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29/12/2022 | FRANCE | N°460450

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 29 décembre 2022, 460450


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 janvier et 16 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 30 octobre 2021 rapportant le décret du 3 décembre 2018 lui accordant la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention europ

enne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 janvier et 16 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 30 octobre 2021 rapportant le décret du 3 décembre 2018 lui accordant la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Clément Tonon, auditeur,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., ressortissant marocain, a déposé une demande de naturalisation, le 28 décembre 2017, par laquelle il a indiqué être célibataire et sans enfant et s'est engagé sur l'honneur à signaler tout changement qui viendrait à survenir dans sa situation personnelle et familiale. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret du 3 décembre 2018 publié au Journal officiel de la République française du 5 décembre 2018. Toutefois, par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères reçu le 31 octobre 2019, le ministre de l'intérieur chargé des naturalisations a été informé de ce que M. C... avait épousé, à Tan-Tan (Maroc) le 31 octobre 2012, Mme E... A... B..., ressortissante marocaine résidant régulièrement au Maroc et que, de cette union, était née, le 8 février 2018, une fille prénommée Aya. Par décret du 30 octobre 2021, publié au Journal officiel du 31 octobre 2021, le Premier ministre a rapporté le décret du 3 décembre 2018 prononçant la naturalisation de M. C... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par ce dernier quant à sa situation familiale. M. C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, le décret attaqué comporte l'indication des éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde et est ainsi suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré de son insuffisance de motivation doit être écarté.

4. En deuxième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a contracté mariage le

31 octobre 2012 à Tan-Tan (Maroc) avec Mme A... B..., ressortissante marocaine résidant régulièrement au Maroc, avec laquelle il a eu deux filles dont l'une, Aya, est née le 8 février 2018. Ce mariage, antérieur à la naturalisation de l'intéressé, et cette naissance, intervenue au cours de l'instruction de sa demande de naturalisation, auraient dû être portés à la connaissance des autorités chargées de l'instruction de sa demande, comme il s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. Si M. C... soutient qu'il pensait n'avoir jamais été marié à Mme A... B..., il ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. L'intéressé, qui maîtrise la langue française ainsi qu'il ressort du compte rendu de l'entretien d'assimilation du 28 décembre 2017, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. Dans ces conditions, M. C... doit donc être regardé comme ayant sciemment dissimulé sa situation familiale. La circonstance qu'il a dissimulé la naissance de son enfant née hors mariage au motif qu'il craignait de faire l'objet de poursuites au Maroc n'est pas de nature à remettre en cause l'appréciation du caractère frauduleux des déclarations au vu desquelles la nationalité française lui avait été accordée. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

6. En troisième lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. C... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 30 octobre 2021 par lequel le ministre de l'intérieur a rapporté le décret du 3 décembre 2018. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 460450
Date de la décision : 29/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2022, n° 460450
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Clément Tonon
Rapporteur public ?: M. Philippe Ranquet

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:460450.20221229
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