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04/04/2023 | FRANCE | N°458592

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 04 avril 2023, 458592


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt du 14 octobre 2020, la cour d'appel de Paris a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Melun de la question de la légalité de la délibération du 7 février 2011 par laquelle le conseil municipal de Claye-Souilly a accordé la garantie de la commune à l'emprunt contracté par MM. B... et A... en vue de la reprise de la société B...-Quebecor.

Par un jugement n° 2008533, 2008553 du 4 novembre 2021, ce tribunal a déclaré cette délibération illégale.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un

mémoire en réplique, enregistrés le 22 novembre 2021, le 13 décembre 2021 et le 16 ja...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt du 14 octobre 2020, la cour d'appel de Paris a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Melun de la question de la légalité de la délibération du 7 février 2011 par laquelle le conseil municipal de Claye-Souilly a accordé la garantie de la commune à l'emprunt contracté par MM. B... et A... en vue de la reprise de la société B...-Quebecor.

Par un jugement n° 2008533, 2008553 du 4 novembre 2021, ce tribunal a déclaré cette délibération illégale.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 novembre 2021, le 13 décembre 2021 et le 16 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Crédit industriel et commercial demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Claye-Souilly la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Crédit industriel et commercial et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la commune de Claye-Souilly ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 7 février 2011, le conseil municipal de Claye-Souilly (Seine-et-Marne) a décidé d'accorder la garantie de la commune, à hauteur de 50 %, à un emprunt bancaire de 1 000 000 euros que M. B... et M. A... projetaient de souscrire dans le cadre de la reprise de l'imprimerie B... Quebecor. A la suite de cette délibération, le maire de Claye-Souilly a signé, le 13 avril 2011, un acte de cautionnement par lequel la commune s'est portée, à hauteur de 166 667 euros, caution de la société B... Marketing Services (FMS), dont M. A... était alors le président, en garantie du prêt que cette société avait contracté, le 8 juin 2011, auprès de la société HSBC France pour un montant de 333 334 euros. Le maire a également signé, le 14 avril 2011, un acte de cautionnement par lequel la commune s'est portée, à hauteur de 166 667 euros, caution de la société FMS en garantie du prêt que cette société avait souscrit, le 13 avril 2011, auprès de la société Crédit industriel et commercial pour un montant de 333 334 euros. Par deux jugements du 18 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Meaux a condamné la commune de Claye-Souilly à payer à la société HSBC France et à la société Crédit industriel et commercial les sommes dues en sa qualité de caution de la société B... Marketing Services, placée en liquidation judiciaire par un jugement du 20 novembre 2014 du tribunal de commerce de Meaux. Par deux arrêts du 14 octobre 2020, la cour d'appel de Paris, saisie des appels formés par la commune, a sursis à statuer jusqu'à ce que le tribunal administratif de Melun se soit prononcé sur la validité de la délibération du 7 février 2011 du conseil municipal de la commune de Claye-Souilly. La société Crédit industriel et commercial se pourvoit contre le jugement du 4 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a déclaré que la délibération du 7 février 2011 était entachée d'illégalité.

2. En vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n'appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu'elle est saisie d'une question préjudicielle en appréciation de validité d'un acte administratif, de trancher d'autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l'autorité judiciaire. Il suit de là que, lorsque la juridiction de l'ordre judiciaire a énoncé dans son jugement le ou les moyens invoqués devant elle qui lui paraissent justifier ce renvoi, la juridiction administrative doit limiter son examen à ce ou ces moyens et ne peut connaître d'aucun autre, fût-il d'ordre public, que les parties viendraient à présenter devant elle à l'encontre de cet acte. Ce n'est que dans le cas où, ni dans ses motifs ni dans son dispositif, la juridiction de l'ordre judiciaire n'a limité la portée de la question qu'elle entend soumettre à la juridiction administrative, que cette dernière doit examiner tous les moyens présentés devant elle, sans qu'il y ait lieu alors de rechercher si ces moyens avaient été invoqués dans l'instance judiciaire.

3. En l'espèce, avant de surseoir à statuer, la cour d'appel de Paris a relevé que si le cautionnement consenti par la commune de Claye-Souilly a le caractère d'un contrat de droit privé, elle n'est pas compétente pour dire si les conditions dans lesquelles l'organe investi du pouvoir délibérant a donné son adhésion au cautionnement souscrit en faveur de la société FMS sont conformes aux dispositions de la loi n°88-13 du 5 janvier 1988 et du décret d'application de l'article L. 2252-1 du code général des collectivités territoriales, invoqués par la commune de Claye-Souilly.

4. En mentionnant ce seul moyen, qui est relatif aux conditions de fond dans lesquelles une commune peut accorder à une personne de droit privé une garantie d'emprunt ou son cautionnement, la cour d'appel de Paris a défini et limité l'étendue de la question qu'elle entendait soumettre à la juridiction administrative. Dès lors, le tribunal administratif de Melun ne pouvait, sans méconnaître son office de juge de la question préjudicielle, statuer sur la question de savoir si le conseil municipal avait disposé, avant d'adopter la délibération du 7 février 2011, d'éléments d'information suffisants pour vérifier que les règles prudentielles prévues par les dispositions de l'article L. 2252-1 du code général des collectivités territoriales et ses décrets d'application étaient respectées. Par suite, la société requérante est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation du jugement attaqué.

5. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. En premier lieu, il n'appartient pas au juge administratif, saisi d'une question préjudicielle en appréciation de légalité, de statuer sur la recevabilité de l'exception d'illégalité qui se trouve à l'origine du renvoi, ni sur le caractère définitif et créateur de droit de la décision administrative en litige, ni d'apprécier les conséquences, qu'il appartient au juge judiciaire de tirer dans le litige dont il est saisi, de l'illégalité dont il jugerait entachée la décision administrative en litige. Il s'ensuit que la société Crédit industriel et commercial ne peut utilement soutenir devant le juge administratif que la commune de Claye-Souilly n'est pas recevable à exciper devant le juge judiciaire de l'illégalité de la délibération en litige en faisant valoir que cette délibération serait une décision individuelle créatrice de droits acquis qui serait devenue définitive et ne pourrait plus être retirée sans porter atteinte aux droits des tiers, que l'exception d'illégalité ainsi invoquée serait constitutive d'un détournement de procédure de la part de la commune, porterait atteinte au principe de sécurité juridique et serait tardive, que la délibération en litige serait entièrement exécutée et par suite insusceptible de recours, que la demande de la commune tendant à ce que la délibération soit déclarée illégale serait contraire au principe de non-rétroactivité des actes administratifs et que l'illégalité alléguée de la délibération serait en tout état de cause régularisable.

7. En second lieu, aux termes de l'article L. 2252-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable à la date de la délibération litigieuse : " Une commune ne peut accorder à une personne de droit privé une garantie d'emprunt ou son cautionnement que dans les conditions fixées au présent chapitre / Le montant total des annuités, déjà garanties ou cautionnées à échoir au cours de l'exercice, d'emprunts contractés par toute personne de droit privé ou de droit public, majoré du montant de la première annuité entière du nouveau concours garanti, et du montant des annuités de la dette communale, ne peut excéder un pourcentage, défini par décret, des recettes réelles de la section de fonctionnement du budget communal ; le montant des provisions spécifiques constituées par la commune pour couvrir les garanties et cautions accordées, affecté d'un coefficient multiplicateur fixé par décret, vient en déduction du montant total défini au présent alinéa / Le montant des annuités garanties ou cautionnées au profit d'un même débiteur, exigible au titre d'un exercice, ne doit pas dépasser un pourcentage, défini par décret, du montant total des annuités susceptibles d'être garanties ou cautionnées en application de l'alinéa précédent / La quotité garantie par une ou plusieurs collectivités territoriales sur un même emprunt ne peut excéder un pourcentage fixé par décret / (...) ". Aux termes de l'article D. 1511-30 de ce code : " Le montant net des annuités de la dette mentionné des articles L. 2252-1, L. 3231-4 et L. 4253-1 est égal à la différence entre le montant total des sommes inscrites : / a) En dépenses au titre du remboursement du capital d'emprunts et du versement des intérêts ainsi que du règlement des dettes à long ou moyen terme, sans réception de fonds / b) En recettes au titre du recouvrement des créances à long et moyen terme / Ces sommes sont celles qui figurent au budget primitif principal pour l'exercice en cours ". Aux termes de l'article D. 1511-31 du même code : " Les recettes réelles de fonctionnement sont celles définies au cinquième alinéa de l'article R. 2313-2 ". Aux termes de l'article D. 1511-32 du même code : " Le pourcentage limite mentionné au deuxième alinéa des articles L. 2252-1, L. 3231-4 et L. 4253-1 et dont les éléments sont définis aux articles D. 1511-30 et D. 1511-31 est fixé à 50 % ". Aux termes de l'article D. 1511-33 du même code : " Pour l'application du deuxième alinéa des articles L. 2252-1, L. 3231-4 et L. 4253-1, le coefficient multiplicateur appliqué aux provisions spécifiques constituées par les communes pour couvrir les garanties ou cautions est fixé à 1 ". Aux termes de l'article D. 1511-34 du même code : " Pour l'application du troisième alinéa des articles L. 2252-1, L. 3231-4 et L. 4253-1, la proportion maximale des annuités garanties ou cautionnées au profit d'un même débiteur, exigible au titre d'un exercice, rapportée au montant total des annuités susceptibles d'être garanties ou cautionnées est fixée à 10 % ". Aux termes de l'article D. 1511-35 du même code : " Pour l'application du quatrième alinéa des articles L. 2252-1, L. 3231-4 et L. 4253-1, la quotité maximale susceptible d'être garantie par une ou plusieurs collectivités sur un même emprunt est fixé à 50 % / (...) ". En vertu de l'article D. 2252-1 du même code, les dispositions précitées des articles D. 1511-30 à D. 1511-35 sont applicables aux communes.

8. Ces dispositions fixent les règles prudentielles qui doivent être respectées par les communes lorsqu'elles accordent des garanties d'emprunt à des personnes privées. Il s'ensuit que la délibération par laquelle un conseil municipal accorde une telle garantie n'est illégale au regard de ces dispositions que s'il est établi que la garantie d'emprunt ainsi accordée entraîne la méconnaissance des règles qu'elles édictent. Il ne résulte pas de l'instruction que la délibération du conseil municipal de Claye-Souilly du 7 février 2011 accordant la garantie de la commune, à hauteur de 50 %, à un emprunt bancaire de 1 000 000 euros que M. B... et M. A... projetaient de souscrire dans le cadre de la reprise de l'imprimerie B...-Quebecor, ait méconnu les dispositions prudentielles rappelées au point 7.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, qu'il y a lieu de déclarer que la délibération en litige n'a pas méconnu les dispositions de la loi n°88-13 du 5 janvier 1988 et du décret d'application de l'article L. 2252-1 du code général des collectivités territoriales.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Claye-Souilly, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 3 000 euros à verser à la société Crédit industriel et commercial. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Crédit industriel et commercial, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 4 novembre 2021 est annulé.

Article 2 : Il est déclaré que la délibération du conseil municipal de Claye-Souilly du 7 février 2011 accordant la garantie de la commune, à hauteur de 50 %, à un emprunt bancaire de 1 000 000 euros que M. B... et M. A... projetaient de souscrire dans le cadre de la reprise de l'imprimerie B... Quebecor n'a pas méconnu les dispositions de la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 et du décret d'application de l'article L. 2252-1 du code général des collectivités territoriales.

Article 3 : La commune de de Claye-Souilly versera à société Crédit industriel et commercial une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Claye-Souilly au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Crédit industriel et commercial et à la commune de Claye-Souilly.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 mars 2023 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; M. Christian Fournier, conseiller d'Etat et Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 4 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Stéphane Verclytte

La rapporteure :

Signé : Mme Rose-Marie Abel

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 458592
Date de la décision : 04/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 04 avr. 2023, n° 458592
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rose-Marie Abel
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SARL LE PRADO – GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:458592.20230404
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