas tenue d'attendre l'expiration du délai de quinze jours imparti aux organisations et personnes intéressées pour présenter leurs observations, a rendu un avis, qui est motivé, le
16 juin 2021. La fédération requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué aurait été édicté au terme d'une procédure irrégulière faute qu'elle ait pu faire préalablement connaître ses observations avant que ne soit rendu l'avis litigieux et, dès lors qu'il n'a pu se prononcer sur ses observations, en raison de ce que cet avis serait insuffisamment motivé.
Sur la légalité interne de l'arrêté :
6. Il résulte des dispositions de l'article L. 2261-32 du code du travail, citées au point 1, que la fusion des champs d'application des conventions collectives de deux branches, susceptible d'être décidée par le ministre chargé du travail sur le fondement de ces dispositions, suppose que ces deux branches présentent des conditions sociales et économiques analogues.
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la branche du négoce du bois d'œuvre et de produits dérivés et celle du négoce des matériaux de construction recouvrent des activités présentant des caractéristiques similaires consistant à distribuer, stocker et transporter des matériaux de construction. En outre, les champs d'application professionnels des deux branches ont en commun une même activité économique regroupée sous le code APE 46.73A à savoir celle de " commerce de gros (commerce interentreprises) de bois et de matériaux de construction ". D'autre part, il ressort des pièces du dossier que les salariés des deux branches exercent des métiers, relevant principalement du secteur du commerce, qui présentent une grande proximité, même si ces métiers peuvent comporter certaines spécificités. Les deux branches relèvent, en outre, du même opérateur de compétences en matière de formation professionnelle. Par suite, et alors même que les deux branches conservent des différences, en particulier s'agissant des modalités de calcul de certaines rémunérations et primes, la Fédération nationale du bois n'est pas fondée à soutenir que la ministre chargée du travail a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 2261-32 du code du travail en retenant que la branche du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés présente des conditions sociales et économiques analogues à celles de la branche des salariés du négoce des matériaux de construction, la circonstance que la branche du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés présenterait des conditions sociales et économiques également analogues à celles d'autres branches s'agissant notamment des grilles de classification des emplois prévues par les conventions collectives étant à cet égard sans incidence, s'agissant d'apprécier le respect de la condition légale d'analogie des conditions sociales et économiques.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la Fédération nationale du bois tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 5 août 2021 de la ministre du travail en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés à la convention collective nationale des salariés du négoce des matériaux de construction, doit être rejetée, y compris en ce qu'elle comporte des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Fédération nationale du bois est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale du bois et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.