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29/12/2022 | FRANCE | N°460213

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 29 décembre 2022, 460213


Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2114223 du 7 janvier 2022, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le même jour, le président du tribunal administratif de Nantes a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 17 décembre 2021 au greffe de ce tribunal, présentée par M. A... B.... Par cette requête et un mémoire en réplique, enregistré le 4 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès d

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Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2114223 du 7 janvier 2022, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le même jour, le président du tribunal administratif de Nantes a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 17 décembre 2021 au greffe de ce tribunal, présentée par M. A... B.... Par cette requête et un mémoire en réplique, enregistré le 4 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 19 octobre 2021 par laquelle l'autorité militaire de premier niveau lui a infligé la sanction de huit jours d'arrêts.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;

- le code de la défense ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- l'instruction n° 3200/DEF/DCSSA/AST/TEC/EPID du 18 février 2005 ;

- l'instruction n° 509040/ARM/DCSSA/ESSD du 29 juillet 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,

- les conclusions de Mme Cécile Raquin, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., lieutenant-colonel de l'armée de terre, est affecté dans une école d'état-major de celle-ci. Par une décision du 19 octobre 2021, le colonel commandant cette école lui a infligé la sanction de huit jours d'arrêts en raison du refus de ce militaire de se soumettre à la vaccination contre la covid-19. Par une ordonnance du 7 janvier 2022, le président du tribunal administratif de Nantes a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête introduite contre cette décision par M. B... devant ce tribunal, par laquelle il demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette sanction.

2. Selon le point 1 de l'instruction n° 3200/DEF/DCSSA/AST/TEC/EPID du 18 février 2005 relative à la pratique de la vaccination dans les armées, l'objectif général de la vaccination du personnel militaire, qui " participe au maintien de la disponibilité opérationnelle du personnel militaire en tout temps et en tout lieu ", est de " permettre aux individus de développer une protection active spécifique vis-à-vis d'un agent infectieux dans le respect des bonnes pratiques vaccinales ". L'instruction n° 509040/ARM/DCSSA/ESSD du 29 juillet 2021 relative à la vaccination contre la covid-19 dans les armées prévoit, en son article 3, que cette vaccination est obligatoire notamment pour tout militaire " en formation, en stage ou servant dans les écoles ou centres de formation ". Par une note du 18 août 2021, le colonel commandant l'école d'état-major a rappelé cette obligation. M. B..., à l'appui de son recours contre la sanction qui lui a été infligée pour s'être soustrait à cette vaccination, conteste par la voie de l'exception la légalité de l'obligation vaccinale contre la covid-19 qui résulte de ces dispositions.

3. En premier lieu, d'une part, le I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire prévoit que doivent être vaccinés contre la covid-19, sauf contre-indication médicale reconnue, les personnes exerçant certaines professions et occupations les plaçant au contact direct des personnes les plus vulnérables dans l'exercice de leur activité professionnelle ainsi que celles qui travaillent dans les mêmes locaux. Tel est le cas, notamment, des professionnels médicaux et paramédicaux exerçant en établissement de santé ou non, ainsi que des professionnels, étudiants ou élèves qui travaillent dans les mêmes locaux, et des professionnels susceptibles d'être en contact dans le cadre de leur activité avec des personnes vulnérables, comme les pompiers, les personnels intervenant dans des missions de sécurité civile, ou les personnels employés au domicile de personnes regardées comme vulnérables.

4. D'autre part, aux termes de l'article D. 4122-13 du code de la défense : " Les obligations en matière de vaccinations applicables aux militaires sont fixées par instruction du ministre de la défense ".

5. Contrairement à ce que soutient M. B..., les dispositions de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 qui, afin de garantir la continuité des soins et de certains services grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles, déterminent les personnes directement impliquées dans la gestion de la crise sanitaire et comme telles assujetties à l'obligation vaccinale contre la covid-19, n'ont pas privé la ministre des armées, responsable de l'emploi des militaires placés sous son autorité et du maintien de l'aptitude de ces derniers aux missions qui peuvent à tout moment leur être confiées, de sa compétence pour, par voie d'instruction, rendre obligatoire la vaccination contre la covid-19 pour certaines catégories de militaires, cette obligation vaccinale étant directement liée aux risques et exigences spécifiques à l'exercice de la fonction militaire. Le requérant ne saurait non plus utilement soutenir que des dispositions législatives ou réglementaires ou des instructions relatives à l'octroi de diplômes ou de certifications, quand bien même elles seraient susceptibles de s'appliquer à des militaires, auraient privé la ministre des armées de sa compétence en cette matière.

6. En deuxième lieu, selon l'article 5 de la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 : " Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu'après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. / Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l'intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. / La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. " Aux termes de son article 26 : " L'exercice des droits et les dispositions de protection contenus dans la présente Convention ne peuvent faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé publique ou à la protection des droits et libertés d'autrui. / Les restrictions visées à l'alinéa précédent ne peuvent être appliquées aux articles 11, 13, 14, 16, 17, 19, 20 et 21. " Ces stipulations créent des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir.

7. Une vaccination obligatoire constitue une restriction au droit institué par l'article 5 de la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, qui peut être admise si elle remplit les conditions prévues à son article 26 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

8. Si M. B... soutient que les bénéfices attendus des vaccins à acide ribonucléique (ARN) messager contre la covid-19 sont limités, tandis que les risques de moyen et de long terme liés à ces vaccins ne sont pas connus eu égard à leur caractère expérimental, d'une part, aucun des éléments qu'il apporte n'est de nature à remettre en cause le large consensus scientifique selon lequel la vaccination contre la covid-19 prémunit contre les formes graves de la maladie et présente des effets indésirables limités au regard de son efficacité et, d'autre part, la circonstance que ces vaccins feraient l'objet d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle ne saurait, en tout état de cause, conduire à les regarder comme expérimentaux. Par ailleurs, l'instruction du 18 février 2005 prévoit des garanties pour les militaires concernés, tant en termes de prise en compte des éventuelles contre-indications à la vaccination que de mesures de précaution et de suivi d'éventuelles réactions vaccinales, qui sont de nature à limiter le risque qu'ils encourraient à titre individuel. Enfin, cette vaccination obligatoire vise, ainsi que le rappelle l'instruction du 18 février 2005 précitée, à " maintenir la capacité opérationnelle des forces armées " face à un virus hautement contagieux et susceptible de limiter l'aptitude des militaires à servir. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'obligation vaccinale qu'institue l'instruction du 5 août 2021 serait incompatible avec les stipulations de l'article 5 de la convention d'Oviedo ne peut qu'être écarté.

9. En troisième lieu, les militaires dont, ainsi qu'il a été dit au point 5, les obligations vaccinales peuvent être décidées par la ministre des armées pour maintenir l'aptitude de ces derniers aux missions qui peuvent à tout moment leur être confiées ne sont pas placés à cet égard dans la même situation que le personnel civil. Par suite, le requérant ne peut utilement soutenir que le principe d'égalité ferait obstacle à une différence de traitement entre les militaires servant dans les écoles et le personnel civil exerçant des fonctions comparables dans des établissements d'enseignement ne relevant pas du ministère des armées.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B... doit être rejetée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre des armées.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 décembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, Mme Anne Courrèges, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Alexis Goin, auditeur-rapporteur.

Rendu le 29 décembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Alexis Goin

La secrétaire :

Signé : Mme Nadine Pelat


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 460213
Date de la décision : 29/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2022, n° 460213
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alexis Goin
Rapporteur public ?: Mme Cécile Raquin

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:460213.20221229
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