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22/11/2022 | FRANCE | N°465729

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 22 novembre 2022, 465729


Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral, de sa décision du 28 février 2022 rejetant le compte de campagne de Mme C... B... et M. A... D..., binôme de candidats à l'élection des 20 juin et 27 juin 2021 dans le canton de Saint-Lyé (Aube). Par un jugement n° 2200550 du 17 juin 2022, le tribunal administratif a jugé que ce compte de campagne avait été rejeté à bon droit, que la demande de

remboursement des dépenses électorales engagées par ce binôme de ca...

Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral, de sa décision du 28 février 2022 rejetant le compte de campagne de Mme C... B... et M. A... D..., binôme de candidats à l'élection des 20 juin et 27 juin 2021 dans le canton de Saint-Lyé (Aube). Par un jugement n° 2200550 du 17 juin 2022, le tribunal administratif a jugé que ce compte de campagne avait été rejeté à bon droit, que la demande de remboursement des dépenses électorales engagées par ce binôme de candidats avait également été rejetée à bon droit et il les a déclarés inéligibles à toute élection pour une durée de 18 mois à compter de son jugement.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 juillet et 14 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... et M. D... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la saisine de la CNCCFP ;

3°) de fixer à 270 euros le montant du remboursement forfaitaire dû en application des articles L. 118-2 et L. 52-11-1 du code électoral ;

4°) à titre subsidiaire, de dire qu'il n'y a pas lieu de les déclarer inéligibles en application de l'article L. 118-3 du code électoral ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que, par une décision du 28 février 2022, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne de Mme B... et de M. D..., binôme de candidats ayant recueilli 33% des suffrages exprimés au second tour des élections départementales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 dans le canton de Saint-Lyé (Aube), au motif que ce compte de campagne, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral, ne s'appuyait que sur des pièces disparates et incomplètes ne permettant pas d'attester de la réalité et de la régularité des opérations réalisées, notamment bancaires. Saisi par la Commission sur le fondement de l'article L. 52-15 du même code, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, par un jugement du 17 juin 2022, jugé que le compte de campagne de ces deux candidats avait été rejeté à bon droit, de même que leur demande de remboursement des dépenses électorales fondée sur l'article L. 52-11-1 du même code et les a déclarés inéligibles à toute élection pour une période de dix-huit mois à compter de son jugement. Mme B... et M. D... relèvent appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif que la saisine de la CNCCFP, qui a été enregistrée au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2022, a été communiquée par deux courriers distincts à Mme B... et à M. D..., par lettres recommandées avec avis de réception reçues le 17 mars 2022. Dès lors, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité en l'absence de notification de la saisine de la CCFP à chacun des deux membres du binôme manque en fait.

3. En second lieu, en jugeant, au vu du caractère parcellaire et incohérent des éléments produits par les candidats, que ces derniers n'avaient pas respecté l'obligation qui leur était faite par l'article L. 52-12 du code électoral de présenter un compte de campagne retraçant l'ensemble des recettes perçues et des dépenses engagées, et qu'ils avaient ainsi commis, de façon délibérée, un manquement d'une particulière gravité à une règle substantielle du droit du financement des campagnes électorales justifiant le prononcé d'une inéligibilité, le tribunal administratif a suffisamment motivé son jugement.

Sur le rejet du compte de campagne et le refus de remboursement forfaitaire des dépenses électorales :

4. Aux termes de l'article L. 52-6 du code électoral : " (...) / Le mandataire financier est tenu d'ouvrir un compte de dépôt unique retraçant la totalité de ses opérations financières (...)/ Les comptes du mandataire sont annexés au compte de campagne du candidat qui l'a désigné ou au compte de campagne du candidat tête de liste lorsque le candidat qui l'a désigné figure sur cette liste (...) ". Selon l'article L. 52-12 du code électoral : " I.- (...) Pour la période mentionnée à l'article L. 52-4 du présent code, le compte de campagne retrace, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection par le candidat ou le candidat tête de liste ou pour son compte, à l'exclusion des dépenses de la campagne officielle (...)/ II.- Au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour dépose à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques son compte de campagne et ses annexes accompagné des justificatifs de ses recettes, notamment d'une copie des contrats de prêts conclus en application de l'article L. 52-7-1 du présent code, ainsi que des factures, devis et autres documents de nature à établir le montant des dépenses payées ou engagées par le candidat ou pour son compte./ III.-Le compte de campagne est présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables. Ce dernier met le compte de campagne en état d'examen et s'assure de la présence des pièces justificatives requises (...) / VI.- Pour l'application du présent article, en cas de scrutin binominal, le candidat s'entend du binôme de candidats (...) ".

5. Il résulte de l'instruction que le compte de campagne déposé par les candidats dans le délai imparti par l'article L. 52-12 du code électoral, qui affichait un montant de recettes de 419 euros, dont 270 euros d'apport personnel, et de dépenses de 413 euros, pour un solde créditeur de 6 euros, n'était pas accompagné des pièces justificatives, notamment des relevés bancaires, permettant de retracer l'ensemble des opérations comptabilisées. A la suite de la demande de la CNCCFP, les intéressés ont produit un relevé bancaire du compte ouvert par le mandataire financier, couvrant la période comprise entre le 6 juillet et le 4 août 2021, qui présente un solde créditeur de 270 euros résultant de l'encaissement de deux chèques, l'un de 200 euros, l'autre de 70 euros, correspondant à l'apport personnel des deux candidats, puis un document intitulé " détail compte de dépôt ", non authentifié par l'établissement bancaire. Ce dernier fait apparaître au 15 septembre 2021 un solde créditeur de 130,59 euros correspondant aux " opérations effectuées au cours des 45 derniers jours ". Aucun élément ne permet de comprendre l'évolution du solde du compte entre le 4 août et le 15 septembre 2021 et de connaître de façon exhaustive l'ensemble des mouvements intervenus sur ce compte. En outre, le montant des dépenses figurant dans le second document excède sensiblement celui qui figure dans le compte de campagne déposé, quand bien même la société Imprimatur aurait-elle reçu par erreur, selon les requérants, un règlement de 193,41 euros au lieu du montant de 143,56 euros figurant sur la facture. Par ailleurs, le second document mentionne le don d'un parti politique pour un montant de 450 euros qui n'est pas comptabilisé dans le compte de campagne déposé. Dans ces circonstances, et alors que les candidats n'ont pas répondu aux demandes répétées de la Commission tendant à la production de l'ensemble des relevés bancaires couvrant la période en litige, ou, à défaut, des récapitulatifs d'opérations certifiés par l'établissement bancaire, c'est à bon droit que le compte de campagne des intéressés a été rejeté, de même qu'en conséquence, leur demande tendant au remboursement forfaitaire des dépenses électorales prévu par l'article L. 52-11-1 du code électoral.

Sur l'inéligibilité :

6. Aux termes de l'article L. 118-3 du code électoral : " Lorsqu'il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible : / 1° Le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12 ; / 2° Le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales ; / 3° Le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. / L'inéligibilité mentionnée au présent article est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s'applique à toutes les élections. / En cas de scrutin binominal, l'inéligibilité s'applique aux deux candidats du binôme (...) ".

7. En dehors des cas de fraude, le juge de l'élection ne peut prononcer l'inéligibilité d'un candidat sur le fondement de ces dispositions que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Il lui incombe à cet effet de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce et d'apprécier s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s'il présente un caractère délibéré.

8. La présentation d'un compte de campagne dont les données ne sont pas confirmées, voire sont contredites, par les éléments justificatifs fournis constitue un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales. En dépit de la modestie des montants ressortant des pièces produites, le refus persistant et sans justification des candidats de fournir les documents permettant de s'assurer de la sincérité du compte de campagne et l'envoi d'éléments incohérents avec les montants de recettes et de dépenses initialement déclarés confèrent à ce manquement délibéré une particulière gravité. Dans ces conditions, Mme B... et M. D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a prononcé leur inéligibilité pour une durée de dix-huit mois.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme B... et M. D... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme C... B..., à M. A... D... et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 octobre 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 22 novembre 2022.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. David Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Naouel Adouane


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 465729
Date de la décision : 22/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 nov. 2022, n° 465729
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:465729.20221122
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